← Retour

Voyage à l'Ile-de-France (1/2)

16px
100%

LETTRE V.
OBSERVATIONS NAUTIQUES.

Avant d'entrer dans aucun détail sur l'Ile-de-France, je joindrai à mon journal les observations des marins les plus expérimentés sur la route que nous venons de faire.

Quelque réguliers que soient les vents alizés et généraux, ils sont sujets à varier le long des côtes et aux environs des îles.

Il s'élève une brise ou vent de terre, presque toutes les nuits, le long des grands continens. L'action de ce vent opposé au vent du large amasse les nuages sous la forme d'une longue bande fixe, que les vaisseaux qui abordent aperçoivent presque toujours avant la terre.

Les attérages sont bien souvent orageux, surtout dans le voisinage des îles. Les vents y varient aussi. Aux Canaries, les vents du sud et du sud-ouest soufflent quelquefois huit jours de suite.

On trouve les vents alizés vers le 28e degré de latitude nord ; mais on les perd souvent long-temps avant d'être à la Ligne. Il résulte des observations d'un habile marin, qui a comparé plus de deux cent cinquante journaux de navigation, que les vents alizés cessent,

En janvier, entre le 6e et 4e degré de lat. nord.
En février, entre le 5e et 3e degré.
En mars et avril, entre le 5e et 2e degré.
En mai, entre le 6e et 4e degré.
En juin, au 10e degré.
En juillet, au 12e degré.
En août et septembre, entre le 14e degré et le 13e.
Ils se rapprochent de la Ligne en octobre, novembre et décembre.

Entre les vents alizés et les vents généraux, qui sont les alizés de la partie du sud, on trouve des vents variables et orageux. Les généraux règnent sur une plus grande étendue que les alizés. On fixe leurs limites au 28e degré de latitude sud. Au-delà, les vents sont plus variables que dans les mers de l'Europe ; plus on s'élève en latitude, plus ils sont violens ; ils soufflent pour l'ordinaire du nord au nord-ouest, et du nord-ouest à l'ouest-sud-ouest ; quand ils viennent au sud, le calme succède.

En approchant du cap de Bonne-Espérance, on trouve souvent des vents de sud-est et est-sud-est. C'est une maxime générale de se tenir toujours au vent du lieu où l'on veut arriver ; il faut cependant se garder de tenir le plus près, la dérive est trop grande ; il faut tâcher de couper la Ligne le plus est que l'on peut, autrement on risque de s'affaler sur la côte du Brésil.

Si l'on est forcé de relâcher, on trouvera quelques rafraîchissemens aux îles du Cap-Vert ; les vivres sont chers au Brésil, et l'air y est malsain. On peut pêcher de la tortue à l'île de Tristan-da-Cunha ; on y fait de l'eau très-difficilement, à cause des arbres qui croissent dans la mer. Le cap de Bonne-Espérance est, de toutes les relâches, la meilleure. Il est dangereux d'y mouiller depuis avril jusqu'en septembre ; cependant l'ancrage est sûr à Falsebaye qui n'en est pas loin. Si on manquait l'Ile-de-France, on peut relâcher à Madagascar, au fort Dauphin, à la baie d'Antongil ; mais il y a des maladies épidémiques très-dangereuses, et des coups de vent qui durent depuis octobre jusqu'en mai.

Si c'est au retour, on a Sainte-Hélène, colonie anglaise, et l'Ascension, où l'on ne trouve que de la tortue. En temps de guerre, ces deux îles sont ordinairement des points de croisière, parce que tous les vaisseaux cherchent, à leur retour, à les reconnaître pour assurer leur route ; mais le Cap est en tout temps le point de réunion de tous les vaisseaux.

Les cartes les plus estimées sont celles de M. Daprès ; les marins ont aussi beaucoup d'obligation au savant et modeste abbé de la Caille : mais la géographie est encore bien imparfaite ; la longitude des Canaries et celle des îles du Cap-Vert est mal déterminée ; entre le Cap-Blanc et le Cap-Vert, la carte marque trente-neuf lieues d'enfoncement, quoiqu'il y en ait à peine vingt.

On soupçonne un haut-fonds au sud de la Ligne par les 20 minutes de latitude, et par les 23 degrés 10 minutes de longitude occidentale. Le vaisseau le Silhouette commandé par M. Pintault, et la frégate la Fidèle commandée par M. Lehoux, y éprouvèrent, l'un le 5 février 1764, et l'autre le 3 avril suivant, une forte secousse.

Les courans peuvent jeter dans des erreurs dangereuses. Il me semble qu'on ne pourra recueillir là-dessus aucune connaissance certaine, tant qu'on n'aura aucun moyen sûr d'évaluer la dérive d'un vaisseau ; l'angle même qu'il forme avec son sillage ne pourrait donner rien d'assuré, puisque le vaisseau et sa trace sont emportés par le même mouvement. On ne saurait trop admirer la hardiesse des premiers navigateurs, qui, sans expérience et sans carte, faisaient les mêmes voyages. Aujourd'hui, avec plus de connaissances, on est moins hardi : la navigation est devenue une routine ; on part dans les mêmes temps, on passe aux mêmes endroits, on fait les mêmes manœuvres. Il serait à souhaiter que l'on risquât quelques vaisseaux pour la sûreté des autres.

Il est étrange que nous ne connaissions pas encore notre maison ; cependant nous brûlons tous, en Europe, de remplir l'univers de notre renommée : théologiens, guerriers, gens de lettres, artistes, monarques, mettent là leur suprême félicité.

Commençons donc par rompre les entraves que nous a données la nature. Sans doute nous trouverons quelque langue qui puisse être universelle ; et quand nous aurons bien établi la communication avec tous les peuples de la terre, nous leur ferons lire nos histoires, et ils verront combien nous sommes heureux.

Chargement de la publicité...