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Chronique du crime et de l'innocence, tome 3/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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MARI ACCUSÉ PAR SA FEMME
D'INCESTE AVEC SA BELLE-FILLE.

«Après le poison et l'assassinat, dit Voltaire, le crime le plus grand, c'est la calomnie.» Voilà pour la calomnie vulgaire, pour la calomnie à l'usage des oisifs, des envieux et des ennemis. Mais si la calomnie vient d'une épouse, d'une femme qui doit être notre compagne, notre amie, notre consolation; si cette calomnie est de nature à nous faire monter sur l'échafaud ou à flétrir à jamais notre honneur; alors quel rang pourra-t-on lui assigner dans l'infernale hiérarchie du crime?

Le sieur Dub..., d'abord cocher, ensuite marchand de toiles à Lyon, avait amassé quelque argent et un mobilier assez considérable pour sa condition. Il épousa, en 1763, une veuve qui avait eu d'un premier mariage deux filles, l'une mariée à Lyon, l'autre presque majeure. La dot de cette veuve consistait en deux maisons qui pouvaient valoir ensemble environ treize mille livres, mais qui étaient grevées d'hypothèques.

Les six premières années de cette union s'écoulèrent paisiblement; et le mari, par son économie, par d'heureuses spéculations sur les vins, augmenta la valeur des maisons de sa femme, éteignit les hypothèques dont elles étaient grevées, et haussa le prix des loyers.

Une vile cupidité vint troubler le bonheur de cet homme honnête et laborieux. Sa femme, joignant l'ingratitude à la perversité, forma avec sa fille aînée le projet de recueillir seules les fruits de la bonne administration de son mari, et de le priver de la récompense de ses travaux.

La fille cadette n'entra pas dans le complot; mais elle a aussi son petit épisode dans cette histoire. Cette pauvre fille avait eu le malheur de former une liaison avec un garçon vinaigrier, qui mourut, et la laissa mère sans l'avoir épousée. Dans son embarras, elle se confia à une blanchisseuse, qui lui promit de lui donner un asile pour faire ses couches. Elle avoua aussi sa faute et ses chagrins à son beau-père, qui, touché de compassion, secourut sa belle-fille, et cacha tout à sa femme, ne soupçonnant pas que sa conduite pût jamais être le sujet d'une accusation infâme. La jeune fille accoucha chez sa confidente; on porta l'enfant à l'hôpital, et la mère revint chez ses parens, après quatre ou cinq jours d'absence, qu'elle justifia par un mensonge. Elle demeura encore quatre années dans la maison maternelle; mais, au mois de septembre 1769, sa mère la chassa de sa maison comme un témoin dont la présence entravait l'exécution du larcin qu'elle méditait contre son mari.

Un mois après, il s'éleva dans la maison, à l'occasion d'une porte ouverte, une de ces querelles populaires qui ont lieu si communément entre locataires de la basse classe. On se prit aux cheveux; il y eut des coups donnés de part et d'autre; la femme Dub..., compromise dans la mêlée, s'en retira très-maltraitée. Elle eut l'effronterie d'attribuer à son mari les blessures qu'elle avait reçues; et, sans aucune formalité préalable, elle alla secrètement, le 18 octobre, se faire visiter par le médecin et les chirurgiens de police. Le 28 du même mois, agissant toujours clandestinement, elle rendit plainte contre son mari, l'accusant de la maltraiter et de la battre. Elle demanda la visite et un asile; tout lui fut accordé, sans qu'elle en profitât. Elle se contenta de se faire visiter par les mêmes chirurgiens, qui dressèrent leur rapport des contusions dont elle était marquée.

Toutes les démarches sourdes de cette femme étaient ignorées du mari; il la trouvait toujours paisible dans sa maison, à sa table et dans le lit conjugal.

Le 21 novembre, rentrant chez lui, il s'aperçut qu'on lui avait enlevé son argent, ses papiers et ses effets. Sa femme lui fit une scène très-vive, et dès le soir même ils se séparèrent. Le mari porta plainte du vol qui lui avait été fait. La femme se trouva chargée par les dépositions, et fut sommée de comparaître. Mais, de son côté, elle poursuivit sa demande en séparation. Elle articula d'abord des sévices et mauvais traitemens, et mit sur le compte de son mari les contusions dont elle portait les marques, s'appuyant, à cet égard, des deux rapports des chirurgiens. Au lieu de fournir la preuve de ces faits, elle ajouta quelque temps après une accusation atroce; elle prétendit que son mari avait voulu l'empoisonner. De là la nécessité de fuir un homme dont la seule présence lui devenait insupportable, et qui remplissait sa vie d'amertume et d'angoisses.

Le mari niait tous ces attentats comme calomnieux, et réclamait la restitution des effets que sa femme lui avait enlevés.

Cependant la femme obtenait des provisions, et ne poursuivait plus la procédure, ne produisant ni preuves ni témoins des faits qu'elle avait allégués. Mais au bout de deux années, son imagination s'échauffe tout-à-coup, son ressentiment s'envenime; à l'accusation monstrueuse d'empoisonnement, elle en ajoute une nouvelle plus odieuse encore; le 25 octobre 1771, elle accuse son mari et sa fille cadette de s'être souillés du crime d'inceste en 1764, et d'en avoir exposé le fruit le 25 mars 1765. Cette fille cadette était retirée, depuis son expulsion de la maison paternelle, dans l'hôpital d'une petite ville, où elle prodiguait ses soins aux pauvres malades.

La fille absente fut assignée à son de trompe. Le mari, arrêté et entendu, obtint d'être élargi provisoirement. Alors la femme demanda la jonction de l'instance en séparation avec la plainte criminelle, et fut mise en possession des revenus des maisons, les parties étant renvoyées à quinzaine sur le fond. Par une seconde sentence, le juge prononça la séparation de corps.

Le mari appela de ces deux jugemens au conseil supérieur de Lyon. La femme se trouvait ainsi placée dans une situation qui devenait de jour en jour plus embarrassante. Son principal objet, c'était d'obtenir la séparation; c'était ce qui l'avait poussée à multiplier les accusations contre son mari. D'un autre côté, quand son cœur eût été assez atroce pour envisager, de sang-froid, son mari sur un bûcher et sa fille sur l'échafaud, la honte seule d'un rôle aussi odieux aurait dû suffire pour la faire rougir de sa conduite, et l'amener à rétracter ses accusations calomnieuses. Elle se trouvait donc pressée entre la crainte et la nécessité de justifier ses premières démarches, et sa demande en séparation. Cette alternative rendit sa défense singulière. Il fallait soutenir que son accusation n'était pas téméraire et dénuée de fondement, et éviter d'en compléter les preuves.

Le défenseur de Dub... attaqua de front l'accusation, la battit en ruine, et mit tout-à-fait à nu la turpitude de la femme accusatrice. «Qu'ajouter encore? dit-il en terminant. Les jurisconsultes dans leurs décisions, les magistrats dans leurs jugemens, les lois dans leurs dispositions, les empereurs dans leurs décrets, la justice dans ses principes, la nature dans ses sentimens, se réunissent, s'élèvent, et combattent avec indignation contre la masse informe des procédures de la femme Dub..., et contre tous les projets barbares qu'elle a formés dans sa colère.»

L'arrêt, rendu en 1773, déclara inadmissible la preuve de l'inceste, annula la procédure faite devant le premier juge, mit les parties hors de cour sur la demande en séparation, et ordonna que la femme Dub... se retirerait dans un couvent pendant deux années; peine trop peu sévère pour un monstre furieux et dénaturé qui, pour satisfaire une vile cupidité, avait inventé les plus infâmes calomnies, et méconnu les plus doux sentimens de la nature, ceux d'épouse et de mère.


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