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Les trente-six situations dramatiques

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XXXIIe SITUATION
Jalousie erronée

(Le Jaloux — l’Objet pour la possession duquel il est jaloux — le Complice supposé — l’Occasion ou l’Auteur de l’erreur)

Ce dernier élément n’est pas personnifié (A), ou il l’est dans un traître (B), qui parfois est le vrai rival du jaloux (C).

A 1 — L’erreur provient de l’esprit soupçonneux du jaloux : — Le pire n’est pas toujours certain de Calderon, la Comédie des Méprises de Shakespeare, l’Esclave de Massinger, Marianne et Tancrède de Voltaire, la Princesse de Bagdad (M. Dumas), Un Divorce (M. Moreau, 1884). Comment Molière n’a-t-il pas fait une comédie du Jaloux sur cette donnée symétrique à celle de l’Avare ?

2 — L’Erreur jalouse est produite par un hasard fatal : — Zaïre de Voltaire et l’opéra de ce nom par M. de la Nux (1890) ; partie de Lucrèce Borgia.

3 — Jalousie erronée devant un cas d’amour demeuré purement platonique : — Le Sacrifice d’amour de Ford (où l’épouse est injustement soupçonnée) ; l’Esclave du devoir (M. Valnay, 1881 ; c’est surtout, ici, l’adorateur respectueux qui est soupçonné à tort).

4 — Jalousie née à tort de rumeurs malveillantes : — Le Père prodigue de M. Dumas, le Maître de forges (M. Ohnet, 1883).

B 1 — Jalousie Suggérée par un traître qu’a poussé la haine : — Othello et Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare ; la Sémiramis reconnue de Métastase en est le dénouement développé.

2 — Même cas, où le traître est poussé par l’intérêt : — Cymbeline de Shakespeare.

3 — Même cas, où le traître est poussé par l’intérêt et la jalousie : — Intrigue et Amour de Schiller.

C 1 — Jalousie réciproque suggérée à deux époux par une rivale (devenue rivale par orgueil) : — Le Portrait de Massinger.

2 — Jalousie suggérée au mari par un soupirant éconduit : — Artémire de Voltaire, le Chevalier Jean (M. Joncières, 1885).

3 — Jalousie suggérée au mari par une femme qui en est éprise : — Malheur aux pauvres (M. Bouvier, 1881).

4 — Jalousie suggérée à l’épouse par une rivale dédaignée : — Les Phtiotides de Sophocle.

5 — Jalousie suggérée à un amant heureux par le mari trompé : — Jalousie (M. Vacquerie, 1888).

Le nombre d’éléments dramatiques mis en jeu fait déjà prévoir une quantité très grande de combinaisons pour cette situation, — dont le public est toujours disposé, du reste, à accepter les invraisemblances, fussent-elles énormes. Sans abuser de cette indulgence particulière, nous remarquons, du premier coup d’œil, que presque tous les drames ci-dessus traitent de la jalousie chez l’homme et non chez la femme ; or l’expérience nous montre les femmes tout aussi enclines que les hommes à se laisser égarer par une envieuse, une rivale, ou par quelque soupirant décidé à tirer, de leur douleur, un plaisir hors de sa portée sans cela. Traduire au féminin les cas que nous vîmes nous donnera donc une nombreuse série de données nouvelles. — En dehors de l’orgueil, de l’intérêt, de l’amour, du dépit et des rivalités, il se présente beaucoup d’autres mobiles pour le traître ou la traîtresse ; les mobiles énoncés aussi peuvent se peindre sous des nuances non encore usitées. — Le dénouement (en général un meurtre rapide et direct ; dans un seul cas, un suicide, et, dans un autre, un divorce) prête à être varié, raffiné, et fortifié de personnages secondaires et instrumentaux. J’en dirai autant pour les divers nœuds de l’intrigue, — pour ces fausses preuves, ces suggestions diaboliques d’où jaillira la jalousie.

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