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Les trente-six situations dramatiques

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XXVe SITUATION
Adultère

(Époux trompé — Époux adultère — Adultère complice)

Sans mériter de constituer une Situation à lui seul, l’Adultère se présente comme un aspect intéressant du vol (action du dehors) doublé de la trahison (action du dedans). Schiller, après Lope, s’était plu à idéaliser le brigandage ; Hugo et Dumas Ier ont entrepris un paradoxe analogue pour l’adultère et, développant le procédé d’antithèse qui a créé Triboulet et Lucrèce Borgia, ils ont réussi, une fois pour toutes ; rien de plus légitime. Le niais, ce fut la croyance du séculaire troupeau en l’excellence du sujet ainsi présenté : que d’Antonys ! quels Antonys !… Le public a fini par leur préférer le café-concert :

… Il a bien fait !

1er cas : L’auteur peint l’Adultère Complice, l’étranger survenu près du foyer, — le Voleur, — bien plus agréable, mieux fait, plus tendre… ou plus ferme, que l’Époux trompé. — Quelques arabesques dont se vête le fait simple et fondamental, le larcin, quelque complaisance où déchoie un public dès longtemps harcelé, il n’en reste pas moins, au fond de celui-ci, telle qu’un bon granit, la vieille conscience : pour elle, ce qu’on vante là, c’est d’oublier la Parole d’honneur du contrat, cette Parole, ce serment auquel obéissaient, ainsi que nous, les Dieux d’Homère et les Chevaliers, cette base à toute agglomération sociale, ce que les sauvages, ce que les forçats respectent entre eux, ce regard des yeux dans les yeux, initial à l’effort commun, cette source première de l’ordre dans le monde et de la pensée, cette lumière du Verbe ! Assurément l’attention des spectateurs peut être momentanément détournée de ce point de vue sévère, et cela sans crime aucun, — de par les droits d’hérésie de l’imagination ; on peut obtenir pour n’importe quel objet notre rire : ne rions-nous pas, de tous nos nerfs, à voir un podagre dégringoler bizarrement un escalier au bas duquel il doit se rompre le cou ? Pour tout objet aussi on peut réclamer notre pitié : pitié nous avons pour les parjures du joueur et pour ceux de l’ivrogne ; mais il s’y mêle un mépris las. Or, était-ce précisément de ce mépris dans la tristesse que notre dramaturgie voulait faire bénéficier ses jeunes premiers adultères au prix de tant et tant de soins ? Non, sans doute !… Elle s’est donc fourvoyée.

2e cas : L’Adultère étranger est donné comme moins sympathique que l’époux méconnu. — Ceci, c’est le genre dit « moralisateur ». Il ennuie. Un homme à qui l’on a pris son porte-monnaie ne grandit pas, de ce fait, à nos yeux ; et, les renseignements qu’il est en mesure de fournir une fois obtenus, nous laissons là ce lieu vivant d’un épisode curieux, mais qui se serait aussi aisément produit ailleurs, — et nous ne pensons plus qu’au tire-laine. Mais si ce dernier, déjà peu grandiose dans son exploit, nous est portraituré à son tour sous des traits encore moins intéressants que ceux de sa dupe, il nous dégoûte ; — et l’Époux adultère n’est qu’un drôle et un imbécile de l’avoir préféré. Puis (enfants simples et droits que nous restons un peu malgré tout) en flairant dans la leçon qu’on nous donne un parti-pris, et, par conséquent des mensonges, nous grimaçons une moue, car nous n’étions pas venus pour trouver derrière la fable le sourire aigre-doux d’un pion.

3e cas : l’Époux trompé se venge. — Enfin, il se passe quelque chose !… Malheureusement cette vengeance n’est qu’un des cas de la IIIe Situation.

Ainsi l’on ne réussira notre XXVe donnée qu’en la traitant avec l’esprit le plus humain, le moins élégiaque et le moins austère. Il ne s’agit d’embrasser ni le parti du filou, ni celui du traître, ni celui du cocu. Les pénétrer tous, — de tous avoir compassion, — les tous expliquer… c’est-à-dire se pénétrer soi-même, de soi-même avoir pitié, soi-même s’expliquer à soi : — voilà le vrai travail à accomplir.

A — Maîtresse trahie, 1 — pour une jeune fille : — Les Colchidiennes de Sophocle, Médées d’Euripide, de Sénèque et de Corneille, Miss Sara Sampson de Lessing, Lucienne (Gramont, 1890). Ces exemples sont, de plus, symétriques, à cause de la vengeance finale, à la classe masculine D.

2 — Pour une jeune femme (le mariage précède le lever du rideau) : — Un voyage de noces (M. Tiercelin, 1881).

B — Épouse trahie, 1 — pour une esclave qui n’aime pas : — Les Trachiniennes de Sophocle et Hercule sur l’Œta de Sénèque (1re partie ; quant à la suite, voir « Imprudence »), Andromaques d’Euripide et de Racine (où c’est un côté du drame ; quant à l’autre, voir « Sacrifice aux proches »).

2 — Pour la débauche : — Numa Roumestan (Daudet, 1887), Francillon (M. Dumas, 1889), Serge Panine (M. Ohnet, 1882) ; c’est le point de départ des Mères ennemies qui tournent ensuite aux « Haines de proches ».

3 — Pour une femme mariée (double adultère) : — La princesse Georges et l’Étrangère (M. Dumas), M. de Morat (M. Tarbé, 1887), les Ménages de Paris (M. Raymond, 1886).

4 — Dans un but de bigamie : — Alcméons de Sophocle et d’Euripide.

5 — Pour une jeune fille n’aimant pas : — Henri VIII de Shakespeare et celui de St-Saëns, Rosemonde d’Alfieri (combinaison de la présente et de la précédente situation, car il y a aussi une simple rivalité de roi et de sujet).

6 — Épouse jalousée par une jeune fille éprise de l’époux : — Stella de Gœthe, Dernier amour (M. Ohnet, 1890).

7 — Par une courtisane : — Miss Fanfare (M. Ganderax, 1881 ; voir B 2), Proserpine (Vacquerie et St-Saëns, 1887), La comtesse Frédégonde (M. Amigues, 1887), Myrane (M. Bergerat, 1890).

8 — Rivalité d’une femme légitime mauvaise et d’une maîtresse sympathique : — C’est la loi (M. Cliquet, 1882).

C 1 — Mari antipathique sacrifié à un sympathique adultère : — Angelo, Le Nouveau Monde de Villiers de l’Isle-Adam, Un Drôle (M. Yves Guyot, 1889), Le Mari (MM. Nus et Arnould, 1889).

2 — Un mari cru perdu et oublié pour un rival : — Rhadamiste et Zénobie de Crébillon, Jacques Damour de Zola. La Zénobie de Métastase, par le fidèle amour gardé à son époux, forme un cas unique (!) parmi ces innombrables drames sur les passions adultères.

3 — Un mari quelconque sacrifié à un sympathique adultère : — Diane de Lys (M. Dumas), Tristan et Yseult de Wagner (avec atténuation en « Folie » produite par un breuvage), Françoise de Rimini (A. Thomas, 1882), La Sérénade (Jean Jullien, 1887), l’Age critique (M. Byl, 1890). — Même cas sans que l’adultère s’y commette : — Sigurd (M. Reyer, 1885), La Comtesse Sarah (1886).

4 — Un mari bon trompé pour un rival moindre : — l’Aveu (Sarah Bernhardt, 1888), point de départ des Quarts d’heure (Guiches et Lavedan, 1888), si appréciés outre-Rhin, Révoltée (M. Lemaître, 1889), La maison des 2 Barbeaux (Theuriet, 1885). — Il n’y a pas adultère, mais préférence dans la Smilis d’Aicard (1884).

5 — Pour un rival grotesque : — la Dot fatale de Massinger.

6 — Pour un rival odieux : — Gerfaut (de Ch. de Bernard par M. Moreau, 1886).

7 — Pour un rival quelconque par une femme perverse : — La femme de Claude (M. Dumas), Pot-Bouille (Zola, 1883). — Roman : Mme Bovary.

8 — Pour un rival plus laid mais utile : (avec faux soupçons comiques, c’est-à-dire soupçons crus ensuite faux) : — l’Échéance de Jean Jullien (1889).

D 1 — Un mari trompé se venge (drames sur le crescendo des soupçons) : — Le Médecin de son honneur et A outrage secret vengeance secrète de Calderon, l’Affaire Clémenceau (M. Dumas).

2 — Sacrifier sa jalousie à sa cause (aboutit aux « Sacrifices à l’Idéal ») : — Les Jacobites (M. Coppée, 1885), Patrie (Paladilhe, 1886). — La sacrifier à la pitié : — La famille d’Armelles (M. Marras, 1883).

E — Un mari persécuté par un rival repoussé : — Raoul de Créqui (M. Dalayrac, 1889). C’est le symétrique de B 7 et cela s’achemine, de même, vers « Adultère meurtrier ».

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