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Les trente-six situations dramatiques

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XXIXe SITUATION
Aimer ennemi

(L’Ennemi aimé — Celui qui l’aime — Celui qui le hait)

A — L’Aimé est haï par les proches de qui l’aime : — J’y absorberais volontiers la Situation précédente. — 1, L’Aimé est poursuivi par les frères de celle qui l’aime : — La Duchesse d’Amalfi de Webster, le Cœur brisé de Ford.

2 — Il est haï par la famille de celle qui l’aime : — L’histoire de Yayati de Roudra dêva (c’est la vraie couleur indigène de ces rivalités indoues où la jalousie n’a presque rien à voir), la Victoire de Pradyoumna par Samara dikchita, Caton de Métastase, la Grande Marnière (M. Ohnet, 1888).

3 — L’Aimé est fils d’un homme haï par les parents de celle qui aime : — La Taverne des Trabans (1881) et Les Rantzau (1882) d’Erckmann-Chatrian.

4 — L’Aimé est l’ennemi du parti de celle qui aime : — Madhouranirouddha de Vira le contemporain de Corneille, les Scythes de Voltaire, Almanzor d’Henri Heine, Lakmé (Delibes, 1888), les Carbonari (M. Nô, 1882), Madame Thérèse (Erckmann-Chatrian, 1882), Lydie (M. Miral, 1882).

B 1 — L’aimé est le meurtrier du père de celle qui aime : — Le Cid (et l’opéra qui en est issu), Olympie de Voltaire.

2 — L’aimée est la meurtrière du père de celui qui aime : — Mademoiselle de Bressier (M. Delpit, 1887).

3 — L’aimée est la meurtrière du frère de celui qui aime : — La Reine Fiammette (M. Mendès, 1889).

4 — L’Aimé est le meurtrier du mari de celle qui aime, mais qui, jadis, jura de venger ce mari : — Irène de Voltaire.

5 — Même cas, mais où, au lieu d’un mari, il s’agit d’un amant : — Fédora (M. Sardou, 1882).

6 — L’Aimé est le meurtrier d’un parent de celle qui aime : — Roméo et Juliette (c’est la « Situation » que j’indique ; elle se modifie en celle de l’« Enlèvement », Xe, puis par un triple effet de la XXXVIe, « Perdre les siens », la première fois avec une erreur, la deuxième simplement, et la troisième d’une façon double et simultanée chez les familles des deux personnages principaux) ; Bonheur et malheur du nom et le Geôlier de soi-même (Calderon).

7 — L’Aimée est la fille du meurtrier du père de celui qui aime : — Le Crime de Jean Morel (M. Samson, 1890), la Marchande de sourires (Mme Judith Gautier, 1888).

L’élément capital des émotions est donc le même que dans la Ve (Traqué), et l’amour sert, ici, surtout à présenter l’homme traqué sous divers jours sympathiques ayant une unité. Celle qu’il aime joue un peu le rôle du chœur grec. Supprimez en effet l’amour, remplacez-le par un lien aussi faible que vous en pourrez tisser un, ne mettez même rien à sa place : un drame de l’espèce Ve, avec toutes ses terreurs, vous restera. Essayez, au contraire, de retrancher l’autre partie, l’inimitié, la vengeance à assouvir, et de les remplacer par un différend sans importance, — ou bien négligez de les remplacer ; que vous restera-t-il comme émotion tragique ? Rien.

J’ai donc raison de le dire, l’amour, — excellent motif de comédie, meilleur pour la farce, — doux ou poignant (et encore !…) dans le livre lu, solitairement, et dont on se croit le « héros » ou l’« héroïne », — l’amour n’est pas, en réalité, tragique, malgré la virtuosité qui a réussi, parfois, à lui en donner l’apparence, et malgré l’opinion de l’époque érotomane qui s’achève.

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