Voyage à l'Ile-de-France (1/2)
LETTRE IV.
A bord du Marquis de Castries, le 3 mars 1768, à onze heures du matin.
Je n'ai que le temps de vous faire mes adieux ; nous appareillons. Je vous recommande les cinq lettres incluses ; il y en a trois pour la Russie, la Prusse et la Pologne. Partout où j'ai voyagé, j'ai laissé quelqu'un que je regrette.
Mais le vaisseau est à pic. J'entends le bruit des sifflets, les hissemens du cabestan, et les matelots qui virent l'ancre… Voici le dernier coup de canon. Nous sommes sous voiles ; je vois fuir le rivage, les remparts et les toits du Port-Louis. Adieu, amis plus chers que les trésors de l'Inde!… Adieu, forêts du nord, que je ne reverrai plus! Tendre amitié! sentiment plus cher qui la surpassiez! temps d'ivresse et de bonheur qui s'est écoulé comme un songe! adieu… adieu… On ne vit qu'un jour pour mourir toute la vie.
Vous recevrez mon journal, mes lettres et mes regrets. Je vous aimerai toujours… je ne puis vous en dire davantage.
Je suis, etc.