Aphorismes du temps présent
LIVRE III
La Vie Rationnelle
I
LA CROYANCE
ET LA CONNAISSANCE
La croyance et la connaissance constituent deux modes d’activité mentale, d’origines différentes.
La connaissance est toujours consciente et rationnelle, la croyance irrationnelle et inconsciente.
La croyance a pour caractéristique fondamentale de n’être modifiable ni par l’observation, ni par la raison, ni par l’expérience.
La découverte de la plus modeste connaissance scientifique exige un énorme labeur, l’acquisition d’une croyance n’en demande aucun.
La connaissance se répand par les livres, les croyances par les apôtres.
La connaissance constitue le grand facteur des progrès matériels de la civilisation. Les croyances orientent les idées, les sentiments, et par conséquent la conduite.
La connaissance établit des vérités, la croyance incarne nos désirs ; c’est pourquoi l’homme préféra toujours la croyance à la connaissance.
Les religions donnent aux illusions, nées de nos désirs, une apparence de réalité. La science seule crée des réalités indépendantes de ces désirs.
Une croyance politique, religieuse ou sociale, est un acte de foi inconscient. Lorsque le raisonnement essaie de la justifier, elle est déjà formée.
La grande force des croyances, est de donner des espérances et des représentations mentales impliquant le bonheur.
On ne citerait pas dans l’histoire, une croyance politique ou religieuse réduite par réfutation rationnelle. La raison se brise toujours contre le mur de la croyance.
Une croyance se subit et ne se discute pas. Quand on la discute, c’est que, fort ébranlée déjà, elle est près de disparaître.
On rencontre difficilement un homme acceptant d’exposer sa vie pour une vérité rationnelle. On en trouve aisément dix mille prêts à se faire tuer pour une croyance.
Les hommes de chaque âge vivent sur un petit nombre de croyances politiques, religieuses et sociales, que le temps seul, ou l’acquisition d’une nouvelle croyance, peut transformer.
Créer une croyance, c’est créer une nouvelle conscience, génératrice d’une nouvelle conduite.
Le moindre changement dans les croyances d’un peuple modifie sa destinée.
Lorsqu’une question soulève des opinions violemment contradictoires, on peut assurer qu’elle appartient au cycle de la croyance et non à celui de la connaissance.
Dans les persécutions politiques antireligieuses, ce n’est pas la raison qui se dresse contre une croyance, mais deux croyances contraires qui se trouvent en lutte.
Les divergences d’origine rationnelle se supportent facilement, les antagonismes de croyances ne se tolèrent pas. Les luttes religieuses ou politiques seront toujours violentes.
L’intolérance est la compagne nécessaire des convictions fortes. Entre sectateurs de croyances voisines, elle est beaucoup plus accentuée qu’entre défenseurs de dogmes sans parenté.
C’est surtout dans le domaine des croyances, que l’esprit humain cherche des certitudes.
L’hypothèse est une croyance souvent prise pour une connaissance.
Les phénomènes qui se passent dans le champ de la croyance n’étant pas scientifiquement vérifiables, la crédulité du savant y peut égaler celle de l’ignorant.
Les choses rationnellement contradictoires se concilient parfaitement dans l’esprit hypnotisé par une croyance.
Une croyance n’étant ni rationnelle ni volontaire, aucune des absurdités qu’elle enseigne ne saurait nuire à sa propagation.
Ne pas croire les choses possibles, c’est les rendre impossibles. Une des forces de la foi est d’ignorer l’impossible.
Une croyance forte crée des volontés fortes, auxquelles ne résistent jamais les volontés faibles.
L’homme eut toujours besoin de croyances pour orienter sa pensée et guider sa conduite. Ni la philosophie, ni la science n’ont pu jusqu’ici les remplacer.
Les croyances ont fait surgir du néant des œuvres d’art, qu’aucune pensée rationnelle n’aurait pu en faire sortir.
Malgré leur faible valeur rationnelle, les croyances mènent les peuples. Elles les empêchent d’être une poussière de barbares, sans cohésion et sans force.