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Voyage à l'Ile-de-France (1/2)

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LETTRE X.
DES PRODUCTIONS MARITIMES, POISSONS, COQUILLAGES, MADRÉPORES.

Il me reste à vous parler de la mer et de ses productions ; après quoi vous en saurez au moins autant que le premier Portugais qui mit le pied dans l'île. Si je puis y joindre un journal météorologique, vous serez à peu près au fait de tout ce qui regarde le naturel de cette terre. Nous passerons de là aux habitans et au parti qu'ils ont tiré de leur sol, où, comme dans le reste de l'univers, le bien est mêlé de mal. Le bon Plutarque veut qu'on tire de ces contraires une harmonie ; mais les instrumens sont communs, et les bons musiciens sont rares.

On voit souvent des baleines au vent de l'île, surtout dans le mois de septembre, temps de leur accouplement. J'en ai vu plusieurs, pendant cette saison, se tenir perpendiculairement dans l'eau, et venir fort près de la côte. Elles sont plus petites que celles du nord. On ne les pêche point, cependant les noirs n'ignorent pas la manière de les harponner. On prend quelquefois des lamentins. J'ai mangé de sa chair, qui ressemble à du bœuf ; mais je n'ai jamais vu ce poisson.

La vieille, est un poisson noirâtre, assez semblable à la morue pour la forme et pour le goût. Ce poisson est quelquefois empoisonné, ainsi que quelques espèces que je vais décrire. Ceux qui en mangent sont saisis de convulsions. J'ai vu un ouvrier en mourir ; sa peau tombait par écailles. A l'île Rodrigue, qui n'est qu'à cent lieues d'ici, les Anglais, dans la dernière guerre, perdirent, par cet accident, près de quinze cents hommes, et manquèrent par-là leur expédition sur l'Ile-de-France. On croit que les poissons s'empoisonnent en mangeant les branches des madrépores. On peut connaître ceux qui sont empoisonnés à la noirceur de leurs dents ; et si on jette dans le chaudron où on les fait cuire, une pièce d'argent, elle se noircit. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que jamais le poisson n'est malsain au vent de l'île. Ceux qui croient que les madrépores en sont cause, se trompent donc ; car l'île est environnée de banc de corail. J'en attribuerais plutôt la cause au fruit inconnu de quelque arbre vénéneux qui tombe à la mer : ce qui est d'autant plus probable, qu'il n'y a qu'une saison, et que quelques espèces gourmandes, sujettes à ce danger. D'ailleurs cette espèce de ramier, dont la chair donne des convulsions, prouve que le poison est dans l'île même.

Dans le nombre des poissons suspects, sont plusieurs poissons blancs à grande gueule et à grosse tête, comme le capitaine et la carangue. Ces deux sortes sont d'un goût médiocre. On croit que ceux qui ont la gueule pavée, c'est-à-dire, un os raboteux au palais, ne sont point dangereux.

Il y a des requins, mais on n'en mange point.

En général, plus les poissons sont petits, moins ils sont dangereux. Le rouget est beaucoup plus gros, et fort inférieur à celui d'Europe. Il passe pour sain, ainsi que le mulet qui y est fort commun.

On trouve des sardines et des maquereaux d'un goût médiocre, ainsi que tous les poissons de cette mer. Ils diffèrent un peu des nôtres pour la forme.

La poule d'eau, espèce de turbot, est le meilleur de tous. Sa graisse est verte.

Il y a des raies blanches avec une longue queue hérissée d'épines, et d'autres dont la peau et la chair sont noires ; des sabres, ainsi nommés de leur forme ; des lunes, bariolées de différentes couleurs ; des bourses, dont la peau est dessinée comme un réseau ; d'autres poissons semblables aux merlans, colorés de jaune, de rouge et de violet ; des perroquets qui non seulement sont verts, mais qui ont la tête jaune, le bec blanc et courbé, et vont en troupe comme ces oiseaux.

Le poisson armé est petit, et d'une forme très-bizarre. Sa tête est faite comme celle du brochet. Il porte sur son dos sept pointes aussi longues que son corps. La piqûre en est très-venimeuse. Elles sont unies entre elles par une pellicule qui ressemble à une aile de chauve-souris. Il est rayé de bandes brunes et blanches qui commencent à son museau, précisément comme au zèbre du Cap. Le poisson qui est carré comme un coffre, dont il porte le nom, est armé de deux cornes comme un taureau. Il y en a de plusieurs espèces ; il ne devient jamais grand. Le porc-épic est tout hérissé de longs piquans. Le polybe, qui rampe dans les flaques d'eau avec ses sept bras armés de ventouses, change de couleur, vomit l'eau, et tâche de saisir celui qui veut le prendre. Toutes ces espèces, d'une forme si étrange, se trouvent dans les récifs, et ne valent pas grand'chose à manger.

Les poissons de ces mers sont inférieurs pour le goût à ceux d'Europe ; en revanche, ceux d'eau douce sont meilleurs que les nôtres. Ils paraissent de même espèce que ceux de mer. On distingue la lubine, le mulet, et la carpe qui diffère de celle de nos rivières ; le cabot, qui vit dans les torrens, au milieu des rochers, où il s'attache avec une membrane concave et des chevrettes fort grosses et fort délicates. L'anguille est coriace, c'est une espèce de congre. Il y en a de sept à huit pieds de long, de la grosseur de la jambe. Elles se retirent dans les trous des rivières, et dévorent quelquefois ceux qui ont l'imprudence de s'y baigner.

Il y a des homards ou langoustes d'une grandeur prodigieuse. Ils n'ont point de grosses pattes. Ils sont bleus, marbrés de blanc. J'y ai vu une petite espèce de homard d'une forme charmante : il était d'un bleu céleste, et avait deux petites pattes divisées en deux articulations à peu près comme un couteau dont la lame se replierait dans sa rainure : il saisissait sa proie comme s'il était manchot.

Il y a une très-grande variété de crabes. Voici ceux qui m'ont paru les plus remarquables.

Une espèce toute raboteuse de tubercules et de pointes comme un madrépore ; une autre qui porte sur le dos l'empreinte de cinq cachets rouges ; celui qui a au bout de ses serres la forme d'un fer à cheval ; une espèce, couverte de poils, qui n'a point de pinces, et qui s'attache à la carène des vaisseaux ; un crabe marbré de gris, dont la coque, quoique lisse, est fort inégale : on y remarque beaucoup de figures inégales et bizarres, qui cependant sont constamment les mêmes sur chaque crabe ; celui qui a ses yeux au bout de deux longs tuyaux comme des télescopes : quand il ne s'en sert point, il les couche dans des rainures le long de sa coquille ; l'araignée de mer ; un crabe dont les pinces sont rouges, et dont une est beaucoup plus grosse que l'autre ; un petit crabe, dont la coquille est trois fois plus grande que lui : il en est couvert comme d'un grand bouclier ; on ne voit point ses pattes quand il marche.

On trouve en plusieurs endroits, le long du rivage, à quelques pieds sous l'eau, une multitude de gros boudins vivans, roux et noirs. En les tirant de l'eau, ils lancent une glaire blanche et épaisse, qui se change dans le moment en un paquet de fils déliés et glutineux. Je crois cet animal l'ennemi des crabes, parmi lesquels on le rencontre. Sa glaire visqueuse est très-propre à embarrasser leurs pattes, qui d'ailleurs ne sauraient avoir de prise sur son cuir élastique et sur sa forme cylindrique. Les matelots lui donnent un nom fort grossier, qu'on peut rendre en latin par mentula monachi. Les Chinois en font grand cas, et le regardent comme un puissant aphrodisiaque.

Je crois qu'on peut mettre au rang des poissons à coquille, une masse informe, molle et membraneuse, au centre de laquelle se trouve un seul os plat, un peu cambré. Dans cette espèce, l'ordre commun paraît renversé : l'animal est au dehors, et la coquille au dedans.

Il y a plusieurs espèces d'oursins. Ceux que j'ai vus et pêchés sont : un oursin violet à très-longues pointes ; dans l'eau, ses deux yeux brillent comme deux grains de lapis ; j'ai été vivement piqué par un d'eux. Un oursin gris à baguettes rondes cannelées. Un oursin à baguettes obtuses et à pans, marbré de blanc et de violet ; cette espèce est fort belle ; il y en a de gris. L'oursin à cul d'artichaut sans pointe ; il est rare. L'oursin commun à petites pointes ; il ressemble à une châtaigne couverte de sa coque. Ces animaux se trouvent dans les cavités des rochers et des madrépores, où ils se tiennent à couvert du gros temps.

J'entre ici dans une matière fort abondante, où il est difficile de mettre quelque ordre. Celui de d'Argenville ne me plaît point, parce que beaucoup d'espèces ne sont pas à leur place.

Il en est de même de toutes les classes de l'histoire naturelle. Les familles, qui se croisent sans cesse, se confondent dans notre mémoire. Toutes les méthodes étant défectueuses, j'aime mieux en imaginer une pour ce genre, qu'on peut appliquer à tous les autres.

Je mets au centre l'être le plus simple, et de là je tire des rayons sur lesquels je range les êtres qui vont en se composant. Ainsi le lépas, qui n'est qu'un petit entonnoir qui se colle contre les rochers, est le centre de mon ordre sphérique. Sur un des rayons, je mets l'oreille-de-mer, qui forme déjà un bourrelet sur un de ses bords ; ensuite les rochers, dont la volute est tout-à-fait terminée. En disposant de suite les nuances de toute cette famille, aucun individu ne m'échappe.

Je suppose ensuite que le lépas se termine en longue pyramide, comme il s'en trouve en effet. Je fais partir un autre rayon, sur lequel je dispose les vermiculaires qui se tournent en spirale, comme les nautiles, les cornes-d'Ammon, etc.

Il se trouve des lépas qui ont un petit commencement de spirale en dedans : j'aurais une autre ligne pour différentes espèces de tonnes ou de limaçons.

Il y a des lépas qui ont un petit talon à leur ouverture : je tire de là l'origine des bivalves les plus simples.

Si je trouve des espèces composées, qui n'appartiennent pas plus à un rayon qu'à l'autre, je tire une corde des deux individus analogues : cette corde devient le diamètre d'une nouvelle sphère, et ma nouvelle coquille en sera le centre.

On peut étendre, ce me semble, ce système à tous les règnes ; et si nos cabinets ne fournissent pas de quoi remplir tous les rayons et toutes les cordes qui communiquent à ces rayons, on connaîtra peut-être par-là les familles qui nous manquent : car je pense que la nature a fait tout ce qui était possible, non seulement les chaînes d'êtres entrevues par les naturalistes, mais une infinité d'autres qui se croisent ; en sorte que tout est lié dans tous les sens, et que chaque espèce forme les grands rayons de la sphère universelle, et est à la fois centre d'une sphère particulière.

Revenons à nos coquilles. On trouve à l'Ile-de-France un lépas uni et aplati, le lépas étoilé, le lépas fluviatile, qui, comme toutes les coquilles de ces rivières, est couvert d'une peau noire ; l'oreille-de-mer, bien nacrée en dedans ; une espèce de coquille blanche, dont le bourrelet est encore plus contourné.

Le vermiculaire, qui n'est qu'un tuyau blanc qu'on croit un fragment de l'arrosoir ; une grande espèce qui traverse, en serpentant, les madrépores ; le cornet-de-Saint-Hubert, petit vermiculaire blanc, tourné en spirale détachée, et divisé intérieurement par cloisons, comme le nautile ; le nautile papiracé ; le nautile ordinaire, dont la coupe offre une si belle volute.

Dans les limaçons, les uns restent fixés aux rochers, et ont la coquille encroûtée ; les autres voyagent, et ont la coquille lisse.

Dans les premiers, on trouve la bouche-d'argent simple : lorsqu'on la dépouille de sa croûte, elle surpasse en beauté l'argent bruni ; une bouche-d'argent épineuse ; la bouche-d'or, dont la nacre est jaune ; le limaçon fluviatile, qui, sous sa peau noire, cache une belle couleur de rose rayée de point de Hongrie ; le limaçon fluviatile à pointe, qu'on trouve dans plusieurs ruisseaux ; la conque persique ou de Panama, qui donne une liqueur propre à teindre en pourpre ; un limaçon allongé, marqué à sa bouche de points noirs ; la bécasse, dont le bec allongé est garni d'épines ; la tonne ronde, grosse coquille émaillée de jaune ; la tonne allongée ou l'aile-de-perdrix : ces deux espèces ont une surpeau.

Dans les limaçons voyageurs, la nérite cannelée ; la nérisse lisse, avec des rubans ou roses, ou gris, ou noirs, de toutes les nuances : il y en a une variété prodigieuse. La harpe, la plus belle, à mon gré, des coquilles, par sa forme, ses bandes, la beauté de sa pâte et l'éclat de ses couleurs ; la harpe avec des pointes ; le même limaçon que nous vîmes près des Açores, qui donne une eau purpurine ; l'œuf-de-pintade marbré de bleu. On peut bien mettre à la suite deux coquilles de terre, le limaçon, et la lampe-antique couverte d'une peau brune.

Dans les rouleaux, une olive commune ; une belle olive qui ressemble pour les nuances au velours de trois couleurs ; la noire est la plus estimée : j'en ai vu de cinq pouces de longueur. Une petite olive plus évasée : le rouleau commun, piqueté de rouge ; le rouleau blanc, le rouleau piqueté de points noirs : ces trois espèces ont une surpeau couverte de poil. Le drap d'or ; le tonnerre dont la coque est mince : il est rayé de faisceaux en zigzag. La poire ; un rouleau couvert de peau, ainsi que la poire : sa bouche a une échancrure, elle est d'un beau ponceau. L'oreille-de-midas encroûtée, mais sa bouche est d'un beau vernis ; le grand casque, dont les couleurs sont aurore ; le casque blanc truité : il est petit ; le scorpion couvert de peau avec ses sept crochets ; l'araignée, grande et belle coquille à lèvres violettes, avec sa bouche garnie de pointes.

Dans les porcelaines, il y en a une espèce commune d'un rouge brun à dos d'âne ; celle qui est tigrée ; la carte-de-géographie, elle est rare ; l'œuf, d'un blanc de faïence, dont la bouche est jaune ou rouge ; le lièvre, d'une belle couleur fauve rembrunie ; l'olive-de-roche, dont la coquille est très-fragile.

Dans les vis, la vis simple truitée, elle est fort allongée ; une vis aussi belle, dont la spirale est accompagnée d'une moulure ; l'enfant-en-maillot, plus renflée ; une vis aussi grosse, appelée la culotte-de-Suisse : son vernis et ses couleurs sont très-belles ; une petite vis avec une espèce de bec, on la trouve toujours percée d'un trou ; une autre à dos d'âne, également percée ; le fuseau blanc, il est rare ; le fuseau tacheté de rouge ; la mitre maritime, marquée des mêmes taches ; la mitre fluviatile, couverte d'une peau noire.

On remarque comme une chose en effet très-singulière, que toutes les univalves sont tournées de gauche à droite, en observant la coquille couchée sur sa bouche, la pointe tournée vers soi. Il n'y a d'exceptées que peu d'espèces très-rares. Quelle loi a pu les décider à commencer leur volute du même côté? Serait-ce la même qui a fait tourner la terre d'occident en orient? En ce cas, le soleil pourrait bien en être la cause, comme il est celle de leurs couleurs, qui sont d'autant plus belles, qu'on approche plus de la Ligne.

J'ai lu ce qu'on a écrit sur la formation des coquilles, et je n'y entends rien. Par exemple, le scorpion, qui a des crochets fort allongés, augmente sa coquille tous les ans. Les anciens crochets lui deviennent inutiles, il en forme de nouveaux. Qu'a-t-il fait des autres? De même la porcelaine a une bouche épaisse, et est taillée de manière qu'elle ne peut augmenter ses révolutions sur elle-même, si elle ne parvient à détruire les obstacles de son ouverture. Je soupçonnerais que ces animaux ont une liqueur propre à dissoudre les murs du toit qu'ils veulent agrandir ; et si ce dissolvant existe, il me semble qu'on pourrait l'employer contre la pierre qui se forme dans la vessie d'humeurs glutineuses, comme la première matière des coquilles.

Dans les bivalves sont : l'huître commune, qui se colle aux rochers, et d'une forme si baroque, qu'on ne peut l'ouvrir qu'à coups de marteau : elle est bonne à manger ; une espèce qu'on nomme la feuille à cause de sa forme ; une huître qui ne diffère point de celle d'Europe ; une huître grise qui s'attache à la carène des vaisseaux, et dont l'écaille est très-fine et très-élastique : elle est rare ; l'huître perlière, blanche, plate, épaisse et fort grande : elle se trouve loin de terre ; elle est la même que celle d'où l'on tire les perles ; une autre huître perlière encore plus aplatie, d'un violet foncé : elle s'attache avec des fils comme la moule ; elle est commune au port du sud-est ; on la trouve à l'embouchure des rivières : ses perles sont violettes.

On y trouve communément l'huître appelée la tuilée, de l'espèce de celles qui servent de bénitiers à Saint-Sulpice. C'est peut-être le plus grand coquillage de la mer ; on en voit, aux Maldives, que deux bœufs traîneraient difficilement. Il est bien étrange que cette huître se trouve fossile sur les côtes de Normandie, où je l'ai vue.

Il y a encore une espèce d'huître grise et mince, qui ressemble beaucoup à la selle polonaise ; l'huître épineuse, qui se trouve dans les coraux ; la pelure-d'oignon, dont je n'ai vu que des coquilles dépareillées.

J'ai vu trois espèces de moules : elles ne sont ni curieuses ni communes ; elles ressemblent, pour la forme, au dail de la méditerranée, et se logent dans les trous de madrépores ; une moule blanche à coque élastique, qui se trouve incorporée avec les éponges : c'est une nuance intermédiaire entre deux espèces. Si jamais je fais un cabinet, elle trouvera aisément sa place par ma méthode.

La hache-d'armes se rapproche des moules ; elle est faite comme le fer d'une hache, une pointe d'un côté, un tranchant de l'autre ; elle est armée d'aspérosités ; elle n'a ni cuir ni charnière, mais un seul pli élastique.

Dans les pétoncles : l'arche-de-Noé, dont les extrémités se relèvent comme la poupe d'un bateau ; le cœur, strié et cannelé d'une forme bien régulière ; le cœur-de-bœuf, dont un côté est inégal ; la corbeille : ses cannelures paraissent s'entrelacer ; la râpe, dont les stries sont formées par des arcs de cercle qui se croisent ; une pétoncle commune : sa coquille est mince, elle est en dedans teinte en violet ; une autre fort jolie et rare, dessinée en dehors comme un point de Hongrie ; le peigne ; le manteau-ducal, qui a de belles couleurs aurore.

Il y a apparence que les coquillages ne vivent pas plus en paix que les autres animaux. On en trouve beaucoup de débris sur les rivages. Ceux qui y viennent entiers sont toujours percés. Je me souviens d'avoir vu un limaçon armé d'une dent pointue dont il se sert pour percer la coquille des moules : il se trouve au détroit de Magellan ; on l'appelle burgau armé.

Pour avoir de beaux coquillages, il faut les pêcher vivans. Les espèces dont la robe est nette vivent sur le sable, où elles s'enfouissent dans les gros temps ; les autres se collent aux rochers. Les moules se nichent dans les branches des madrépores, où elles multiplient peu. Si elles frayaient en liberté sur les rochers, comme en Europe, les ouragans les détruiraient.

Il y a beaucoup d'industrie et de variété dans la charnière des coquilles. Nos arts pourraient y profiter. Les huîtres n'ont qu'un peu de cuir, mais elles font corps avec le rocher ; les moules ont une peau élastique très-forte ; la hache-d'armes n'a qu'un pli ; les cœurs, s'ils sont réguliers, ont à leur charnière de petites dents qui prennent l'une dans l'autre ; si un de leurs côtés s'étend en aile, la charnière est plus considérable du côté où le poids est le plus fort, et les dents qui la forment sont plus grosses ; on entrevoit, dans leurs courbes, une géométrie admirable.

L'Ile-de-France est tout environnée de madrépores. Ce sont des végétations pierreuses, de la forme d'une plante ou d'un arbrisseau. Elles sont en si grand nombre, que les écueils en sont entièrement formés.

Je distingue ceux qui ne tiennent point au sol, et ceux qui y sont attachés.

Dans les premiers sont : le champignon, qui paraît composé de feuillets ; le plumet, qui est de la même espèce ; le plumet à trois et à quatre branches ; le cerveau de Neptune.

Dans ceux qui tapissent le fond de la mer, et qui semblent y tenir par leurs racines, sont : le chou-fleur ; le chou qui, par le port et les feuilles, ressemble beaucoup à ce végétal : il est de la grande espèce, ainsi qu'un madrépore dont les étages forment une espèce de spirale : il est très-fragile ; un autre, qui ressemble à un arbre par sa tige élancée et la masse de ses branches ; une espèce très-jolie que j'appelle la gerbe : elle semble formée de plusieurs bouquets d'épis de blé ; le pinceau ou l'œillet : au centre de chaque découpure, on remarque un peu de vert ; une espèce commune, ramassée en touffe comme une plante de réséda avec ses cônes de fleurs ; un madrépore très-joli, croissant de la forme d'une île avec ses rivages et ses montagnes ; un autre qui ressemble à une congélation ; une espèce dont les feuillages sont digités comme une main ; le bois-de-cerf, dont les cornichons sont très-détachés et très-fragiles ; la ruche-à-miel, grande masse sans forme, dont toute la surface est régulièrement trouée ; le corail d'un bleu pâle, qui est rare : en dedans il est d'un bleu plus foncé ; un corail articulé blanc et noir qui tient un peu du corail rouge, qu'on n'a point encore trouvé ici ; des végétations coralines, bleues, blanches, jaunes, rouges, si fragiles et si découpées, qu'on ne peut en envoyer en Europe.

Dans les lithophytes : une plante semblable à une longue paille, sans feuillages, sans nœuds et sans boutons ; une végétation semblable à une petite forêt d'arbres : leurs racines sont fort entrelacées, chacun d'eux a un petit bouquet de feuilles : la substance de ce lithophyte tient de la nature du bois, et brûle au feu comme lui ; il est cependant dans la classe des madrépores.

J'ai vu trois espèces d'étoiles marines qui n'ont rien de remarquable. On trouvait autrefois de l'ambre gris sur la côte : il y a même un îlot au vent, qui en porte le nom. On en apporte quelquefois de Madagascar.

On ne doute pas aujourd'hui que les madrépores ne soient l'ouvrage d'une infinité de petits animaux, quoiqu'ils ressemblent absolument à des plantes, par leur port, leur tige, leurs branches, leurs masses, et même par des fleurs de couleur de pêcher. Je me rends à l'expérience avec plaisir ; car j'aime à voir l'univers peuplé. D'ailleurs, je conçois qu'un ouvrage régulier doit être fait par quelque agent qui a une portion d'ordre et d'intelligence. Ces végétations ressemblent tellement aux nôtres, la matière à part, que je suis même très-porté à penser que tous nos végétaux sont les fruits du travail d'une multitude d'animaux vivans en société. J'aime mieux croire qu'un arbre est une république, qu'une machine morte, obéissant à je ne sais quelles lois d'hydraulique. Je pourrais appuyer cette opinion d'observations assez curieuses. Peut-être un jour en aurai-je le loisir. Ces recherches peuvent être utiles : mais quand elles seraient vaines, elles détournent notre curiosité, avide de connaître et de juger ; elles l'empêchent de se jeter, faute d'aliment, sur tout ce qui l'environne ; ce qui est la cause première de nos discordes. Nos histoires souvent ne sont que des calomnies, nos traités de morale des satires, et nos sociétés des académies de médisance et d'épigrammes. Après cela on se plaint qu'il n'y a plus d'amitié et de confiance, comme s'il pouvait y en avoir entre des gens qui ont toujours une cuirasse sur le cœur et un poignard sous le manteau.

Ou parlons peu, ou faisons des systèmes. Tradidit mundum disputationibus. Disputons donc, mais sans nous fâcher.

Au Port-Louis de l'Ile-de-France, ce 12 janvier 1769.

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