Voyage à l'Ile-de-France (1/2)

LETTRE VII.
DU SOL ET DES PRODUCTIONS NATURELLES DE L'ILE-DE-FRANCE. HERBES ET ARBRISSEAUX.

Tout ici diffère de l'Europe, jusqu'à l'herbe du pays. A commencer par le sol, il est presque partout d'une couleur rougeâtre. Il est mêlé de mine de fer qui se trouve souvent à la surface de la terre en forme de grains de la grosseur d'un pois. Dans les sécheresses, la terre est extrêmement dure, surtout aux environs de la ville. Elle ressemble à de la glaise, et pour y faire des tranchées, je l'ai vu couper, comme du plomb, avec des haches. Lorsqu'il pleut, elle devient gluante et tenace. Cependant, jusqu'ici, on n'a pu parvenir à en faire de bonnes briques.

Il n'y a point de véritable sable. Celui qu'on trouve sur le bord de la mer, est formé des débris de madrépores et de coquilles. Il se calcine au feu.

La terre est couverte partout de rochers depuis la grosseur du poing jusqu'à celle d'un tonneau. Ils sont remplis de trous au fond desquels on remarque un enfoncement de la forme d'une lentille. Beaucoup de ces rochers sont formés de couches concentriques en forme de rognons. On en trouve de grandes masses réunies ensemble. D'autres sont brisés, et paraissent s'être rejoints. L'île est, en quelque sorte, pavée de ces rochers. Les montagnes en sont formées par grands bancs dont les couches sont obliques à l'horizon, quoique parallèles entre elles. Elles sont de couleur gris-de-fer, se vitrifient au feu, et contiennent beaucoup de mine de fer. J'ai vu à la fonte sortir de quelques éclats, des grains d'un très-beau cuivre, du plomb, mais en fort petite quantité. C'était à un feu de forge. Les essais de ce genre ne sont pas encourageans : le minéral paraît trop divisé. Dans les fragmens de ces pierres on trouve de petites cavités cristallisées, dont quelques-unes renferment un duvet blanc et très-fin.

Je connais trois espèces d'herbes, ou gramen, naturelles au pays.

Le long du rivage de la mer, on trouve une espèce de gazon croissant par couches épaisses et élastiques. Sa feuille est très-fine, et si pointue qu'elle pique à travers les habits ; les bestiaux n'en veulent point.

Dans la partie la plus chaude de l'île, les pâturages sont formés d'une espèce de chiendent qui trace beaucoup, et pousse de petits rameaux de ses articulations. Cette herbe est fort dure ; elle plaît assez aux bœufs, quand elle n'est pas sèche.

La meilleure herbe vient dans les endroits frais et au vent de l'île. C'est un gramen à larges feuilles, qui est vert et tendre toute l'année.

Les autres espèces d'herbes et d'arbrisseaux connus, sont :

Une herbe qui donne pour fruit une gousse remplie d'une espèce de soie dont on pourrait tirer parti.

Une espèce d'asperge épineuse qui s'élève à plus de douze pieds, en s'accrochant aux arbres à la manière des ronces. On ignore si elle est bonne à manger.

Une espèce de mauve à petites feuilles. Elle croît dans les cours, et le long des chemins. On y trouve aussi une espèce de petit chardon à fleurs jaunes, dont les graines font mourir la volaille.

Une plante semblable au lis, qui porte de longues feuilles. Elle croît dans les marais, et porte une fleur odorante.

Sur les murs et au bord des chemins, on trouve des touffes d'une plante dont la fleur est semblable à celle de la giroflée rouge simple. Son odeur est mauvaise. Elle a cela de singulier qu'il ne fleurit à chaque branche qu'une fleur à la fois.

Au bas des montagnes voisines de la ville, croît un basilic vivace, dont l'odeur tient de celle du girofle. Sa tige est ligneuse. C'est un bon vulnéraire.

Les raquettes, dont on fait des baies très-dangereuses, portent une fleur jaune marbrée de rouge. Cette plante est hérissée d'épines fort aiguës, qui croissent sur les feuilles et les fruits. Ces feuilles sont épaisses ; on ne fait point usage des fruits, dont le goût est acide.

Le veloutier croît sur le sable, le long de la mer. Ses branches sont garnies d'un duvet semblable au velours ; ses feuilles sont semées de poils brillans ; il porte des grappes de fleurs. Cet arbrisseau exhale dans l'éloignement une odeur agréable, qui se perd lorsqu'on en approche, et de très-près est rebutante.

Il y a une espèce de plante, moitié ronce, moitié arbrisseau, qui produit, dans des coques hérissées de pointes, une sorte de noix fort lisse et fort dure, de couleur gris-de-perle, et de la grosseur d'une balle de fusil. Son amande est fort amère ; les noirs s'en servent contre les maladies vénériennes.

Il croît en quantité, dans les défrichés, une espèce d'arbrisseau à grandes feuilles de la forme d'un cœur. Son odeur est assez douce, et tient de celle du baume, dont il porte le nom. Je ne le connais propre à aucun usage ; on l'emploie cependant dans les bains.

Une autre plante, au moins aussi inutile, est la fausse patate, qui serpente le long de la mer. Elle trace comme le liseron ; ses fleurs sont rouges et en cloche ; elle se plaît sur le sable.

Sur les lisières des bois, on trouve une herbe ligneuse appelée herbe à panier. On a essayé d'en faire du fil et de la toile, qui ne sont pas mauvais. Ses feuilles sont petites ; prises en tisane, elles sont bonnes pour la poitrine.

Il y a une grande variété de plantes comprises sous le nom de lianes, dont quelques-unes sont de la grosseur de la cuisse. Elles s'attachent aux arbres, dont les troncs ressemblent à des mâts garnis de cordages ; elles les soutiennent contre la violence des ouragans. J'ai vu plus d'une preuve de leur force. Lorsqu'on fait des abatis dans les bois, on tranche environ deux cents arbres par le pied ; ils restent debout jusqu'à ce que les lianes qui les attachent soient coupées : alors une partie de la forêt tombe à la fois en faisant un fracas épouvantable. J'ai vu des cordes faites de leur écorce plus fortes que celles de chanvre.

Il y a plusieurs arbrisseaux dont les feuilles ressemblent à celles du buis.

Un arbrisseau spongieux et épineux, dont la fleur est d'un rouge foncé et en houppe déchiquetée. Sa feuille est large et ronde. Les pêcheurs se servent de sa tige, qui est fort légère, au lieu de liége.

Un autre arbrisseau assez joli, appelé bois de demoiselle. Sa feuille est découpée comme celle du frêne, et ses branches sont garnies de petites graines rouges.

Avant d'aller plus loin, observez que je ne connais rien en botanique. Je vous décris les choses comme je les vois ; et si vous vous en rapportez à mon sentiment, je vous dirai que tout ici me paraît bien inférieur à nos productions de l'Europe.

Il n'y a pas une fleur dans les prairies[1], qui d'ailleurs sont parsemées de pierres, et remplies d'une herbe aussi dure que le chanvre. Nulle plante à fleur dont l'odeur soit agréable. De tous les arbrisseaux, aucun qui vaille notre épine blanche. Les lianes n'ont point l'agrément du chèvre-feuille ni du lierre. Point de violette le long des bois. Quant aux arbres, ce sont de grands troncs blanchâtres et nus avec un petit bouquet de feuilles d'un vert triste. Je vous les décrirai dans ma première lettre.

[1] Voyez, à la fin de la seconde partie, les Entretiens sur la végétation.

Au Port-Louis de l'Ile-de-France, ce 15 septembre 1768.

Chargement...

Chargement de la publicité...
11/26