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Les femmes au gouvernail

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XIX
Les mères et la dépopulation

En entendant répéter que les femmes ont pour unique rôle de mettre des enfants au monde, on pouvait penser que le sexe féminin restait dans la mission qui lui est assignée, en demandant de faire partie de la commission extra-parlementaire chargée de combattre la dépopulation.

Il nous semblait que les deux sexes réunis, étaient seuls compétents pour décider d’une affaire où le couple est indispensable. Eh bien, nous étions dans l’erreur. Les hommes seuls suffisent pour repeupler la France, puisque pas une femme n’a été nommée membre de la commission de repeuplement.

Les Français présomptueux croient qu’ils pourront, sans les Françaises, augmenter la natalité, comme sans elles, ils pensent continuer à administrer et à gouverner.

Les messieurs réunis pour remédier à la dépopulation, s’imagineront résoudre la question en récompensant l’homme qui n’a que du plaisir en devenant père, tandis que la femme ruine sa santé, risque sa vie en enfantant.

N’étant point traitée comme la cheville ouvrière du repeuplement, la génératrice continuera, suivant la coutume, à se préserver de la fécondation, à recourir à l’avortement, de sorte que l’homme déçu de ses rêves de paternité, ne pourra percevoir le dédommagement du travail puerpéral qui lui aura été attribué.

Bien que notre orgueil national prenne plaisir à constater que les peuples les plus civilisés sont les moins prolifiques, la disette d’enfants met la France en si mauvaise posture dans le monde, que les législateurs ont songé à proposer de surtaxer les célibataires, les veufs, les divorcés.

Si cet impôt vexatoire ne frappait que les femmes, qui ne votant point, ne sont point à ménager, il serait sûrement adopté par la commission. Mais les célibataires mâles étant électeurs, on ne rééditera pas la loi de 1798 qui, durant quelques années, surimposera les célibataires.

D’ailleurs, un impôt ne contraindrait pas au mariage les célibataires. L’unique moyen d’augmenter la natalité consiste à intéresser les génératrices à cette augmentation. Pendant que les femmes n’auront aucun avantage à procréer beaucoup d’enfants, elles se soustrairont aux nombreuses maternités qui les accablent de souffrances, les surchargent de travail et les enlaidissent!

Certes, les hommes sont en France bien puissants. Pourtant, quoique souverains, ils ne peuvent ni changer les lois naturelles, ni augmenter, sans le concours des femmes, la natalité. Il devient donc, dès lors, indispensable que les femmes fassent connaître à quelles conditions elles consentiront à être plus souvent mères. La solution de la question du dépeuplement est seulement là.

Si les législateurs ne trouvent pas que les procréatrices sont, plus que quiconque, aptes à donner sur cela leur avis, les efforts en vue du repeuplement échoueront: les seules personnes capables de les faire aboutir étant laissées de côté.

On propose de spolier les génératrices, de récompenser les hommes du travail de gestation et de parturition des femmes. La prime donnée au père n’allégerait point le fardeau maternel. Ce ne serait pas, parce que les hommes civilisés empocheraient la récompense de l’enfantement, qu’ils parviendraient plus que les primitifs—simulant les douleurs quand leur femme accouche—à faire croire que ce sont eux qui mettent au monde les enfants.

Pour obtenir de la femme qu’elle dépense ses forces, passe ses nuits en veilles, ruine sa santé et risque sa vie afin d’augmenter la population, c’est employer un singulier moyen que de gratifier le père, parce qu’il vote, du travail accompli par la mère, qui ne vote pas. Est-ce le moyen de déterminer les femmes à appeler à la vie beaucoup d’enfants? Les ouvriers seraient-ils excités à travailler en un chantier où le contre-maître s’attribuerait leur salaire?

Les nombreuses maternités déforment, fatiguent, affaiblissent, enlaidissent, non le père, mais la mère. Si, au lieu de lui attacher par un petit intérêt son mari, on spolie la femme souffreteuse de la rente qui lui est due pour la donner à l’homme gaillard, est-ce que ce ne sera pas inciter celui-ci à la dépenser, cette rente, avec une accorte voisine, point productrice d’enfants?

On tourne autour de la question de l’indemnisation maternelle, qu’on ne veut pas proposer parce que la femme qui est en droit de la toucher, est une hors la loi.

Il est facile de comprendre que quiconque a la peine doit toucher un salaire et que les femmes ne se déprimeront ni ne s’useront plus, dans le seul but de procurer des rentes à leur mari qui, après la douzaine d’enfants pourrait les planter là.

La femme est la propriété de l’homme (une propriété de rapport) comme l’arbre à fruit est celle du jardinier, puisqu’on reconnaît seulement à celui-ci le droit de tirer profit des fruits humains.

Que l’on tourne et retourne, en tous sens, la question du repeuplement, on ne parviendra à la résoudre que par l’indemnisation maternelle, qui allégera les charges du père et permettra à la mère de conserver en se soignant, des forces de réserve pour de nouvelles maternités.

A la femme aisée ou riche, qui ne serait, ni par une indemnité, ni par une retraite, encouragée à de successives maternités, on pourrait offrir l’appât des récompenses honorifiques.

Nous trouvons puériles les décorations, mais puisque les hommes en raffolent, les femmes peuvent bien, à leur exemple, les convoiter.

Il ne faudrait pas bien entendu, que la décoration attribuée à la maternité, lui soit spéciale: une croix de la maternité serait de suite appelée Croix de Gigogne.

Mais admettre la femme, six fois mère, à la Légion d’honneur, honorerait la croix en lui faisant récompenser ce qui est utile au pays.

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