Aphorismes du temps présent
II
L’INSTRUCTION ET L’ÉDUCATION
L’éducation est l’art de faire passer le conscient dans l’inconscient.
Bien éduqué, l’inconscient est notre esclave et travaille pour nous. Mal éduqué, il devient notre maître et agit contre nous.
La valeur de l’homme ne se mesure pas, comme le croient les maîtres de notre université, au niveau de son instruction mais à celui de son caractère.
La force du caractère, et non l’instruction, donne à l’homme une armature interne résistante. Privé de cette armature, il devient le jouet de toutes les circonstances.
Une des plus graves erreurs latines est de croire au parallélisme de l’instruction, de la moralité et de l’intelligence.
Instruire n’est pas éduquer. L’instruction enrichit la mémoire. L’éducation crée chez l’homme des réflexes utiles et lui apprend à dominer les réflexes nuisibles.
Quelques années suffisent pour instruire un barbare. Il faut parfois des siècles pour l’éduquer.
Développer chez l’homme la réflexion, le jugement, l’énergie, et le sang-froid, serait autrement nécessaire que de lui imposer l’insipide phraséologie, qui constitue l’enseignement scolaire.
Confiner l’esprit dans l’artificiel et le rendre incapable d’observation, est le plus sûr résultat des méthodes ne montrant le monde qu’à travers les livres.
La science élève ou abaisse, suivant le terrain mental qui la reçoit. La culture supérieure n’est utilisable que par des cerveaux supérieurs.
Une trop haute instruction, imposée à des êtres de mentalité inférieure, fausse tous leurs jugements. A demi rationalisés, ils perdent les qualités intuitives du primitif et deviennent des métis intellectuels.
Les expériences, répétées sur des milliers d’indigènes des colonies, montrent combien une instruction mal adaptée, abaisse l’intelligence, la moralité et le caractère.
Rien de plus dangereux que les idées générales dégagées de leurs racines. Elles conduisent toujours au simplisme et à l’incompréhension.
Il faut d’abord de grands efforts pour établir d’utiles habitudes dans l’inconscient, mais une fois fixées elles permettent de se guider sans efforts.
Canalisée par une bonne méthode, l’intelligence la plus faible arrive à progresser.
Acquérir une méthode, c’est posséder l’art d’économiser le temps et, par suite, d’en prolonger la durée.
Vouloir enseigner trop de choses empêche l’élève d’en apprendre aucune. Ce principe fondamental est entièrement méconnu de notre Université.
L’éducateur devrait savoir déterminer les aptitudes de chaque élève, qui peuvent être utilement développées. Quand le hasard seul détermine le choix des études et des carrières, le rendement de l’homme est médiocre.
Une des grandes illusions de la démocratie est de s’imaginer que l’instruction égalise les hommes. Elle ne sert souvent qu’à les différencier davantage.
Les concours mnémoniques créent des inégalités sociales plus profondes que celles de l’ancien régime, et souvent moins justifiées.
Notre système d’éducation classique a fini par créer une aristocratie de la mémoire, n’ayant aucun rapport avec celle du jugement et de l’intelligence.
L’instruction peut être mnémonique ou expérimentale. La première forme les beaux parleurs, la seconde les hommes d’action.
Conservée presque exclusivement par les peuples latins, l’instruction mnémonique est une des grandes causes de leur faiblesse. Elle a pour résultat de confier les plus importantes fonctions sociales à des individualités souvent fort médiocres.
Le choix d’un système d’éducation, à plus d’importance pour un peuple, que celui de son gouvernement.