Chronique du crime et de l'innocence, tome 3/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
ASSASSINATS
COMMIS AU CHATEAU DE RÉVILLE,
EN NORMANDIE.
Les personnes riches qui habitent des maisons isolées à la campagne peuvent faire leur profit des détails de cet horrible attentat, en se précautionnant avec le plus grand soin contre les plans audacieux que la cupidité pourrait suggérer à des malfaiteurs pour s'emparer de leurs richesses.
Le 10 février 1769, neuf scélérats se réunirent chez le nommé Étienne Leroi, l'un d'entre eux, qui demeurait dans le voisinage du château de Réville près Montreuil. Sur les neuf heures du soir, s'étant tous noirci le visage pour ne pas être reconnus, ils se rendirent au château sous la conduite de Leroi. Mais pour s'y introduire il fallait un prétexte. L'un d'eux se chargea de dire qu'il avait une lettre à remettre à la dame de Réville; et, laissant ses complices aux environs jusqu'à ce que le moment fût favorable pour entrer dans le château, il se présenta seul à la porte, énonçant son message. Mais ces précautions furent inutiles: la saison et l'heure avancée inspirèrent aux personnes qui habitaient le château la sage précaution de ne pas ouvrir la porte, et de dire au prétendu messager de revenir le lendemain à une heure moins suspecte. Les brigands, voyant leur coup manqué, se retirèrent, mais avec l'intention de revenir après avoir mieux pris leurs mesures.
Ces neuf scélérats se nommaient: François-Antoine et Jean-Joseph Cotis, Jean Benjamin et Augustin Lecomte, Simon Bernais, père, Jean Dumoutier, Thomas Énaut, Charles Pannier et Étienne Leroi.
Le 25 du même mois, à huit heures du soir, l'attentat, qui avait échoué le 10, fut renouvelé; mais on avait pris des précautions en cas du refus d'ouvrir la porte, et la troupe n'était pas entièrement composée des mêmes individus: Thomas Énaut, Charles Pannier et Étienne Leroi, avaient abandonné la partie; mais aux six complices restans s'en adjoignirent cinq autres: Charles Cotis, Robert Bernais, fils de Simon, Adrien Perrier, Jean Lejeune, dit Lajeunesse, et Pierre Vavasseur, dit Carrière.
Armés de fusils, de pistolets, de sabres, d'épées, de haches, et le visage noirci, ils marchent contre le château; trois gardent les avenues pour empêcher tout secours, bien déterminés à tuer à coups de fusil tous ceux qui approcheraient; les huit autres se chargent de l'expédition de l'intérieur. Comme il n'était pas encore tard, et qu'il y avait lieu d'espérer que quelqu'un pouvait sortir, ils se mettent en embuscade pour attendre que la porte soit ouverte, et empêcher aussitôt qu'on ne la referme. Le sieur de Réville, lui-même, ayant besoin de sortir, ouvre la porte. Aussitôt les huit scélérats se précipitent sur lui et le repoussent dans sa cuisine. En y entrant ils tirent plusieurs coups de pistolet; le sieur de Réville est blessé au bras; Jacques Hermey, son berger, est frappé à la tête et tombe; François Chevreuil, son cocher, renversé, meurt sur la place; et Catherine Goujon, servante de la maison, reçoit quelques blessures. Le sieur Réville est frappé, en outre d'un coup de hache sur la tête, qui le terrasse.
Cependant les coups de feu, les cris des blessés, les imprécations des assassins, jettent l'épouvante dans toute la maison. La maîtresse et ses domestiques, ne se croyant pas en force pour pouvoir faire résistance, prennent la fuite, et vont se tapir dans les recoins les plus cachés de la maison.
Malgré l'état où se trouvait le sieur de Réville, les voleurs le conduisirent de force dans tous les appartemens du château pour qu'il leur indiquât où était son argent. Sur son refus, ils brisent portes, buffets, coffres, commodes et armoires. Ils volent environ six à sept mille livres, tant en or qu'en argent, nombre de meubles et effets, comme montres, tabatières, étui d'or, boucles d'oreille et bagues de diamant, vaisselle d'argent, et une foule d'autres objets; enfin, après avoir enlevé tout ce qu'ils pouvaient emporter, ils achèvent de tuer le sieur Réville d'un coup d'épée dans le bas-ventre, et se retirent chez Jean-Joseph Cotis pour y faire le partage du butin.
La nouvelle de cet épouvantable crime se répandit en peu d'heures. Les domestiques de la maison, qui avaient eu le bonheur d'échapper au massacre, coururent aussitôt à Orbec pour avertir la maréchaussée de ce qui venait de se passer.
La maréchaussée se transporta sur-le-champ sur les lieux, et commença par constater le corps de délit. Dès le lendemain, procès-verbal fut dressé de l'état des deux cadavres, des blessures faites au berger et à la servante, des dégâts qui avaient été faits dans la maison, et des vols qui y avaient été commis. D'après ces procès-verbaux, la procédure requise fut poursuivie à la requête du procureur du roi de la maréchaussée. Jean-Benjamin Lecomte, Adrien Perrier, Charles Pannier et Thomas Énaut, furent arrêtés et conduits dans les prisons d'Orbec, où ils furent interrogés, décrétés et écroués par les officiers de la maréchaussée.
Cependant la justice du bailliage de Montreuil, dans le ressort duquel est situé le château de Réville, s'y transporta dès le 26, le lendemain des crimes commis, remplit toutes les formalités prescrites en pareille occurrence, et décréta les accusés de prise de corps.
Dans le même temps, la police de Paris, à laquelle on avait envoyé le signalement des accusés échappés aux recherches de la maréchaussée, trouva et arrêta les trois Cotis, et les fit conduire au Châtelet. Le lieutenant-criminel du tribunal procéda contre eux jusqu'à leur interrogatoire et leurs confrontations respectives. Ainsi trois tribunaux étaient saisis à la fois de la même procédure. Mais, pour mettre fin à ce conflit de juridiction, l'affaire fut évoquée au conseil et renvoyée à la chambre de la Tournelle du parlement de Normandie, pour y être jugée en première et dernière instance, avec injonction de transférer les accusés arrêtés et ceux qui pourraient l'être par la suite dans les prisons de la conciergerie de cette cour. Toutes les procédures faites dans les trois différens tribunaux furent portées au greffe de celui qui devait juger; l'instruction y fut continuée, et l'arrêt définitif prononcé le 11 juillet 1769.
Par cet arrêt, les onze complices des assassinats et vols, commis le 25 février, furent condamnés à être rompus vifs sur la place publique de Bernay, siége du bailliage d'Orbec et de Montreuil. Il fut ordonné que leurs corps seraient portés et exposés en différens endroits, chacun dans le voisinage du lieu de sa résidence.
De ces onze scélérats, cinq seulement furent réellement exécutés, les trois Cotis, Benjamin Lecomte et Adrien Perrier. Les six autres avaient pris la fuite, et il ne paraît pas qu'ils tombèrent sous la main de la justice; leur procès leur fut fait par contumace, et ils furent exécutés en effigie. Quant aux trois qui n'avaient été coupables que de la tentative hasardée dans la nuit du 10 février, Thomas Énaut et Charles Pannier furent condamnés aux galères pour neuf ans, et Leroi aux galères à perpétuité, pour avoir présidé à l'entreprise du 10 février, et avoir même prêté sa maison pour l'assemblée où elle avait été concertée.