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Le ménagier de Paris (v. 1 & 2)

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Je cite sous ce nom les articles 4 et 5 de la troisième distinction, excepté quand je parle du Viandier de Taillevent; dans ce cas, c’est l’ouvrage de Guillaume Tirel. Voy. Taillevent dans cette liste, et l’Introduction, p. XXXII.

{v. 1, p.lxxvii}

Tome I, page 3, ligne 1, au lieu de au tel, lisez autel (pareil).

Page 4, note, au lieu de dix-huit, lisez dix-sept.

Page 71, note sur les jeux.

Suivant l’auteur d’un article fort intéressant et bien fait, inséré dans le Magasin pittoresque de février 1847, p. 67, sur un volume très-rare (intitulé: les trente-six Tableaux contenant tous les jeux qui se peurent jamais inventer... Paris, Nicolas Prévost, 1589, in-4º oblong, aujourd’hui en ma possession), le jeu de pince-mérille étoit analogue à celui de Je te pince sans rire. On pinçoit le bras en disant: Mérille ou Morille. La partie de l’estampe du volume original qui me paroît représenter le jeu de pince-mérille, est ainsi composée: trois jeunes filles sont assises: un garçon les regarde, et penché vers elles, a la main gauche sur leurs genoux ou au moins tout près. Sa main droite est étendue comme pour repousser ou éloigner quelqu’un. Il tourne le dos à un cinquième joueur placé à distance, qui, le poing gauche sur la hanche et la main droite en avant, montre un ou plusieurs doigts, comme pour indiquer un nombre aux jeunes filles.

Tome I, page 76, Item l’en dit aussi que les roynes.... jamais ne baiseront hommes.

Tome I, page 131, ligne 1, au lieu de serait, lisez seroit.

Page 137, note sur Gilles Labat.

Gilles Labat est dit procureur général au parlement dans les lettres de rémission qu’il obtint en 1383: j’ai remarqué, t. II, p. 104, qu’il ne pouvoit avoir eu cette qualité et qu’il n’étoit très-probablement alors que procureur au parlement, comme il l’étoit encore en 1385 (et en 1397). Je crois pouvoir expliquer maintenant comment Gilles Labat, qui n’étoit évidemment que procureur au parlement, est qualifié de procureur général dans un acte émané de la chancellerie, et qu’il est difficile de supposer fautif. Autrefois le mot procureur signifioit simplement fondé de pouvoirs, et on trouve à chaque instant des gens de toutes qualités comparoissant, signant, etc., comme procureurs de leurs amis. La qualité de général ajouté au mot procureur signifioit, dans certains cas, que le mandataire étoit chargé de toutes les affaires du mandant; mais elle pouvoit signifier aussi, quand elle s’appliquoit à un procureur au parlement ou au Châtelet, qu’il étoit par état et non par occasion procureur ou mandataire en général. Cette assertion me paroît justifiée par le passage suivant d’une plaidoirie de 1394, qui s’applique, il est vrai, aux procureurs au Châtelet, mais qui permet de supposer que les procureurs au parlement, placés dans une position supérieure, pouvoient bien aussi recevoir, dans quelques occasions, l’épithète de général. Leur nombre étant d’ailleurs illimité, on conçoit que cette épithète leur ait été encore plus utile qu’aux procureurs au Châtelet (limités à quarante), pour se distinguer des procureurs ou mandataires spéciaux:

«Toutes les cours qui ressortissent (au Châtelet) se gouvernent selon le stille de chastelet, et pour ce les procureurs qui sont procureurs générals léans, qui ne font que fait de procuration devant le prévost, sont advocas ès cours subjetes... En 1378 ou environ, en Chastelet n’avoit point de nombre (limité) de procureurs{v. 1, p.lxxix}, et pour ce que plusieurs inconvéniens s’ensuivoient pour la multiplication, par le roy fu ordené qu’il n’y aroit en Chastelet que quarante procureurs généraulx. Ce fit messire Hugues Aubriot, et a duré quinze ans.»

Au reste, les procureurs au Châtelet et au Parlement étoient plus habituellement dits procureurs que procureurs généraux (voir ci-après remarque sur la page 116, nº 3). Le procureur général est ordinairement nommé le procureur général du Roi, et, le plus souvent, le procureur du Roi.

Page 140, note sur le bailli de Tournay, au lieu de Il est assez difficile, etc., lisez:

Il me semble que le bailli de Tournay, dont parle ici l’auteur du Ménagier, doit être messire Tristan du Bos, personnage assez important au XIVe siècle, et premier bailli de Tournay. Il avoit d’abord été bailli de Lille, mais il fut rappelé lors du mariage du duc de Bourgogne, et fait bailli de Vermandois. En 1383, il fut envoyé par le Roi à Tournay avec le comte de Sancerre et autres réformateurs, et nommé alors bailli de cette ville. Il est dit dans une plaidoierie de novembre 1385 que «le bailli de Tournay étoit du conseil du roi et sages homs, et avoit gouverné plusieurs bailliages,» ce qui s’applique bien à messire Tristan du Bos, bailli de Lille, puis de Vermandois, et mentionné plusieurs fois (le 6 novembre 1392, etc.) comme assistant aux séances du Parlement, où viennent les princes et le grand conseil. Je crois que c’est bien lui qui figure en qualité de maître des requêtes dans l’ordonnance de Vernon en date de février 1388-9 sur l’organisation de la maison du roi. Les requêtes de l’hôtel suivant partout le roi, il semble difficile qu’il ait pu cumuler l’emploi de maître des requêtes avec celui de bailli de Tournay, et il y a lieu de croire qu’il fut nommé maître des requêtes en même temps qu’Henry Le Mazier (voy. p. 140) fut nommé bailli de Tournay. Il paroît au reste avoir plus marqué comme magistrat que comme militaire, car les habitans de Tournay, pour prouver qu’ils pouvoient bien se défendre sans bailli royal, disoient en février 1394-5 que messire Tristan ayant voulu arrêter un certain Louis Despiés hors de Tournay, avoit vu massacrer les Tournisiens qui l’accompagnoient, et avoit été obligé de se réfugier dans le clocher de Wertaing. Dix mille habitans de Tournay avoient été, en{v. 1, p.lxxx} armes, le tirer de là pour l’honneur du roi, puis arrêter Louis Despiés, et brûler la ville qui lui avoit donné asile. En 1395, il étoit prévôt de l’église d’Arras (Plaid. civiles, X, 483, 515). Messire Tristan du Bos ayant été longtemps bailli de Tournay et étant souvent venu à Paris, avoit nécessairement eu occasion de se rencontrer avec l’auteur du Ménagier, magistrat comme lui, ainsi que je crois l’avoir prouvé dans l’introduction. Il étoit encore maître des requêtes le 12 novembre 1400 (Matinées III), et plaidoit, en mars 1400-1, pour la terre de Beaucamp, mouvante du seigneur de Heilly, qu’il avoit achetée en 1398.

Page 149, note sur le Sire d’Andresel.

Des lettres de rémission, accordées en avril 1361 à Jean de Melun seigneur de la Borde le Vicomte, lettres qui se trouvent dans le registre LXXXIX du Trésor des Chartes (pièce nº 755) et qui m’ont été signalées par M. Grésy, font connoître la nature de la rémission accordée à Jean d’Andresel, et donnent en même temps de nouveaux détails sur sa position et sa conduite en 1359. Il est dit dans ces lettres que Jean d’Andresel, capitaine général de Brie, avoit soudoyé un certain nombre de gens d’armes, pour résister aux Anglois et Navarrois; mais que la supériorité des forces ennemies, et les grands frais qu’entraînoit la réunion d’un corps aussi considérable l’avoient décidé à le dissoudre, et à renvoyer les gens d’armes dans leurs garnisons. Il avoit ordonné, du consentement des habitans du pays, que les gens d’armes seroient payés de leurs gages au moyen d’un subside levé par feu dans le pays de Brie, l’impôt payé par chaque localité étant spécialement et directement affecté au payement d’un corps désigné d’avance; chaque garnison devoit se tenir prête à marcher au premier ordre. On conçoit qu’un pareil arrangement ait donné lieu à plusieurs désordres, à plusieurs violences de la part des gens d’armes quand l’imposition ne leur étoit pas régulièrement payée; c’est ce qui étoit arrivé à Jean de Melun pour les troupes sous ses ordres, et il me paroît évident que la lettre de rémission accordée à Jean d’Andresel devoit avoir (comme je l’avois pressenti) un semblable motif.

On trouve dans Rymer (éd. de 1830 T. III), plusieurs pièces intéressantes sur le séjour de Jean d’Andresel en Angleterre. Il promit d’abord, avec les autres otages, le 20 février 1361-2, sur son{v. 1, p.lxxxi} honneur et état de chevalerie, d’être loyal otage au roi d’Angleterre, de taire ses secrets, de demeurer dans une ville ou cité quelconque, et de n’en sortir qu’avec la permission du roi, sauf qu’il lui étoit permis d’en sortir le matin pour s’ébattre, et d’y rentrer au soleil couchant.

Le 13 mai 1363, Jean d’Andresel, étant aux Jacobins de Londres, reçut licence et congé d’aller en France pour aucunes grosses besognes touchant la paix. Il promit à cette occasion de ne pas s’armer contre l’Angleterre pendant le séjour qu’il alloit faire en France, et de remettre son corps en otage en la cité de Londres au plus tard le jour de la Toussaint. Ce fut au reste malgré le roi Jean qu’il obtint cette mission. Ce prince avoit écrit le 26 janvier au roi d’Angleterre, de Villeneuve-lès-Avignon où il étoit alors, qu’il avoit vu le traité fait entre l’Angleterre d’une part, et le duc d’Orléans, ses enfans et son conseil de l’autre, et qu’il le confirmoit, sauf qu’il désiroit voir délivrer Pierre d’Alençon, le comte Dauphin d’Auvergne et le sire de Coucy, au lieu du comte de Grantpré, du sire de Clere et du sire d’Andresel. Le roi d’Angleterre ayant refusé cet échange, le roi lui écrivoit encore, le 13 mars[104], qu’il confirmoit le traité malgré son refus, mais qu’il n’auroit pas cru que de si petit de chose il lui dût faillir.

Froissart a dit que plusieurs des otages du roi Jean n’exécutèrent pas loyalement leurs promesses. Je ne sais si ce reproche est fondé pour quelques-uns, mais il ne sauroit, en tout cas, s’appliquer au sire d’Andresel. C’est ce que prouve la pièce suivante en date du 16 juin 1365, qui prononce la mise en liberté définitive de Jean d’Andresel dans des termes bien honorables pour sa loyauté:

«Le Roy, au noble homme Johan sire d’Andresel, salutz. Par contemplation de nostre très-cher et très-amé frère le duc d’Orliens, veuilliantz faire à vous faveur, desport, et grace espécial, de nostre certeine science nous confessons que vous avez bien et{v. 1, p.lxxxii} loialment tenuz par devers nous hostage depuis le temps que vous nous estoiez baillée parmy la paix.

«Et des ore nous vous délivrons pleinement dudit hostage, et vous quitons et absolvons par ces présentes lettres de toutes promesse, foits, seremens, obligations et convenances que fait nous avez à cause dudit hostage.

«Et volons et consentons et nous pleist que vous soietz des ore en avant francs de vostre persone comme quites et délivres à plein dudit ostage.

«Promettans par nostre foy et serement les choses dessusdites et chascune d’icelles tenir et garder, et noun venir encontre: toutes autres obligations, promesses, convenances... faites à nous et à nos heirs par ladite paix et quantque est compris ès lettres sur ceo faites demourants toutdis en leur effect, force et vertu; asqueles, quant as choses qui ne touchent vostre présente délivrance, nous ne volons que aucun préjudice se puisse faire en temps à venir à cause de cestes nos letres.

«Qui furent faites et donnés à nostre chastel de Wyndesore, le 16e jour de juyn, l’an de grâce mil trois cent soixante et quint, et de nostre règne le trente neofisme.» (Rymer, éd. 1830, t. III, p. 604, 685, 694, 700 et 774.)

Tome I, page 171. Supprimez la note 1.

Voir sur les tranchoirs les nombreux passages indiqués à la table.

Tome I, pages 173 et 174, note sur les verrières.

Tome I, page 174, ligne 1, Table dréciées.

Les tables étoient donc alors seulement posées sur des tréteaux.

Tome I, page 221, note 1re, sans doute l’auteur du Liber de amore.

Je n’ai cependant pas trouvé ces passages dans le Livre d’amours auquel est relatée la grant amour et façon par laquelle Pamphille peut jouyr de Galathée, et le moyen qu’en fist la maquerelle. Paris, Vérard, 1494, in-fol.—Les passages cités dans le Ménagier doivent donc être tirés d’un des autres auteurs cités dans le Manuel du Libraire au mot Pamphile.

Tome II, page 32, vers 1, Et de ceulx qui vestent les rois.

On lit dans Christine de Pisan, p. 93 de l’édition Poujoulat:

«Il rencontra un de ces ribaulz vestus d’une roiz qui par chemin souloyent aler.»

L’auteur de la traduction qui est au bas de la page a rendu ce mot par blouse. Je ne sais sur quoi il a fondé cette interprétation.

Tome II, page 38, colonne 1, vers 22,.... en el.

Dans ce lieu, là dedans.

Tome II, page 59, ligne 20,.... de males sanglantes fièvres.

L’épithète de sanglant étoit fréquemment employée dans les invectives, sans qu’on puisse bien s’en expliquer le motif. C’est ainsi qu’on voit dans le récit d’une querelle de Pierre de Lesclat, célèbre conseiller au parlement et confident du duc de Berry, avec Raoul Drobille, procureur au parlement, ce dernier dire à Pierre: Je ne doubte toy ne ton povoir! un sanglant é.... en ta gorge! Je crois que c’est de là qu’est restée l’expression d’injure sanglante.

{v. 1, p.lxxxiv}

Tome II, page 64, ligne 12, Par engins d’aisselles.

Ce doit être sans doute le piége connu sous le nom de quatre-de-chiffre.

Tome II, page 73, ligne 6, Ne bube ne malen.

Peut-être faut-il lire mal en (mal dedans, malum intùs).

Tome II, page 89, ligne 7, D’autre part, de l’eaue.

Mettez deux points après l’eaue.

Tome II, page 90, ligne 21, La saison des truites commence en....

Suppléez mars ou mai, suivant ce qui est dit p. 190.

Tome II, pages 94 et 97.

Les menus VI et XII sont les mêmes, à quelques variantes près.

Tome II, page 96, menu X.

C’est un dîner de poisson et non de chair, et ce menu est, à très-peu de chose près, le même que le XXIVe.

Tome II, page 99, menu XV, Brouet lardé.

Peut-être est-ce une faute pour bouli lardé.

Ib. Cine (cygne).

Ce pourroit être civé.

Tome II, page 100, menu XVI, Drois au persil.

On appeloit droits, en fait de venaison, certains morceaux recherchés qu’on mettoit à part pour le seigneur ou maître d’équipage quand on défaisoit le cerf.

Tome II, page 103, n. 1.

Au lieu de gros poisson salé, lisez: marsouin, dit encore en anglois purpoise. Voy. p. 198.

Tome II, pages 104 et 105, note sur l’abbé de Lagny.

Tome II, page 113, note sur la Pierre-au-Lait.

La position que j’ai assignée à ce lieu est confirmée par deux passages des comptes de la prévôté de Paris donnés par Sauval (III, 279 et 348), dans lesquels cet emplacement est dit tenir à la ruelle Jean Lecomte (rue Trognon, comme l’a dit Jaillot,—voir Corrozet, 1543,—et non rue d’Avignon, comme l’a cru M. Géraud), et faire face à la ruelle du porche Saint-Jacques. Remarquons encore que cette position est encore la même que celle indiquée par Jaillot pour la fin du XVIIIe siècle (Voy. Paris sous Philippe le Bel, p. 257).

Il est parlé à plusieurs reprises de la Pierre-au-Lait dans les contes d’Eutrapel. Noël du Fail, auteur de ce curieux ouvrage, dit que c’étoit de son temps un lieu mal hanté et habité par des escrocs (fº 42 de l’éd. de 1585). Il appelle aussi échevins de la Pierre-au-Lait des gens habiles à tricher au jeu.

Tome II, page 116, hôtel de Beauvais.

Sauval a dit, t. II, p. 109, qu’il ignoroit où étoit l’hôtel des évêques de Beauvais. Il paroît qu’il le découvrit depuis, car on lit au tome III de ses Antiquités de Paris, p. 260, dans les comptes de la prévôté de Paris que cet hôtel étoit rue du Meurier (du franc mûrier). Cette rue étant parallèle et à peu de distance de celle des Billettes, il y a lieu de croire que l’hôtel de Beauvais avoit des portes sur chacune de ces rues.

Tome II, page 116, note 3.

Ce Jean Duchesne est qualifié procureur général (et ailleurs procureur; voy. p. LXXVIII) au Châtelet, dans un arrêt du 5 février 1400-1, qui confirma une sentence du prévôt de Paris dont il avoit appelé. Il avoit demandé à rembourser, moyennant 42 florins à l’écu, 60 sous ou 3 livres de rente qu’il payoit annuellement à Louis Blanchet, seigneur de la Queue en Brie et premier secrétaire du roi, sur une maison avec dépendances qu’il avoit à Romainville.

{v. 1, p.lxxxvi}

Tome II, p. 118, note 3.

Ajoutez: Le Ms. du roi, fonds latin, 4641 B, contient la bénédiction et le formulaire du cérémonial usités en cette occasion; je les donne ici, quoiqu’ils puissent se trouver dans d’anciens ouvrages liturgiques.

«Bénédictio thalami ad nuptias et als. (aliàs?)

«Benedic, Domine, thalamum hunc et omnes habitantes in eo, ut in tua voluntate permaneant, requiescant et multiplicentur in longitudinem dierum. Per Christum, etc.

«Tunc thurificet thalamum in matrimonio, postea sponsum et sponsam sedentes vel jacentes in lecto suo. Benedicentur dicendo:

«Benedic, Domine, adolescentulos istos; sicut benedixisti Thobiam et Sarram filiam Raguelis, ita benedicere eos digneris, Domine, ut in nomine tuî vivant et senescant, et multiplicentur in longitudinem dierum. Per Christum, etc.

«Benedictio Dei omnipotentis, Patris et Filii et Spiritus sancti descendat super vos et maneat semper vobiscum. In nomine Patris, etc.»

Tome II, p. 119, l. 20, Maître Jean de Fontaines.

C’est sans doute le gendre du célèbre Jean des Marès. (Voir ci-dessus remarque sur la page 173 du tome I.)

Tome II, p. 129, l. 10.

Supprimez la virgule après Nota.

Tome II, page 134, note 1.

Élire ne peut signifier ici écosser, puisqu’il s’agit de vieux pois, mais bien choisir, éplucher.

Tome II, page 139, ligne 9, L’en connoît les fèves des marais.... et les fèves des champs, etc.

Je pense que les fèves des champs sont les haricots d’aujourd’hui, désignés encore quelquefois sous le nom de fèves.

Tome II, p. 154, note 3.

Lisez feuillet d IV vº, au lieu de feuille, etc.

Tome II, p. 181, l. 26, le Saupiquet.

Tome II, page 181, note 2.

Ajoutez: Ou jaunie par la cuisson? L’acception la plus ordinaire du mot tanné est celle de couleur de tan (feuille morte).

Tome II, p. 202, note 3, sur le mot auques, au lieu de presque lisez aussi.

Tome II, page 251, n. 5, Et des poales à Villedieu.

Ce bourg de Normandie est encore nommé sur les cartes Villèdieu-les-poëles. Il y a à la Bibliothèque royale (Manuscrits) d’anciens statuts des poëliers de Villedieu.

Tome II, p. 253, n. 5, Dans une curieuse chanson....

Tome II, page 318, note 4, ligne 9, Suivoient en volant les chiens pendant la quête.

Cette remarque ne s’applique qu’au vol des champs, ou chasse de la perdrix, car, pour d’autres chasses, celles au héron ou au milan par exemple, cela se passoit différemment. On en peut voir le détail dans d’Arcussia.

Tome II, page 322, note 4.

Ajoutez: Ou peut-être comme on l’a expliqué au commencement de ce traité.

Tome II, TABLE.

A l’article: Additions faites au, etc., ajoutez: b, 245.—Aux articles Aubriot, Sa maison et Ayala, ajoutez: b, 380.—Ajoutez: b, 381, aux articles Bos (Tristan du), Flandres et Froissart, et b, 382, à Estampes et à Gingembre.—Après Boileau, etc., ajoutez: Bonamy, cité, b, 380.

(Voir page 380 du tome II, un supplément aux corrections).{v. 1, p.lxxxix}

{v. 1, p.1}

LE MÉNAGIER
DE PARIS.

PROLOGUE.

CHÈRE seur, pour ce que vous estant en l’aage de quinze ans et la sepmaine que vous et moy feusmes espousés, me priastes que je espargnasse à vostre jeunesse et à vostre petit et ygnorant service jusques à ce que vous eussiez plus veu et apris; à laquelle appresure vous me promectiez de entendre songneusement et mectre toute vostre cure et diligence pour ma paix et amour garder, si comme vous disiez bien saigement par plus sage conseil, ce{v. 1, p.2} croy-je bien, que le vostre, en moy priant humblement en nostre lit, comme en suis recors, que pour l’amour de Dieu je ne vous voulsisse mie laidement corrigier devant la gent estrange ne devant nostre gent aussy, mais vous corrigasse chascune nuit ou de jour en jour en nostre chambre et vous ramentéusse les descontenances ou simplesses de la journée ou journées passées et vous chastiasse se il me plaisoit, et lors vous ne fauldriez point à vous amender selon ma doctrine et correction et feriez tout vostre povoir selon ma voulenté, si comme vous disiez. Si ay tenu à grant bien et vous loe et sçay bon gré de ce que vous m’en avez dit et m’en est depuis souventes fois souvenu. Et sachez sur ce, chère seur, que tout quanques je sçay que vous aiez fait puis que nous fusmes mariés jusques cy et tout quanques vous ferez en bonne intention m’a esté et est bon et me plaist et m’a bien pleu et plaira. Car vostre jeunesse vous excuse d’estre bien saige et vous excusera encores en toutes choses que vous ferez en intention de faire bien et sans mon desplaisir. Et sachiez que je ne pren pas desplaisir, mais plaisir, en ce que vous aurez à labourer rosiers, à garder violettes, faire chappeaulx, et aussi en vostre dancer et en vostre chanter et vueil bien que le continuez entre nos amis et nos pareilz et n’est que bien et onnesteté de ainsi passer l’aage de vostre adolescence féminine, toutesvoies sans désirer ne vous offrir à repairier en festes ne dances de trop grans seigneurs, car ce ne vous est mie convenable, ne afférant à vostre estat, ne au mien. Et quant au service que vous dictes que vous me feriez voulentiers plus grant que vous ne faictes se vous le sceussiez faire et que je le vous apreigne, sachez, chère seur, qu’il me{v. 1, p.3} souffist bien que vous me faciez au tel service comme vos bonnes voisines font à leurs mariz qui sont pareilz à nous et de nostre estat et comme vos parentes font à leurs mariz de pareil estat que nous sommes. Si vous en conseillez privéement à elles et après leur conseil si en faictes ou plus ou moins selon vostre vouloir. Car je ne suis point si oultrecuidé à ce que je sens de vous et de vostre bien que ce que vous en ferez ne me souffise assez et de tous autres services aussi, mais que il n’y ait barat, mesprisement ou desdaing, mais de ce vous gaittiez. Car jasoit-ce, belle seur, que je congnoisse bien que vous soiez de greigneur lignaige que je ne suis, toutesvoies ce ne vous garantiroit mie, car, par Dieu, les femmes de vostre lignaige sont si bonnes que sans moy et par elles mesmes seriez-vous asprement corrigée se elles le savoient par moi ou autrement; mais en vous ne fais-je point de doubte; je suis tout asseuré de vostre bien. Et toutesvoies, jasoit-ce, comme j’ay dit, que à moy ne appartiengne fors un petit de service, si vouldroie-je bien que vous sceussiez du bien et de l’onneur et de service à grant planté et foison et plus que à moy n’appartient, ou pour servir autre mary se vous l’avez après moy, ou pour donner plus grant doctrine à vos filles, amies ou autres, se il vous plaist et en ont besoing. Et tant plus saurez, tant plus d’onneur y aurez et plus loés en seront vos parens et moy aussi et autres entour qui vous aurez esté nourrie. Et pour vostre onneur et amour, et non mie pour moy servir, (car à moy ne convient mie service fors le commun, encores sur le moins) ayant piteuse et charitable compassion de vous qui n’avez, de long temps a, père ne mère, ne icy aucunes de vos{v. 1, p.4} parentes près de vous, ne à qui de vos privées nécessités vous puissiez avoir conseil ne recours fors à moy seul pour qui vous avez esté traicte de vostre parenté et du païs de vostre nativité, ay pensé plusieurs fois et intervalles se je peusse ou sceusse trouver de moy mesmes aucune généralle introduction légière pour vous aprendre et par laquelle, sans moy donner telle charge comme dessus est dit, par vous mesmes vous peussiez introduire parmy vostre paine et labour. Et à la fin me semble que se vostre affection y est telle comme vous m’avez monstré le semblant par vos bonnes paroles, il se peut acomplir en ceste manière, c’est assavoir que une leçon générale vous sera par moy escripte, et à vous baillée sur trois distinctions contenans dix-neuf[105] articles principalment.

LA PREMIÈRE DISTINCTION.

La première distinction d’icelles trois est nécessaire pour acquérir l’amour de Dieu et la salvacion de vostre âme et aussi nécessaire pour acquérir l’amour de vostre mary et donner à vous en ce monde la paix que l’en doit avoir en mariaige. Et pour ce que ces deux choses, c’est assavoir la salvacion de l’âme et la paix du mary, sont les deux choses plus principalment nécessaires qui soient, pour ce sont-elles mises cy premièrement. Et contient icelle première distinction neuf articles.

Le premier article parle de saluer et regracier Nostre Seigneur et sa benoite mère à vostre esveillier et à vostre lever et de vous atourner convenablement.{v. 1, p.5}

Le second article est de vous accompaigner convenablement, aler à l’église, eslire place, vous saigement contenir, oïr messe et vous confesser.

Le tiers article est que vous amez Dieu et sa benoite mère et continuellement les servez et vous mectez et tenez en leur grâce.

Le quart article est que vous gardez continence et vivez chastement à l’exemple Susanne, Lucresse et autres.

Le quint article que vous soiez amoureuse de vostre mary (soit moy ou autre) à l’exemple de Sarre, Rébecque, Rachel.

Le sixiesme article que vous soiez à lui humble et obéissant à l’exemple de Grisilidis, de celle qui ne voult rescourre son mary de noyer, et la mère Dieu qui respondit fiat, etc., de Lucifer, du puys, du bailly de Tournay, des religieux et des mariés, de madame d’Andresel, de Chaumont, de la Romaine.

Le septiesme que vous soiez curieuse et songneuse de sa personne.

Le huitiesme que vous soiez taisant pour celer ses secrets à l’exemple de Papire, de celle qui pont huit eufz, de celle de Venise, de celle qui revint de Saint Jaques et de l’advocat.

Le neuviesme et derrenier article est que se vostre mary s’essoie de foloyer ou foloye, que sans rigueur mais doulcement, saigement et humblement vous l’en retrayez comme Mellibée et dame Jehanne la Quintine.{v. 1, p.6}

LA SECONDE DISTINCTION.

La seconde distinction est nécessaire pour le prouffit du mesnage acroistre, acquérir amis et sauver le sien; pour secourir soy et aider contre les males fortunes de la vieillesse à venir, et contient six articles.

Le premier article est que vous aiez soing de vostre mesnaige, diligence et persévérance et regard au labour: mectez peine à y prendre plaisir et je feray ainsi d’autre part afin d’advenir au chastel dont il est parlé.

Le second article est que au moins vous prenez vostre esbatement et vous sachiez aucun peu congnoistre en curtilliage et jardinaige, enter en la saison et garder roses l’iver.

Le tiers article est que vous sachiez choisir varlets, portefais, aides ou autres fortes gens pour faire les dures besongnes qui d’eure en autre se pevent achever et aussi laboureurs, etc. Et en oultre cousturiers, cordouaniers, boulengiers, pasticiers, etc. Et par espécial varlets et chambrières d’ostel embesongner à grains tribler et remuer, robes nectier, éventer et essorer, commander à vos gens de penser des brebis, des chevaulx: garder et garir vins.

Le quart article est que vous, comme souverain maistre de vostre hostel, sachiez ordonner disners, soupers, mès et assietes, congnoistre le fait du bouchier, du poullaillier et savoir congnoistre les espices.

Le quint article que vous sachiez commander, ordonner, deviser et faire faire toutes manières de potaiges, civés, saulses et toutes autres viandes; idem pour malades.{v. 1, p.7}

LA TROISIÈME DISTINCTION.

La troisiesme distinction est de jeux et esbatemens aucunement plaisans pour avoir contenance et manière de parler et tenir compaignie à gens et contient trois articles.

Le premier article est tout de demandes d’esbatemens qui par le sort des dez, par rocs et par roys sont avérées et respondues par estrange manière.

Le deuxiesme article est de savoir nourrir et faire voler l’esprivier.

Le tiers article est d’aucunes autres demandes qui regardent compte et nombre et sont subtilz à trouver ou à deviner[106].

{v. 1, p.8}

{v. 1, p.9}

LE   MÉNAGIER   DE   PARIS.

PREMIÈRE DISTINCTION.

ARTICLE PREMIER.

LE commencement et premier article de la première distinction parle de adourer et du lever; lequel vostre lever doit estre entendu matin. Et matin, en l’entendement que l’en peut prendre selon la matière dont nous avons à traictier, est dit de matines. Car ainsi comme entre nous gens ruraulx disons le jour depuis l’aube du jour jusques à la nuit, ou du soleil levant jusques à soleil couchant, les clercs qui{v. 1, p.10} prennent plus subtillement dient que c’est le jour artificiel; mais le jour naturel qui tousjours a vint quatre heures se commence à mienuit et fine à la mienuit ensuivant. Et pour ce que j’ay dit que matin est dit de matines, je l’entens avoir dit pour ce que adonc sonnent les matines pour faire relever les religieux pour dire matines et loenges à Dieu, et non mie pour ce que je vueille dire que vous, belle seur, ne les femmes qui sont mariées, vous doiez lever à celle heure. Mais je le vueille bien avoir dit pour ce que se à ycelle heure vous oez sonner matines vous louez adont et saluez Nostre Seigneur d’aucun salut, prière ou oroison avant ce que vous vous rendormez; car à ce propos sont cy après propres oroisons ou prières. Car, soit à celle heure de matin ou au matin du jour, j’ay cy escript deux oroisons pour vous à dire à Nostre Seigneur, et deux autres à Nostre Dame propres pour esveiller ou lever. Et premier s’ensuit celle de mienuit par laquelle, en ycelle disant, vous regraciez Nostre Seigneur de ce que de sa grâce il vous a donné venir jusques à celle heure. Et direz ainsi:

Gracias ago tibi, Domine, etc.

C’est à dire en françois: Beau sire Dieu tout puissant qui es un seul en Trinité, qui estois, es et seras en toutes choses Dieu benoist par les siècles, je te rens grâce de ce que tu m’as daigné trespasser dès le commencement de ceste nuit jusques aux heures matinaulx, et maintenant je te requiers que tu me daignes, par ta sainte miséricorde, ce jour trespasser sans peschié, tellement que au vespre je te puisse comme à{v. 1, p.11} mon Dieu et à mon Seigneur regracier, adourer et donner salut.

Item s’ensuit l’autre oroison à Nostre Seigneur en disant:

Domine, sancte pater, etc.

C’est à dire en françois: Beau sire Dieu tout puissant et père pardurable qui m’as donné parvenir au commencement de ceste journée par ta saincte vertu, garde moy d’encourir en aucun péril, si que je ne puisse décliner à aucun mortel péchié, et que par ton doulx atrempement ma pensée soit adrécée à ta saincte justice et voulenté faire.

Item s’ensuit les deux oroisons à Nostre Dame, et premièrement:

Sancta Maria, mater Domini, etc.

C’est à dire en françois: Marie, sainte mère de Nostre Seigneur Jhesu-Crist, ès mains de ton benoit filz et de toy commandé-je huy et tout temps mon âme, mon corps et mon sens. Sire, garde moy de tous vices, de tous péchiés et de toute temptacion d’ennemy et me délivre de tous périlz. Sire doulx Jhesu-Crist, aide moy et me donne santé d’âme et de corps, donne moy voulenté de bien faire, en ce siècle vivre justement et bien persévérer. Octroie moy rémission de tous mes péchiés. Sire, sauve moy en veillant, garde moy en dormant afin que je dorme en paix et veille en toy en la gloire de paradis.

Item s’ensuit l’autre oroison à Nostre Dame qui est toute en françois:

O très certaine espérance, dame deffenderesse de{v. 1, p.12} tous ceulx qui s’y attendent! Glorieuse vierge Marie, je te prie maintenant, que en icelle heure que mes yeulx seront si aggravés de l’obscureté de la mort que je ne pourray veoir la clarté de ce siècle, ne me pourray mouvoir la langue pour toy prier ne pour toy appeller et que mon chiétif cuer qui est si foible tremblera pour la paour des ennemis d’enfer et sera si angoisseusement esbahis que tous les membres de mon corps defondront en sueur pour la peine de l’angoisse de la mort, lors, dame très doulce et très piteuse, me daignes regarder en pitié et moy aidier à voir avec toy la compaignie des anges et aussi la chevalerie de paradis, et que les ennemis troublés et espoventés de ton secours ne puissent avoir aucun regart, présumpcion ou souspeçon de mal à l’encontre de moy, ne aucune espérance ou puissance de moy traire ou mettre hors de ta compaignie. Mais, très débonnaire dame, te plaise lors à souvenir de la prière que je te fais orendroit, et reçoy m’âme en ta benoite foy, en ta garde et en ta deffense, et la présente à ton glorieux filz pour estre vestue de la robe de gloire et accompaignée à la joieuse feste des anges et de tous les sains. O dame des anges! O porte de paradis! O dame des patriarches, des prophètes, des apostres, des martirs, des confesseurs, des vierges et de tous les sains et sainctes! O estoille de matin plus resplendissant que le soleil et plus blanche que la noif! Je joing mes mains et eslieve mes yeulx et fléchis mes genoulz devant toy! Dame très débonnaire, pour icelle joie que tu eus quant ta sainte âme se parti de ton corps sans doubte et sans paour et fut portée présens les anges et archanges et en chantant présentée à ton glorieux filz et receue et hébergée{v. 1, p.13} en la joie pardurable, je te prie que tu me secoures et me viengnes au devant en icelle heure qui tant fait à doubter. Quant la mort me sera si près, dame, soies à m’âme confort et refuge et entens curieusement à la garder, si que les ennemis très crueux d’enfer qui tant sont horribles à veoir ne me puissent mettre au devant les péchiés que j’ay fais, mais iceulx soient premièrement à ta prière à moy pardonnés et effaciés par ton benoit enfant, et soit mon âme par toy, très doulce dame, présentée à ton benoit fils et à ta prière mise à la possession du repos pardurable et de la joie qui jamais ne fauldra! Amen.

Ces oroisons povez-vous dire à matines, ou à vostre esveillier du matin, ou à l’un et à l’autre, en vous levant et vestant, et après vostre vestir, tout est bien, et que ce soit à jeun et avant toute autre besongne. Mais pour ce que j’ay dit en vous vestant, je vueil en cest endroit un petit parler de vestemens. Sur quoy, chère seur, sachiez que se vous voulez ouvrer de mon conseil, vous aurez grant regard et grant advis aux facultés et puissances de vous et de moy selon l’estat de vos parens et des miens entour qui vous aurez à fréquenter et repairier chascun jour. Gardez que vous soiez honnestement vestue, sans induire nouvelles devises et sans trop ou pou de bouban. Et avant que vous partiez de vostre chambre ou ostel aiez paravant avisé que le colet de vostre chemise, de vostre blanchet ou de vostre coste ou surcot[107] ne saillent{v. 1, p.14} l’un sur l’autre, comme il est d’aucunes yvrongnes, foles ou non sachans qui ne tiennent compte de leur honneur ne de l’onnesteté de leur estat ne de leurs maris, et vont les yeulx ouvers, la teste espoventablement levée comme un lyon, leurs cheveulx saillans hors de leurs coiffes, et les colez de leurs chemises et cottes l’un sur l’autre et marchent hommassement et se maintiennent laidement devant la gent sans en avoir honte. Et quant l’en leur en parle, elles s’excusent sur diligence et humilité et dient qu’ils sont si diligens, labourieuses et si humaines qu’elles ne tiennent compte d’elles, mais elles mentent: elles tiennent bien si grant compte d’elles que s’elles estoient en une compaignie d’onneur, elles ne vouldroient mie estre moins servies que les sages leurs pareilles en lignaige, ne avoir moins des salutacions, des inclinacions, des réverences et du hault parler que les autres, mais plus, et si n’en sont pas dignes quant elles ne scevent garder l’onnesteté de l’estat, non mie seulement d’elles, mais au moins de leurs maris et de leur lignaige à qui elles font vergongne. Gardez donc, belle seur, que vos cheveulx, vostre coiffe, vostre cueuvrechief et vostre chapperon[108] et le{v. 1, p.15} surplus de vos atours soient bien arengéement et simplement ordenés et telement que aucuns de ceulx qui vous verront ne s’en puissent rire ne moquer, mais doit-l’en faire de vous exemple de bon arroy, de simplesse et de honnesteté à toutes les autres; et ce vous doit souffire quant à ce premier article.

LE SECOND ARTICLE.

Le second article dit que à l’aler en ville ou au moustier vous accompaigniez convenablement selon vostre estat et par espécial avec preudes femmes et fuiez compaignie souspeçonneuse et jamais femme souspeçonneuse ne approchiez, ne ne souffrez en vostre compaignie; et en alant ayant la teste droite, les paupières basses et arrestées et la veue droit devant vous quatre toises et bas à terre, sans regarder ou espandre vostre regard à homme ne à femme qui soit à destre ou à senestre, ne regarder hault, ne vostre regard changer en divers lieux muablement, ne rire, ne arrester à parler à aucun sur les rues. Et se vous estes venue à l’église, eslisez un lieu secret et solitaire devant un bel autel ou bel ymaige, et illec prenez place et vous y arrestez sans changer divers lieux, ne aler çà ne là[109],{v. 1, p.16} et aiez la teste droite et les bolièvres tousjours mouvans en disant oroisons ou prières. Aiez aussi continuellement vostre regart sur vostre livre ou au visaige de l’imaige sans regarder homme ne femme, peinture ne autre chose, et sans papelardie ou fiction, ayez le cuer au ciel et aourez de tout vostre cuer; et en faisant ainsi oyez messe chascun jour et vous confessez souvent; et s’ainsi le faites et persévérez, honneur vous sourdra et tout bien vous vendra. Et ce que dit est dessus doit souffire quant à ce commencement, car les bonnes preudes femmes entour qui vous repairerez, les bons exemples que vous prendrez à elles tant par leurs fais comme par leur doctrine, les bons vieulz prestres saiges et preudomes à qui vous vous confesserez et le bon sens naturel que Dieu vous a donné vous attraira et donra le remenant quant à ce second article.

LE TIERS ARTICLE.

Le tiers article dit que vous devez amer Dieu et vous tenir en sa grâce. Sur quoy je vous conseille que incontinent et toutes oeuvres laissées, vous vous désistez{v. 1, p.17} de boire ou mangier à nuit ou vespre, se très petit non, et vous ostez de toutes pensées terriennes et mondaines et vous mettez et tenez alant et venant en un lieu secret, solitaire et loing de gens et ne pensez à riens fors à demain bien matin oïr vostre messe, et après ce rendre compte à vostre confesseur de tous vos péchiés par bonne, meure et attrempée confession. Et pour ce que ces deux choses d’oïr messe et de confession sont aucunement différans, nous parlerons premièrement de la messe et secondement de la confession.

Et quant est de la messe, chère seur, sachiez que la messe a plusieurs dignités en drois estas ou degrés dont il nous convient parler et vous esclarcir. Et premièrement, après ce que le prestre est revestu et dit son Confiteor et mis en bon estat, il commence sa messe: et ce appelle-l’en l’Introite de la messe; c’est le commencement ou entrée de la messe, ouquel endroit doit lors chascun homs et chascune femme refraindre ses pensées endroit lui et qu’il ne pense à chose mondaine qu’il ait oncques mais veue ne oye, car quant li homs ou la femme est au moustier pour oïr le service divin, son cuer ne doit mie estre en sa maison ne ès champs, ne ès autres choses mondaines et si ne doit mie penser ès choses temporelles, mais à Dieu proprement, seulement et nuement, et à lui prier dévotement. Après l’Introïte chantée ou dicte, l’en dit par neuf fois: Kirie eleison, Christe eleison, en signifiance qu’il y a en paradis neuf paires d’anges que l’en dit gérarchies, et de chascune paire ou gérarchie viennent à celle messe une quantité et non mie toute l’ordre, mais de chascune une partie. Si doit chascun prier à ces sains anges qu’ils prient pour lui à Nostre Seigneur, en disant:{v. 1, p.18} O vous, sains anges, qui descendez de la gloire au Sauveur, pour lui ministrer et servir en terre, priez lui qu’il nous pardonne nos péchiés et nous envoie sa grâce.

Après, dit-on Gloria in excelsis Deo; lors doit-on louer doulcement Nostre Seigneur en disant: Très doulx Dieu, glorieux et honnourés soiez-vous, loés soiez-vous, benoit soiez-vous, adourés soiez-vous, etc. Après dit-on les oroisons des Sains et de Nostre Dame. Si doit-on prier à la très doulce mère Dieu et aux Sains qu’ils prient pour nous, en disant: Très glorieuse mère Dieu qui estes moienne entre vostre doulz fils et les pécheurs repentans, priez pour moy à vostre enfant, et vous, benois Sains de qui on fait mémoire, aidiez moy et priez avec la dame des anges que Dieu par sa grâce me pardoint mes forfais et enlumine mon cuer de sa grâce. Après ce, dit-on l’Épitre qui est ainsi comme donner remembrance que un messaige vient qui apporte lettres faisans mencion que le sire de tout le monde viendra prouchainement. Après ce chante-l’en le grée[110] ou l’alléluye ou le traict en karesme et dit-on la séquence: c’est démonstrance que ce sont les ménestriers qui viennent devant et monstrent que le Seigneur est jà sur le chemin, et qui cornent pour resjoïr les cuers de ceulx qui attendent et ont espérance en la venue du souverain Seigneur. Après lit-on l’Euvangille; c’est adonc la plus vraie et prouchaine messaigerie: car ce sont les bannières, les pannons et l’estendart qui monstrent certainement que adoncques le Seigneur est près, et lors se doit chascun taire et soy tenir droit,{v. 1, p.19} mettre s’entente à oïr et retenir ce que l’Euvangille dit, car ce sont les propres paroles que Nostre Seigneur dist de sa bouche et lesquelles paroles nous enseignent à vivre, se nous voulons estre de la mesnie à icellui souverain Seigneur. Et pour ce doit estre chascun curieux et ententif à oïr icelles paroles de l’Euvangille et à icelles retenir. Après fait-on l’offrande en laquelle on doit offrir en la main du prestre aucune chose en signifiance que l’en offre son cuer à Dieu, en disant: Sainte Trinité, recevez mon cuer que je vous offre: si le faites riche de vostre grâce. Et en ce disant doit-l’en bailler son offrande. Après ce, quant le prestre se retourne de l’autel il dit que l’en prie pour lui: si en doit-l’en diligemment prier, car il entre en nos besongnes et fait oroisons pour nous.

Après ce, dit le prestre: Per omnia secula seculorum: Et puis: Sursum corda. C’est à dire: levez vos cuers à Dieu. Et le clerc et les autres respondent: Habemus ad Dominum: nous les avons à Nostre Seigneur. Dont doit-l’en appareillier et avoir son oeil au prestre. Après ce, chante-l’en la louenge des anges, c’est assavoir: Sanctus, sanctus, sanctus. Dont descendent les anges pour appareillier, avironner et garder la table sur laquelle Dieu descendra et par son seul regard repaistra ses amis et adonc entend-l’en à veoir sa venue et se doit-l’en appareillier ainsi comme bons amoureux subgiez s’appareillent quant le Roy entre en sa cité, et le doit-l’en amoureusement et en grant joie de cuer regarder et recevoir, et en le regardant regracier sa venue et luy donner louenges et salus, et en pensée et à basse voix lui faire ses requestes pour obtenir rémissions et pardons des meffais passés; car il vient çà bas pour trois choses:{v. 1, p.20} l’une, pour tout pardonner, se nous en sommes dignes; la deuxiesme pour nous donner sa grâce, se nous le savons requérir; la tierce pour nous retraire du chemin d’enfer.

Après est la Paternostre qui nous enseigne que nous le devons appeller père et lui prier qu’il nous pardonne nos meffais ainsi comme nous pardonnons à nos malfaiteurs les leurs, et aussi lui prions qu’il ne nous laisse point péchier ne estre temptés, mais nous délivre de mal; amen. Après on dit Agnus Dei par trois fois et prie-l’en à Dieu qu’il ait mercy de nous et qu’il nous donne paix; qui peut estre entendu paix entre le corps et l’âme, que le corps soit obéissant à l’âme: ou paix entre nous et nos adversaires; et pour ce prent-l’en la paix. Après chante-l’en le post-communion et alors on doit dire et déprier Nostre Seigneur qu’il ne se vueille mie retraire de nous, ne nous laissier comme orphelins et sans père. Après dit-l’en les derrenières oroisons et adonc se doit-on retraire et recommander à la benoite vierge Marie et à elle requerre qu’elle vueille déprier son benoit chier enfant qu’il vueille demourer avec nous. Et quant tout est dit et achevé et le prestre dévestu, adonc doit-l’en icellui Seigneur remercier de ce qu’il nous a donné sens et entendement d’avoir oy sa benoite messe et veu son benoit sacrement qui donne remembrance de sa benoite nativité et de sa benoite passion et de sa benoite résurrection, et luy requérir qu’en persévérant au surplus, il nous doint vraye et parfaicte rémission. Et adoncques, chère seur, vous mettez toute seule, les yeux enclins à la terre, le cuer au ciel, pensez de tout vostre cuer très ententivement et cordialment à tous vos péchiés pour vous en deschargier{v. 1, p.21} et délivrer à celle heure. Mais pour vous adviser dès maintenant comment ce sera fait adonc, je vous en traicteray un petit selon se que j’en sçay et croy.

Chère seur, veulliez de par moy sur ce savoir que quiconques soit homme ou femme qui vueille à droit ses péchiés confesser au sauvement de l’âme de lui ou d’elle, il doit savoir que trois choses lui sont nécessaires; c’est assavoir, contriction, confession et satisfacion; et doit-il ou elle savoir que contriction requiert douleur de cuer en grans gémissemens et repentances et convient que en grant contriction et très humblement le pécheur requière pardon et mercy et déprie très affectueusement nostre créateur et souverain Seigneur qu’il lui vueille pardonner ce en quoy il l’a peu courroucier et offendre. Et sache le pécheur que sans contriction sa prière ne vault riens, puis qu’il ait sa pensée et son cuer ailleurs. Et, chère seur, vous en povez prendre exemple par un à qui l’en promist donner un cheval pour dire une paternostre, mais qu’il ne pensast autre part, et en disant la paternostre, il se pensa se cellui qui lui donnoit le cheval lui laisseroit la selle, et ainsi le maleureux perdit tout. Ainsi est-il de celui qui déprie Nostre Seigneur et ne pense point à sa prière ne à cellui qu’il déprie, et si a jà, par aventure, fait telle chose dont il a desservi à estre pendu au gibet d’enfer et si s’endort en ce péchié et n’en tient compte, et s’il estoit jugié en ce chétif monde par un petit prévost à estre pendu au gibet de fust ou de pierre, ou à paier une grosse amende qui est moins, et il cuidoit reschapper pour avoir contriction, pour plourer et pour prier le prévost ou juge, comment il le prieroit de bon cuer, en grans pleurs, en gémissemens et grans contrictions de{v. 1, p.22} cuer sans penser autre part, et il ne peut mie plourer ne prier du cuer le grant seigneur, son souverain et son créateur qui des haultes fenestres de sa pourvéance où il est lassus voit toute l’affection du cuer d’icellui pécheur! Et si scet bien le pécheur que icellui Seigneur est si piteux et si miséricors que pour très petite prière, mais qu’elle fust de cuer contrict et repentant, il aroit tout pardonné; voire mesmes se la sentence estoit jà donnée contre le pécheur, et fust ores icellui pécheur condempné à mort, or puet icellui souverain tout rappeller et quicter, et il n’est prévost ne juge par deçà qui pour plourer ne pour prière que le condempné sceust faire, peust rappeller le jugement qu’il auroit fait contre lui. Or regardez doncques, belle seur, quelle comparoison est cy! Et encores est-ce pis, car quant un homs est condempné à mort par le souverain juge, puis qu’il ne rappelle sa sentence, c’est à entendre que la peine de sa mort est perpétuelle et pardurable, et quant il est condempné par un prévost, la peine de sa mort ne dure que un moment; dont, belle seur, n’est-il point de comparoison ne entre la puissance des juges, ne entre la peine des jugemens. Et pour ce vault-il mieulx, belle seur, plourer et avoir contriction et adrécier sa prière à cellui qui a puissance souveraine et absolue que à cellui qui n’a puissance fors que ordonnée et sur certaine forme qu’il ne peut passer. Car icellui juge souverain est cellui qui à la fin nous examinera et jugera. Et adonc, belle seur, quel compte lui rendrons-nous des biens de fortune et de nature qu’il nous a bailliés en garde et nous avons tout folement despendu et mis à nostre usaige et à nostre délit, sans en avoir riens baillié ne aumosné à lui ne aux souffreteux{v. 1, p.23} honteux et paciens qui pour l’amour et ou nom de lui nous en ont demandé? Se en ce cas il nous argue de larrecin, que nous l’avons en ce desrobé, que respondrons-nous? Item de nostre âme sa fille qu’il nous bailla saine et nette, sans tache et sans ordure, laquelle nous avons empoisonnée par les buvraiges du péché mortel, se il nous argue de murtre, en disant que nous avons tué sa fille que il nous avoit baillié en garde, quelle deffence arons-nous? Item de nostre cuer, nostre corps qui est le chastel dont il nous avoit baillié la garde et nous l’avons livré à son ennemy, c’est le Déable d’enfer, quelle excusacion arons-nous? Certes, belle seur, je ne voy mie que, se la benoite vierge Marie sa mère ne nous sequeurt comme advocate, que par le bon jugement d’icelui souverain juge nous ne soions pugnis et enchaînés au gibet d’enfer pardurablement comme larrons, comme murtriers et comme traictres, se les chaudes larmes de la contriction de nostre cuer ne chassent l’ennemy hors de nous en nostre présente vie; mais ce se puet ainsi légièrement faire comme l’eaue chaude chasse le chien de la cuisine.

Après la contriction vient la confession qui a six condicions, ou elle ne vault riens. La première condicion de confession est que la confession soit faicte sagement: c’est à dire sagement en deux manières, qui est à entendre que le pécheur ou pécheresse eslise confesseur saige et preudomme. Et donc le pécheur doit avoir exemple et regart à ce que toute créature malade convoite sa santé, et pour sa santé recouvrer et avoir, désire plus à trouver le meilleur phisicien que le moins bon. Et doit icellui pécheur avoir regard que, puis que créature doit désirer la santé du corps qui est estour{v. 1, p.24} lourgable[111] et trespassable, par plus forte raison doit-il curer[112] de la noble âme qui est ordonnée à recevoir le bien perpétuel ou le mal pardurable. Et pour ce doit eslire très bon, très saige et très excellent phisicien pour recouvrer tantost la santé de l’âme qui est bléciée et malade, car s’il en prent un à l’aventure qui ne lui sache donner le remède de sa garison, il s’ensuit mort. Et vous le véez par exemple, car quant un aveugle maine l’autre, ce n’est pas de merveille se ils chéent tous deux en une fosse; dont doit le pécheur ou pécheresse faire pourvéance d’un très saige et très clervoyant conseillier qui de tous ses péchiés lui sache donner remède et conseil et qui sache discerner entre l’un péchié et l’autre pour remède donner et que icellui confesseur ait toute sa pensée et son entente à oyr et concevoir ce que le pécheur lui dira, et aussi qu’il ait puissance d’absoldre. Et lors doit icellui pécheur estre avisé et avoir pensé par avant longuement et ententivement à tous ses péchiés, comme j’ay devant dit, pour savoir les tous dire et compter par ordre, et par membres et par poins les deviser à son confesseur et conseillier, et doit avoir douleur au cuer de ce qu’il fist le péchié et grant paour de la vengence de Nostre Seigneur, grant honte et grant repentence d’iceulx péchiés et avoir ferme espérance et voulenté certaine de soy amender et de jamais au péchié non retourner, mais les haïr comme venin, et avoir désir de voulentiers recevoir pour sa garison et santé recouvrer et faire joyeusement la pénitence que le confesseur lui vouldra enchargier.{v. 1, p.25}

La seconde condicion de confession est que si tost que l’en est cheu en péchié l’en s’en doit hastivement et tost confesser. Car tu ne scez quant Dieu te touldra la parole et la santé, et pour ce est-il bon que on s’en confesse souvent. Les truans le preuvent assez qui de jour en jour et de heure en heure monstrent leurs plaies aux bonnes gens pour avoir nouvelle aumosne; les bléciés monstrent de jour en jour leurs navreures aux mires pour avoir chascun jour hastif et nouveau remède de garison; aussi doit le pécheur tantost monstrer et descouvrir son péchié pour avoir nouveau remède et plus plénière miséricorde.

La tierce condicion de confession est que on se doit du tout entièrement confesser et tout descouvrir à une fois et convient monstrer et ouvrir au mire toute la plaie; il convient tout dire en très grant humilité et repentence et n’en riens oublier ne laissier derrière, et quelque gros morcel qui y soit, il convient qu’il passe oultre le neu de la gorge. Et se l’orgueilleux cuer du pécheur ne le veult endurer, face le signe de la croix devant sa bouche afin que l’ennemy qui lui estoupe les conduis de la parolle s’en aille; et adonc le pécheur se contraigne à dire l’ort péchié qui tue son âme, car s’il atent plus, il l’oubliera par son attente, et ainsi ne s’en confessera jamais et par ce demourra en tel péril que pour cause de ce péchié où il sera demouré et dont il ne luy aura souvenu il ne fera jamais bien qui ne lui soit estaint vers Dieu, s’il n’y met sa grâce. Regardez doncques quel pardon il pourra jamais impétrer par jeûnes, par aumosnes, ne par travail de pèlerinaiges qu’il face, quand il n’est confès entièrement? Regardez comment il qui n’est vray confès, comment osera-il recevoir son{v. 1, p.26} créateur, et s’il ne le reçoit, comment il se déçoit et en quel péril il se met? Par aventure il cele à celle fois icellui péchié cuidant s’en confesser une autre fois bien brief, et il ne regarde mie qu’il est en la puissance de Dieu de lui tollir la parole quant il lui plaira, ou de le faire morir soudainement quant il vouldra. Ores s’ainsi est, il sera dampné par sa négligence et au jour du jugement il ne sara sur ce que respondre.

La quarte condicion de confession est que l’en se doit ordonnéement confesser et dire ses péchiés par ordre et selon ce que la théologie les met, et doivent estre mis l’un après l’autre sans trehoigner[113] ne entreveschier[114], ne mettre le derrière devant, sans riens polir ne farder, sans lui deffendre et sans autruy accuser. Et doit le pécheur dire la condicion du péchié, comment il le pensa, quelle fut la cause et le mouvement de son penser, comment depuis il a pourchacié, fait, dit, ou fait faire, le temps, le lieu, pourquoy et comment il le fist: se le péchié qu’il fist est selon nature ou s’il est fait contre nature, s’il le fist sachamment ou ygnorament, et doit icellui pécheur dire tout ce qui par icellui, les circonstances et dépendances peut grever son âme.

La quinte condicion est que on doit confesser tous ses péchiés à une fois, et à un confesseur et non pas à plusieurs confesseurs. L’en ne doit pas partir ses péchiés en deux parties pour dire l’une partie à un confesseur et l’autre partie à un autre, car la confession ainsi malicieusement faite ne seroit pas valable, mais seriez{v. 1, p.27} plus grant pécheur en tant comme vous mectriez paine de enginier vostre confesseur qui représente la personne de Nostre Seigneur Jhesu-Crist.

La sixiesme condicion est que on se doit confesser dévotement, et très humblement avoir les yeulx vers la terre en signe de honte et de vergongne que l’en a de son péchié, et la pensée et le regart du cuer au ciel, car vous devez penser que vous parlez à Dieu et devez adrécier vostre cuer et vos parolles à lui, et à lui requérir pardon et miséricorde. Car c’est cellui qui voit tout le parfont de la voulenté de vostre cuer, ne le prestre n’y a fors que l’oreille.

Or avez-vous oy, chère seur, comment on se doit confesser; mais sachiez qu’il y a cinq choses qui empeschent confession; c’est assavoir: honte de confesser le péchié, mauvaise paour de faire grant pénitance, espérance de longuement vivre, et despérance de ce que l’en a si grant plaisir au péchié qu’on ne s’en puet partir ne repentir, et se pense-on que pour riens se confesseroit-on pour tantost rencheoir; et de ce c’est la mort.

Après la confession vient satisfacion que on doit faire selon l’arbitrage et le conseil du sage confesseur, qui se fait en trois manières; c’est assavoir en jeûne, en aumosne ou en oroison selon ce que vous orrez cy après.

Je avoie ci-devant dit que à vous confesser vous estoient nécessaires trois choses: c’est assavoir contriction, confession et satisfaction, ores vous ay-je monstré et enseigné de mon povoir qu’est contricion, et en après qu’est confession et comment elle se doit faire, et vous ay un petit touchié des cinq choses qui l’empeschent moult, auxquelles vous aurez regart et en{v. 1, p.28} aurez souvenance s’il vous plaist, quant temps et lieu sera; et au derrain vous ay monstré qu’est satisfacion. Or vous monstreray-je pour prendre vostre advis[115] en quoy vous povez avoir péchié; et prendrons premièrement les noms et les condicions des sept péchiés mortels qui sont telement mauvais que auques[116] tous les péchiés qui sont s’en dépendent, et les appelle-l’en mortels pour la mort à quoy l’âme est traicte quant l’ennemi peut le cuer embesongnier à l’ouvraige d’iceulx. Et aussi, pour vous d’ores-en-avant contregarder d’iceulx péchiés, vous monstreray et enseigneray les noms et la puissance des sept vertus qui sont contraires aux sept péchiés dessusdis et sont propres médicine et remède contre iceulx péchiés quant le péchié est jà advenu, et si contraires à iceulx péchiés que tantost que la vertu vient, le péchié s’enfuit du tout.

Et premièrement s’ensuivent les noms des vices desquels vous vous povez confesser se vous y avez erré, et les noms des vertus sont après, pour icelles vertus continuer par vous d’ores-en-avant:

Orgueil  est le péchié, la vertu contraire estHumilité.
Envie  est le péchié, la vertu contraire estAmitié.
Ire  est le péchié, la vertu contraire estDébonnaireté.
Paresse  est le péchié, la vertu contraire estDiligence.
Avarice  est le péchié, la vertu contraire estLargesse.
Gloutonnie  est le péchié, la vertu contraire estSobriété.
Luxure  est le péchié, la vertu contraire estChasteté.[117]

Or avez-vous oy cydessus les noms des sept péchiés mortels et aussi des sept vertus qui donnent remède,{v. 1, p.29} or orrez-vous la condicion d’iceulx péchiés de l’un après l’autre et premièrement des sept péchiés, et à la fin d’iceulx trouverez les vertus qui aux péchiés sont contraires et les condicions d’icelles vertus.

Orgueil est la racine et commencement de tous autres péchiés. Le péchié d’orgueil a cinq branches. C’est assavoir: inobédience, jactence, ypocrisie, discorde et singularité.

Inobédience est la première branche, et par celle la personne pert Dieu et laisse ses commandemens et en désobéissant à Dieu elle fait la voulenté de la char, et acomplist ce que son cuer désire contre Dieu et contre raison; et tout ce vient d’orgueil.

La seconde branche qui vient d’orgueil est jactence; c’est quant la personne est haulsée et eslevée par orgueil ou des biens ou des maulx qu’elle a fais ou fait ou pourroit faire. Mais bien et mal, ces deux choses ne viennent pas de nous. Car le bien que créature fait vient de Dieu qui est bon et de sa grâce, et le mal vient de la mauvaise condicion de créature et de sa mauvaise nature, pour ce que elle se trait à la condicion de l’ennemy qui est mauvais. Et certes quant personne fait bien, pour ce qu’il vient de la bonne pourvéance de Dieu qui est bon, il en doit avoir l’onneur et la gloire, et la personne faisant bien en doit avoir le prouffit; et du mal nous devons haïr l’ennemy qui nous attrait et maine à ce par orgueil.

La tierce branche qui vient d’orgueil est ypocrisie;{v. 1, p.30} ypocrisie est quant la personne fait semblant par dehors qu’elle est pleine de vertus par dedens et qu’elle fait et dit plus de biens qu’elle ne fait. Et quant elle voit que l’en cuide qu’elle soit bonne, elle y prent grant plaisir et vaine gloire. Vaine gloire est le denier au Déable dont il achète toutes les belles denrées en la foire de ce monde et les denrées sont les biens que Dieu a donné à homme et à femme, c’est assavoir les biens de nature, les biens de fortune et les biens de grâce. Les biens de nature viennent du corps et sont beauté, bonté, bon langaige, bon sens pour entendre, bon engin pour retenir. Les biens de fortune sont richesses, haultesses, honneurs et prospérités; et les biens de grâce sont vertus et bonnes oeuvres. Tous ces biens vend l’orgueilleux au Déable pour le faulx denier de vaine gloire. Tous ces biens abat le vent de vaine gloire. Et dois savoir que en ces biens de grâce qui sont vertus et bonnes oeuvres, comme dit est, est l’omme ou femme par le Déable tempté en trois manières. L’une quant la créature s’esjoïst des biens qu’elle fait; l’autre quant la créature aime à estre loée de ses oeuvres, et la tierce quant la créature fait les biens en intencion d’avoir le los et d’estre tenu pour preudomme. Et teles personnes ypocrites ressemblent l’ort fumier lait et puant que l’en cuevre de drap d’or et de soie pour ressembler estre plus honnoré et mieulx prisié. Ainsi se cuevrent tels ypocrites qui mettent la bonne couverture dehors en intencion d’acquérir amis pour avoir plus grant bien ou plus grant office qu’ils n’ont et dont ils ne sont dignes, et tel bien que autruy posside qui plus en est digne que eulx. Et de ce advient souvent qu’ils désirent et pourchassent la mort de cellui qui tient l’office à quoy{v. 1, p.31} ils béent et ainsi deviennent mauvais murtriers. Quant il advient qu’ils vivent longuement en telle espérance et n’en pevent venir à chief, ains meurent en celle folle bée[118] où ils frisent[119] et ardent tous en tel convoiteux espoir, ils chéent tout droit ou font de la paelle[120] ou le Déable fait les fritures d’enfer. Ainsi leur bienfait est perdu et ne leur vault pour ce qu’ils le font en male intencion. Hélas! faulse monnoie dont vient ceste[121] Et ceste troisième branche d’ipocrisie vient d’orgueil.

La quarte branche qui vient d’orgueil si est discorde ou contencion. C’est à dire quant une personne ne se veult acorder au fait et au dit des autres personnes et si veult que ce qu’il dit ou fait soit tenu pour ferme et vray, soit voir[122] ou mensonge, et ce que autre et plus sage de luy dira soit de nulle value; et tout ce fait vient d’orgueil.

La quinte branche qui vient d’orgueil si est singularité; c’est à dire quant la personne fait ou dit ce que nul autre ne saroit dire ou faire et veult surmonter et estre singulier en dis et en fais excellentement en tout, dont il se fait haïr et pour ce dit-l’en que orgueilleux ne sera jà sans plait[123], et non est-il. Et tout ce vient d’orgueil, c’est assavoir inobédience, jactence, ypocrisie, discorde, et singularité.

Le pécheur ou pécheresse doit commencer sa confession en ceste manière: Sire qui estes vicaire et lieutenant de Dieu, je me confesse à Dieu le tout puissant et à la benoite vierge Marie et à tous les Sains de paradis, et à vous, chier père, de tous mes péchiés lesquels{v. 1, p.32} j’ay fais en moult de manières. Premièrement d’orgueil: j’ay esté orgueilleux ou orgueilleuse et ay eu vaine gloire de ma beauté, de ma force, de ma louenge, de mon excellent aournement, et de l’abilité de mes membres et en ay donné matière et exemple de péchier à moult de hommes et de femmes qui me regardoient si orgueilleusement et quant je véoie que on me regardoit je considéroie la puissance que mes successeurs auroient en leur temps, et aussi ma puissance, ma richesse, mon estat, mes amis et mon lignaige, et comme il me sembloit que nul ne povoit à moy de toutes ces choses que j’ay cy devant dictes[124], et par ce péchié d’orgueil je suis cheu ou cheue ès branches[125].

La première branche d’orgueil si est inobédience; car par orgueil j’ay désobéy à Dieu et ne luy ay pas porté honneur ne révérence comme à mon créateur qui m’a fait ou faicte et ma donné les biens de grâce de nature et de fortune dont j’ay méserré[126] et mal usé et les ay mis et despendus en mauvais usaiges comme en vanités et honneurs du monde, sans lui recongnoistre ou mercier, ne pour luy aux povres riens donner, ains les ay eu en desdaing et en despit et pour ce qu’ils me sembloient tous deffigurés et tous puans je ne les laissoie aprouchier de moy, ains me tournoie de l’autre part, afin que je ne les véisse. Je n’ay pas porté honneur ne révérence à mes amis qui sont de mon sang et de ma char, espécialment à mes père et mère et les prédécesseurs dont je suis venu, à mes frères et seurs naturels, à mon mary et autres bienfaicteurs et souverains, ne à mes autres frères et seurs d’Ève et d’Adam, car je n’ay{v. 1, p.33} nul autre prisié fors moy tant seulement. Et quant on m’a voulu monstrer mon bien et corrigier de mon mal quant je l’ay eu fait, je ne l’ay voulu souffrir, ains ay eu en indignacion et en despit ceulx qui m’ont ce monstré et leur ay esté pire après et plus fel que devant, et leur en ay mis sus blasme et vilenie grande en derrière d’eulx; j’ay sur eulx parlé vilainement, et tout ce m’est venu d’orgueil et de sa branche de inobédience.

Par jactence, qui est la seconde branche d’orgueil, j’ay diligemment escouté le maldire d’autruy et si l’ay creu et voulentiers raconté ou plus vilain entendement[127]. Et aucune fois, pour vengence ou pour mal, ay-je dit sur autruy ce dont je ne sçavoie riens. Je me suis eslevé ou eslevée et vanté de mes maulx que j’avoie fais et dis et y prenoie grant gloire. Et se on disoit aucune chose de moy qui appartenist à sens, à bon los, ou beauté et on le deist en ma présence et à mon ouie et que ce ne fust à moy, je ne me excusoie pas, qu’il ne feust en moy, ains me taisoie pour moy accorder et m’y délictoie et prenoie grant plaisance. Je me suis eslevé ou eslevée et ay eu orgueil des grans despens que j’ay aucune fois fais et des grans oultraiges et superfluités, comme de viandes grandes et oultrageuses, comme à donner grans mengiers et belles chambres, assembler grans compaignies, donner joyaulx aux dames et aux seigneurs et à leurs officiers ou ménestriers pour estre alosé[128] d’eulx et pour dire de moy que je fusse noble et vaillant et large; certes de povres créatures ne me chaloit-il[129] rien. Certes, Sire, j’ay affermé aucunes choses estre vrayes de quoy je n’estoie mie certain et ce faisoie-je{v. 1, p.34} pour plaire aux gens présens qui devant moy estoient et en parloient et tout ce ay-je fait par jactence.

Par ypocrisie, je me suis faint le saint home ou sainte femme et monstré grant semblant de l’estre et mis grant peine de en acquérir le nom devant les gens, et toutesvoies ne me suis-je point tenu de péchier et d’en faire assez quant j’ay veu que je l’ay peu faire couvertement et en repostaille[130], et certes aussy ay-je fait du bien aux povres et des pénitences devant les gens plus pour en avoir leur nom[131] et leur louenge que pour la grâce de Dieu. Et aussi par plusieurs fois monstroie-je par dehors d’estre en voulenté de tel bien faire dont mon cuer n’avoit voulenté, et ce faisoie-je pour avoir le nom du peuple, jasoit-ce que je sceusse bien que c’estoit fait au desplaisir de mon créateur. Et aussi me suis-je offert à moult de gens de faire telle chose pour eulx dont je n’avoie nul talent ne nul corage, et oultre je tenoie[132] de moy mesmes moult de biens qui n’y estoient mie, et se aucun peu en y avoit, il ne me souvenoit ne me vouloit souvenir qu’il venist de Dieu, si comme j’ay dit devant, ne à Dieu n’en savoie-je nul gré; et tout ce faisoie-je par ypocrisie avec grant orgueil.

J’ay esté ferme en discorde et en contencion, qui est la quarte branche d’orgueil. Car se je commençasse à soustenir aucune chose ou le fait d’aucune personne, pour soustenir son bien ou pour destruire un autre, où je me mectoie en grant peine de la défendre ou confondre, feust droit ou tort, j’ay en injuriant autruy raconté aucune fois aucunes choses mensongières et les ay affermées estre vraies pour faire à aucunes gens leur{v. 1, p.35} gré et leur faire plaisir; j’ay par despit esmeu aucunes fois aucunes personnes à ire, à courroux et à discorde dont moult de maulx venoient aucunes fois depuis; et d’autres ay-je fait jurer, parjurer et fait mentir, et par les discordes que j’ay mues et les mensongières paroles que j’ay dictes estre vraies et affermées et fait jurer et affermer, j’en ay plusieurs personnes moult scandalisées et courroucées par ma désordonnance. Quant je me suis aucune fois confessé, en ma confession je me suis excusé et mectoie mon excusation premièrement, et après coulouroie en ma faveur la cause de mon péchié, ou je mectoie ma deffaulte sur une autre personne et disoie qu’elle avoit fait la faulte de laquelle j’estoie le plus coulpable, ne je ne m’encusoie pas, ains disoie: tel me le fist faire et je ne m’en donnoie garde, et en celle manière disoie-je pour moy excuser de mes péchiés lesquels me sembloient trop griefs, et oultre je laissoie et taisoie les grans et orribles péchiés, et encores des petis et des légiers que je disoie ne disoie-je mie les circonstances qui estoient appartenans à iceulx péchiés, si comme les personnes, le temps et le lieu, etc. J’ay longuement demouré en mon péchié et par longue demeure je suis cheue ès autres mortels péchiés. A l’un de mes confesseurs[133], et à l’autre qui par aventure me plaisoit mieulx, je disoie les autres plus grans péchiés en intencion d’estre de luy moins corrigié et avoir maindre pénitence pour la familiarité que j’avoie avec luy ou qu’il povoit avoir en moy. J’ay désiré vaine gloire en quérant les honneurs et estre pareil aux plus grans ès vestemens, ès autres choses aussi, et ay eu{v. 1, p.36} gloire d’estre des haultes personnes honnoré, d’avoir leur grâce, estre haultement saluée et que honneur et grant révérence me fust portée pour ma beauté, pour ma richesse, pour ma noblesse, pour mon lignaige, pour estre joliement acesmée[134], pour moult bien chanter, dancer et doulcement rire, jouer et parler. J’ay voulu et souffert estre la plus honnorée partout: j’ai esté preste à oïr divers instrumens et mélodies, enchantemens, as parties[135] et autres plusieurs jeux qui sont gouliardois[136], désordonnés et lesquels n’estoient pas de Dieu ne de raison, car je rioie et me tenoie moult orgueilleusement et en grant esbatement. J’ay voulu avoir et user de vengence et avoir punicion de ceulx que j’ay seulement pensé qu’ils m’avoient voulu mal ou mal fait et en ay voulu avoir haultement et estroitement mon désir acompli, feust tort ou droit, sans les espargner, ne avoir d’eulx aucune mercy, et ce, chier père, ay-je fait par mon orgueil et m’en repens; si vous en requier pardon et pénitence.

Après s’ensuit le péchié d’envie, lequel descent d’orgueil. En envie a cinq branches. C’est assavoir: haine, machinacion, murmuracion, détraction et estre lié[137] du mal d’autruy et courroucié du bien d’autruy. Envie est née du péchié d’orgueil, car quant une personne est orgueilleuse elle ne veult avoir nul pareil semblable à lui, ains a envie se aucun autre est le plus hault ou aussi hault que lui en aucune chose, ou en aucuns biens, ou grâces, ou en sciences, ou qu’elle vaille mieulx que lui, et pour ce elle l’a en grant haine et la het et s’efforce tousjours de impétrer[138] la louenge et le bien d’autruy{v. 1, p.37} par sa parole et par son blasme: et c’est la première branche d’envie.

La seconde branche d’envie si est machinacion: c’est à dire quant une personne porte mauvaises paroles d’aucunes personnes par envie et recorde mal de l’une personne à l’autre par mauvaises acoustumances en apetissant le bien d’autruy et en accroissant le mal.

La tierce branche est murmuracion: c’est à dire que le cuer murmure de ce que plus grant maistre de lui lui commande, ou que on ne lui dit ou de ce que on ne lui fait pas ainsi comme aux autres, ou elle n’en ose parler.

La quarte branche d’envie si est détraction: c’est à dire quant une personne dit mal et parle en derrière et dit ce qu’il scet de lui et ce qu’il ne scet pas, et qu’il contreuve et pense comment il pourra dire chose par quoy il pourra nuire et grever celluy de qui il parle, et quant il oit mal dire de cellui, il aide à son povoir de le accroistre et exaulcer, et de ce parle moult griefment quant il voit son point, pour ce qu’il scet qu’il ne le peut en nulle manière plus dommagier et scet qu’il ne lui peut restituer sa bonne renommée qu’il luy oste, et ainsi lui mesmes se met à mort.

La quinte branche si est d’avoir joie du mal d’autruy ou de son empeschement et destruire à son povoir le bien quand il scet qu’il doit venir à autruy, et de ce bien il est triste et dolent. Et de toutes ces choses tu dois dire en ta confession: Sire, en toutes ces choses que j’ay cy devant nommées j’ay moult grandement péchié; car, de mon cuer je l’ay pensé, et de mon mauvais couraige je l’ay fait, et de ma faulse bouche je l’ay dit et semé partout où j’ai peu, et se je ay bien dit{v. 1, p.38} de lui ou d’un autre, je l’ay dit faintement et par faintise, et toutesvoies m’en suis-je mocqué; voire et de ceulx de qui je deusse le bien et l’onneur garder et le peusse bien avoir fait se je voulsisse, je l’ay trestourné et converti à mal; et, quant je véoie qui mal en disoit je me mectoie et aloie avec, et me consentoie au mal dire et affermer à mon povoir du cuer, de la bouche et du corps. Et tout, chier père, ay-je fait par mon envie et m’en repens, si vous en requier pardon.

Après envie vient le péchié d’ire qui descent d’envie. Ou péchié d’ire a cinq branches, c’est assavoir: haine, contencion, présumpcion, indignacion et juracion. Haine est quant aucune personne ne puet mectre autruy en sa subjection ou qu’elle ne puet commander et suppéditer cellui qu’elle vouldroit bien comme plus grant de lui et en vouldroit avoir la seignourie et la subjection, elle en est dolente et courroucée et en a le cuer enflé. C’est la première branche d’ire. La seconde branche d’ire si est quant en parlant la personne a le cuer enflé à mal faire et dire et quant elle parle laidement et désordonnéement par ire contre aucun autre. La tierce branche de ire si est quant par parler meslées et batailles viennent et dissencions, et lors la personne doit penser se aucuns de son costé ou d’autre ont esté grevés de chevance ou de corps par ses paroles; car en ce cas seroit la personne cause de tout le mal qui seroit advenu. La quarte branche de ire si est quant par ton ire tu as esmeu Dieu par jurer. La quinte branche de ire si est quant par ton ire tu as esmeu et fait esmouvoir les autres à courroux, et de ce tu te dois confesser ainsi: Sire, j’ay le nom de Dieu parjuré par mon ire, et de Dieu mauvaisement parlé et de la benoite{v. 1, p.39} vierge Marie sa doulce mère et de tous les Sains de paradis; j’ay eu indignacion contre autres personnes, et par mon ire leur ay véé[139] ma parole; monseigneur mon père et madame ma mère ay par mon ire courrouciés et despiteusement à eulx parlé et par ire les ay mal regardés et désiré la fin de leurs jours; aux povres ay moult despiteusement parlé et par mon ire les ay appellé truans. Sire, j’ay par mon ire esmeu plusieurs à jurer moult vilainement et de moult vilains sermens; mes serviteurs et moult d’autres ay-je fait esmouvoir à courroux et les ay esmeus à mal faire. Et ay moult de fois pensé à moy vengier de ceulx que je hayoie et voulentiers les meisse à mal quant je les avoie à contrecuer se je peusse. Grant pièce et long temps ay-je esté en haine, dont je me repens, et pour ce, chier père, je vous en requier pardon et pénitence.

Après si est le péchié de paresse qui est le quart péchié mortel duquel si naist et descent oysiveté qui est lait blasme et laide tache en personne qui vueille estre bonne. Car il est dit en l’Euvangille que au jour du jugement toute personne oyseuse aura à rendre compte du temps qu’elle aura perdu par son oysiveté. Or est grant merveille quelle défense les oyseux auront, quant devant Dieu ils seront accusés. En un autre lieu en L’Euvangille il est dit que la vie du corps oyseux est ennemi mortel à l’âme et monseigneur saint Jérosme dit ceste auctorité: fay toujours aucune chose afin que l’ennemy ne te treuve oyseux; car il est coustumier de ceulx qui sont oyseux mectre en ses euvres et en ses besongnes. Et monseigneur saint Augustin dit ou livre de l’Euvre des moines que nulle personne puissant{v. 1, p.40} de labourer ne doit estre oyseux. Ce seroit trop longue chose de réciter les dis de tous les saiges hommes qui blasment oysiveté et paresse.

Le péchié de paresse a six branches. La première branche si est négligence, la seconde rancune, la tierce charnalité, la quarte vanité en cuer, la quinte branche désespéracion, la sixiesme est présumpcion.

Négligence c’est quand l’en aime et craint si peu Dieu et en souvient si peu que parce que on n’en tient ainsi comme nul compte, l’en ne fait nul bien pour lui ne pour son amour, et de ce faire est-l’en paresseux et négligent et l’en n’est mie paresseux de quérir son plaisir et ses aises. Certes c’est grant péchié que d’estre paresseux de bien faire. Car il est trouvé en l’Escripture que se une personne n’avoit onques péchié, ne jamais ne péchast, et elle ne feist aucun bien mais laissast ainsi passer le temps, elle pourroit aller en enfer; et ceste première branche de négligence naist de paresse.

La seconde branche si est quant une personne a rancune en son cuer contre un autre, et pour la mauvaise voulenté qu’elle a à luy, s’applique à vengence et en ce s’endort et crout[140], et en délaisse à faire ses pénitences, ses aumosnes et autres biens. Car tousjours ceste personne rancuneuse pense à grever celluy qu’elle het, et de jour et de nuit y met toute sa pensée; ainsi délaisse à faire le bien qu’elle doit, et c’est la seconde branche qui est en paresse.

La tierce branche de paresse si est charnalité. Charnalité si est quant l’en quiert le désir de la char, comme dormir en bons lits, reposer longuement, gésir grandes matinées, et au matin quant l’en est bien aise en son lit{v. 1, p.41} et l’en oit sonner la messe, l’en n’en tient compte et se tourne-l’en de l’autre costé pour rendormir, et telles gens lâches et vaines ont plus chier perdre quatre messes que une sueur ou un somme; et c’est la tierce branche de paresse.

La quarte branche de paresse si est vanité: c’est à dire quant une personne scet bien qu’elle est en péchié et elle est de si vain cuer qu’elle ne se peut ou ne vuelt ou ne daigne retourner à Dieu par confession et par dévocion, ains pense et promet tousjours à lui-mesme de amender sa vie de jour en autre, et si ne se corrige point, ains est paresseux et négligent de soi retourner et ainsi ne lui chault de faire aucun bien et les commandemens de Dieu, si comme bonne personne le doit faire et garder; et c’est la quarte branche de paresse.

La quinte branche si est désespéracion; c’est une manière de péchié que Dieu het moult et quiconques est pris en ce péchié il est dampné si comme Judas qui en désespérance se pendit, car il cuidoit tant avoir fourfait envers Dieu que jamais ne peust impétrer de lui miséricorde, et quiconques meurt en ce péchié et n’a point d’espérance de la miséricorde de Dieu il pèche contre le Saint Esperit et contre la bonté de Dieu; et pour ce en nulle manière on ne doit cheoir en ce péchié de désespérance ne y demourer. Car se tu chiez et fais un très grand péchié comme d’ardre maisons et ardre les biens de saincte église par force qui est sacrilége, tu fais pis que tous les sept péchiés mortels, mais encores dis-je que la miséricorde de Dieu est plus grande à pardonner. Toutesvoies, se tu te veulx confesser et faire pénitence et à Dieu retourner, voire se tu avoies fait plus de maulx que langue ne pourroit dire, ne cuidier{v. 1, p.42}, ne cuer penser, si trouveroies-tu en lui miséricorde; et c’est la quinte branche de paresse.

La sixiesme branche si est présumpcion: c’est quant une personne est si oultrecuidiée et si orgueilleuse qu’elle croit que pour péchié qu’elle eust fait, ne pourroit faire, elle ne pourroit estre dampnée; et telles gens sont d’opinion telle qu’ils dient que Dieu ne les a pas fais pour estre dampnés. Et ils doivent savoir que Dieu ne seroit pas juste s’il donnoit paradis aussi bien à ceulx qui ne l’aroient point desservi que à ceulx qui l’aroient desservi. Ce ne seroit pas justement jugié que autant en emportast l’un que l’autre, car s’il estoit ainsi, l’en ne feroit jamais bien, puisque autel guerdon auroit cellui qui ne serviroit point Nostre Seigneur, comme cellui qui le serviroit. Certes ceulx qui ainsi le croient pechent contre la bonne justice de Dieu, contre sa bénignité et sa doulceur. Car combien qu’il soit plain de miséricorde, si comme j’ay dit devant, si est-il juste justicier, et chacun si est fait pour servir icelluy créateur et pour faire sa voulenté, et ainsi peut-l’en avoir et desservir le royaume de paradis et autrement non, car qui de son service faire est négligent et paresseux, il peche. Et pour ce, tu qui es paresseux te dois confesser des branches de paresse et dire ainsi. Sire, j’ay aussi erré en toutes les branches de paresse; par ma négligence ou service de Dieu ay esté lent, paresseux et négligent en la foy et curieusement pensé de l’aise de ma charongne, et ce que j’ay ouy de l’Escripture je ne l’ay pas retenu ne mis à oeuvre par ma paresse. Après, je n’ay pas rendu grâce à Dieu, si comme je deusse, des biens espirituels et temporels qu’il ma donnés et envoiés, et oultre je n’ay pas{v. 1, p.43} servi Dieu si comme je deusse, selon les grâces et les vertus qu’il m’a données. Je n’ay pas dit ne fait les biens que je peusse avoir dit ou fait et ay esté lent et paresseux ou service de Nostre Seigneur et ay servi et ay esté curieux ou service mondain, et aussi j’ay plus servi à moi et à ma char et y ay mis plus grant entente que ou service de mon doulx créateur. J’ay esté moult oyseux longuement, dont moult de maulx et mauvaises pensées et cogitacions me sont venues.

Après tu dois dire en toi confessant que quant on chantoit la messe, ou aucune heure, ou quant tu estoies en dévocion, ou en disant tes heures, tu estoies en vaine cogitacion et mauvaises pensées lesquelles ne te povoient proufiter, ains te nuisoient à ton sauvement. Et pour ce tu dois dire ainsi: Sire, et quand je apercevoie ces choses, je ne retournoie pas à Dieu ne me rapaisoie à lui si comme je deusse. Et oultre, Sire, quant l’en disoit et faisoit le service de Dieu je jengloie et disoie paroles oyseuses et de telles qui n’appartenoient pas de parler à l’église. Sire, j’ay dormi en l’église quant les autres prioient Dieu. Sire, aucune fois je ne me suis pas confessé quant ma conscience me remordoit et ramentevoit mon mal, et mesmement quant j’avois lieu et espace et temps convenable je ne me disposoie pas à ce, ains disoie en mon couraige, par ma paresse, tu le feras bien une autre fois ou une autre sepmaine, ou une autre journée, et par telles attentes et négligences je oublioie moult de péchiés; après par négligence et par paresse ay-je oublié à faire mes pénitences enjointes. Je n’ay pas monstré bon exemple à mes gens. Car par ma très déshonneste conversacion à qui ils prenoient garde pour ce que j’estoie leur souverain, je les{v. 1, p.44} mectoie en cause de péchier. Sire, et quand j’ay ouy mes gens jurer vilainement, je ne les ay pas reprins ne corrigiés, ains les ay escoutés et l’ay laissié passer par ma paresse. Après, Sire, quant je venoie à confesse je ne m’estoie point par avant advisée de mes péchiés que je devoie dire, ne n’y avoie point pensé; ains quant je me départoie de ma confession je me trouvoie plus plaine de péchiés que devant et de plus grans, et n’avoie point de diligence de retourner à mon confesseur, ains passoie ainsi le temps; et tout ce me faisoit paresse en quoy j’ay demouré et m’y suis tenu dont je me repens; et pour ce, chier père, je vous en requier pardon et pénitence.

Après le péchié de paresse est avarice. Avarice est soi estroitement tenir, escharcement despendre, avec volenté désordonnée et ardeur de acquérir les biens de ce monde à tort ou à droit, ne peut chaloir comment, et toutesvoies la raison de la personne scet bien se l’en fait ou bien ou mal. Certes avarice a moult d’escoliers, comme exécuteurs de testamens qui enrichissent et retiennent les biens des mors qui telle amour leur monstrèrent à leur fin qu’ils les esleurent comme les plus espéciaulx pour avoir la cure du remède de leur salut, et après leur mort ils mordent en leur char comme tirans et s’engraissent de leur sang et de leur substance: tels gens sont escoliers d’avarice. Aussi en sont mauvais seigneurs qui par grosses amendes tolent la substance de leurs povres subjets; hosteliers et marchans qui vendent leurs choses oultre le juste pris et ont faulx pois et faulses mesures; faulx plaideurs qui par plait et par barat font dégaster aux gens simples le leur et les tourmentent ès cours des grans seigneurs{v. 1, p.45} tellement et si longuement qu’ils ont d’eulx leur désir comment qu’il soit. Avarice, comme dit est, est née de paresse; quant une personne est paresseuse et négligente de faire ou ouvrer ce qui est de nécessité pour son corps soustenir et ce qui lui est proufitable et par icelle paresse il laisse et pert à acquérir sa substance, pour refournir sa faculté[141] lui vient convoitise de rapine et voulenté de retenir l’autruy injustement et sans raison. Se tu es riche et puissant et tu as assez et largement et te doubtes que ton avoir ne te doie faillir et pour ce tu ne donnes quant il est temps et nécessité aux povres, ou quant tu ne rens ce que tu as de l’autruy, soit par emprunt ou autrement, mauvaisement acquis, tu peches en avarice.

Avarice a sept branches: la première si est larrecin, la seconde rapine, la tierce fraude, la quarte décepcion, la quinte usure, la sixiesme hazart et la septiesme simonie.

Larrecin est quant une personne injustement et de nuit prent aucune chose sans le sceu et contre la voulenté de cellui à qui la chose est; et c’est la première branche d’avarice.

La seconde branche d’avarice si est rapine; c’est quant une personne ravit aucune chose de l’autruy, et quant il l’a, il ne la veult rendre ou envoier à cellui à qui elle doit estre, ains par avarice le retient et recelle pour ce qu’elle lui plaist, et s’il l’oït demander par aventure, si ne la veult-il enseignier, ains la recelle et la muce que nul ne la puisse trouver.

La tierce branche d’avarice si est fraude: c’est quant une personne, par décepcion, par barat ou frauduleusement{v. 1, p.46} en l’achat ou vente d’une chose dit mensonges à la personne de qui elle veult acheter ou vendre, en lui faisant faulx entendre et que la chose vaille mieulx ou plus qu’elle ne fait.

La quarte branche d’avarice si est décepcion: c’est à dire quant une personne monstre par dehors à aucun chose de belle apparence et le mal n’appert mie et il le laisse et ne le dit mie et dit et afferme et jure que la chose est bonne et vraie, et il scet bien qu’il n’est pas ainsi. Et ainsi font faulx marchans qui mectent le plus bel et le meilleur dessus et le pire dessoubs et jurent que tout est bon et loyal, et ainsi est décepcion, car ils déçoivent les gens et font faulx seremens.

La quinte branche d’avarice si est usure: c’est à dire quant une personne preste son argent pour en avoir plus grant somme pour la longue tenue, ou vent son blé ou son vin plus chier par ce qu’il donne long terme, et ainsi de toutes autres marchandises desquelles je me passe quant à présent, car c’est moult longue chose que de usure et moult mauvaise.

La sixiesme branche d’avarice si est le hazart: si est quant on joue aux dés pour gaigner l’argent d’autruy et y a moult de barat, de convoitise, d’avarice et de décepcion, si comme faulsement compter et d’argent prester pour gaigner, comme prester douze deniers pour treize; et en tels jeux sont fais moult de seremens et de mauvais comme de jurer Dieu et Nostre Dame et tous les Sains de paradis, et sont fais et dis moult de maulx: pour ce s’en doit-l’en garder.

La septiesme branche d’avarice si est simonie: c’est à dire quant les sacremens de sainte église sont vendus ou achetés ou les prébendes des églises, et tels péchiés{v. 1, p.47} viennent de clercs et de religieux et viennent aussi de mal païer les dismes et de pénitences mal faictes et mal garder les commandemens de sainte église et de mal distribuer ce qui doit estre donné pour Dieu.

Le Déable fait six commandemens à l’avaricieux: le premier, que il garde très bien le sien; le second, qu’il ne le preste sans acquest, ne n’en face bien devant sa mort; le tiers, qu’il mengeusse tout seul, ne ne face courtoisie ne aumosne; le quart, qu’il restraigne sa mesnie de boire et de mengier; le quint, qu’il ne face miectes ne relief; le sixiesme, qu’il entende diligemment à acquérir pour ses hoirs.

De toutes ces choses de quoi ta conscience te juge tu t’en dois confesser, et de tout ce dont tu te sens coulpable et qui regarde le péchié d’avarice, et dire l’un après l’autre par l’ordonnance que dessus, et à la fin, dois dire: Sire, chier père, de tout ce que je vous ay dit que j’ay péchié ou péchié d’avarice, je m’en repens très grandement et vous en requier pardon et pénitence.

Après le péchié d’avarice vient le péchié de gloutonnie qui est parti en deux manières: l’une est quant l’en prent des viandes trop habondamment, et l’autre de parler gouliardeusement et oultrageusement. Le péchié de trop boire et de trop mengier est le plaisir au Déable. On treuve en l’Euvangille que Dieu donna povoir au Déable d’entrer ou ventre des pourceaulx pour leur gloutonnie et le Déable y entra et les mena en la mer et les fist noïer; ainsi entre-il ou corps des gloutons qui mainent vie déshonneste, et les boute en la mer d’enfer. Dieu commande à jeuner, et la gloute dit: Je mengeray. Dieu commande à aler au moustier et matin lever, et la gloute dit: Il me fault dormir; je fus{v. 1, p.48} hier yvre. Le moustier n’est pas lièvre, il me attendra bien. Quant elle est à quelque peine levée, savez-vous quelles sont ses heures? Ses matines sont: Ha! de quoi burons-nous? Y a-il rien d’hier soir? Après dit ses laudes ainsi: Ha! nous beumes hier bon vin! Après dit ses oroisons ainsi: La teste me deult; je ne seray mais aise jusques j’aye beu. Certes telle gloutonnie met femme à honte, car elle en devient ribaude, gouliarde et larronnesse. La taverne si est le moustier au Déable où ses disciples vont pour le servir et où il fait ses miracles[142]; car quant les personnes y vont, ils vont drois et bien parlans, saiges et bien atrempés et advisés, et quant ils reviennent ils ne se pevent soustenir et ne pevent parler: ils sont tous fols et tous enragiés et reviennent jurant, battant et desmentant l’un l’autre.

L’autre partie du péchié de la bouche est folement parler en moult de manières, dire paroles oyseuses, vantance, louenge, parjuremens, contens, murmuracion, rébellion, blasmes. Tu ne auras jà dicte si petite parole dont il ne te conviengne rendre compte devant Dieu. Hélas! que tu en dis à prime[143] dont il ne te souvient à tierce. Parlers oyseux sont comme les bates du molin qui ne se pevent taire; les venteres et les pestrins ne parlent que de soy.{v. 1, p.49}

Ce péchié de gloutonnie qui, comme dit est, est parti en deux parties, a cinq branches. La première branche si est quant une personne mengue avant qu’elle ne doit, c’est à dire trop matin, ou avant qu’elle ait dit ses heures, ou avant qu’elle ait esté au moustier et qu’elle ait oy la parole de Dieu et ses commandemens; car créature doit avoir sens et discrécion qu’elle ne doit pas mengier avant l’eure de tierce, se ce n’est pour cause de maladie ou de foiblesse ou pour aucune nécessité qui à ce le contraigne.

La seconde branche de gloutonnie si est quant une personne mengue plus souvent qu’elle ne doit et sans nécessité. Car, si comme l’Escripture dit: Mengier une fois le jour est vie d’ange, et mengier deux fois le jour est vie humaine, et trois fois ou quatre ou plusieurs est vie de beste et non pas de créature humaine.

La tierce branche de gloutonnie si est quant une personne boit et mengue tant le jour qu’il luy en est de pis, par quoy elle est yvre et prent une maladie dont il lui convient aler couchier au lit et est très griefve.

La quarte branche de gloutonnie si est quant une personne mengue si gloutement d’une viande qu’elle ne la mache point, ains l’engloutit ainsi comme toute entière et plus tost qu’elle ne doit, si comme dit l’Escripture de Esaü qui fut le premier né de tous ses frères qui se hasta si de mengier que peu s’en failli qu’il ne se estrangla.

La quinte branche de gloutonnie si est quant une personne quiert viande délicieuse tant soit chière[144], et se peut bien faire à moins et soy restraindre pour plus aidier à un povre ou à deux ou à plusieurs. Et c’est{v. 1, p.50} un péchié de quoy nous trouvons en l’Euvangille du mauvais riche qui estoit vestu de pourpre, lequel riche mengeoit chascun jour si largement des viandes et nul bien n’en vouloit faire au povre ladre, et de luy trouvons qu’il fut dampné pour ce qu’il vesquit trop délicieusement et n’en donna point pour Dieu si comme il devoit. Et de ces choses cy devant dictes tu te dois ainsi confesser: Sire, de toutes ces choses et de moult d’autres manifestement et souventes fois j’ay péchié et fait moult d’autres péchier et fait par ma cause faire à autres. J’ay maintes fois beu sans soif, par quoy mon corps en estoit péris et pis ordonné et mal disposé, et par ce j’estoie abandonnée à parler plus largement et plus désordonnéement et faisoie les autres péchier qui prenoient par moy et avec moy plus largement des biens qu’ils ne faisoient se je ne feusse; de viandes aussy ay-je mengié sans faim et sans nécessité et maintes fois que je m’en peusse bien passer à moins, et tant en prenoie que mon corps en estoit aucunes fois grevé et nature en estoit en moy plus endormie, plus foible et plus lasche à bien faire et à bien ouir, et tout ce venoit par le péchié de gloutonnie ou quel j’ay péchié comme j’ay dit, et pour ce, chier père, je m’en repens et vous en demande pardon et pénitence.

Après est le péchié de luxure qui est né de gloutonnie, car quant la meschant personne a bien beu et mengié et plus qu’elle ne doit, les membres qui sont voisins et près du ventre sont esmeus à ce péchié et eschauffés, et puis viennent désordonnées pensées et cogitacions mauvaises, et puis du penser vient-on au fait. Et ce péchié de luxure si a six branches.

La première si est quant un homme pense à une{v. 1, p.51} femme ou la femme à l’homme, et la personne a en celle pensée grant plaisance et s’y délicte grandement et y demeure longuement, et par longue demeure la char s’esmeut à délectation; non pourtant elle ne pécheroit point pour le premier esmouvement qui vient soudainement, se la personne contraignoit son couraige à y obvier et remédier, mais quant la personne n’y résiste ne contrarie si tost qu’elle devroit ou pouroit, ne elle n’a pas en voulenté ne en pensée de tourner son couraige autre part, ne de y résister, ains s’y délicte et demeure, elle peche mortelment.

La seconde branche de luxure si est quant la personne se consent à faire le péchié, et si ne demeure pas en lui, et fait tout son povoir et quiert le temps et heure et le lieu où elle le pourra faire, et lors elle ne le puet faire ne accomplir, et non pourquant[145] il lui plaist moult en son cuer. Combien que charnellement elle ne fait pas le fait, Dieu dit, et l’Escripture: Ce que tu veulx faire et tu ne peus est réputé pour fait. Et en autre lieu dit l’Escripture: La voulenté sera réputée pour fait advenu, soit bien ou mal. Et ceste seconde branche et aussi la première sont appellées luxure de cuer. Car il est deux espèces de luxure: c’est assavoir, luxure de fait et luxure de cuer. Et sont les devant dictes; et luxure de corps est quant le fait y est.

La tierce branche de luxure si est quant une personne n’a point de femme espousée ou femme n’a point espousé d’homme et l’un peche avec l’autre, comme d’avoir à faire à femme qui n’est en rien liée, ne à homme qui n’est point lié; lors est le péchié appellé fornication.{v. 1, p.52}

La quarte branche de luxure si est quant une personne a femme espousée, ou femme a homme espousé, et ils brisent leurs fois que ils doivent et ont promis à garder l’un à l’autre et l’un et l’autre pechent, et qui pis est, pevent faire faulx héritiers qui succéderoient; et tel péchié est appellé avoultire.

La quinte branche de luxure si est quant homme ou femme a affaire charnelment à sa cousine ou qu’elle soit de son lignaige, soit loing ou près, ou à sa mère, ou à celle qui est du lignaige de sa femme, ou la femme a affaire à celluy du lignaige de son mary; et à femme de religion benoite ou non, ou en vigille de festes, en temps de jeûnes ou de festes, ou le jour que on doit garder, que homme marié ne doit pas aler à sa propre femme ne à autre, car ce seroit moult grief péchié lequel Dieu deffent en la loy; ou quant un homme est avec sa femme ou avec autres contre droit et autrement que honnestement, et ainsi comme raison l’enseigne en mariaige. Car tout homme peut moult grandement et en moult de manières péchier avec sa femme espousée. Et, pour ce, dit Ysaac en l’Escripture que qui est désordonnéement avec sa femme, c’est à dire pour la convoitise de la char, ou pour son seul délit, sans espérance de engendrer lignée, ou en lieu saint, que c’est péchié de fornication, et pour ce estrangla le Déable les sept maris de Sarra.

La sixiesme branche de luxure si est un péchié qui est contre nature, comme soy corrumpre par sodomie, duquel péchié nous lisons en l’Escripture que pour cellui péchié Dieu en print telle vengence que cinq citez en Sodome et en Gomorre furent destruites et arses par pluie de feu et de souffre puant, duquel péchié il n’est{v. 1, p.53} pas bon tenir longues parolles pour l’orreur d’icellui péchié, car le Déable mesmes qui pourchasse icellui péchié en a honte quant on l’a fait. Et aussi quant une personne se corrompt par lui tout seul en veillant, et scet bien que c’est contre nature, ou déshonnestement en faisant atouchemens mauvais par quoy personne soit esmeue et en aucunes autres manières qui ne sont honnestes à dire, fors en confession. Car chascun scet bonnement et doit savoir que quant ils font tels péchiés, leurs cuers et leurs pensées leur dient bien que c’est contre Dieu et contre nature. Et pour ce, de toutes ces choses la créature pécheresse doit ses péchiés humblement dire à son confesseur et demander pardon et dire: J’ay péchié en ces péchiés et en grant jour de festes et en vigilles et peut-estre ès vigilles de Nostre Dame, ès festes, ou en karesme, ou en lieu saint comme au moustier, et doit dire une fois ou deux ou plusieurs et ès quels il peche plus que ès autres. Et à la fin, doit dire: Chier père, j’ay mespris et péchié comme j’ay dit ou péchié de luxure, et vraiement je m’en repens: si vous en requier pardon et pénitence.

 

Cy après s’ensuivent les noms et les condicions des sept vertus par lesquelles vertus l’en se puet garder de mortelment péchier, et premièrement:

Humilité est contre orgueil; car ainsi comme orgueil naist de mauvais cuer orgueilleux et despit, et fait despire, perdre et mectre à mort le corps et l’âme, aussi humilité naist de cuer piteux et fait en ce siècle honnourer le corps, et l’âme mectre en joie pardurable, et pour ce est humilité comparée à la vierge Marie.{v. 1, p.54} Ainsi comme orgueil est comparé à folie, en mal respondre, en forcenerie, en peu souffrir, desloyaulté ou foiblesse de bien faire, voulenté ou pensée de mal jugier par arrogance contre autruy et plusieurs autres mauvaises branches que tu peus avoir oy cy dessus sur le péchié d’orgueil, ainsi attrempance pour tout bien escouter, force de cuer de tout doulcement souffrir, justice pour tout le plaisir de Dieu acomplir sans mal faire à autruy, ne à ses fais, véés cy quatre pensées par quoy humilité entre et demeure au corps d’omme et deffent que orgueil ne s’y mecte. Premièrement, tu dois penser la vilité et l’ordure dont tu es engendré en péchié. Secondement, comment tu fus en si grant povreté sans âme jusques à tant que Dieu par sa grâce te resveilla. Tiercement, comment tu fus en si grant peine nourris et comment tu mourras, ne scez l’heure. Quartement, pense souvent quelle joye et quel bien tu auras de bien faire et quelle peine et quel dommaige tu auras de mal faire. Car de bien faire tu aras en ce siècle louenge et honneur, et après la mort joie perpétuelle sans tristesse, richesse sans povreté et santé sans langueur; pour mal faire à quoy tu mes grant peine et te couste moult à faire, tu seras en ce siècle mesprisié, en l’autre auras tristesse et peine périlleuse sans joie, povreté sans confort, maladie sans garison. Pense comment tu dois d’ores à jà[146] morir, ne scez quant, ne où l’âme ira: voy comment la nuit et le jour se gaste le temps, et garde comment tu as ton temps oublié, dont il conviendra que de chascune heure tu rendes compte d’ores à jà; regarde comment tu as le temps gasté en moult de vils péchiés et de mauvais; regarde que tu n’as fait nul{v. 1, p.55} bien, et se par aventure tu en as fait aucun, si l’as-tu fait en péchié mortel et ne te prouffite ne te prouffitera néant.

Amitié est contre le péchié d’envie: car ainsi comme le péchié envenime et art le cuer de l’envieux, si comme tu as oy dessus, ainsi la sainte vertu d’amitié qui est le don du Saint Esperit fait le cuer humble et doubteux; et pour ce l’appelle-on: don de paour. La vertu d’amitié est une doulceur, une rousée et un triacle[147] contre envie: car ainsi comme envieux est tousjours triste et courroucié du bien d’autruy, ainsi le bon cuer plain d’amitié est tousjours lié des biens de son proïsme[148] et est courroucié et a compassion de ses adversaires. La vertu d’amitié oste toute envie de cuer et fait l’omme content de ce qu’il a. Jamais tu n’auroies envie du bien de ton bon amy se tu l’amoies bien. La vertu d’amitié si se monstre en sept manières ainsi comme on congnoist l’amour des membres du corps en sept manières. Premièrement, l’un des membres contregarde l’autre qu’il ne luy mefface: ce commandement est escript que tu ne faces à autruy ce que tu ne vouldroies qu’il te feist. Après, l’un membre souffre l’autre doulcement, car se l’une des mains fait mal à l’autre, elle ne se revenchera pas: à ce appert la grant amour et débonnaireté que les membres du corps ont l’un vers l’autre, car ils ne se courroucent de riens que l’un face à l’autre, ne ils ne tiennent pas ne ont envie de riens que l’autre ait ou face; l’un secourt et aide à l’autre à son besoin sans requerre. Tous les membres aident à leur souverain, c’est assavoir au cuer: c’est parfaicte amitié sans envie, c’est droite obéissance et{v. 1, p.56} charité. Dont tu dois avoir telle pure amitié à ton proïsme qui est ton membre, car nous sommes tous membres de Dieu, et il est le corps. Dieu en l’Euvangille donne aux povres le ciel, et aux amiables et débonnaires la terre: or regarde dont où seront les envieux et les félons, fors ou tourment d’enfer?

Débonnaireté est contre ire. La saincte vertu débonnaireté ou attrempance veult tousjours paix, équité et justice, sans faire tort à aucun, sans nullui courroucier, ne avoir haine à aucun, ne nullui ne het ne desprise. Ainsi comme ire est le feu qui gaste tous les biens de la maison du cuer félon, ainsi débonnaireté est le précieux triacle qui met partout paix et veult équité et justice. Equité a huit degrés moult bons à compter par quoy le preudomme paisible voit les las et les engins du Déable qui nous voit et nous ne le véons pas et nous espreuve griefment en plus de mille manières. Le Déable est philosophe, il scet l’estat et la manière d’omme et sa complexion et en quel vice il est plus enclin ou par nature ou par accoustumance, et d’icelle partie il l’assault plus fort; le colérique de ire et de discorde, le sanguin de joliveté et de luxure, le fleumatique de gloutonnie et de paresse, le mélencolieux d’envie et de tristesse. Pour ce se doit chascun défendre de ceste part où il scet que son chasteau est plus foible, pour soy combattre contre cellui vice que il voit dont il est plus assailli. Le débonnaire mect partout paix. Paix vaint toute malice et toute ire. Sans paix nul ne peut avoir victoire. Saint Pol dit que avec paix toutes autres vertus courent, mais paix court le mieulx, car elle gaigne l’espée. Toutes vertus se combattent, mais paix a la victoire, l’onneur et la couronne: toutes servent{v. 1, p.57}, mais ceste emporte le loyer. Justice est l’armeure de paix qui toutes les vaint, comme dit est. Jasoit-ce que le chevalier soit armé de paix et justice, si lui convient-il repentence de cuer, vraie confession de bouche et amende souffisant, et se l’une de ces trois choses y fault, l’armeure est faulsée et cellui qui la porte est vaincu et desconfit, et pert le loyer de paradis.

Prouesse qui vault autant comme diligence est une sainte vertu contre le péchié de accide[149] et de paresse: car ainsi comme le bourgois veille pour acquérir richesses à lui et à ses enfans, le chevalier et le noble veille pour acquerre pris et los ou monde; chascun selon son estat en ce siècle veille pour les choses mondaines acquerre. Hélas! qu’il y en a peu qui veillent pour acquerre les biens espirituels! Les bons sans vaine gloire à qui le monde ennuie et qui veillent pour venir devant Dieu sont sages de despire le monde pour les périls et pour les peines dont il est plain: c’est une forest plaine de lyons, une montaigne plaine de serpens et de ours, une bataille plaine d’ennemis traistres, une valée ténébreuse plaine de pleurs, et n’y a riens estable; nul n’y a paix de cuer ne de conscience, se il veult croire le monde et amer. Les bons à qui le monde ennuie tendent droit leur cuer à Dieu où ils pensent à venir et desprisent tous les biens du monde; mais c’est si grant chose que peu y a de ceulx qui facent ceste entreprinse[150].... de la persévérance. De ceste vertu, dit Jhésu-Crist, toutes les autres vertus se combatent: ceste a gaigné la victoire; toutes labeurent: mais ceste emporte le loyer au vespre.{v. 1, p.58}

Miséricorde ou charité est contre avarice, car miséricorde est ainsi comme de avoir dueil et compassion du mal, de la nécessité ou de la povreté d’autruy, et de lui aidier, conseillier et conforter à son povoir. Ainsi comme le Déable fait ses commandemens à l’aver[151] tels comme tu as oy, ainsi le Saint Esperit fait à celui qui a miséricorde ou charité en lui ses commandemens qu’il desprise les biens temporels, qu’il en face aumosnes, qu’il en veste les nus, qu’il en donne à boire à ceulx qui ont soif, à mengier à ceulx qui ont faim, qu’il visite les malades. Ainsi comme l’aver est fils du Déable et lui ressemble, ainsi le charitable ressemble à Dieu son père. Ainsi comme avarice pense de nuit et de jour à acquester et amasser à tort et à droit, ainsi charité et miséricorde pensent à accomplir les sept œuvres de miséricorde. Hélas! qu’il y fait bon penser et les accomplir de fait, ou de voulenté et compassion qui faire ne le peut de fait! Car nostre grant juge les nous reprouchera en ses grans jours, et c’est chose qui moult nous doit mouvoir à charité que la paour de la sentence du jour du jugement où Dieu dira aux avers: Alez-vous-en avec le Déable vostre père! et aux charitables: Mes fils, demourez avec moy. Hélas! quant il les partira de sa compaignie com grant douleur[152]!

Miséricorde a sept branches: la première est donner à boire et à mengier aux povres; la seconde est de vestir les nus; la tierce est prester aux povres quant ils en ont besoing et leur pardonner la debte; la quarte visiter les malades; la quinte, hébergier les povres; la sixiesme, visiter ceux qui sont en chartre de maladie; et la septiesme ensevelir les mors. Et toutes ces choses{v. 1, p.59} devez-vous faire en charité et compassion, pour l’amour de Dieu seulement et sans vaine gloire. Vous devez faire aumosne de vostre loyal acquest liement, hastivement, secrètement, dévotement et humblement sans despire les povres en pensée ne en fait. Cellui fait bien qui leur donne tost quant ils lui demandent, mais encore fait-il mieulx qui leur donne sans demander.

Sobriété est contre gloutonnie: car ainsi comme la sainte vertu de sobriété est droite mesure contre le péchié mortel de gloutonnie, ainsi c’est la vertu que le don de sapience donne et plante au cuer du glouton contre oultrage. Sobriété est un arbre moult précieux, car il garde la vie du corps et de l’âme; car par trop boire et par trop mengier meurt-on, et par trop mal parler deult la teste et fait-on tuer corps et âme. Par sobriété vit le corps en ce siècle longuement en paix, et en a l’âme la vie pardurable. Ceste vertu doit-on garder sur toutes les autres pour les biens qu’elle fait. Premièrement, sobriété garde raison, entendement et sens, et l’omme sans sens est beste. Cellui qui est yvre et si rempli de vin qu’il en pert raison et entendement il cuide boire le vin et le vin le boit. Le second est que sobriété délivre homme glouton du servaige du ventre à qui il est serf. Saint Pol dit que moult s’avile qui pert sa franchise pour estre serf à un seigneur, mais plus s’avile cellui qui se fait serf à son ventre dont il ne peut yssir que ordure. Sobriété garde l’omme en sa seignourie, car l’esperit et le sens doivent estre seigneurs du corps et le corps doit pourveoir à l’esperit. Le glouton par son yvresse et gloutonnie pert le sens et l’esperit, si qu’il ne scet gouverner le corps. Le tiers est qu’elle garde bien la porte du chastel afin que le{v. 1, p.60} Déable par péchié mortel n’entre ou corps de l’homme; la bouche est la porte par où le Déable entre ou chastel pour soy combatre aux bonnes vertus et y entre par les faulx traistres seigneurs Gloutonnie et Male-langue qui laissent la porte de la bouche ouverte au Déable. Ceste vertu a la seigneurie du corps, car par sobriété on maistrie le corps si comme le cheval par le frain. Sobriété a la première bataille de l’ost et garde les autres vertus. Le Déable tempte l’omme par la bouche, si comme il fist Nostre Seigneur quant il lui dist qu’il feist de pierre pain et Adam quant il lui fist mengier le fruit. Entre les autres créatures l’omme a la bouche plus petite selon le corps; homme a les autres membres doubles: deux oreilles et deux narines et deux yeulx, mais il n’a que une bouche, et ce nous monstre que l’omme doit sobrement mengier et boire et sobrement parler. Sobriété n’est autre chose que droite mesure qui est moyenne entre trop et peu; sur toutes choses doit avoir l’omme mesure en son cuer, et en son sens qui est ainsi comme l’oisel qui se justice par les yeulx de sobriété[153], il s’envole et chiet souventesfois ès las de l’oiseleur: c’est du Déable qui souvent chasse à prendre tel oisel.

Chasteté est contre luxure, et est sainte vertu de chasteté, c’est assavoir la conscience toute pure de mauvais pensemens, les membres purs de tous atouchemens. Et ainsi que les créatures plaines du vil péchié de luxure ont la conscience plaine et trouble de mauvais pensemens, le corps et les membres ors et vils de mauvais atouchemens et sont à Dieu lais et obscurs comme déables, ainsi les chastes ont le cuer{v. 1, p.61} et la conscience clers, nets et luisans et ont clarté et lumière de Dieu. A chastes convient, comme tu as oy, necte conscience avoir; à avoir necte conscience convient trois choses: la première est voulentiers oïr parler de Dieu; la seconde lui bien et souvent confesser; la tierce avoir remembrance de la passion Jhésu-Crist et remembrer pour quoy il mourut, et que tu mourras, que jà n’en seras délivre; et c’est le premier degré de chasteté. Le second degré de chasteté est que on se garde de vilainement parler, car vilaines paroles courroussent les bonnes meurs. Le tiers degré est de bien garder les cinq sens corporels: les yeulx de folement regarder, les oreilles de folement escouter, les narines de soy en souefves choses trop délicter et odourer, les mains de folement touchier, les piez de aler en mauvais lieux; ce sont les cinq portes et les cinq fenestres par où le Déable vient rober la chasteté du chastel de l’âme et du chétif corps. Le quart degré est jeuner et avoir tousjours remembrance de la mort qui te puet soudainement happer et prendre d’ores à jà, se tu ne t’en gardes. Le quint degré est fuir mauvaise compaignie, comme fist Joseph qui s’enfouist quant la dame le voult faire péchier. Le sixiesme degré est d’estre embesognié de bonnes oeuvres; car quant le Déable treuve la personne oyseuse, il la mort voulentiers en ses besoignes. Le septiesme degré est de vraye oroison; à oroison sont nécessaires trois choses: bonne foy, espérance d’avoir ce que on requiert, dévocion de cuer sans penser ailleurs. Oroison sans dévocion est messaigier sans lettres. Dieu regarde en prière cuer humble et dévost et n’a cure de paremens, ne de haulte manière, comme font ces foles hardies qui vont baudement{v. 1, p.62}, le col estendu comme cerf en lande et regardent de travers comme cheval desréé[154].

Et atant, chère seur, vous souffise de cette matière, car le sens naturel que Dieu vous a donné, la voulenté que vous avez d’estre dévote et bonne vers Dieu et l’église, les prédications et sermons que vous orrez en vostre parroisse et ailleurs, la Bible, la Légende dorée[155], l’Apocalipse, la Vie des Pères[156] et autres plusieurs bons livres en françois que j’ay dont vous estes maistresse pour en prendre à vostre plaisir, vous donra et attraira parfondément le remenant au bon plaisir de Dieu qui à ce vous vueille conduire et entalenter[157].

LE QUART ARTICLE.

Le quart article de la première distincion dit que vous devez garder continence et vivre chastement.

Je suis certain que si ferez-vous, je n’en suis mie en doubte, mais pour ce que je sçay que après vous et moy ce livre cherra ès mains de nos enfans ou autres nos amis, je y mects voulentiers tout ce que je sçay, et dy que aussi devez-vous endoctriner vos amies et par espécial vos filles, et leur dictes, belle seur, pour tout certain que tous biens sont reculés en fille ou femme en laquelle virginité, continence et chasteté défaillent; ne richesse, ne beauté, ne sens, ne hault lignaige, ne nul autre bien ne peut jamais effacer la renommée du vice contraire, se en femme espécialment il est une seule fois commis, voire seulement souspeçonné, et pour ce maintes preudes femmes se sont gardées non mie{v. 1, p.63} seulement du fait, mais du souspeçon, espécialment pour acquérir le nom de virginité: pour lequel nom les saintes escriptures de monseigneur saint Augustin et de monseigneur saint Grégoire et moult d’autres dient et tesmoingnent que les preudes femmes qui ont esté sont et seront, de quelque estat qu’elles soient ou aient esté, pevent estre dictes et appellées vierges. Et monseigneur saint Pol le conferme en l’onziesme chappitre de ses épistres qu’il fait secondement à ceulx de Corinte où il dit ainsi: Despondi enim vos, etc. Je vueil, dit-il, que vous sachiez que une femme qui est espousée à un homme, puis qu’elle vive chastement sans penser à avoir affaire à autre homme, peut estre dicte vierge et présentée à Notre Seigneur Jhésu-Crist. De chascune bonne preude femme Jhésu-Crist ou treiziesme chappitre de l’euvangille de saint Mathieu en une parabole dit ainsi: Simile est regnum cœlorum thesauro abscondito in agro, etc. Le règne du ciel, dit-il, est semblable au trésor qui est repos dedans un champ de terre, lequel trésor quant aucun homme qui laboure en fouyant le descuevre, il le remuce; de la grant joye qu’il en a, il s’en va et vent tout quanque il a et achète le champ. En ce chappitre mesmes dit Nostre Seigneur ceste parabole: Le royaulme des cieulx est semblable à l’omme marchant qui quiert bonnes pierres précieuses, et quant il en a trouvé une bonne et précieuse, il va et vent tout quanque il a et l’achète. Par le trésor trouvé ou champ de terre et par la pierre précieuse nous povons entendre chascune bonne preude femme; car en quelque estat qu’elle soit, pucelle, mariée ou vefve, elle peut estre comparée au trésor et à la pierre précieuse; car elle est si bonne, si pure, si necte qu’elle plaist{v. 1, p.64} à Dieu et l’aime comme sainte vierge en quelque estat qu’elle soit, mariée, vefve ou pucelle. Et pour certain, homme en quelque estat qu’il soit, noble ou non noble, ne peut avoir meilleur trésor que de preude femme et saige. Et ce puet-on bien savoir et prouver qui veult regarder aux fais et aux bonnes meurs et aux bonnes oeuvres des glorieuses dames qui furent du temps de la vieille loy, si comme Sarre, Rébecque, Lye et Rachel qui furent moulliers aux sains patriarches Abraham, Ysaac et Jacob qui est appelé Ysraël, qui toutes furent chastes et vesquirent chastement et virginalement.

Item, à ce propos nous trouvons escript ou treiziesme chappitre ou livre fait de Daniel que après la transmigracion de Babilonne, c’est à dire après ce que Jéchonias[158] le roi de Jhérusalem et le peuple de Ysraël furent menés en prison et chétiveté[159] en Babilonne, et que la cité de Jhérusalem fut destruite par le roy Nabugodonosor, il ot en Babilonne un Juif preudomme et riche lequel fut nommé Joachin, et Joachin prist une femme fille d’un autre Juif lequel ot nom Belchias[160], et la pucelle Susanne, laquelle estoit très belle et crémant Dieu; car son père et sa mère qui estoient justes et bonnes gens l’avoient moult bien aprise et endoctrinée en chasteté selon la loy Moyse. Ce Joachin, mary de Susanne, estoit moult riche et avoit un moult bel jardin plain d’arbres portant fruis. Là venoient communément esbatre les Juifs pour ce que le lieu estoit plus honnourable de tous les autres; Susanne mesmes aloit souvent esbatre en ce jardin. Or advint que deux anciens prestres d’icelle loy furent du peuple establis juges pour un an, lesquels juges virent Susanne très{v. 1, p.65} belle et tant qu’ils furent espris et alumés de fole amour. Si parlèrent ensemble et regardèrent comment ils la pourroient décevoir, et se accordèrent qu’ils la guetteroient ou jardin dessusdit et parleroient à elle se ils la trouvoient seule.

Un jour advint que après l’eure de midy ils se mussèrent en un anglet de ce jardin: Susanne vint ou dit jardin pour soy laver, selon ce que leur loy l’ordonnoit, et mena avecques soy deux de ses pucelles lesquelles elle renvoya en sa maison pour lui rapporter oeille[161] et oingnemens pour soy enoindre. Et quant les deux vieillars la virent seule, ils coururent à elle et lui dirent: Coyement[162] seufre ce que nous voulons faire de toy, et se tu ne le fais, nous porterons tesmoingnage encontre toy et dirons que nous t’avons trouvée en advoultaire. Et quant Susanne vit et sceut la mauvaistié des juges, elle proposa en soy mesmes et dist en ceste manière: Angustie michi sunt undique, etc., Dieux! dit-elle, angoisses sont à moy de toutes pars, car se je fais ceste chose, morte suis comme à Dieu, et se je ne le fay, je ne pourray eschapper de leurs mains que je ne soie tormentée et lapidée; mais mieulx me vault sans meffaire cheoir en leur dangier que faire péchié devant Dieu. Lors elle cria à haulte voix: les deux vieillars crièrent aussi, tellement que les serviteurs de la maison y acoururent, et les juges dirent qu’ils l’avoient trouvée en présent meffait avec un jouvencel lequel estoit fort et viguereux; si leur eschappa et ne sceurent ne ne peurent congnoistre qui il estoit. De ce furent les sergens[163] merveilleusement vergongneux et esbahis, car oncques{v. 1, p.66} mais ils n’avoient oy dite telle parole de leur dame, ne veu mal en elle; toutesfois elle fut emprisonnée.

Et l’endemain que les juges furent assis en jugement, tout le peuple devant eulx assemblé pour veoir la merveille, Susanne fut amenée en jugement; ses parens et amis la regardoient, moult tendrement plourans. Susanne avoit son chief couvert, de honte et de vergongne qu’elle avoit. Les juges lui firent descouvrir son viaire[164] par grant honte et despit. Adonc elle plourant leva ses yeulx au ciel, car elle avoit fiance en nostre Seigneur et ou bien de son ignorance. Adonc les deux prestres racontèrent devant le peuple comment eulx alans esbatans dedans le jardin avoient veu Susanne entrer en icellui, avec elle deux de ses pucelles lesquelles elle renvoya et serra l’uis après elles; et disoient que lors estoit venu un jeune homme lequel ils avoient veu charnellement habiter à elle, et pour ce ils estoient là courus, et le jeune homme s’en estoit fouy par l’uis, et n’avoient peu arrester ne prendre fors icelle Susanne qui n’avoit icellui jeune homme voulu nommer; et de ce meffait nous deux sommes tesmoings, et pour ce meffait nous la jugeons à mort. Susanne adonc s’escria et dist en ceste manière: Dieu pardurable, tu es congnoissant des choses répostes[165] et scez toutes choses ains qu’elles soient faictes, et scez bien que contre moy ils portent faulx tesmoingnaige; souviengne-t’en et aies mercy de moy!

Après ce on la mena à son torment, et en passant par une rue, nostre Seigneur évertua l’esperit d’un jeune et petit enfant appelé Daniel lequel commença à crier à haulte voix: O peuple d’Israel, ceste femme est jugée{v. 1, p.67} faulcement, retournez au jugement, retournez, car les jugemens sont faulx! Adonc le peuple s’escria et firent retourner Susanne au lieu où le jugement avoit esté donné et amenèrent les jugeurs et l’enfant appelé Daniel lequel dist tels mots: Séparez moy ces jugeurs et les menez l’un çà, l’autre là. Quant ce fut fait, il vint à l’un et lui demanda soubs quel arbre ce avoit esté fait et qu’il avoit vu l’omme et Susanne faisans leur péchié; et icellui jugeur respondi: soubs un chesne[166]. Après, icellui Daniel vint à l’autre jugeur et lui demanda soubs quel arbre il avoit veu Susanne soubs le jeune homme; et il respondi: soubs un arbre appelé Lentiscus[167]. Lentiscus est un arbre qui rent huille et la racine est une espice appellée macis. Ainsi fut attainte leur mençonge, et fut Susanne délivrée, comme pure et necte, sans tache de mauvais atouchemens. Et est bien prouvé qu’elle estoit bien remplie de la vertu de chasteté quant elle dist ceste parole aux faulx jugeurs: J’aime mieulx cheoir en vos mains comme ès mains de mes ennemis, et mourir sans faire péchié que faire péchié devant Dieu nostre Seigneur. O femme pleine de foy et de grant loyaulté qui crémoit tant Dieu et le péchié de mariage enfraindre qu’elle voulloit mieulx mourir que son corps vilainement atoucher! Et certes il est tout certain que les Juifs et les Juifves qui sont à présent en ce royaume ont si abbominable ce péchié, et est telle leur loy, que se une femme estoit trouvée en adultère,{v. 1, p.68} elle seroit lapidée et tourmentée de pierres jusques à la mort selon leur loy. Mesmes les mauvais tiennent cette loy, et nous la devons bien tenir, car c’est bonne loy[168].

Autre exemple y a, si comme met Cerxès[169] le philosophe en son livre nommé des Eschez, ou chappitre de la Royne, et dit que la Royne doit sur toutes choses sa chasteté garder et endoctriner à ses filles, car, dist-il, nous lisons de moult de filles qui pour leur virginité ou pucellaige garder ont esté roynes. Pol istoriographe des Lombars raconte que en Ytalie avoit une duchesse qui avoit nom Raymonde, et avoit un fils et deux filles. Advint que le roy de Hongrie appelé Cantamus eut débat à icelle Raymonde et vint devant une sienne ville et y mist le siége. Elle et ses enfans estoient dedens le chastel, et si regarda une fois ses ennemis qui faisoient une escarmouche contre les gens de sa ville qui fort se deffendoient, et entre les ennemis vit un chevalier{v. 1, p.69} qui estoit forment bel. Elle fu tant embrasée de s’amour qu’elle lui manda que secrètement et parmy son chastel elle luy rendroit sa ville, se il la vouloit prendre à femme. Et le chevalier dist oyl[170], et après ce, elle luy ouvri les portes du chastel, et il et ses gens y entrèrent. Quant ils furent au chastel, ses gens entrèrent par là en la ville et prindrent hommes et femmes et tout ce qu’ils peurent; et les fils d’elle orent si grant honte et douleur de sa traïson qu’ils la laissèrent et s’en alèrent, et depuis furent si bons que l’un d’iceulx enfans qui avoit nom Grimault, c’est assavoir le plus petit, fut duc des Bienventens[171] et depuis roy de Lombardie. Et les filles qui ne sceurent fouir doubtèrent estre violées des Hongres; si tuèrent pigons et les mussèrent dessoubs leurs mamelles, si que par l’eschauffement de leurs mamelles la char des pigons puoit, et quant les Hongres les vouldrent approuchier, si sentirent la puantise, et s’en refroidirent et desmeurent[172] et les laissèrent tantost, et disoient l’un à l’autre: Fy que ces Lombardes puent! Et à la fin icelles filles s’enfouirent par mer pour garder leur virginité, et toutesvoies, pour ce bien et leurs autres vertus, l’une fut depuis royne de France et l’autre fut royne d’Alemaigne. Icellui chevalier print icelle duchesse et jeut avec elle une nuit pour son serement saulver et l’endemain la fist à tous les Hongres commune. Le jour après lui fist ficher un pel dès parmy la nature au long du corps jusques à la gorge, disant: Tel mary doit avoir telle lécheresse qui par sa luxure a trahy sa cité et ses gens baillés et mis ès mains de leurs ennemis. Et aussi ces paroles fist-il escripre en{v. 1, p.70} plusieurs lieux parmy sa robe, et toute morte la fist attacher et lier aux barrières de dehors et devant la porte de sa cité afin que chascun la veist, et la laissa[173].

Encores met-il[174] là un autre exemple de garder son mariage et sa chasteté, et dit que saint Augustin ou livre de la Cité de Dieu dit (et aussi l’ay-je veu en Titus Livius) que à Romme estoit une dame moult bonne et de grant et vertueux couraige appellée Lucresse qui estoit femme d’un Rommain appellé Collatin qui convoya et semmoni[175] une fois à disner avec lui l’empereur Tarquin l’orguilleux et Sexte son fils; lesquels y disnèrent et furent festiés et après disner se esbatirent, et Sexte advisa la contenance de toutes les dames qui là estoient; et entre toutes et pardessus toutes les autres, la manière Lucresse lui pleut et sa beauté. Par aucune espace de temps après, les gens d’un chastel qui estoit à quatre lieues d’illec, emprès Romme, firent rébellion contre l’empereur qui ala mettre le siége devant,{v. 1, p.71} et avec lui fut et ala Sexte son fils avec lequel estoient et de sa compaignie furent plusieurs des jeunes hommes de Romme, entre lesquels estoit Collatin le mary Lucresse. Long temps furent illec les Rommains à siège, et un jour qu’il faisoit bel et seryn, estoient assemblés après disner à boire ensemble Sexte le fils l’empereur et plusieurs d’iceulx jeunes hommes romains entre lesquels estoit Collatin, et prindrent complot ensemble de soupper tantost, et après alèrent hastivement à Romme en l’hostel de chascun d’iceulx jeunes hommes veoir la manière et contenance de chascune de leurs femmes et leur gouvernement, par tel[176] que cellui duquel sa femme seroit trouvée en meilleur convine[177] auroit l’honneur de logier Sexte le fils l’empereur en son hostel. Ainsi fu accordé, et vindrent à Romme et trouvèrent les unes devisans[178], les autres jouans au bric, les autres à qui féry? les autres à pince-merille, les autres jouans{v. 1, p.72} aux cartes et aux autres jeux d’esbatemens avecques leurs voisines; les autres qui avoient souppé ensemble, disoient des chançons, des fables, des contes, des jeux-partis; les autres estoient en la rue avecques leurs voisines jouans au tiers et au bric, et ainsi semblablement de plusieurs jeux, excepté Lucresse qui dedens et ou plus parfont de son hostel, en une grant chambre loing de la rue, avoit ouvriers de laine, et là, toute seule, assise loingnet[179] de ses ouvriers et à part, tenoit son livre dévotement et à basse chière[180] disoit ses heures moult humblement; et fut trouvé que lors, ne autresfois que son mary Collatin estoit hors, et en quelque compaignie ou feste qu’elle feust, il n’estoit nul ne nulle qui la feist dancer ne chanter, se ce n’estoit seulement le jour qu’elle avoit lettres de luy ou qu’il retournast la veoir; et lors chantoit et dançoit avec les autres, se feste y avoit. Et pour ce Collatin eust l’honneur de la venue et loga en son hostel Sexte le fils l’empereur lequel fut servi de tous les autres et de leurs femmes et apparentés, et l’endemain bien matin fut des dames esveillié, vestu, et oy messe, et le veirent monter et mettre à chemin. Et à ce voyage fut Sexte moult fort espris de l’amour de Lucresse et tellement qu’il pensa qu’il revenroit devers elle acompaignié d’autres gens que des amis d’elle ou de son mary. Ainsi fut fait et vint au soir en l’hostel Lucresse laquelle le receut moult honnourablement, et quant le temps vint d’aler couchier, l’en ordonna le lit à Sexte comme à fils d’empereur, et ce mauvais fils d’empereur espia où Lucresse gisoit, et après ce que tous léans furent couchiés et endormis,{v. 1, p.73} Sexte vint à elle, l’une main mise à la poitrine et l’autre à l’espée, et lui dist: Lucresse, tais toy! Je suis Sexte le fils à l’empereur Tarquin, se tu dis mot tu es morte! Et de paour elle s’escria, dont la commença Sexte à prier. Rien n’y vault. Et après ce, à luy offrir et promettre dons et services. Riens n’y vault. Et puis, à menacier qu’elle se voulsist à luy accorder ou qu’il destruiroit elle et sa lignée. Rien n’y vault. Quant il vit que tout ce rien n’y valoit, si lui dist ainsi: Lucresse, se tu ne fais ma voulenté, je te tueray et si tueray aussi un de tes varlès, et puis diray que je vous aray tous deux trouvés couchiés ensemble et pour vostre ribauldie vous ay tués. Et celle qui doubta plus la honte du monde que la mort, si se consenti se jouer.

Et tantost après que Sexte s’en fu alé, la dame manda par lettres son mari qui estoit en l’ost, et aussi manda son père, ses frères et tous ses amis et un homme qui avoit nom Brut et nepveu Collatin son mary. Et quant ils furent venus, elle leur dist moult espouventablement: Sexte le fils à l’empereur entra hier comme hoste en cest hostel, mais il ne s’en est pas départi comme hoste, mais comme ennemy de toy, Collatin! et saiches qu’il a ton lit deshonnouré. Toutesvoies se mon corps est deshonnouré, se n’est pas le cuer, et pour tant me absols-je du péchié, mais non pas de la peine. Adonc Collatin son mary vit qu’elle estoit toute pâle et descoulorée et sa face blanche et toute esplourée, car la trasse des larmes estoit apparant en son viaire des yeulx jusques aux baulièvres, et avoit les yeulx gros et enflés, les paupières mortes et perses[181] et dedans vermaulx{v. 1, p.74} par le décourement des larmes, et regardoit et parloit effroyeusement. Si commença à la conforter moult doulcement et à luy pardonner, et lui monstra moult de belles raisons, que le corps n’avoit pas péchié puisque le cuer n’y avoit donné consentement ne pris délit, et se prist à alléguer exemples et auctorités. Tout ce ne luy pleut; elle luy rompi sa parole en disant moult asprement: Ho! ho, nennil, nennil! c’est trop tart, tout ce ne vault riens, car je ne suis jamais digne de vivre; et celluy qui m’a ce fait, l’a fait à sa grant male meschéance se vous valez riens, et pour ce que nulle ribauldie ne règne à l’exemple de Lucresse, qui vouldra prendre exemple au péchié et au forfait, si prengne aussi exemple à l’amende. Et tantost d’une espée qu’elle tenoit soubs sa robe se féri parmy le corps et morut devant eulx tous.

Adonc Brut le conseiller et Collatin le mary d’icelle Lucresse et tous ses amis plourans et dolens prindrent celle espée qui estoit sanglante, et sur le sang jurèrent par le sang Lucresse que jamais ne fineroient jusques à tant qu’ils auroient Tarquin et son fils destruit, et le poursuivroient à feu et à sang, et toute sa lignée bouteroient hors, si que jamais nul n’en vendra à dignité. Et tout ce fut tantost fait, car ils la portèrent emmy la ville de Romme et esmeurent tellement le peuple que chascun jura la destruction de l’empereur Tarquin et de son fils, et à feu et à sang. Et adonc fermèrent les portes afin que nul n’issist pour aler adviser l’empereur de leur emprise, et s’armèrent et yssirent dehors alant vers l’ost de l’empereur comme tous forcenés. Et quant ils approchèrent de l’empereur, et il ouy le bruit et tumulte et vit les gens{v. 1, p.75} pouldrés[182], et fumées des chevaulx, avec ce que l’en luy dit, il et son fils s’enfouirent en désers, chétifs et desconfortés. Sur quoy le Rommant de la Rose dit ainsi:

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