Voyage à l'Ile-de-France (1/2)

LETTRE VIII.
ARBRES ET PLANTES AQUATIQUES DE L'ILE-DE-FRANCE.

J'aperçus, il y a quelques jours, un grand arbre au milieu des rochers. Je m'en approchai, et l'ayant voulu entamer avec mon couteau, je fus surpris d'y enfoncer sans effort toute la lame. Sa substance était comme celle d'un navet, d'un goût assez désagréable. J'en goûtai ; quoique je n'en eusse pas avalé, je me sentis pendant quelques heures la gorge enflammée. C'était comme des piqûres d'épingle. Cet arbre s'appelle mapou. Il passe pour un poison.

La plupart des arbres de ce pays tirent leur nom de la fantaisie des habitans.

Le bois de ronde, est un petit bois dur et tortu. Il jette en brûlant une flamme vive. On s'en sert pour faire des flambeaux ; il passe pour incorruptible.

Le bois de cannelle, qui n'est pas le cannellier, est un des plus grands arbres de l'île. Son bois est le meilleur de tous pour la menuiserie. Il ressemble beaucoup au noyer par sa couleur et ses veines. Quand il est nouvellement employé, il a une odeur d'excrément ; elle lui est commune avec la fleur du cannellier. Voilà le seul rapport que j'y trouve. Sa graine est enveloppée d'une peau rouge d'un goût acide et assez agréable.

Le bois de natte, de deux espèces, à grande et à petite feuille. C'est le plus beau bois rouge du pays. On l'emploie en charpente.

Le bois d'olive, dont la feuille a quelque rapport à celle de l'olivier, sert aux constructions.

Le bois de pomme, est un bois rouge d'une médiocre qualité. Je crois que cet arbre produit un fruit appelé pomme de singe, d'une fadeur désagréable.

Le benjoin, parce qu'il joint bien, est le bois le plus liant du pays ; il sert au charronnage. Il devient fort gros ; il ne s'éclate jamais.

Le colophane, qui donne une résine semblable à la colophane, est un des plus grands arbres de l'île.

Le faux tatamaca, sert aussi aux constructions. Il est fort liant. Il devient très-gros. J'en ai vu de quinze pieds de circonférence. Il donne une gomme ou résine comme le tatamaque.

Le bois de lait, ainsi appelé de son suc, qui est laiteux.

Le bois puant, excellent pour la charpente. Il tire son nom de son odeur.

Le bois de fer, dont le tronc semble se confondre avec les racines. Il en sort des espèces de côtes ou ailerons semblables à des planches. Il fait rebrousser le fer des haches.

Le bois de fouge, est une grosse liane dont l'écorce est très-forte. Il donne un suc laiteux, estimé pour la guérison des blessures.

Le figuier, est un très-grand arbre, dont la feuille et le bois ne ressemblent point à notre figuier. Ses figues sont de la même forme, et viennent par grappes au bout des branches. Elles ne sont pas meilleures que les pommes de singe. Son suc est laiteux, et quand il est desséché, il produit la gomme appelée élastique.

Le bois d'ébène, dont l'écorce est blanche, la feuille large et cartonnée, blanche en dessous, et d'un vert sombre en dessus. Il n'y a que le centre de cet arbre de noir, son aubier est blanc. Dans un tronc de six pouces d'équarrissage, il n'y a souvent pas deux pouces de bois d'ébène. Ce bois, fraîchement employé, sent les excrémens humains, et sa fleur a l'odeur du girofle. C'est le contraire dans le cannellier, dont la fleur sent très-mauvais, tandis que l'écorce et le bois exhalent une bonne odeur. L'ébène donne des fruits semblables à des nèfles, remplis d'un suc visqueux, sucré, et d'un goût assez agréable.

Il y a une espèce de bois d'ébène dont le blanc est veiné de noir.

Le citronnier, ne donne de fruit que dans les lieux frais et humides ; ses citrons sont petits et pleins de suc.

L'oranger croît aux mêmes endroits ; ses fruits sont amers ou aigres. Il y a beaucoup de ces arbres aux environs du grand port. Je doute cependant que ces deux espèces soient naturelles à l'île. Quant aux oranges douces, elles sont très-rares dans les jardins.

On trouve, mais rarement, une espèce de bois de sandal. On m'en a donné un morceau ; il est gris-blanc. Son odeur est faible.

Le vacoa, est une espèce de petit palmier dont les feuilles croissent en spirale autour du tronc. Il sert à faire des nattes et des sacs.

Le latanier, est un palmier plus grand : il produit à son sommet des feuilles en forme d'éventail ; on les emploie à couvrir des maisons. Il n'en produit qu'une par an.

Le palmiste, s'élève dans les bois au-dessus de tous les arbres. Il porte à sa tête un bouquet de palmes d'où sort une flèche, qui est la seule chose que ces bois produisent de bon à manger ; encore faut-il abattre l'arbre. Cette tige, à laquelle on donne le nom de chou, est formée de jeunes feuilles roulées les unes sur les autres, fort tendres, et d'un goût agréable.

Le manglier, croît immédiatement dans la mer. Ses branches et ses racines serpentent sur le sable, et s'y entrelacent de telle sorte qu'il est impossible d'y débarquer. Son bois est rouge, et donne une mauvaise teinture.

J'ai remarqué que la plupart de ces bois n'ont que des écorces fort minces, quelques-uns même n'ont que des pellicules ; en quoi ils diffèrent beaucoup de ceux du nord, que la nature a préservés du froid en les couvrant de plusieurs robes. La plupart ont leurs racines à fleur de terre, avec lesquelles ils saisissent les rochers. Ils sont peu élevés, leurs têtes sont peu garnies, ils sont fort pesans ; ce qui, joint aux lianes dont ils sont attachés, les met en état de résister aux ouragans, qui auraient bientôt bouleversé les sapins et les chênes.

Quant à leurs qualités utiles, aucun n'est comparable au chêne pour la durée et la solidité, à l'orme pour le liant, au sapin pour la légèreté du bois et la longueur de la tige, au châtaignier pour l'utilité générale. Ils ont, dans leur feuillage, le désagrément des arbres qui conservent leurs feuilles toute l'année : leurs feuilles sont dures et d'un vert sombre. Leur bois est lourd, cassant, et se pourrit aisément. Ceux qui peuvent servir à la menuiserie, deviennent noirs à l'air, ce qui rend les meubles que l'on en fait d'une teinte désagréable.

On trouve le long des ruisseaux, au milieu des bois, des retraites d'une mélancolie profonde. Les eaux coulent au milieu des rochers, ici en tournoyant en silence, là en se précipitant de leur cime avec un bruit sourd et confus. Les bords de ces ravines sont couverts d'arbres, d'où pendent de grandes touffes de scolopendre, et des bouquets de liane, qui retombent suspendus au bout de leurs cordons. La terre aux environs est toute bossue de grosses roches noires, où se tapissent loin du soleil les mousses et les capillaires. De vieux troncs renversés par le temps, gisent couvert d'agarics monstrueux, ondoyés de différentes couleurs. On y voit des fougères d'une variété infinie : quelques-unes, comme des feuilles détachées de leur tige, serpentent sur la pierre, et tirent leur substance du roc même ; d'autres s'élèvent comme un arbrisseau de mousse, et ressemblent à un panache de soie. L'espèce commune d'Europe y est une fois plus grande. Au lieu de forêts de roseaux, qui bordent si agréablement nos rivages, on ne trouve le long de ces torrens que des songes, qui y croissent en abondance. C'est une espèce de nymphæa dont la feuille fort large est de la forme d'un cœur ; elle flotte sur l'eau sans en être mouillée. Les gouttes de pluie s'y ramassent comme des globules de vif-argent. Sa racine est un oignon d'une nourriture malfaisante : on distingue le blanc et le noir.

Jamais ces lieux sauvages ne furent réjouis par le chant des oiseaux, ou par les amours de quelque animal paisible : quelquefois l'oreille y est blessée par le croassement du perroquet, ou par le cri aigu du singe malfaisant. Malgré le désordre du sol, ces rochers seraient encore habitables, si l'Européen n'y avait pas apporté plus de maux que n'y en a mis la nature.

Au Port-Louis, ce 8 octobre 1768.

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