Dissertation sur la nature et la propagation du feu
VI.
Le Feu tend-il vers le centre de la Terre?
Les Philosophes conviendront sans doute qu’il peut y avoir plusieurs corps qui ne tendent point vers le centre de la terre, telle doit être par exemple la matiere qui fait la pesanteur, & qui chasse les corps vers le centre de la terre; voyons donc si le Feu est dans le même cas, ou bien s’il tend vers la terre comme les autres corps.
C’est encore à l’experience, ce grand maître de Philosophie, à nous apprendre si le Feu a cette propriété.
Je me contenterai d’examiner ici l’expérience de M. Homberg sur le poids du régule d’Antimoine calciné au Verre ardent, & celle de M. Boërhaave sur le poids du Fer enflammé.
M. Homberg rapporte que 4 onces de régule d’Antimoine exposées à un pied & demi du véritable foyer du miroir du Palais Royal, augmentérent de 3 dragmes, & de quelques grains pendant leur calcination, c’est-à-dire, environ d’un dixiéme; mais qu’ayant été mises ensuite en fusion au véritable foyer, elles perdirent ce dixiéme acquis, & un huitiéme de leur propre poids.
M. Boërhaave, au contraire, ayant pesé 8 livres de Fer, ne trouva aucune différence de poids entre ce Fer enflammé & ce Fer absolument froid.
Il y a plusieurs remarques à faire sur ces deux expériences.
Examen de l’expérience de M. Homberg, sur le poids de l’antimoine calciné au verre ardent. 1o. Pendant tout le tems de la calcination de l’Antimoine de M. Homberg, on fut obligé de le remuer avec une spatule de fer: or il est très-possible que la chaleur ait détaché quelques particules de cet instrument, lesquelles s’étant jointes au régule, auront augmenté son poids. Les sels & les souffres dont l’air est toujours chargé, auront pû s’unir aussi à l’Antimoine par l’action du feu, & à la faveur de ce mouvement continuel de la spatule avec laquelle on le remuoit; ainsi on est bien loin d’être sûr que ce soit le feu qui ait augmenté son poids, car si le feu est le plus subtil dissolvant de la Nature, il est aussi le plus puissant agent pour unir les corps.
2o. Ce qui confirme cette conjecture, c’est que les corps qui augmentent le plus leur poids par le Feu, sont ceux qu’on remuë pendant leur calcination, & qu’ils perdent tout le poids acquis, & même de leur propre substance, lorsqu’on les remet en fusion. Boyle lui-même, convient que l’agitation continuelle pendant la calcination, est ce qui contribue le plus à augmenter l’action du Feu sur les corps.
3o. L’Antimoine de M. Homberg ayant été mis en fusion au véritable foyer, perdit tout le poids acquis, & encore un huitiéme de son propre poids: or si des particules de Feu avoient augmenté son propre poids dans la calcination, comment se pourroit-il qu’il eut perdu ce poids au véritable foyer? un nouveau Feu n’auroit-il pas dû produire au contraire une nouvelle augmentation, & puisque le poids de l’Antimoine diminua dans la fusion, au lieu d’augmenter, n’est-il pas vrai-semblable que le Feu du foyer étant plus violent que celui auquel on l’avoit calciné, sépara les parties hétérogenes qui s’étoient unies au régule d’Antimoine, & qui avoient augmenté son poids pendant la calcination.
4o. Tous les Métaux en fusion, perdent de leur poids, & cependant la fusion est l’état dans lequel ils reçoivent la plus grande quantité de feu; ainsi si le Feu augmentoit le poids des corps, il devroit augmenter considérablement celui des métaux en fusion, mais au contraire leur poids diminue, il est donc certain que la plus grande quantité de Feu que ces métaux puissent recevoir, n’augmente point leur poids.
On sent aisément que la diminution de poids des métaux en fonte doit être attribuée aux parties que ce Feu violent fait évaporer d’entre leurs pores, & à l’augmentation de leur volume.
Examen & confirmation de l’expérience de M. Boërhaave sur le poids du fer enflammé. 5o. Le Fer de M. Boërhaave pendant qu’il étoit tout pétillant de feu, devoit contenir bien plus de particules ignées, que l’Antimoine de M. Homberg, qui avoit été calciné à 18 pouces du véritable foyer du miroir, & cependant ce Fer tout imprégné de Feu ne pesoit pas un grain de plus que lorsqu’il étoit entiérement froid. Je ne vois cependant aucune raison pour laquelle si le Feu étoit pesant, il n’augmenteroit pas toujours le poids des corps qu’il pénétre, je puis certifier que cette égalité de poids s’est retrouvée dans des masses de Fer depuis une livre jusqu’à 2000 livres, que j’ai fait peser devant moi toutes enflammées, & ensuite entiérement froides.
Autres expériences sur la pesanteur du Feu. 6o. L’augmentation du poids des corps calcinés à travers le verre, est beaucoup moins considérable que celle des corps que l’on calcine en plein air, cependant la même quantité de feu pénétre à travers le verre, puisqu’il produit le même effet sur ces corps, & qu’il les calcine; d’où peut donc venir cette différente augmentation de poids, lorsque la calcination se fait en plein air, ou lorsqu’elle se fait sous le verre, sinon de ce qu’il se joint alors moins de corps étrangers au corps calciné?
7o. L’Antimoine devient rouge dans la calcination, & lorsqu’on le met en digestion dans de l’Esprit de Vin, il rend une teinture rougeâtre, & se trouve après du même poids qu’avant la calcination: donc cette couleur rougeâtre lui étoit venue des parties sulfureuses que le Feu lui avoit unies pendant la calcination, puisqu’après s’être déchargé de cette teinture, il se trouve du même poids qu’il avoit avant d’être calciné.
8o. M. Boyle est un des Philosophes qui a fait le plus d’expériences sur la pesanteur du Feu, & toutes concourent à l’établir.
Cependant son Traité De Flammæ ponderabilitate, ne prouve autre chose sinon que la flamme pese, & que les parties pénétrent à travers les pores du verre, mais aucune de ses expériences ne prouve la pesanteur des parties élémentaires du Feu.
* Page 8. 9o. Le même Boyle rapporte * qu’une once de corne de cerf perdit au Feu six ou sept grains de son poids, & qu’une once de Zinc * en perdit * Page 39. cinq grains, & plus, par l’action du Feu.
10o. Du Charbon enfermé hermétiquement dans une boîte de Fer, & exposé pendant quatre heures à un Feu très-violent, a diminué de 4 onces environ sur 4 livres, & j’ai été témoin de cette expérience.
11o. M. Bolduc assûre que l’Antimoine calciné dans un vase de terre, diminue de poids, bien loin d’augmenter.
12o. M. Hartsoëker, de son côté, ayant tenu de l’Etain pendant des heures entiéres, & du Plomb pendant plusieurs jours de suite dans le foyer d’un Verre ardent, ne trouva aucune augmentation dans le poids de ces métaux.
13o. Le célébre Boërhaave rapporte qu’ayant tenu du Plomb dans un Fourneau de digestion pendant trois ans, à un Feu de 84 degrés, & l’ayant exposé pendant quatre heures au feu de sable, le Plomb n’augmenta nullement de poids; cependant si les expériences varient, c’est une preuve certaine que ce n’est point le Feu qui augmente le poids des corps, car s’il l’augmentoit une fois, il l’augmenteroit toujours. Mais si l’on attribue cette augmentation lorsqu’on en trouve, à l’intromission de quelques parties hétérogenes dans les pores des corps que l’on expose au Feu, on conçoit aisément que les différentes circonstances de l’opération peuvent changer ces effets; voilà pourquoi de toutes les expériences répétées sur le poids des corps exposés au Feu, aucune n’est entiérement la même. L’augmentation que le même Feu cause dans les corps est tantôt plus grande, tantôt moindre, comme on peut s’en convaincre en lisant les expériences de Boyle, ou en opérant soi-même; ce qui prouve bien que ce n’est pas à une cause aussi invariable que le Feu, qu’il faut attribuer l’augmentation du poids des corps.
L’expérience de M. Homberg que je viens d’examiner, fournit elle-même une preuve qu’on ne doit point attribuer au Feu l’augmentation de poids qu’on remarque dans les corps qu’on lui expose; car il trouva dans cette expérience le poids de l’Antimoine augmenté d’un dixiéme.
Or en supposant l’émission de la lumiére, tout le Feu que le Soleil envoye sur notre hémisphere pendant une heure du jour le plus chaud de l’Eté, doit peser à peine ce que M. Homberg suppose qu’il en étoit entré dans son régule d’Antimoine: en voici, si je ne me trompe, la démonstration.
On connoît la vîtesse des rayons du Soleil depuis les observations que Mrs. Huguens & Roëmer ont faites sur les Eclipses des Satellites de Jupiter; cette vîtesse est environ de 7 à 8 minutes pour venir du Soleil à nous: or, on trouve que si le Soleil est à 24000 demi-diametres de la Terre, il s’ensuit que la lumiére parcourt en venant de cet Astre à nous, mille millions de pieds par seconde en nombres ronds; & un Boulet de Canon d’une livre de balle poussé par une demi livre de Poudre, ne fait que 600 pieds en une seconde, ainsi la rapidité des rayons du Soleil surpasse en nombres ronds 1666600 fois celle d’un boulet d’une livre.
Mais l’effet de la force des corps étant le produit de leur masse par le quarré de leur vîtesse, un rayon qui ne seroit que la 1/2777555560000e partie d’un boulet d’une livre feroit le même effet que le Canon, & un seul instant de lumiére détruiroit tout l’Univers; or je ne crois pas que nous ayons de minimum pour assigner l’extrême ténuité d’un corps qui n’étant que la 1/2777555560000e partie d’un boulet d’une livre feroit de si terribles effets, & dont des millions de milliars passent à travers un trou d’épingle, pénétrent dans les pores d’un Diamant, & frappent sans cesse l’organe le plus délicat de notre corps sans le blesser, & même sans se faire sentir.
14o. L’expérience du trou d’épingle (qu’on trouverait bien admirable, si elle étoit moins commune) fournit elle seule une démonstration de l’excessive ténuité des rayons; car regardez à travers ce trou pendant un jour entier, vous verrez toujours les mêmes objets, & aussi distinctement: donc il vient à chaque moment indivisible, des rayons de tous les points de ces objets, frapper votre rétine: or il faut de deux choses l’une, ou que ce ne soient pas les rayons du Soleil qui ayent augmenté le poids de l’Antimoine de M. Homberg, ou qu’il entrât pendant ce jour dans vos yeux plusieurs onces de Feu, puisqu’il y entreroit plus de rayons qu’il n’en pouvoit être entré dans le régule d’Antimoine pendant sa calcination. Mais s’il entroit cette quantité de Feu dans nos yeux en un jour, combien y en entreroit-il en une semaine, en un mois, &c. que deviendroit cette matiere ignée, si elle étoit pesante? Je crois donc qu’il est démontré en rigueur, par la façon dont nous voyons, par les phénomenes de la lumiére, & par les loix primitives du choc des corps, que (supposé que le Feu pese) nous ne pouvons nous appercevoir de son poids, & que si tous les rayons que le Soleil envoye sur notre hémisphere pendant le plus long jour de l’Eté, pesoient seulement 3 livres, nos yeux nous seroient inutiles, & l’Univers ne pourroit soutenir un moment la lumiére.
Argument de M. Musschenbroek, en faveur de la pesanteur du Feu. 15o. Le sçavant M. de Musschenbroek fait en faveur de la pesanteur du Feu, un argument qui paroît très-fort. Le Fer ardent que vous pesez, dit-il, vous le pesez dans l’air qui est un fluide, or le Feu ayant augmenté le volume de ce Fer par la raréfaction, il devroit peser moins dans l’air lorsqu’il est chaud, & que son volume est plus grand, que lorsqu’il s’est contracté par le froid, & que son volume est diminué, & vous ne trouvez le même poids dans le Fer refroidi, que parce que le Feu avoit réellement augmenté le poids du Fer enflammé; car s’il ne l’avoit pas augmenté, vous auriez dû trouver votre Fer moins pesant lorsqu’il étoit tout rouge, que lorsqu’il étoit refroidi.
Réponse à cet argument. Cet argument seroit invincible, si l’on étoit sûr qu’aucun autre corps que le Feu ne se fut introduit dans le Fer enflammé; mais on est bien loin d’en être sûr, car s’il peut se mêler des corps étrangers aux corps calcinés par les rayons du Soleil (le Feu le plus pur que nous connoissions) combien à plus forte raison pourra-t-il entrer de particules de bois ou de charbon dans les corps qu’on expose au Feu ordinaire? Ainsi on sent aisément qu’en réfutant l’expérience de M. Homberg, j’ai compté réfuter celles de M. Boyle, & Lémery, & toutes celles enfin qu’on a faites sur les corps augmentés de poids par le Feu; cette augmentation que le Feu d’ici-bas cause dans les corps, devroit même être fort sensible par la quantité de particules hétérogenes qu’il doit introduire dans leurs pores, & elle n’est imperceptible dans quelques-uns, que parce qu’ils perdent beaucoup de leur propre substance par l’action du Feu, & que leur pesanteur spécifique diminue par la raréfaction.
Il faut donc conclure de toutes ces expériences que le Feu ne pese point, ou que s’il pese, il est impossible que son poids soit jamais sensible pour nous.