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Le salon de Madame Truphot: moeurs littéraires

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VII

Pour les pauvres, l’avortement n’est pas seulement un droit, mais un devoir.

Madame Truphot, le jour même où Boutorgne s’expédia sur Paris, s’était, sur les cinq heures de l’après-midi, désembastillée de sa villa désormais fortifiée. La peur, malgré toutes les précautions prises, la tenaillait fortement et elle pensa récupérer plus vite quelque sérénité en allant humer un peu l’oxygène du dehors. D’ailleurs, elle haïssait la solitude et il était sans exemple dans la vie qu’elle eût résisté une journée entière aux affres de l’esseulement. Puis elle projetait de faire certaine visite jusque-là différée. Rose, la bonne, grimpée sur une échelle, avait inspecté la rue, par dessus le mur, et avait assuré qu’elle était sans périls. Embellie d’un large chapeau bergère en paille maïs, où pendaient des grappes de cerises en celluloïd, vêtue d’une jupe et d’un corsage rouges, en toile d’Alsace imprimée, sur laquelle folâtraient d’hybrides oiseaux bleu-ciel, elle se dirigea vers le centre de la localité. Un face-à-main d’écaille la situait parmi les intellectuelles.

Au bout d’un quart d’heure de marche, elle se trouva dans le vieux Suresnes, dans le pâté des bâtisses lézardées en mal d’éboulement, devant les maisons découragées dont la plupart ne soutenaient leur vétusté qu’à l’aide des étançons, des béquilles, du cacochyme. Là, devant un lavoir qui se signalait par un drapeau de zinc, la puanteur chaude de ses lessives et un bruit continu de vociférations parvenant jusqu’au dehors, elle s’engagea dans une sorte de venelle coupée, de deux mètres en deux mètres, par les flaques huileuses d’une boue endémique. La porte charretière d’un loueur de voitures s’ouvrait vers le milieu de la sente, découvrant une cour trouée de menues fondrières, où des chars à bancs, des voitures à bras, cabrés sur l’arrière-train attestaient le ciel de leurs brancards éplorés. Un peu plus loin, dans un terrain vague sans clôture, c’était la décharge d’un entrepreneur de démolitions, qui paraissait entreposer également toutes les gadoues des environs. Des montagnes de gravats, des sierras de détritus, couraient parallèlement au chemin défoncé. Un gros chien borgne, à l’œil de gélatine bleuâtre, au collier hérissé de pointes rouillées, rôdait, qui vint flairer la Truphot et, après avoir savouré son relent, frétilla d’une queue rongée d’eczéma. Au bout de l’impasse, une porte vermoulue, mal close par une serrure aux vis en désarroi, s’interposait. Sur les planches, d’un lie-de-vin pisseux, une plaque ovale en cuivre énonçait: M. Marinot, docteur-médecin.

La veuve sonna. Une petite bonne, très jeune, en sabots, en tablier bleu maculé de sang et de fiente de poule, vint ouvrir en tenant à la main la volaille malingre qu’elle était occupée à plumer auparavant.

—Madame vient pour consulter?

Sur la réponse affirmative de la vieille femme, la bonne l’introduisit dans une antichambre longue et pénombrale, en ajoutant:

—Le docteur ne vas pas tarder à rentrer.

Les murs de la pièce, tendus d’un papier grisâtre, enguirlandés des fleurettes invraisemblables dont s’enchantent les lambris du pauvre, étaient parsemés de planches inattendues, d’insolites dessins anatomiques reproduisant, à peu près tous, les organes de génération de la femme. Sur un guéridon de bois rougi, imitant l’acajou, des monceaux de brochures s’étageaient. Fascicules spéciaux: Comité de l’amélioration humaine.Des moyens pratiques d’éviter l’enfant.Le salarié n’a pas le droit de prolonger sa misère.La Révolution sociale réalisée par le Malthusisme.Imitez les bourgeois.Ne procréez plus sans savoir et par instinct.L’accession de l’ouvrier au bien-être: sa libération prochaine par la limitation du nombre des enfants, etc...

Dans l’étroit cabinet d’attente: trois femmes. L’une, petite, assez jolie, une gamine presque, n’ayant certes pas dix-huit ans, pleurait, de temps en temps, par sursauts convulsés. Une jupe de cheviotte noire, verdie par l’usure et trop courte pour avoir été sans doute rognée de multiples fois, découvrait de pauvres souliers fatigués aux semelles exfoliées. Une chemisette de percale mauve bondissait par à coups sous les saccades d’une poitrine et d’une gorge dont on devinait sous l’étoffe le ferme modelé, et qui recélaient, présentement, une douleur trop véhémente pour concéder encore au respect humain. Un tour de cou en satin noir servait de rehaut à sa grâce blonde et souffreteuse qui rayonnait malgré la pauvreté de l’attifage. Un peigne de chrysocale mordait le casque de son abondante chevelure.

A côté d’elle, se tassait une femme du peuple dont les seins éboulés gonflaient un caraco de pilou. Celle-là pouvait avoir avoir quarante ans. Le corps dejeté, les yeux sans éclat, le cheveu raréfié, le regard terne de chien battu, les joues ravinées par le soc des famines ou des maternités successives, énonçaient le lamentable destin de la plébéienne, la vie qui se déroule, de l’enfance à la vieillesse, dans l’uniforme misère; la vie qui cahote de l’atelier, de l’usine au logis le plus souvent sans pain, du contremaître féroce ou paillard au mari plein d’alcool ou dont le salaire est trop infime pour nourrir la nichée sans cesse accrue. Un cabas en fibres de bois empli de croûtes de pain, de quelques oignons, et d’un cornet de papier contenant du saindoux, était posé sur ses cuisses.

A en juger par la jupe d’un cramoisi exaspéré, par le corsage d’un violet à faire éclater les molaires, par le boa en plumes blanches maculées, par le chapeau hurleur dont d’innombrables ondées avaient molesté les plumes, et par le parfum de bazar qu’elle dispersait, la troisième consultante devait être une fille d’amour, une de ces malheureuses qui font le soir les troisièmes classes des trains de banlieue, ou défèrent à la réquisition du joueur de manille qui, après avoir déclaré quatre heures durant, que «ça tombe comme à Gravelotte», qu’il «est bien de la maison», se trouve, avant de rejoindre l’épouse acariâtre, investi soudain par le désir d’affecter à des palpitations illégitimes les gains successifs que lui a valu la possession continue du «manillon bien gardé».

Toutes trois venaient postuler l’aide salvatrice du docteur Marinot. Celui-ci, en effet, avait de sa mission sociale une conception autrement belle, autrement grandiose que la plupart de ses confrères. Fils d’un pauvre ouvrier doreur sur bois qui éleva six enfants, il avait vécu sa prime jeunesse parmi les milieux de misère ouvrière, et une compassion secourable pour ses anciens frères de classe l’avait acheminé vers le seul, vers l’unique moyen de soulager efficacement la détresse du prolétariat. Instruit à l’École primaire, il était un des rares fils du peuple qui avait pu accéder jusqu’à renseignement secondaire. Le diplôme conquis grâce à d’inouïes privations, il n’avait pas été déterminé comme tant d’autres par le souci exclusif de s’enrichir et de faire oublier ses origines. Il n’était pas de la race des Burdeau, des Charles-Dupuy qui, fils de manœuvres, éduqués grâce à ce que la Démocratie a pu arracher de justice aux classes nanties, s’empressèrent ensuite de trahir le peuple et d’aller renforcer, en combattants implacables, le nombre des exacteurs bourgeois. Il avait compris aussi qu’on ne sauve pas le monde avec de la rhétorique et, répugnant à s’enrôler parmi les suiveurs de Truculor, parmi l’Eunuquat du collectivisme, il s’était, lui, l’isolé, courageusement mis à la tâche pour lutter à l’aide de son seul savoir, de sa seule conscience, contre la douleur humaine. L’origine du mal, la cause de la misère, résidait en ce que les pauvres, à l’encontre des riches, ne savaient pas éviter l’enfant. Lui, médecin, lui, fils d’asservi, rendrait à son milieu l’assistance que tout jeune il en avait reçu: il énoncerait aux humbles le moyen de se dérober à la procréation, mieux que cela: il libérerait les malheureuses qui viendraient à lui. C’était le médecin-avorteur, au rôle magnifique, que toute civilisation devrait opposer au médecin-accoucheur. Bellement, avec un mépris superbe des conventions, des préjugés, des opinions manufacturées d’avance, de la réprobation universelle, il s’était mis à l’œuvre, résiliant d’avance l’ambition de toute clientèle, l’espoir de tout bien-être et de tout lustre social. Car le bourgeois qui pratique hypocritement la chose ne saurait en concéder la légitimité au Pécus dans lequel toujours, il veut pouvoir puiser le salarié, la prostituée et le soldat.

Le docteur Marinot vivait maigrement des cinq mille francs dont l’appointait, comme médecin attitré, une pouponnière voisine. Éviter la vie à ceux qui devaient naître des déshérités; obvier si possible à la mort de ceux qui avaient été jetés dans le monde, tel était son labeur magnanime. Et la moitié au moins de sa maigre prébende était distraite par lui pour servir à l’achat d’instruments spéciaux, de sondes et d’aseptiques qu’il dispensait gratuitement, avec ses conseils et ses soins, aux femmes qui le venaient trouver. Il enseignait à toutes que, sans compter les différentes sortes d’obturateurs, l’irrigation, avec une solution de tannin ou de permanganate de potasse, suffisait la plupart du temps, après le petit acte, pour éviter la fécondation. En tout cas, si l’engrossement n’était pas, grâce à cela, rendu impossible, l’enfant n’était plus la norme, mais bien l’accident. Ainsi, aucune privation du seul plaisir que les pauvres peuvent goûter sans contrainte. D’ailleurs, l’injection intra-utérine, pratiquée à l’aide d’une canule spéciale, deux jours avant l’époque présumée des menstrues, exonérait de toute maternité débutante. Trois démonstrations théoriques et pratiques de cinq minutes chacune suffisaient pour que toute femme pût, sans aucun risque de se blesser, manier elle-même la sonde libératrice.

Et il accueillait toutes les victimes du sexe, sans inquisition préalable, ne leur demandant que deux choses: ne pas le payer et indiquer son nom et son adresse à toutes celles qu’elles pourraient connaître et pour qui la grossesse est le cataclysme. Il donnait ses soins indistinctement, aussi bien à l’amante bourgeoise, devant qui la société va se dresser, qu’elle va réprouver, parce qu’elle a été accidentellement féconde, qu’à la femme d’ouvrier, qu’à la fille publique fruitée par hasard—car la Nature haïssable se plaît plus souvent qu’on ne le croit à mettre des enfants au ventre des prostituées.

Des bruits sournois commençaient à circuler sur lui dans la localité, mais il n’en avait cure et continuait son sacerdoce admirable sans se soucier des ragots imbéciles ou des haines qui germaient sous ses pas. L’année précédente, il avait affranchi plus de douze cents douloureuses et il espérait bien que cette clientèle gratuite irait s’augmentant sans cesse. Sa science, d’ailleurs, le mettait à l’abri de toute catastrophe possible, puisqu’il n’intervenait jamais chirurgicalement, mais seulement à l’aide de l’hydraulique. Et, de toutes ses forces, il désirait un procès, prêt à s’offrir en première victime pour revendiquer le droit du médecin à l’avortement, le droit du médecin désintéressé, qui sauve, alors que la hideuse société, par son code monstrueux, favorise le trafic vénal de la faiseuse d’anges, qui tue.

Les peuples du Nord, Suédois, Allemands, Norwégiens, de mentalité scientifique, d’intelligence sociale supérieure à la nôtre ont du reste compris déjà la pitié sublime de ces théories. Dans toutes les grandes villes protestantes, des légions de jeunes docteurs, conquis à la lumière nouvelle, interviennent en praticiens afin d’éviter la fécondité à celles qui n’ont pas le droit de créer.

Et parmi ces races prolifiques, la natalité, qui s’élevait suivant une constante effroyable, vient déjà d’être enrayée; la poussée de la nature aveugle, l’effort de l’instinct stupide, a été en partie vaincu par l’intelligence humaine: la constante est tombée. La statistique des naissances accuse d’ores et déjà la consolante et quasi stagnation par rapport aux chiffres précédents. Ce qui est énorme.

Pour tous les esprits affranchis, pour tous les cœurs qui ne peuvent pas prendre leur parti de la misère et de la souffrance, pour tous les nobles cerveaux qui spéculent déjà sur un avenir meilleur, le docteur Marinot, humble artisan de l’Œuvre miraculeuse, était le Surhumain digne d’être offert en exemple d’apôtre aux générations futures et fraternelles. Les différentes religions qui se sont succédé sur la terre ont accordé aux dieux le pouvoir de créer la vie et partant la douleur; le docteur Marinot était donc plus qu’un dieu, puisqu’il détruisait des dieux le labeur scélérat, puisque toute sa volonté et tout son savoir réalisaient ce rêve: empêcher l’éclosion de la vie et partant de la douleur.

—Ma mère s’est aperçue que je n’avais plus mes règles; elle menace de me jeter à la porte et mon père veut me tuer..., se lamentait la petite blonde, répondant à une question de la Truphot, au milieu d’une explosion de nouveaux sanglots pendant que des larmes giclaient de ses yeux tamponnés du revers de sa main aux ongles filigranés de noir.

La vieille scélérate, insidieuse, assise à son côté, paraissait s’intéresser à son malheur. Elle était venue chez le docteur Marinot, attirée par une brochure intempestive trouvée en les mains d’une de ses bonnes; elle était accourue non pas dans le souci d’apporter son obole à l’œuvre de salut, ni de requérir un secours dont son âge n’avait plus besoin, mais dans le désir de frôler là des éplorées, de se conjouir aux récits douloureux, de flairer l’odeur des pauvres alcoves, de panteler aux détails des récits d’amour, de se volupter aux traits pittoresques ou lamentables qu’elle pourrait glaner. L’inextinguible ferment passionnel qui l’animait avait besoin de ces caresses, de ces chatouilles qui l’exaspéraient. Au lieu du livre scabreux, Madame Truphot préférait de beaucoup prélever dans la réalité ce qui fouaillait délicieusement son imagination. C’étaient ses excitants, sa cantharide, son satyrion à elle. Grâce à cela et aussi à sa merveilleuse nature, elle goûtait encore les délectables paroxysmes, malgré ses soixante ans bien sonnés.

—Il s’appelle Charles; c’est le premier de la bonneterie, au Printemps, continuait la petite ouvrière, bébête, dans ce besoin qu’elles ont toutes de débrider enfin leur réserve, de conter, au moindre signe de compassion, leurs amours trop longtemps dissimulées.

La vieille ne se tenait plus; ses maigres reins sautillaient sur son banc, sa gorge serrée rendait le passage des mots difficile. Elle continuait néanmoins d’interroger, paterne et maternelle.

—Je veux vous aider ma pauvre enfant: usez de moi. Et il vous aimait bien?

—Oh! oui, il était très doux, très caressant... et puis il savait des mots distingués...

—Vous vous rencontriez souvent?

—Chaque soir, à la descente du train, près de la gare des Moulineaux, et on filait dans le bois en traversant le pont... Oh! il était très passionné... il m’embrassait que c’était comme un songe... même qu’il allait trop loin...

La Truphot, les yeux clos d’émotion, une houle intérieure battant ses tempes, se préparait à requérir de plus grandes précisions dans la confidence, lorsque la porte du cabinet de consultation s’ouvrit, encadrant un homme de haute taille, à la barbe noire, au large front dénudé, aux grands yeux bleus de bonté calme, qui souriait en s’inclinant devant la misère, devant les clientes qu’il soignait gratuitement, comme aurait pu le faire un praticien saluant les consultantes millionnaires. Il était rentré, pénétrant dans son cabinet par une porte latérale. Et la petite ouvrière, renfournant son mouchoir, s’immisçait la première dans la chambre du salut.

Le même manège pratiqué près de la quadragénaire au cabas n’amena qu’une confession banale, sans détails affriolants. La pauvresse avait six enfants déjà, se trouvait enceinte d’un septième et le mari était homme d’équipe à la Compagnie de l’Ouest. Elle-même était garde-barrière. Quatre francs cinquante, au total, à eux deux, pour nourrir la nichée. Deux de ses garçons étaient malades: l’un atteint de coxalgie et alité depuis trois ans, l’autre tombant du haut mal. Le docteur Marinot les soignait bien gratis, mais il fallait payer le pharmacien. Sûrement on allait crever de faim s’il ne lui évitait pas sa présente grossesse, d’autant plus que le père était mal vu de ses chefs, parce que socialiste. Cependant, ils travaillaient, eux, du matin au soir, et avaient un emploi fixe. Que devait être la misère de ceux qui connaissaient la morte-saison? Tout à coup, elle fut prise du remords d’avoir parlé inconsidérément. Elle se saisit des mains de la Truphot, et supplia.

—Je suis trop bavarde, c’est mon défaut; mais Madame, qui, comme moi sans doute a ses ennuis, ne dira rien. La Compagnie nous renverrait si elle savait que je me suis fait avorter.

La veuve promit; alla jusqu’à glisser cent sous dans la paume de l’autre et s’autorisa à questionner derechef:

—Mais dites donc, vous aimez donc bien ça, que vous faites tant d’enfants?

La femme protestait:

—Non, non, c’est pas moi; mais qué qu’vous voulez, les hommes pour ces choses-là, ça n’se contient pas... Ça n’peut pas s’faire une raison...

Un quart d’heure s’était écoulé. La petite ouvrière, maintenant, sortait, la figure rassérénée, un sourire même sur ses lèvres chlorotiques. Elle serrait sous son bras un maigre paquet, des canules et des poudres ficelées sous du papier gris, sans doute.

La garde-barrière s’engouffrait à son tour dans la chambre de visites.

La fille d’amour travaillée comme les autres manifesta quelque défiance. Évidemment, elle redoutait l’intrusion de la police dans ses affaires privées et avait peur que Madame Truphot ne fût de la Tour Pointue. Pressée, avec des mots mielleux, des formules captieuses d’apitoiement, elle prononça néanmoins:

—Comment qu’j’ai attrapé ça? Est-ce que j’sais moi? Un miché d’ici ou d’ailleurs... On a beau se laver après, pas? Il y a des types plus puissants les uns qu’les autres. Mais j’ai qu’trois semaines de retard; faut qu’le médecin me l’décroche... Vous comprenez, j’ai pas besoin d’gosse... Pour si qu’c’est un garçon qu’les bourgeois l’envoient à Deibler, plus tard, et si c’qu’c’est une fille qu’a soit forcée d’faire le truc comme moi.. Non, non... j’ai connu trop d’misère... Au moins lui, il n’souffrira pas.

Elle fit une pose, saliva sur son pouce et son index et arrangea une de ses frisettes en l’étirant de l’autre main. Dans le besoin de convaincre la veuve de sa bonne foi, elle ajouta:

—Moi, vous m’entendez, si c’était pas pour le môme, ça m’serait égal d’être grosse; ça m’supprimerait mes époques et m’éviterait quatre jours de chômage par mois... Et puis quand on est enceinte, on fait beaucoup plus d’argent... Il y a un tas d’cochons qui raffolent de ça...

Mais, tout à coup, elle devint gouailleuse; transposant les rôles, elle interrogea dans un rire de verre cassé.

—Non, mais dites donc, pourquoi qu’vous êtes ici? A votre âge on peut rigoler sans danger.

La Truphot dut exposer impudemment qu’elle, une rentière philanthrope, dans un désir admirable de soulager la détresse des pauvres, subventionnait de son propre argent le docteur Marinot. En somme elle était quelque chose d’assez semblable à une dame patronesse de son œuvre.

—Ben vrai... v’la qu’est chouette... si toutes les bourgeoises en faisaient autant, y aurait bientôt plus d’exploités, approuva la fille.

Et, comme la porte s’était ouverte, comme la prostituée se levait pour succéder à la femme de l’homme d’équipe, Madame Truphot se hâta de disparaître pour n’avoir pas à placer ce boniment au médecin sublime. Il serait toujours temps de le lui servir une autre fois—quitte à se tirer quelque maigre somme pour la propagande—si elle n’avait pas d’autre expédient pour expliquer alors sa présence insolite dans l’antichambre malthusienne.


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