Les femmes au gouvernail
XXI
  Pour les primitifs: l’enfant est une valeur. Pour les civilisés:
  l’enfant est une charge
De tous les enfants qui naissent, ceux qui appartiennent réellement à la mère, sont ceux que leur père a pu désavouer. Ils ont fait leur entrée dans le monde en dehors de toutes les conventions sociales, et ils sont, en raison de ce dédain des bienséances, qualifiés de naturels.
Etant censé n’avoir pas de pères, ces bâtards échappent à la prise et à la poigne masculine. Ils ne portent point le nom de l’homme, ils ne sont pas sous sa domination.
De sorte que, si la mère non mariée est rabaissée par le préjugé, elle est, par le droit public, véritablement élevée au rang de l’homme, puisque parmi toutes les femmes, c’est la seule mère qui transmet son nom à ses enfants et qui exerce sur eux l’autorité paternelle.
Mais, afin que les Françaises n’ambitionnent pas ces avantages et pour les décider toutes à faire abdication de leur liberté, en même temps que le don de leur chef-d’œuvre, non réalisé: l’enfant, on couvre d’opprobre celles qui ont un bébé en dehors du mariage, et l’innocent est traité en coupable.
Relativement à la mère non mariée et à son fils, nous devrions bien être aussi humains que les peuples que nous asservissons et dépouillons sous prétexte de civiliser. Chez la plupart de nos barbares conquis, il n’y a pas d’enfants naturels, donc pas de mères méprisées.
Dans le sud africain, la négresse esclave est affranchie quand elle a avec son maître appelé à la vie un enfant. Son fils hérite comme ses frères légitimes, il est honoré et elle est nommée l’onen-el-Ouled, la mère de l’enfant.
Pour les primitifs, qui sont plus que nous, avec toute notre suffisance, près de la vérité et de la liberté, l’enfant est une valeur. Tandis que pour les civilisés, écrasés par les obligations anciennes et asservis à tant de besoins nouveaux, l’enfant, sujet de dépense, est moins prisé que le poulain et le veau, source de profits immédiats.
Aussi, voyez s’il y a pour les animaux rétifs, comme pour les enfants indociles, des martinets et des cachots. On craindrait de diminuer les bénéfices que l’on escompte, en privant les poulains et les génisses d’air ou de nourriture, mais torturer les petits humains qui ne sont pas marchandise monnayable, cela ne tire pas à conséquence.