Aphorismes du temps présent
II
L’AME DES FOULES
Chez les hommes en foule se forme une âme collective, très différente de l’âme individuelle de chacun d’eux.
L’âme des foules est dominée par une logique particulière inconsciente : la logique collective.
L’homme faisant partie d’une multitude cesse d’être lui-même. Sa personnalité consciente s’évanouit dans l’âme inconsciente de la foule. Il perd tout esprit critique, toute aptitude à raisonner, et redevient un primitif. Il en a les héroïsmes, les enthousiasmes et les violences.
Excitabilité, fureurs subites, inaptitude au raisonnement, crédulité sans bornes, intolérance excessive, obéissance servile aux meneurs, constituent les caractères principaux des foules.
Toujours intellectuellement au-dessous de l’homme isolé, une foule peut lui être supérieure ou inférieure dans le domaine des sentiments. Elle devient aussi aisément héroïque que criminelle.
La foule est un être amorphe, incapable de vouloir et d’agir sans meneur. Son âme semble liée à celle de ce meneur.
Exagérées dans leurs sentiments, les foules réclament de leurs meneurs la même exagération.
Il est beaucoup plus facile de suggestionner une collectivité qu’un individu.
La notion de sa puissance et de son irresponsabilité, donne à la foule une intolérance et un orgueil excessifs.
La foule est plus susceptible d’héroïsme que de moralité.
Il faut à la foule un fétiche : personnage, doctrine ou formule.
L’extrême sensibilité des foules rend leurs sentiments très mobiles. Elles passent facilement de l’adoration à la haine.
Le mysticisme, qui sature les foules, leur fait attribuer une puissance mystérieuse à la formule politique, ou au héros qui les séduit.
Confinée dans l’affectif et le mystique, la foule est incapable de voir ce qu’apercevrait clairement l’observateur isolé. Un témoignage collectif est donc le plus souvent erroné.
La foule ne retient guère des événements que leur côté merveilleux. Les légendes sont plus durables que l’histoire.
Les foules exigent avant tout des espérances. Privées du sens des possibilités et douées d’une crédulité infinie, elles acceptent les plus invraisemblables promesses.
Dans les foules, les sentiments les émotions et les croyances, exercent un pouvoir contagieux, contre lequel aucun argument rationnel ne peut lutter.
L’affirmation, la répétition, la contagion et le prestige constituent les seuls moyens efficaces de persuader les foules.
Une idée n’est acceptée par les foules que concrétisée en formules brèves et violentes.
L’altruisme est une vertu collective. L’intérêt personnel, si influent sur les individus, agit peu sur les multitudes.
Toujours impressionnées par la force, les foules le sont rarement par la bonté.
Les foules ne respectent que les forts. Le mépris du faible a toujours été leur loi.
A la liberté, les foules ont généralement préféré l’égalité dans la servitude.
Quand les freins sociaux, qui contiennent les instincts des multitudes, sont brisés, elles retombent très vite dans la barbarie ancestrale.
Il est parfois utile à un politicien d’invoquer la sagesse, le bon sens et la modération des multitudes. Les croire douées de telles qualités rend incapable de gouverner.
Céder une fois à la foule, c’est lui donner conscience de sa force et se condamner à lui céder toujours.
Le poids du nombre tend chaque jour à se substituer au poids de l’intelligence. Mais si le nombre peut détruire l’intelligence, il est incapable de la remplacer.
Les foules comprennent rarement quelque chose aux événements qu’elles accomplissent.