← Retour

Les femmes au gouvernail

16px
100%

XXVI
L’abandon de l’enfant

Présentement, peut-on abandonner un enfant à l’assistance?

—Oui: la loi sur les enfants assistés stipule que dans chaque département les enfants peuvent être abandonnés.

«La présentation a lieu dans un local ouvert le jour et la nuit et sans autre témoin, que la personne préposée au service d’admission 14, rue Denfert-Rochereau.

«Art. 9. La personne qui est de service, déclare à celle qui présente l’enfant que la mère, si elle garde l’enfant, peut recevoir les secours prévus à l’article 7, et notamment, un secours de premier besoin qui est alloué immédiatement.

«Elle signale les conséquences de l’abandon, telles qu’elles résultent de l’article 22.

«Si l’enfant paraît âgé de moins de sept mois, et si la personne qui le présente refuse de faire connaître le nom, le lieu de la naissance de l’enfant, ou de fournir l’une de ces trois indications: acte est pris de ce refus et l’admission est prononcée. Dans ce cas, aucune enquête administrative ne sera faite.»

Malheureusement, cette loi ne donne pas la garantie que le secret d’une faute sera gardé; et les mères clandestines auront peur d’être vues en allant déposer leur enfant au bureau de l’Assistance. Elles redouteront avec raison, l’indiscrétion de la personne préposée au service d’admission.

On aurait sauvegardé la vie à beaucoup d’enfants, en rétablissant le Tour discret qui, s’il avait des mains pour recevoir, «n’avait, comme disait Lamartine à la tribune du Parlement, pas d’yeux pour voir, pas de bouche pour révéler.»

Les législateurs ont trouvé que le Tour, qui diminuerait le nombre des infanticides, serait dispendieux.

La Loi sur les enfants assistés se ressent d’être l’œuvre d’une partie seulement de ceux qui auraient dû l’élaborer; il lui manque le tour de main des femmes absentes de la législation.

Les hommes seuls, en réglant ce qui concerne les enfants assistés, se sont naturellement attribué les fonctions d’inspecteurs, de sous-inspecteurs[21], de commis d’inspection de ce service.

Le Conseil général pourra bien, dans le cas où il le jugera utile, créer des emplois de visiteuses d’enfant, mais il ne jugera jamais cela nécessaire. Les femmes ne votant pas, quel intérêt aurait-il à leur donner des emplois?

Le rôle des femmes est, dit-on, de s’occuper des enfants. Seulement, aussitôt que les enfants procurent rémunération, les hommes accaparent le rôle dévolu au sexe féminin.

C’est seulement quand les Françaises exerceront leurs droits politiques, qu’elles pourront empêcher les mâles de la nation de se faire couveuses et nourrices, en leur enlevant l’administration du service des enfants assistés.

Les femmes remplaceraient avantageusement les hommes à la 2e section du 5e bureau de la préfecture de police, qui, comme on sait, s’est chargé de la surveillance des nourrissons, du placement, à l’hospice, des enfants abandonnés et de l’examen des pièces et des seins des nourrices.

Si pour contrôler le service des sages-femmes auprès des accouchées, le directeur de l’Assistance publique a pensé qu’il était convenable de nommer une femme, il devra trouver encore bien plus séant de faire surveiller par les femmes les nourrissons et les nourrices; car, c’est au préjudices des pauvres enfants que les hommes jouent à la mère dans son administration.

M. E. G. conte qu’il rencontra, lorsqu’il était inspecteur du service des assistés, une fillette de six ans qui avait été mise en correction par le directeur d’une agence de l’Assistance parce que, en bégayant ses premiers mots, elle avait jeté le trouble et semé la discorde avec sa mauvaise langue, dans les familles nourricières où il l’avait placée. Une telle perversité en un âge aussi tendre surprit l’inspecteur. Il s’informa, et de son enquête résulta la mise en liberté de l’enfant, qui était très gentille et douce.

On voit, par cet exemple, comment l’enfance abandonnée est traitée par les hommes. Pourquoi aussi, les agences de l’Assistance ne sont-elles pas dirigées par des femmes?

On remplacerait, sans doute, les garde-chiourmes si ridicules dans les fonctions de nourrices, par des mamans qui, avec des caresses et de doux mots, bien mieux qu’eux avec leur dureté, redresseraient la petite plante humaine disposée à mal pousser. Mais voilà! les mères ne votent pas...

Il est donc absolument nécessaire que les femmes votent, pour pouvoir se faire attribuer leur part des fonctions administratives et obtenir le droit de bercer les bébés recueillis par la charité publique.

Pas plus que l’on n’enlève, sans péril pour l’œuvre, l’ébauche à l’artiste, on ne peut, sans lui préjudicier, ravir l’enfant à la femme, avant qu’il ne soit modelé, achevé, réussi.

Nul ne devrait être assez audacieux pour disputer aux mères, les enfants, parcelles de leur chair, qu’elles ont animés d’une vie propre, et nul assez téméraire pour chercher à les suppléer dans la surveillance et l’impulsion à donner aux petits abandonnés.

Chargement de la publicité...