Les femmes au gouvernail
XXVIII
  Le socialisme n’aurait pas pour résultat l’affranchissement de la femme
  «Si les riches sont les monopoleurs du capital, les hommes sont les monopoleurs du droit et de la souveraineté.»
H. A.
L’affranchissement économique de l’homme n’aurait pas pour résultat l’affranchissement politique, civil, économique de la femme. Les comptes fussent-ils réglés entre hommes, que tout serait à recommencer pour que l’équité règne, puisque la moitié de la nation, les femmes, pour lesquelles, l’oppression des détenteurs de la richesse se double de l’oppression des détenteurs du droit, auraient été oubliées.
La fortune, même, est impuissante à soustraire à l’oppression, celles qui la possèdent. La femme riche est dans le mariage moins libre que la femme pauvre. Elle ne peut pas disposer de sa dot, tandis que l’ouvrière dispose de son salaire. Ni la femme riche, ni la femme pauvre, n’a le droit de participer au gouvernement de son pays, en votant et en légiférant. Aussi toutes les femmes sont dupes dans l’association humaine.
Si la question sociale se résolvait pendant que les femmes sont au point de vue politique bâillonnées, la transformation économique s’opérerait au seul profit des hommes.
Pour que toute la nation bénéficie de cette transformation, il faut que la femme mise au niveau de l’homme aide à l’accomplir, participe avec lui aux arrangements de la société.
Les hommes de la révolution ont commis une faute en ne voulant point entendre parler de l’immixtion des ouvriers dans la politique. Eh bien, les républicains d’aujourd’hui qui ne veulent point entendre parler de l’immixtion des femmes dans la politique, commettent une faute bien plus grande, puisqu’ils rendent la république impuissante à inaugurer l’ère de justice que tout le monde attend.
Les collectivistes nous apprennent par la bouche de M. Jules Guesde[22] que, quand tout aura été socialisé, on verra ce que l’on pourra faire pour la femme, sans nuire à l’espèce, ni gêner l’homme. C’est assez dire que, si le capital et la propriété étaient socialisés avant que les femmes soient électeurs, elles ne récupéreraient point en la société nouvelle ce qui leur aurait été pris et seraient encore, plus que maintenant, êtres de peine, bêtes de somme et bêtes à plaisir.
Les femmes qui croient que la question féministe sera résolue avec la question économique, apprennent si elles gagnent un gros lot, que leur condition légale, est après que la question économique a été pour elle résolue, identique à ce qu’elle était auparavant. Dernièrement, en m’abordant une dame s’écria:
«La révolution vient de s’accomplir pour moi. De pauvre que j’étais, un lot de loterie m’a faite riche; eh bien! je suis obligée d’avouer que j’ai perdu, avec l’habitude d’avoir faim, mes illusions politiques.
«J’avais entendu beaucoup d’orateurs affirmer que la femme sera affranchie aussitôt que la question sociale aura été réalisée, et je m’efforçais de persuader, de cela, mes camarades. Or, après que la question sociale eut été pour moi, résolue, je me suis aperçue que je restais esclave comme avant.
«Le billet de loterie gagnant avait été acheté par moi, avec mon propre argent. Cependant, je ne puis toucher le gros lot, dont j’étais gratifiée, sans le concours de mon mari.
«Si j’avais volé la fortune que j’ai gagnée—j’aurais—sans qu’il soit besoin de l’autorisation de mon mari—été poursuivie en police correctionnelle ou en cour d’assises; mais il me faut le consentement marital pour pouvoir accepter un don, ou encaisser ce que m’a procuré le hasard.»
Les articles 217 et 934 du code, que cette dame signale, donnent aux hommes, la garantie de ne point être frustrés de la jouissance de la fortune qui échoit à leurs épouses.
Les maris, eux, peuvent accepter des donations, toucher les gros lots, sans que leur compagne en soit informée. La personne et l’avoir de la femme sont la chose de l’époux, mais la personne et l’avoir de l’époux ne sont pas la chose de l’épouse.
Les législateurs, tenant leur pouvoir des hommes, règlent tout en faveur des hommes contre les femmes, non représentées au parlement.
Les députés socialistes reconnaissent que le suffrage est l’instrument de l’émancipation politique et économique de l’homme; s’ils ne s’efforcent point de mettre la femme en possession de cet instrument, c’est qu’ils ne veulent point qu’elle s’émancipe.
Quand on établira l’impôt sur le revenu, si les femmes ne votent pas, ce seront ces annulées, en politique, qui paieront pour les agents électoraux et les gros électeurs.
Ce qui vient de se passer à Saint-Genest-Lerpt (Loire) prouve ce que nous avançons: Le Conseil municipal de Saint-Genest-Lerpt, pour témoigner sa reconnaissance à ceux qui l’avaient élu, a, en effet, pris une délibération exemptant de la contribution mobilière comme indigents, 819 contribuables sur 1185 contribuables, que comprend la Commune. De sorte que les 365 personnes qui ne furent pas exemptées d’impôts durent payer pour les autres et leur cote mobilière fut notablement augmentée.
On trouve, parmi les prétendus indigents exemptés d’impôts, des instituteurs agents électoraux, de nombreux propriétaires fonciers. Mais, détail caractéristique, les femmes ne votant pas, aucune n’a été exemptée d’impôts.
Elles durent, les femmes de Saint-Genest-Lerpt, parce que non électeurs, assumer les charges des hommes de la Commune qui avaient fait élire le Conseil municipal.