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Dissertation sur la nature et la propagation du feu

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V.
Le Feu est-il impénétrable?

Il paroît également difficile de nier & d’admettre cette propriété dans Raisons qui peuvent faire douter de l’impénétrabilité du feu. le Feu: voici quelques-unes des raisons qui peuvent faire douter de son impénétrabilité.

1o. Nous voyons à travers un trou fait dans une carte par une épingle, la quatriéme partie du ciel, & tous les objets qui sont entre l’horison & nous dans cet espace: or nous ne pouvons voir un objet que chaque point visible de cet objet n’envoye des rayons à nos yeux, ainsi la quantité prodigieuse de rayons qui passent à travers ce trou d’épingle, & qui s’y croisent sans se confondre, & sans apporter aucune confusion dans notre vûë, étonne l’imagination, & l’on est bien tenté de croire qu’un être qui paroît se pénétrer si facilement, n’est point impénétrable.

2o. Le Feu le plus puissant que les hommes ayent rassemblé jusqu’à présent, c’est celui du foyer du grand miroir du Palais Royal, ou du miroir de Lyon, & cependant on voit le plus petit objet discernable à travers le cône lumineux qui va fondre l’Or dans ce foyer, sans que cette épaisseur de rayons qui est entre l’objet & l’œil, affoiblisse en rien l’image de cet objet.

3o. Une bougie porte sa lumiére dans une sphere d’une demie-lieuë de rayon; or de quelle petitesse incroyable les particules qui éclairent tout cet espace doivent-elles être, puisqu’elles sont toutes contenuës dans cette bougie? il est difficile de les y concevoir, si elles ne se pénétrent pas.

4o. M. Newton a démontré aux yeux & à l’esprit, que les couleurs ne sont autre chose que les différens rayons colorés[3]; il faut donc, pour que nous voyions les objets, que chaque rayon élémentaire se croise en passant dans la prunelle, sans jamais se confondre, & sans que le rayon bleu prenne la place du verd, ni le rouge celle de l’indigo, &c. ce qui paroît presque impossible, si les rayons sont impénétrables.

5o. Le Verre qui transmet la lumiére, a bien moins de pores que la Mousseline qui la réfléchit presque entiérement. Les pores du papier huilé qui transmettent les rayons, sont bien moins grands que ceux du papier sec à travers lesquels ils ne trouvent point de passage: donc ce n’est point la grandeur, ni la quantité des pores d’un corps qui le rendent perméable à la lumiére, puisque le moyen de rendre les corps transparens, c’est de remplir leurs pores: donc il est bien vrai-semblable que le Feu n’est point impénétrable, puisqu’il pénétre les corps indépendamment de leurs pores.

Mais ces raisons qui peuvent faire douter de l’impénétrabilité du Feu, se trouvent combatuës par d’autres raisons très-fortes.

1o. Les rayons du Soleil font changer de direction à la fumée, & Raisons en faveur de l’impénétrabilité du Feu. réunis par un verre ardent, ils fondent l’Or & les Pierres, & font faire des vibrations à un ressort de Montre que l’on a placé à moitié d’étendu dans le foyer de ce verre; or on ne voit pas comment il seroit possible que le Feu agît sur les corps, ni comment il pourroit faire faire des vibrations à ce ressort de Montre, s’il ne résistoit à l’effort que font ces corps pour s’opposer à son action.

On peut répondre que l’ame n’est pas impénétrable, & qu’elle fait cependant remuer notre corps qui est composé de parties qui résistent. Et qu’enfin tout ce qui agit sur les corps, n’est pas corps, puisque Dieu certainement n’est pas matiere, & qu’il agit cependant sur la matiére.

2o. Les rayons se réfléchissent de dessus les corps pour venir à nos yeux, or la réfléxion emporte nécessairement l’élasticité du corps qui réfléchit: donc, puisque les rayons réfléchissent, il faut qu’ils soient composés de parties résistantes.

Mais on peut répondre encore que M. Newton a fait voir que ce n’est point en rebondissant de dessus les parties solides des corps, que la lumiére se réfléchit, & que par conséquent la réfléxion de la lumiére ne prouve point l’impénétrabilité du Feu, que même ce phénomene de la réfléxion pourroit faire croire que la lumiére n’est point impénétrable; car comment le rayon perpendiculaire retournera-t-il après la réfléxion, par la ligne selon laquelle il est tombé, si dans cette ligne il rencontre une continuation de lui-même, qui lui résistera par ses parties solides, & l’empêche par conséquent de retourner par la ligne déjà décrite? Si on dit que ce rayon ne décrira pas tout-à-fait la même ligne, mais qu’il se détournera un peu, outre que ce seroit détruire un axiome d’Optique, qui passe pour incontestable, je demande quelle seroit la raison de cette déclinaison du rayon, & ce qui le détermineroit à décliner plûtôt à gauche qu’à droite? Si l’on me répond enfin, que l’extrême porosité que le Microscope découvre dans les corps soumis à nos recherches, nous porte à croire que la ténuité des parties constituantes du Feu peut suffire pour opérer la réfléxion du rayon perpendiculaire, & tous les phénoménes de la lumiére qui étonnent le plus notre esprit, & qui pourroient nous faire douter de l’impénétrabilité du Feu: je demande comment on peut concevoir qu’un rayon composé d’un million de pores qui séparent ses parties solides, puisse venir du Soleil à nous en ligne droite, sans être interrompu & sans se confondre avec des milliasses d’autres rayons de différentes couleurs qui émanent en même tems que lui du Soleil?

On est donc obligé d’avouer qu’on peut avec quelque fondement regarder l’impénétrabilité du Feu comme douteuse.

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