Les femmes au gouvernail
XXVII
  Rétablissons l’Armoire Tournante. Le Tour discret
A la maternité de Paris, il existe un service de maternité secrète où les femmes sont reçues sans formalités. Elles placent leur état civil dans une enveloppe cachetée qui leur est rendue à leur sortie.
La ville de Toulouse vient d’instituer, elle aussi, la maternité secrète.
Mais, on diminue moins, en procédant ainsi, le nombre des suppressions d’enfants qu’en rétablissant les tours.
Le jour où l’on aura fait savoir dans le dernier des villages, que le premier venu peut sans formalité, sans dire son nom, sans montrer son visage, déposer en tel endroit convenu, un enfant, ce jour-là l’infanticide sera supprimé en France et la population s’augmentera; car nul n’ignore qu’indépendamment des bâtards, on tue les «bouches de trop» et les «partageurs».
Mais, clameront les contribuables: «Il faudra élever tous ces abandonnés!» Ce serait moins coûteux que de rechercher, de condamner et d’entretenir en prison les mères qui les tuent.
Le Tour sauverait la vie à un grand nombre de petits Français que la recherche de la paternité sera impuissante à préserver de la strangulation.
—Qu’est-ce qui invite à l’infanticide?
—D’abord, le préjugé faisant de la maternité, en dehors du mariage, une honte. Ensuite, l’effroi de la charge de l’enfant à assumer. L’abrogation de l’article 340 du Code civil ne supprime pas le premier de ces motifs d’infanticide, attendu que l’autorisation donnée à une demoiselle devenue mère, d’appeler, devant les tribunaux son coopérateur et de divulguer ce qu’elle cache, ne lui fera pas trouver—si elle ne l’a point—le courage moral de s’avouer mère en une société indulgente aux actes sans conséquence, impitoyable pour ceux qui ont des résultats vivants. La recherche de la paternité ne fera pas, non plus toujours, disparaître le second motif d’infanticide; car l’engendreur rattrapé quand il s’esquivait, subviendra rarement aux besoins de son enfant. Lorsque tant de pères légitimes se soustraient au devoir paternel, peut-on espérer que les pères naturels se montreront plus qu’eux, empressés à le remplir? D’ailleurs, où il n’y a rien à prendre, le diable lui-même perd ses droits. La recherche de la paternité, qui est permise dans la plupart des pays d’Europe, existait en France sous l’ancien régime.
En 1556, Henri II rendit un édit qui obligeait toute femme enceinte, non mariée, à déclarer sa grossesse. Le séducteur désigné devait épouser sa victime. Plus tard, on se contenta d’obliger le séducteur à payer des dommages-intérêts à la mère et à subvenir à l’entretien de l’enfant.
La recherche de la paternité qui a été votée en 1912, n’est qu’une loi contre la séduction prouvée et l’abandon notoire. Elle ne permet pas d’engager une action en reconnaissance de paternité, sans preuve écrite, et menace la fille trompée de 5 ans de prison, et de 5.000 fr. d’amende et de dix ans d’interdiction de séjour si elle engage, sans cette preuve écrite un procès contre le séducteur.
Les femmes mères n’useront guère de la faculté de rechercher le père de leur enfant, et les procès, que feront les demoiselles ayant beaucoup de toupet, ne leur procureront souvent ni dédommagement moral, ni secours matériels. Il est vrai qu’il permettra au fils naturel de prendre le nom de son auteur, mais on ne voit pas bien quel avantage il y aura pour lui à porter le nom d’un monsieur, qu’Alexandre Dumas a appelé: «un malfaiteur qu’il faut classer entre les voleurs et les assassins».
Cependant, lorsque l’enfant peut rechercher sa mère, il doit, aussi, pouvoir rechercher son père. Seulement, il ne faut pas se dissimuler, que sa légitimation compliquera les difficultés sociales et activera la désagrégation de la famille en augmentant le nombre des divorces. L’épouse qui souffre d’être secrètement trompée, ne voudra pas supporter les infidélités de son mari, démontrées au grand jour par un tribunal.
Les paternités pourront, sans inconvénient, être attribuées aux célibataires. Malheureusement, plus de soixante pour cent des pères naturels, seront des hommes mariés. Alors surgira en même temps que l’intérêt de l’enfant, l’intérêt de l’épouse.
La société peut-elle, sans être certaine de faire le bonheur d’une fille-mère, anéantir le bonheur d’une épouse? ne serait-ce pas une contradiction que d’interdire la bigamie et d’autoriser les nichées simultanées? Les procès en recherche de paternités, transformeront les épouses, en victimes expiatoires de la débauche maritale.
Arrangera-t-on les choses, en faisant résulter des dérèglements d’un homme, trois victimes au lieu de deux? Assurément non.
Puisque les enfants sont rares, n’en perdons aucun, ouvrons l’armoire tournante à ceux que l’on étoufferait, rétablissons les Tours.
En rétablissant les Tours, il faudrait récompenser la maternité clandestine qui s’avoue, c’est-à-dire faire la fille-mère indemnitaire.
Bien mieux qu’un procès au père qui se dérobe, cette solution réhabiliterait la fille-mère et lui permettrait en même temps que de s’élever, de classer socialement son enfant, de lui donner son nom.
La mère naturelle, chef de famille, a une autre situation morale que celle qui se reconnaissant indigne de faire immatriculer dans le registre public l’être auquel elle a donné la vie, s’humilierait à solliciter un patronage masculin. Au moment où il semble si nécessaire d’affranchir la femme de l’homme, de lui donner sa part d’autorité familiale et sociale, il vaudrait mieux attribuer les enfants à la mère, indemniser la maternité que de rechercher la paternité qui renforcera encore l’autocratie masculine, en conférant exclusivement à l’homme—fût-il indigne—les droits de chef de famille hors du mariage comme dans le mariage.
On assurerait facilement l’indemnité maternelle à la fille-mère, en prélevant sur les hommes, une légère contribution qu’ils auraient grand avantage à payer, puisque cet impôt paternel les garantirait des procès en recherche de paternité, suivis souvent, de procès en divorce.