Dissertation sur la nature et la propagation du feu
IV.
De l’action du Feu sur les Solides.
Le Feu raréfie tous les corps, c’est une verité que l’on a tâché d’établir dans la premiere Partie de cet ouvrage. Les fluides, les solides, tous les corps enfin sur lesquels on a operé jusqu’à présent, éprouvent cet effet du Feu, & tous les autres effets qu’il opere sur eux, ne sont que les différens degrés de cette raréfaction.
Je vais commencer par examiner les progrès & les bornes de cet effet du Feu dans les solides.
Le Feu étend les corps selon toutes leurs dimensions. Cette dilatation n’étend pas les corps seulement en longueur, mais selon toutes leurs dimensions, & cela doit être ainsi, puisque l’action du Feu se porte également de tous côtés; ainsi un cylindre de Cuivre ne passe plus, lorsqu’il est chaud, à travers le même anneau qui le transmettoit avant d’être échauffé.
Un Philosophe de nos jours, qui joint l’adresse de la main aux lumieres de l’esprit, a porté cette découverte à sa perfection, par l’invention d’un instrument qui nous fait voir la 1/12500e partie d’un pouce dans l’augmentation du volume des corps, ainsi la plus petite différence qui puisse être sensible pour nous, tombe sous nos yeux par le moyen du Pyrometre.
Cet instrument nous a appris:
Tous les solides se dilatent par l’action du Feu. 1o. Que la Craye blanche que l’on croyoit exceptée de cette regle generale de la dilatation, y est soumise, d’où l’on doit conclure qu’il est vraisemblable qu’il ne nous manque que des instrumens & des yeux assez fins pour nous appercevoir de celle que les rayons de la Lune operent, & de celle que le Sable qui paroît encore s’y refuser, subit.
La raison que suit cette dilatation, est inconnue. 2o. Cette dilatation des corps est plus grande dans les plus legers, & moindre dans ceux qui ont plus de masse; mais elle ne suit ni la raison directe de la masse, ni celle de la cohérence des parties, ni une raison composée des deux, mais une raison inassignable; car cet effet du Feu sur les corps dépend de leur contexture interne que nous ne découvrirons vraisemblablement jamais.
3o. Cette expansion des corps ne suit point non plus la quantité du Feu; il est bien vrai que plus le Feu augmente, plus la dilatation augmente aussi, mais non pas proportionnellement; la dilatation operée Un Feu double n’opere pas une expansion double, & pourquoi. par deux mêches d’Esprit de Vin, par exemple, n’est pas double de celle qu’une seule mêche opere, mais un peu moindre; & celle que trois mêches produisent est encore dans une moindre raison.
M. Bernoulli a fait voir que l’extension des fibres semblables & homogênes, chargées de poids différens, est moindre que la raison des poids, & que cette raison diminue à mesure que l’extension augmente: il en est de même de la dilatation des corps par le Feu, il les dilate d’autant moins, qu’il les a déja plus dilatés; ainsi une barre de Fer froide est comme une corde non tenduë, ces corps s’allongent tous deux, le fer par le Feu qu’on lui applique, & la corde par le poids dont on la charge, & il faudra d’autant plus de poids & de Feu pour produire une même extension, que le fer sera déja plus dilaté & la corde plus tenduë, car l’extension de la corde & la dilatation du fer sont fixées; ainsi le Feu en dilatant les corps fait sur eux le même effet que s’ils étoient étendus par une force externe quelconque, puisque la pulsion interne du Feu, & la traction appliquée extérieurement, produisent le même effet, qui est l’alongement du corps; il y a cependant cette différence, que le Feu dilate les corps en tout sens, & que la traction extérieure ne les étend qu’en longueur.
4o. On suit la marche du Feu dans la dilatation des corps à l’aide du Pyrometre, cette dilatation est plus lente au commencement, car le Feu est quelque tems à pénétrer dans les pores des corps, & à vaincre la cohesion de leurs parties, mais lorsqu’il a surmonté cette résistance, le corps se dilate davantage; enfin la dilatation est plus lente à la fin lorsqu’elle est prête d’atteindre son dernier degré, car alors le Feu ayant ouvert les pores des corps, il est transmis en partie à travers ces pores dilatés: or ce corps ne recevant que la même quantité de Feu, & en transmettant une partie, les progrès de sa dilatation doivent être moindres.
5o. Le tems dans lequel cette raréfaction s’opere par un même Feu, est différent dans les différens corps, & ne suit aucune raison assignable. La seule regle générale, c’est que plus un corps peut[4] acquérir de chaleur, & plus sa dilatation est lente.
6o. Les Métaux ne se fondent pas tous au même degré de chaleur, le Pyrometre nous apprend bien à la verité la quantité de leur expansion, mais il ne nous informe pas du degré de chaleur qu’ils acquerent dans cette expansion & dans la fusion.
M. de Musschenbroëk Inventeur du Pyrometre, imagina de découvrir la chaleur des Métaux en fonte, par la quantité de raréfaction que les différens Métaux feroient éprouver au Fer, de même que l’on connoît la chaleur des liquides par le degré de raréfaction qu’ils operent sur le Mercure, car le Fer étant celui de tous les Métaux qui se fond le plus tard, il est le plus propre à marquer ces différences.
Cette chaleur des Métaux en fonte ne se trouve encore asservie à aucune regle, elle ne suit pas même la proportion de la dilatation, car le Plomb, qui se dilate presque autant que l’Etain par un même Feu, se trouve cependant avoir besoin pour se fondre, d’un Feu presque double de celui qui fond l’Etain.
Une chose qui est encore assez singuliere, c’est que deux Métaux quelconques mêlés ensemble, se fondent à un moindre Feu, que s’ils étoient séparés.
Les métaux ne s’échauffent plus après la fusion. 7o. Lorsque la dilatation des corps est à son dernier période, leurs parties sont obligées de céder à l’action du Feu, & de se séparer; alors le Feu les fait passer de l’état de solides à celui de fluides, & c’est-là le dernier degré de l’action du Feu sur eux: car leurs pores étant suffisamment dilatés, ils rendent autant de particules de Feu qu’ils en reçoivent, ainsi la chaleur des corps n’augmente plus après la fusion.
Si la puissance du Feu sur les corps n’étoit pas bornée, le Feu détruiroit bientôt l’univers, ces bornes que le Créateur lui a imposées & qu’il ne franchit jamais, sont une des grandes preuves du dessein qui regne dans cet univers.
Le Feu sépare les corps jusques dans leurs parties élémentaires. Lorsque le Feu fait passer les corps solides à l’état de fluides, il les sépare jusques dans leurs parties élémentaires; un grain d’Or fondu avec 100000. grains d’Argent, se mêle avec l’Argent, de façon que ces deux Métaux forment dans la fusion une liqueur dorée; & si après la fusion on sépare un grain de toute cette masse, on retrouve entre l’Or & l’Argent de ce grain la même proportion de 100000. à 1, & l’on n’a point encore trouvé les bornes de cette incorporation de l’Or dans l’Argent.
On voit dans cette expérience un exemple des deux plus puissans effets du Feu sur les corps, l’un de les désunir & de les séparer jusques dans leurs principes, & l’autre de les assembler & de les incorporer ensemble.
Ces deux effets si différens, qui paroissent l’αλφα & l’ωμἑγα de la Nature, (si je puis m’exprimer ainsi,) le Feu les opere par cette même proprieté qui lui fait raréfier tous les corps, car pour que deux corps soient aussi intimement unis que l’Or & l’Argent dont je viens de parler, il faut qu’ils ayent été divisés jusques dans leurs principes, afin que leurs plus petites particules ayent pu s’unir intimement l’une à l’autre en se réfroidissant; ainsi le Feu est le plus puissant, & peut-être le seul agent de la Nature pour unir & pour séparer, il fait le Verre, l’Or, le Savon, &c. & il dissout tous ces corps, il paroît être enfin la cause de la plûpart des formations, & des dissolutions de la Nature.
Le Feu agit différemment sur les différens corps suivant la cohérence, la masse, la glutinité de leurs parties, &c. & tous ces différens effets dépendent de l’action & de la réaction perpétuelle du Feu sur les corps, & des corps sur le Feu, c’est toujours la même cause qui se diversifie en mille façons différentes.
Puisque le Feu dilate tous les corps, puisque son absence les contracte, les corps doivent être plus dilatés le jour que la nuit, les maisons plus hautes, les hommes plus grands, &c. ainsi tout est dans la Nature dans de perpétuelles oscillations de contraction & de dilatation, qui entretiennent le mouvement & la vie dans l’Univers.
La chaleur doit dilater les corps sous l’Equateur, & les contracter sous le Pole; c’est pourquoi les Lapons sont petits & robustes, & il y a grande apparence que les Animaux & les Végétaux qui vivent sous le Pole, moureroient sous l’Equateur, & ceux de l’Equateur sous le Pole, à moins qu’ils n’y fussent portés par des gradations insensibles, comme les Cometes passent de leur aphélie à leur périhélie.
Cette chaleur doit élever la terre dans la région de l’Equateur, & le froid doit abaisser celle du Pole; mais cette élevation causée par la chaleur seulement, doit être insensible pour nous.
Les corps s’échauffent plus ou moins selon leur couleur. Les corps s’échauffent plus ou moins, & plus ou moins vîte, selon leur couleur, ainsi les corps blancs composés de particules très-compactes & très-serrées, cédent plus difficilement à l’action du Feu, c’est pourquoi ils réfléchissent presque toute la lumiere qu’ils reçoivent; les noirs, au contraire, composés de particules très-déliées, cédent aisément à l’action du Feu, & l’absorbent dans leur substance; ainsi un corps noir, toutes choses égales, pese spécifiquement moins qu’un corps blanc: & la facilité avec laquelle le noir s’échauffe, fait que les terres noires sont les plus fertiles.
Ce n’est pas seulement le noir & le blanc qui s’échauffent différemment par un même Feu, mais les sept couleurs primitives s’échauffent à des degrés différens. J’ai fait teindre un morceau de drap des sept couleurs du prisme, & l’ayant mouillé également, l’eau, par un même Feu, s’est retirée des pores de ces couleurs dans cet ordre, à commencer par celles qui se sécherent le plus vîte: violet, indigo, bleu, verd, jaune, orangé & rouge. La réflexion des rayons suit le même ordre, & cela ne peut être autrement, car le corps qui absorbe le moins de rayons, est surement celui qui en refléchit davantage.
Les rayons de différentes couleurs ont peut-être différentes vertus brûlantes. Une expérience bien curieuse (si elle est possible) ce seroit de rassembler séparément assez de rayons homogênes pour éprouver si les rayons primitifs qui excitent en nous la sensation des différentes couleurs, n’auroient pas différentes vertus brûlantes; si les rouges, par exemple, donneroient une plus grande chaleur que les violets. &c. c’est ce que je suis bien tentée de soupçonner:
Natura est sibi semper consona.
Or les différens rayons ne nous donnent la sensation des différentes couleurs, que parce que chacun d’eux ébranle le nerf optique différemment; pourquoi ne feront-ils pas aussi des impressions différentes sur les corps qu’ils consument, & sur notre peau? Il y a grande apparence, si cela est ainsi, que les rouges échauffent davantage que les violets, les jaunes que les bleus, &c. car ils font des impressions plus fortes sur les yeux; la plus grande difficulté est peut-être de s’appercevoir de ces différences, le sens du tact ne paroissant pas susceptible de sentir des variétés aussi fines que celui de la vûë: quoi qu’il en soit, il me semble que cette expérience mérite d’être tentée, elle demande des yeux bien attentifs, & des mains bien exercées, je ne me suis pas trouvée à portée de la faire, mais à qui peut-on mieux s’adresser pour l’exécuter, qu’aux Philosophes qui doivent juger cet Essai?