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Une bibliothèque: L'art d'acheter les livres, de les classer, de les conserver et de s'en servir

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CHAPITRE IV
L'IMPRESSION

Méfiez-vous des livres imprimés en caractères trop fins.—Le point d'imprimerie.—Caractères: romain, elzevier, italique. Caractères de fantaisie: allongée, alsacienne, antique, classique, etc.—Casse.—Police des lettres.—Encre d'imprimerie.—Tirage: empreintes et clichés.—Plus de correcteurs.—Millésime.—Foliotage.—Inconvénient des lignes trop longues.—Encore une fois: «Gare à vos yeux!»

A propos de l'impression, nous adresserons tout d'abord et encore une fois aux lecteurs la recommandation que nous leur avons faite en parlant des papiers: «Ménagez vos yeux!»

Donc, à part les dictionnaires et ouvrages de référence, à part les sommaires, les notes, index, tableaux, etc., où l'on est bien obligé de réduire et serrer le texte, pas de livres imprimés en caractères trop fins, et, pour préciser, en caractères inférieurs au «corps huit». On sait que les caractères d'imprimerie,—qui sont composés de plomb et d'antimoine ou régule (environ 4 de plomb pour 1 d'antimoine),—se mesurent et se classent par points, quel que soit d'ailleurs leur genre, qu'ils appartiennent au romain, à l'elzevier ou à l'italique. Nous allons voir dans un instant ce que signifient ces noms. Le point[207], unité typographique, équivaut à un peu moins de quatre dixièmes de millimètre (0mm,38). Pratiquement, le «corps un», c'est-à-dire le type de caractères qui aurait cette microscopique hauteur, ne se fabrique pas; et les «corps» ne commencent guère à exister et s'employer qu'à partir du «quatre» ou du «cinq». Le corps huit a une hauteur d'un peu plus de trois millimètres (0mm,38 × 8), en mesurant non pas l'œil ou sommet des lettres basses (a, c, e, i, m, n…), mais celui des lettres longues (b, d, f, g, h…). L'œil d'une lettre est, en d'autres termes, la partie saillante qui forme l'impression de cette lettre. Le corps ou la force de corps est la hauteur totale de la lettre, dans le sens vertical de l'œil. Le même corps peut avoir et a ordinairement plusieurs variétés d'œil, et un caractère est gros œil ou petit œil, suivant les dimensions plus ou moins grandes données à la lettre ou au signe en relief, au détriment du talus: on appelle ainsi la partie inclinée du sommet de la tige des caractères, qui se trouve d'un seul côté de l'œil dans les lettres longues ou accentuées, et des deux côtés dans les lettres courtes. L'approche est le «talus doublement latéral qui sert à isoler la lettre de ses voisines: c'est la distance horizontale que les lettres ont entre elles dans les mots[208]». Le cran est une petite entaille faite au corps de la lettre, à peu de distance de la base, et qui sert à indiquer au compositeur dans quel sens il doit placer cette lettre dans le composteur: il faut que le cran se trouve toujours en dessous.

Il y a des lettres longues hautes: b, d, f, h, k, l, t, et des lettres longues basses: g, j, p, q, y; dans les unes comme dans les autres, le trait ou la boucle qui dépasse l'œil se nomme queue. Les pleins sont les traits verticaux des lettres; ils sont plus fortement appuyés, plus «pleins» que les traits horizontaux ou contournés, qui, à cause même de leur minceur et de leur finesse, ont reçu le nom de déliés. Le petit trait placé au sommet des lettres b, d, h, i, j, k… se nomme obit, et celui ou ceux qui se trouvent au bas des lettres f, h, i, k, l, m, n, p… s'appellent empattements[209].

La lettre double ff, les lettres fi, fl, ffi et ffl, présentent cette particularité, qu'elles sont fondues ensemble, de façon à ne former qu'un caractère. Voici pourquoi. Si la lettre f, distincte et séparée, était placée devant une autre f, devant un i ou devant une l, sa bouclette supérieure, rencontrant le haut de l'f voisine, le point de l'i ou le sommet de l'l, le presserait, et, par cette pression latérale, amènerait aisément la rupture d'une de ces deux parties supérieures en contact, sinon même des deux. On obvie à ce danger en fusionnant les deux lettres.

Selon leurs points, leur force de corps, les caractères portaient anciennement des noms spéciaux, à peu près tombés aujourd'hui en désuétude, mais qu'il n'est cependant pas inutile de connaître. En voici la liste[210]:

FORCE EN POINTS
ou
FORCE DE CORPS
ANCIENS NOMS
3 points Diamant ou sanspareille.
4 Perle.
4 points 1/2 Sédanaise.
5 points Parisienne.
6 Nonpareille.
7 Mignonne.
7 points 1/2 Petit-texte.
8 points Gaillarde.
9 Petit-romain.
10 Philosophie.
11 Cicéro.
12 ou 13 points Saint-augustin.
14 points Gros-texte.
15 ou 16 points Gros-romain.
18 ou 20 Petit-parangon.
21 ou 22 Gros-parangon.
24 points Palestine.
26 ou 28 points Petit-canon.
36 points Trismégiste.
40 ou 44 points Gros-canon.
48 ou 56 Double-canon.
72 points Triple-canon.
96 Grosse-nonpareille.
100 Moyenne de fonte.
138 Grosse-sanspareille.
*
*    *

Le caractère d'imprimerie le plus fréquemment usité est le caractère romain. Chaque imprimerie presque possède son type de lettres romaines, et les différences entre les types de même corps appartenant à des imprimeries différentes sont, en général, minimes: les uns sont d'un œil un peu plus étroit; les autres, plus large; ceux-ci ont leurs pleins plus gros; ceux-là, plus maigres; etc. On a ainsi, d'après ces légères variations, du romain Didot[211], du romain Raçon, du romain Lahure, Manie, etc. Pour peu qu'on soit au courant des choses de librairie et de typographie, on reconnaît assez promptement ces types respectifs, et il suffit souvent d'ouvrir un livre nouveau pour dire de quelle imprimerie il sort[212].

L'elzevier, type de caractères provenant du graveur français Claude Garamond, et employé au XVIIe siècle par les célèbres imprimeurs de Leyde qui lui ont donné leur nom[213], a généralement ses pleins moins accentués et ses traits plus uniformes que ceux du romain, et il présente une apparence un peu grêle, la boucle de l'e notamment est plus étroite dans l'elzevier que dans le romain (e, e). Beaucoup de nos livres modernes, tels que des recueils de poésies, des études d'histoire littéraire, etc., sont encore imprimés en elzevier. C'était le caractère de prédilection de l'éditeur Jouaust, qui avait, dans ses dernières années, créé un caractère mixte, où les défauts de l'elzevier étaient compensés par les qualités du romain Didot, et réciproquement. Toujours d'une façon générale, ces défauts et ces qualités consistent principalement en ceci, que, dans l'elzevier, les déliés, ayant presque la même force que les pleins, sont plus résistants, s'usent moins vite et risquent moins de se casser. Le romain a pour lui, tout au moins aux yeux de certains amateurs et bibliophiles, de paraître plus élégant, de présenter meilleur aspect, à cause même de la différence mieux accusée, de l'opposition, existant entre ses pleins et ses déliés.

On appelle italique le caractère penché de droite à gauche. Originairement, ce caractère portait le nom tantôt de lettres vénitiennes, parce que les premiers poinçons en ont été fabriqués à Venise, tantôt de lettres aldines, parce que Alde Manuce, comme nous l'avons dit[214], s'en est servi le premier, en 1512. De nos jours, on imprime rarement un volume entier en italique; mais on emploie assez souvent ce caractère penché pour la dédicace ou la préface d'un volume dont le texte est en impression droite, c'est-à-dire en romain ou en elzevier. On se sert spécialement de l'italique dans les impressions droites pour les mots ou les phrases sur lesquels on veut appeler l'attention, pour l'indication des titres de livres, de journaux, etc.


Voici quelques spécimens de types de lettres majuscules et minuscules de différents points, en romain[215], en elzevier et en italique:

6 points
(nonpareille).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
7 points
(mignonne).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
8 points
(gaillarde).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
9 points
(petit-romain).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
10 points
(philosophie).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
11 points
(cicero).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
12 ou 13 points
(saint-augustin).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
14 points
(gros texte).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
15 ou 16 points
(gros-romain).
ROMAIN, romain.
ELZEVIER, elzevier.
ITALIQUE, italique.
Etc., etc.

Outre le romain, l'elzevier et l'italique, il existe des caractères, dits de fantaisie, qui sont très nombreux. Les principaux sont: l'allongée ou capillaire, l'alsacienne ou écrasée, l'antique, la classique, l'égyptienne, l'italienne, la latine, la normande, les lettres jensoniennes[216], les lettres blanches, c'est-à-dire évidées complètement, les lettres blanches ombrées, dont certains contours sont plus accentués ou garnis de hachures; les lettres maigres, les lettres bouclées, les lettres grises (grandes lettres ornées[217]), etc. Mentionnons encore l'anglaise, la ronde, la bâtarde, la gothique, la coulée, caractère penché de droite à gauche, dont les lettres sont unies entre elles par leurs déliés; la cursive, dont le premier type, gravé en 1556 par Nicolas Granjon, fut connu sous le nom de civilité, du titre du livre Civilité puérile et honnête, qu'il servit à imprimer[218]; les lettres tourneures ou tournures, ainsi nommées d'après leur forme arrondie, tournante, qui étaient utilisées comme initiales de chapitre dans les anciens manuscrits[219], et offrent beaucoup de ressemblance avec cette autre espèce de majuscules arrondies, aussi fréquemment usitée dans les manuscrits, appelée onciale[220].

Voici des spécimens de ces diverses lettres majuscules et minuscules:

ALLONGÉE, allongée.
ALSACIENNE, alsacienne.
ANTIQUE, antique.
ANTIQUE ALLONGÉE.
ANTIQUE GRASSE.
CLASSIQUE, classique.
ÉGYPTIENNE, égyptienne.
ÉGYPTIENNE ITALIQUE, égypt. italique.
ITALIENNE, italienne.
LATINE.
NORMANDE, normande.
JENSONIENNES, jensoniennes.
BLANCHES.
LETTRES BLANCHES OMBRÉES
MAIGRETTES, maigrettes.
LETTRES BOUCLÉES MAIGRES.

Anglaise.
Ronde. Bâtarde. Gothique. Civilité.

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*    *

Toutes les lettres, signes, chiffres et séparations typographiques (espaces, cadrats, etc.) sont rangés dans une grande boîte sans couvercle, nommée casse, placée à hauteur d'appui et sur un plan légèrement incliné. La casse est partagée en deux grandes divisions, deux grands morceaux: bas de casse et haut de casse. Dans le bas de casse, qui est la partie la plus rapprochée de l'ouvrier compositeur, se trouvent, dans une quantité de petits compartiments ou cassetins[221], les types de lettres et de signes de l'usage le plus fréquent, les minuscules, par exemple, d'où leur nom typographique de bas de casse. Le haut de casse contient les lettres et signes employés moins souvent, comme les grandes majuscules ou grandes capitales, les petites majuscules ou petites capitales, les lettres supérieures (placées, dans les abréviations, à la droite supérieure de la lettre initiale, ordinairement majuscule: No, Mme; Mlles, etc.), les guillemets, parenthèses, etc.[222]

On appelle police d'un caractère «l'assortiment des différentes sortes dont il est composé: lettres, capitales, points, virgules, etc.» (Littré), ou, en d'autres termes, le rapport des lettres et signes typographiques entre eux dans la composition d'une langue. L'italien, par exemple, emploie bien plus d'a que de b; presque à chaque mot l'a reparaît dans cette langue: l'ouvrier typographe, le typo, chargé de composer l'italien, devra donc avoir devant lui, dans sa casse, bien plus d'a que de b. En français, cette proportion ou police est, pour 100 000 lettres, de:

BAS DE CASSE GRANDES CAPITALES CHIFFRES
5000 a 300 A 300 1
1000 b 150 B 200 2
2500 c 260 C 200 3
100 ç 25 Ç 200 4
3000 d 250 D 200 5
11000 e 450 E 200 6
etc. etc. etc.[223]

Disons enfin que l'encre d'imprimerie se compose de noir de fumée et d'huile de lin cuite, intimement mélangés par le broyage. On employait jadis l'huile de noix: elle est plus siccative et meilleure que l'huile de lin, mais coûte plus cher. Selon qu'elle est destinée aux journaux, aux labeurs,—c'est-à-dire aux ouvrages de longue haleine, comme l'impression d'un livre, «susceptibles d'occuper plusieurs ouvriers pendant un certain temps[224]», et «nécessitant l'emploi d'une certaine quantité de caractères de la même espèce[225]»,—ou encore aux tirages de vignettes, l'encre typographique subit diverses modifications de fabrication et est plus ou moins fine.

La première usine pour la fabrication industrielle de l'encre d'imprimerie a été fondée en 1818 par Lorilleux père; jusque-là, les imprimeurs avaient coutume de faire eux-mêmes leur encre[226], et il faut avouer qu'il semble en être des anciennes encres comme des anciens papiers: celles d'autrefois valaient généralement mieux que celles d'aujourd'hui. «L'encre des premières impressions du XVe siècle, écrit un bibliographe des plus experts en ces questions, Ambroise-Firmin Didot[227], nous offre toutes les qualités désirables: elles est noire, luisante, et quatre siècles écoulés ont prouvé qu'elle avait conservé jusqu'à ce jour ses qualités primitives.» Après un court intervalle de décadence, l'ancienne encre reprend sa supériorité: «celle que fabriquaient eux-mêmes les Alde, les Estienne, les Elzevier, les Plantin, les Ibarra, les Bodoni, et tous les imprimeurs jaloux de leur renommée typographique, a conservé jusqu'à nos jours, répète le même compétent érudit, toutes ses qualités primitives[228]».

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*    *

L'imprimerie, cette invention qui, selon le mot de Louis XII, «semble plus divine qu'humaine[229]», diffère à peu près autant actuellement de l'imprimerie d'autrefois que les nouveaux modes de fabrication du papier diffèrent des anciens.

Aujourd'hui, afin de ne pas fatiguer et écraser les caractères, on ne tire plus sur la composition que les ouvrages dont le chiffre de tirage ne doit pas dépasser quatre ou cinq mille exemplaires. Lorsque ce chiffre est plus élevé, on prend, au moyen d'une pâte spéciale[230], composée de colle de pâte, de blanc d'Espagne et de papier, et appelée flan, les empreintes de cette composition, puis on cliche ces empreintes, c'est-à-dire qu'on y coule un mélange de plomb et d'antimoine, qui donne, en se refroidissant, un bloc présentant le même relief que les lettres mêmes, et c'est sur ces blocs, sur ces clichés, que l'impression, le tirage, s'effectue[231]. On peut tirer sur ces clichés environ dix à quinze mille exemplaires. Lorsque le tirage doit dépasser ce dernier chiffre, on a recours à la galvanoplastie; on obtient, au moyen du courant électrique, des clichés en cuivre d'une résistance bien plus grande, et avec lesquels on peut tirer un nombre d'exemplaires bien plus considérable.

Par suite de l'usure des clichés, il advient très fréquemment que des mots ou des lignes entières, principalement les premiers ou les derniers mots des lignes, les premières ou les dernières lignes des pages, manquent, ne sortent plus sur les feuilles que l'on tire. Vous ferez donc bien, lorsque vous achetez un exemplaire d'un ouvrage moderne,—particulièrement si cet ouvrage a atteint un chiffre élevé d'éditions, et si cet exemplaire appartient à un des derniers tirages,—d'en vérifier les bas de pages et les extrémités de lignes, afin de vous assurer que le texte est complet.

La nécessité absolue de produire avant tout du bon marché fait que, de l'avis de tous les gens compétents, la librairie n'a jamais été aussi «vilaine[232]» qu'aujourd'hui. Et cela non pas par la faute seule des imprimeurs ou éditeurs, mais par celle du public surtout, pour qui le plus bas prix est l'argument décisif, l'unique et suprême cause déterminante du choix[233].

Jadis, non seulement chaque imprimerie, mais chaque maison d'édition avait son correcteur,—un employé instruit et expérimenté, chargé de relire les épreuves[234]. Ce n'était pas là une besogne superflue, les auteurs en général et les débutants en particulier n'étant pas initiés aux innombrables détails de la composition et de la correction typographiques[235].

Nombre d'éditeurs se passent aujourd'hui de cet employé et réalisent ainsi une économie sensible: si les imprimeurs conservent encore leurs correcteurs, c'est qu'ils ne peuvent guère faire autrement[236]; mais ce n'est pas l'envie qui doit manquer à beaucoup d'entre eux d'économiser aussi de ce côté, et les correcteurs d'imprimerie sont généralement surchargés de travail et contraints par suite de mal travailler. «La correction, il n'en faut plus parler, écrit Jules Richard[237]. Sauf en quelques ateliers qui se respectent, on ne se donne ni la peine de relire, ni celle de corriger. La faute typographique est si multipliée qu'on ne veut plus d'erratum. Il ferait, par son ampleur, concurrence au dernier chapitre. C'est là un mal récent et auquel il serait utile de couper court.»

Où est le temps où les Estienne, si célèbres à la fois comme érudits et comme typographes, étaient si jaloux de la pureté des éditions qui sortaient de leurs presses, que l'un d'eux, Robert Estienne (1503-1559), après avoir lu, relu, relu à satiété ses épreuves, les affichait à sa porte et donnait une récompense, «cinq sols», pour chaque faute qu'on lui indiquait[238]! Chez ce savant philologue et maître imprimeur, «la correction, comme l'explique Michelet[239], se faisait par un décemvirat d'hommes de lettres de toutes nations et la plupart illustres. L'un d'eux fut le Grec Lascaris; un autre Rhenanus, l'historien de l'Allemagne; l'Aquitain Rauconet, depuis président du parlement de Paris; Musurus, que Léon X fit archevêque, etc.»

Aujourd'hui, nombre d'éditeurs ont pris l'habitude de ne plus indiquer le millésime (c'est-à-dire l'année de la publication) sur le titre du volume. C'est afin de ne pas démoder l'ouvrage: de cette façon, un Guide dans Paris, paru en 1890, peut encore être vendu comme neuf en 1900, et vingt, trente et quarante ans plus tard. Mais on devine l'embarras du lecteur lorsqu'il se trouve en présence de phrases contenant un adverbe de temps ou une allusion à la date de la publication dudit ouvrage: «On voit aujourd'hui telle chose à tel endroit…» Quand, aujourd'hui? «Il y a un demi-siècle la mode ne permettait pas…» De quelle année le faire partir, ce demi-siècle?

Les folios (numéros des pages) se placent au sommet de la page, soit au milieu de ce sommet, si l'ouvrage ne comporte pas de titre courant[240], soit, s'il en comporte un, à gauche ou à droite de ce titre: à gauche, pour les pages paires; à droite, pour les impaires.

Folioter un livre au bas des pages est une détestable méthode, qui déroute l'œil, entrave les recherches et ne peut s'expliquer que par la manie de vouloir faire moins bien pour faire autrement. Quand vous feuilletez un livre dans le sens ordinaire, c'est-à-dire en rejetant les pages de droite sur les pages de gauche, c'est principalement sur les angles, angle inférieur ou angle supérieur de droite, que repose votre main. Si vous vous servez de la main droite, tous vos doigts,—sauf le pouce, lorsque vous agissez sur l'angle supérieur,—restent en dehors de la page, appuyés sur la tranche, et ils ne cachent, par conséquent, aucune ligne du texte. Il n'en est plus de même si c'est votre main gauche qui opère, et c'est surtout sur l'angle inférieur de la page qu'il lui est commode de se poser pour effectuer son mouvement: dans ce cas, les doigts de cette main masquent l'extrémité des dernières lignes, et, à plus forte raison, ce qui est au-dessous d'elles, ce chiffre que vous cherchez et que votre œil est d'ailleurs accoutumé à trouver au sommet de la page. Il est donc, de toute évidence, bien préférable de laisser les folios à leur ancienne place, à ce sommet, et il ne faut pas plus les mettre au bas de la page que sur les côtés. Bientôt sans doute nous verrons des éditeurs, encore plus ingénieux et plus avides de se distinguer, commencer un dictionnaire par la lettre F ou G, au lieu de la lettre A, qu'il est bien temps de détrôner; imprimer une page dans un sens et la suivante dans le sens contraire; etc.: lorsqu'on est en si beau chemin, pourquoi s'arrêter?

Il serait bon, afin aussi de faciliter les recherches et d'aider le plus possible les lecteurs et travailleurs, de numéroter toutes les pages, les belles pages,—c'est-à-dire les pages impaires, les pages de droite ou recto, débutant par un titre de chapitre,—comme les autres. Je n'ignore pas que MM. les typographes estiment que ce foliotage intégral serait tout à fait disgracieux sur les belles pages et jurerait à l'œil. C'est possible[241]. Mais il y a une chose bien plus désagréable encore, bien autrement incommode et fâcheuse, pour ne pas dire absurde, c'est de voir des volumes entiers (composés de chapitres n'ayant que quelques lignes, ou de menues pièces de vers, de quatrains, de sonnets, etc., commençant et finissant tous en belle page, et dont le verso est, par conséquent, une page blanche ou fausse page), ne possédant pas un seul folio, sans pagination du commencement jusqu'à la fin. Allez donc faire une recherche et vous retrouver dans ce labyrinthe!

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De même que nous vous exhortons de toutes nos forces, et cela dans l'intérêt de vos yeux, à fuir les livres à impressions microscopiques, nous vous engageons, pour le même motif, à éviter les longues lignes, les lignes interminables de certaines publications.

Plus une ligne est longue, plus, pour que la lecture en soit facile et ne fatigue pas les yeux, le caractère doit être fort et l'interlignage large. Ouvrez le tome premier du Dictionnaire de Littré et voyez la «Préface»: les lignes ont 0m,185 de long et occupent toute la largeur de la page; mais le caractère est gros et suffisamment espacé: c'est du corps XIV (romain Didot), interligné à quatre points; aussi ces lignes se détachent-elles bien et se lisent-elles aisément. Voyez plus loin le «Complément de la préface»: le caractère est plus petit, c'est du corps X (romain Didot); mais la page est divisée en deux colonnes, les lignes n'ont plus, comme longueur, que la moitié des précédentes, moins de la moitié même (0m,089), ce qui a permis de leur donner moins d'intervalle que tout à l'heure, de ne les interligner qu'à deux points, et ce qui permet également de les lire sans difficulté. Il n'en serait plus de même si, avec ce caractère corps X ou un plus petit, nous avions la ligne de tout à l'heure, une ligne de 0m,185 de long; plus d'un lecteur aurait l'œil troublé, verrait ces lignes chevaucher et se confondre, les lettres danser et papilloter.

«Gare à vos yeux!» C'est le cri d'alarme lancé jadis par Francisque Sarcey, un passionné liseur et travailleur, dans une intéressante plaquette, qu'il a fait exprès imprimer, dit-il, «en gros caractère et sur du papier teinté pour soulager vos pauvres yeux[242]».

C'est le conseil et la suprême recommandation de tous les amoureux du livre, de tous les chercheurs et fureteurs, tous les curieux et érudits.

Ayez bien soin de vos yeux! Vous ne sauriez avoir pour eux trop d'égards, prendre pour eux trop de précautions. Ce sont les premiers et les plus indispensables de vos instruments.

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