Dissertation sur la nature et la propagation du feu
II.
Quel est l’effet le plus universel du Feu.
Quel est donc l’effet le plus universel du Feu? à quel signe pourrons-nous le reconnoître? je dis le reconnoître en Philosophes, car il est deux façons de connoître les corps, & ceux qui étudient la Nature la voyent d’un autre œil que le vulgaire.
L’effet le plus universel du Feu, c’est d’augmenter le volume de tous les corps. Ce signe certain de la présence du Feu, cet effet qu’il produit dans tous les corps, qu’on voit, qu’on touche, & qu’on mesure, qui s’opére dans le vuide avec la même facilité que dans l’air, c’est d’augmenter le volume des corps avant d’avoir enlevé leurs parties, de les étendre dans toutes leurs dimensions, & de les séparer jusques dans leurs principes lorsque son action est continuée; cet effet ne dépend point de la lumiére & de la chaleur du Feu, car l’air est très-raréfié sur le Raréfaction sans chaleur. haut des Montagnes où la chaleur est insensible, & cette raréfaction de l’air qui est beaucoup plus grande au somet des Montagnes que ne la donne la raison inverse des poids, doit être attribuée en partie au Feu, qui, à cette hauteur raréfie l’air sans l’échauffer sensiblement.
L’eau qui bout à 212 degrés environ du Thermometre de Mercure, & qui passé cela n’acquiert plus aucune chaleur par le Feu le plus violent, s’évapore cependant à force de bouillir: or elle ne peut s’évaporer que sa raréfaction n’augmente, & que ses parties ne s’écartent de plus en plus les unes des autres.
Et sans lumiere. Enfin une bougie que vous éteignez, & qui cesse d’éclairer, s’évapore, & se raréfie encore par la fumée qu’elle rend, donc la raréfaction ne dépend ni de la lumiere, ni de la chaleur du Feu, puisqu’elle subsiste dans les corps que le Feu pénétre indépendamment de leur chaleur, & de leur lumiere.
Il est vrai que la chaleur & la lumiére du Feu ont dû être connues bien long-tems avant qu’on se doutât de sa raréfaction: mais presque toutes les idées des hommes n’ont-elles pas besoin d’être réformées par leur raison? La forme & le mouvement de la matiere, par exemple, ont été connues bien long-tems avant son impénétrabilité, & personne cependant n’en concluëra que le mouvement & une certaine forme soient aussi inséparables de la matiere, que l’impénétrabilité.
On peut cependant faire plusieurs objections contre cette définition, qui fait de la raréfaction la propriété distinctive du Feu.
Objections contre la raréfaction universelle du Feu, & réponses à ces objections. 1o. On peut dire que la raréfaction que le Feu opére, ne se manifeste pas toujours à nous.
Mais il est de la nature du Feu que cela soit ainsi, le Feu est également répandu dans tous les corps (comme je le prouverai dans la suite) ainsi nous ne pouvons nous appercevoir de ses effets quand ils sont les mêmes par-tout; il nous faut des différences pour être notre criterium, & pour nous conduire dans nos jugemens. Ainsi nous n’avons point de signe pour connoître le Feu lorsqu’il est renfermé entre les pores des corps, il y est comme l’air qu’ils contiennent tous, & qui ne se découvre à nous que lorsque quelque cause le dégage.
2o. Le Feu, dira-t-on, raréfie les corps en augmentant leur chaleur.
Cela est vrai en général, mais je ne crois pas qu’on puisse en conclure que la chaleur soit la cause de la raréfaction, car je viens de faire voir par l’exemple de l’eau qui bout, qu’il y a des circonstances dans lesquelles la raréfaction augmente encore, quoique la chaleur n’augmente plus; or puisque la chaleur n’accompagne pas toujours la raréfaction, il faut convenir que la raréfaction ne dépend point de la chaleur.
3o. On dira peut-être que l’air & l’eau augmentent aussi le volume des corps, & qu’ainsi on ne peut faire de la raréfaction la propriété définitive du Feu.
On ne peut nier que l’air & l’eau ne fassent cet effet sur les corps; mais en augmentant leur volume, ils ne les séparent pas jusques dans leurs parties constituantes, ils ne les font point s’évaporer, se quitter les unes les autres, comme le Feu, ainsi l’espece de raréfaction qu’ils opérent quelquefois dans les corps, est essentiellement différente de celle qui y est opérée par le feu; peut-être même cette espéce de raréfaction que l’air & l’eau opérent, est-elle causée par le Feu lui-même, car c’est par le mouvement que l’air & l’eau pénétrent dans les corps, & le mouvement interne des corps ne leur vient vraisemblablement que du Feu qu’ils contiennent.
L’eau glacée augmente à la vérité son volume, & surnage l’eau liquide, quoiqu’elle contienne beaucoup moins de Feu lorsqu’elle est glacée que lorsqu’elle est dans son état de fluidité, mais ce phénomene doit être attribué à une cause particuliére, dont je parlerai dans la seconde Partie de cet ouvrage.
4o. On peut dire encore que le Feu ne raréfie pas tous les corps, que la corne, la crotte & beaucoup d’autres corps s’endurcissent au Feu, y diminuent le volume: or ces effets sont précisément le contraire de la raréfaction, donc la raréfaction ne peut être la propriété universelle du Feu, puisqu’il y a des corps dans lesquels il produit des effets tout opposés.
Cette objection tombera d’elle-même, si on fait réfléxion, que le Feu n’endurcit ces corps, & ne les réduit sous un plus petit volume, que parce qu’il les a réellement raréfiés, parce qu’il a fait évaporer l’eau qui étoit entre leurs parties, & qu’alors les parties qui ont résisté à son action, sont d’autant plus compactes, occupent d’autant moins de volume, que le Feu a enlevé plus de matiére aqueuse d’entre leurs pores.
5o. Enfin, on peut objecter que les rayons de la Lune qui sont du Feu, ne raréfient point les corps qu’on leur expose. Mais les bornes de nos sens sont si étroites, qu’il ne nous est guéres permis de rien affirmer sur leur rapport, ainsi quoique les rayons de la Lune, quelque rassemblés qu’ils soient, ne fassent aucun effet sur le Thermometre, nous ne pouvons pas en conclurre qu’ils sont entierement privés du pouvoir de raréfier; nous sommes certains seulement qu’ils sont incapables d’exciter en nous la sensation que nous avons appellé chaleur, mais peut-être inventera-t-on quelqu’instrument assez fin pour nous découvrir aussi dans les rayons de la Lune ce pouvoir raréfactif qui paroît inséparable du Feu.
La raréfaction des corps par le Feu, paroît une des loix de la Nature. La raréfaction que le feu opére sur tous les corps qu’il pénétre, paroît être une des loix primitives de la Nature, un des ressorts du Créateur, & la fin pour laquelle le Feu a été créé; sans cette propriété du Feu tout seroit compact dans la Nature; toute fluidité, & peut-être toute élasticité vient du Feu, & sans cet agent universel, sans ce souffle de vie que Dieu a répandu sur son ouvrage, la Nature languiroit dans le repos, & l’Univers ne pourroit subsister un moment tel qu’il est.
Ainsi loin que le mouvement soit la cause du Feu, comme quelques Philosophes l’ont pensé, le Feu est au contraire la cause du mouvement interne dans lequel sont les parties de tous les corps.
C’est ici le lieu d’examiner les raisons qui prouvent que le Feu n’est pas le résultat du mouvement.