Dissertation sur la nature et la propagation du feu
VII.
De l’aliment du Feu.
On sçait assez que ce qu’on appelle l’aliment du Feu, pabulum ignis, sont les parties les plus légeres des corps, que le Feu enleve, & qui disparoissent entierement pour nous. Les opérations chimiques nous font voir que l’Huile est seule cet aliment du Feu; on Quel est l’aliment du feu. retrouve tous les autres principes, lorsqu’on rassemble les exhalaisons que le Feu tire des corps, l’Huile seule se consume, & échappe ensuite entierement à nos sens.
Que l’aliment du Feu n’est pas du Feu. De grands Philosophes ont crû que cet aliment du Feu, qui disparoît entierement pour nous, n’étoit autre chose que le Feu lui-même, qui se dégageoit d’entre les pores des corps, mais si cela étoit, les matieres qui restent après des opérations réiterées, comme le caput mortuum, par exemple, devroient toujours être inflammables, car certainement cette tête-morte n’est pas entierement privée du Feu, cependant le Feu ne peut plus rien sur elle: Donc elle ne contient plus cette matiere sur laquelle le Feu exerçoit sa puissance: Donc cette matiere n’est pas du Feu.
Il y a des corps qui contiennent beaucoup plus de ce pabulum, de cette huile qui nourrit le Feu, que d’autres, & cependant tous contiennent également de Feu dans un même air; c’est ce qui a été, je crois, invinciblement prouvé dans ce mémoire: Donc l’aliment du Feu n’est pas du Feu.
Mais que sera-ce donc?
Les parties les plus tenuës & les plus volatiles des corps, lesquelles cédant plus facilement que les autres à l’action du Feu, s’envolent avec lui dans l’air où elles se dissipent, & ne reparoissent plus à nos yeux, du moins sous la même forme; car l’huile & l’esprit ne sont autre chose que ces parties les plus subtiles, mêlées encore avec quelque flegme dont le Feu les dégage.
Et qu’il ne se change point en Feu. Mais ces exhalaisons que le Feu tire des corps, cette huile qu’il consume, ne se changent pas en sa substance, ne deviennent pas du Feu.
Car, 1o. Si le Feu changeoit quelques parties des corps en Feu, la matiere ignée augmenteroit à tel point sur la terre par la puissance du Feu, que tout deviendroit Feu à la fin: or la constitution de notre globe demande qu’il y ait toujours à peu-près la même quantité de Feu, sans quoi tous les germes seroient détruits:
2o. Il paroît par les plus exactes & les plus anciennes Tables Météorologiques, que la quantité du Feu est toujours la même:
3o. Les incendies des forêts qui brûlent pendant plusieurs mois, ne changent point, lorsqu’ils sont passés, la température des climats qui les ont souffert:
4o. La flamme de l’alcohol (la plus pure de toutes) nous est visible, & le cone lumineux qui va fondre l’Or dans le foyer du verre ardent, échappe entierement à notre vûë; marque certaine que l’esprit qui compose l’alcohol n’est pas du Feu, & qu’il ne se change point en Feu: Donc les particules que le Feu enleve des corps, & qui disparoissent à nos yeux, ne se changent point en Feu.
Ce que c’est que la flamme & la fumée. A l’égard des parties plus grossieres des corps, le Feu les attenuë, & les transforme en un fluide élastique, que nous voyons tantôt sous la forme de fumée, lorsqu’il ne contient pas encore assez de particules de Feu pour briller, & tantôt sous celle de flamme, lorsqu’il en contient une plus grande quantité; ainsi la fumée ne différe de la flamme, que par le plus ou le moins de particules ignées qu’elles contiennent l’une & l’autre, elles montent toutes deux dans l’air par leur legereté spécifique, & par l’action du Feu qui les enleve & qui tend en haut, comme je l’ai déja dit.
En quelle proportion les différens corps se consument. Le Feu consume les corps plus ou moins vîte, selon leur densité; ainsi dans un mêlange d’Esprit de Vin, d’Huile, de Camphre, de Sel ammoniac, de Terre & de Limaille de bois, l’Esprit de Vin brûle le premier, & la flamme a la même couleur que s’il étoit seul, & tous les autres corps de ce mélange brûlent de même successivement selon leurs densités respectives.
L’air à cause de son élasticité, & l’atmosphere à cause de son poids, Pourquoi l’air est nécessaire au Feu pour brûler. sont aussi nécessaires au Feu pour entretenir son action, que la matiere même qui lui sert d’aliment; ainsi les matieres les plus combustibles ne brûleroient point sans air, & l’air ne s’enflammeroit jamais, si les exhalaisons ne mêloient pas de cette huile alimentaire à sa substance.
L’atmosphere pese sur un Feu d’un pied en quarré, comme un poids de 2240 livres environ; ce poids étant sans cesse agité, & pressant sans cesse par de nouvelles secousses, sur le corps que le Feu consume, augmente la puissance du Feu dans ce corps, à peu près par la même raison qu’un corps s’enflamme d’autant plus promptement par le frottement, que celui qui lui est successivement appliqué est plus pésant; car dans tous les feux que nous allumons, l’atmosphere fait sur le corps qui s’enflamme, le même effet qu’un corps qu’on appliqueroit successivement sur un autre par le frottement.
Pourquoi l’eau éteint le Feu, & pourquoi un soufflet l’allume. C’est par cette raison que l’eau éteint le feu, & qu’un soufflet l’allume; car l’eau empêche que les oscillations que l’air communiquoit au Feu, parviennent jusqu’à lui, & le soufflet au contraire rend les vibrations de l’atmosphere plus fortes & plus fréquentes.
La force avec laquelle un soufflet double de Forge pousse l’air dans le Feu, étant égale à la 30e. partie du poids de l’atmosphere, cette force doit faire sortir l’air avec une grande vîtesse, & le renouveller à chaque moment. On peut juger par-là combien un vent violent doit augmenter le Feu.
Des causes de l’extinction du Feu. Le Feu dure tant que l’action & la réaction excitée par cette pression de l’atmosphere subsiste. Ainsi trois choses peuvent faire cesser le Feu.
1o. La consommation du corps combustible.
2o. La suppression du poids de l’atmosphere.
3o. La destruction de l’élasticité de l’air.