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Dissertation sur la nature et la propagation du feu

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XI.
En quelle raison le Feu agit.

La Géométrie démontre qu’un corps qui est à deux pieds d’un Feu quelconque, en reçoit quatre fois moins de rayons que celui qui n’en est qu’à un pied; & on conclut de cette démonstration, que la lumiere & la chaleur croissent en raison inverse du quarré de la distance, au corps lumineux.

La regle du quarré des distances n’a pas lieu dans la chaleur comme dans la lumiere. Cette conclusion seroit très-juste, si la chaleur & la lumiere étoient asservies aux mêmes loix.

La lumiere n’étant que le Feu transmis en ligne droite jusqu’à nos yeux, ce Feu ne peut nous éclairer que par la quantité des rayons qu’il nous envoye.

Mais il paroît qu’il n’en est pas de même de la chaleur. Le Feu, par sa chaleur, fait plusieurs effets sur les corps, qui ne paroissent pas pouvoir être attribués à la quantité seule de ses parties, rassemblées dans un plus petit espace.

Le Feu n’agit pas seulement par le nombre de ses parties. 1o. L’effet le plus prompt & le plus violent que le Feu puisse faire, se produit par l’attrition de deux corps durs, le fer, & la pierre: or on ne peut attribuer, ce me semble, la vitrification presque instantanée de ces corps, à la seule quantité des parties du Feu.

Cette expérience prouve encore que tout le Feu ne vient pas du Soleil, car elle réussit aussi-bien à l’ombre qu’au Soleil, & la nuit que le jour.

Preuves. 2o. Le Pyrometre nous apprend qu’un Feu double n’opere pas un effet double, ni un Feu triple un effet triple dans la dilatation des corps: Donc le Feu n’agit pas toujours en raison de sa quantité.

3o. Les Phosphores brûlans produisent des effets qui ne peuvent être attribués à la seule quantité du Feu qu’ils contiennent.

4o. La chaleur du cone lumineux qui va fondre l’Or & les Pierres dans le foyer du miroir ardent, est à 5 pouces de ce foyer, très-supportable à la main, & le Thermometre dans cet endroit, ne monte qu’à 190 degrés: or comment se peut-il que par la seule densité des rayons, le Feu fasse des effets si différens à 5 pouces de distance seulement?

5o. Ce Phénomene nous apprend encore que la résistance que les corps solides apportent à l’action du Feu, est une des causes qui augmentent le plus son activité, c’est ce qui fait qu’il regne un grand froid au-dessus de l’atmosphere.

6o. Si ces effets si prompts & si violens du miroir ardent, devoient être attribués à la seule quantité des rayons qu’il rassemble à son foyer, il seroit impossible que la chaleur du Soleil fût si moderée, & qu’en Hiver même où il nous donne une chaleur si médiocre, le miroir ardent fît cependant ses plus grands effets; c’est ce que M. Lémery a très-bien remarqué: cet habile homme attribuë cette différence à l’air qui est entre le Soleil & nous, & qui modere la chaleur des rayons du Soleil, comme le bain-marie tempere la chaleur de notre Feu; mais ne pourroit-on pas lui répondre que l’air est également entre le miroir ardent & son foyer, comme entre le Soleil & nous? & que par conséquent il devroit tempérer les effets des rayons rassemblés par ce miroir, comme il tempere ceux des rayons que le Soleil nous envoye, le miroir & nos yeux les recevant du Soleil également affoiblis.

Le peu d’impression que les rayons qui entrent dans nos yeux, font sur cet organe, est encore une preuve que le Feu n’agit pas par la seule quantité.

Il paroît donc qu’il faut chercher une autre cause des effets des verres brûlans, puisqu’ils ne peuvent être attribués à la seule quantité des rayons qu’ils rassemblent à leur foyer.

Les parties du Feu acquerent une nouvelle force par leur approximation. Puisque ce n’est pas seulement par leur densité que les rayons operent tous les effets des verres brûlans, ce ne peut être que parce qu’ils acquerent une nouvelle force par leur approximation.

Le Feu ne seroit pas seul dans la Nature dont l’approximation déployeroit la force: l’Aimant n’est-il pas dans ce cas, & la distance ne détermine-t-elle pas sa vertu à agir?

Preuves.J’ai prouvé dans ma premiere partie, article VII. que les particules du Feu, ont une force qui les porte à se répandre également de tous côtés, & que cette proprieté du Feu paroît nécessaire à la constitution & à la conservation de l’Univers: or pourquoi cette force n’augmenteroit-t-elle pas en raison de l’approchement réciproque des rayons.

Il est difficile, à la verité, d’assigner en quelle proportion l’approchement des raïons augmente cette force.

Ce problême (s’il est possible) me paroît digne de l’attention des Philosophes; mais quelle que soit la proportion de cette augmentation de force que les rayons acquerent par l’approximation, il est de l’uniformité avec laquelle la Nature procede, qu’elle soit d’autant plus grande qu’ils sont plus rapprochés, & c’est vraisemblablement à cette force qu’on doit attribuer les prodigieux effets des verres brûlans.

L’effort que les parties du Feu font sans cesse pour s’éviter, & pour se répandre également de tous côtés, se voit à l’œil lorsqu’on approche deux bougies l’une de l’autre, & qu’on veut unir leurs flammes; car on les voit visiblement s’écarter & se fuir avec d’autant plus de force qu’on les approche davantage.

Il y a bien de l’apparence que le Feu agit toujours sur les corps dans une raison composée de ces deux raisons, sçavoir, la densité de ses parties, & la force qu’elles acquerent dans leur approximation.

La premiere de ces raisons, c’est-à-dire, la quantité des parties du Feu, tombe presque sous nos sens, au lieu qu’il a fallu d’aussi grandes différences que celles des effets des verres brûlans, pour nous faire appercevoir que quelqu’autre cause que la quantité des rayons qu’ils rassemblent contribuoit à les produire.

Les effervescences nous démontrent que la plûpart des particules de la matiere, sont l’une pour l’autre comme de petits Aimans, & qu’elles ont un côté attirant & un côté repoussant. La tendance que les particules des corps ont à rester ensemble par leur cohésion, & l’effort que le Feu retenu dans leurs pores, fait sans cesse pour les séparer, sont sans doute la cause de ces Phénomenes, & c’est le combat de ces deux pouvoirs antagonistes qui cause les effervescences, & peut-être la plûpart des miracles de la Chimie.

Les fermentations qui se font dans l’air, & qui causent les Tonnerres, les Vents, &c. nous prouvent encore que les corps se repoussent & s’attirent, & que ce combat augmente dans l’approchement.

Cette nouvelle force que les particules de Feu acquerent dans l’approchement, ne peut être qu’une augmentation de mouvement, & c’est par ce mouvement augmenté, qu’ils détruisent avec tant de facilité les corps les plus solides dans le foyer du Miroir ardent.

Objections contre cette opinion, & réponses. Je ne veux point dissimuler les Phénomenes qui paroissent contraires à l’opinion que je propose: les difficultés affermissent la verité, ce sont autant de fanaux mis sur la route, pour nous empêcher de nous égarer.

Je vais examiner quelques-unes de celles que j’imagine qu’on peut faire contre cette proprieté des rayons.

1o. Toute action est d’autant plus forte, qu’elle est plus perpendiculaire; & cette action mutuelle des rayons l’un sur l’autre, ne pourroit être que latérale.

Il me semble que cette objection, qui paroît d’abord spécieuse, est aisée à détruire; car, quel est l’effet du Feu sur les corps, au foyer du verre ardent? n’est-ce pas de les fondre, de les vitrifier, de les dissiper, de les séparer enfin jusques dans leurs parties élémentaires? Or une force qui n’agiroit que dans une seule direction, ne pourroit jamais produire ces effets; il faut donc que le Feu agisse sur les particules de ces corps, selon toutes sortes de directions, pour les séparer à ce point: Donc cette action latérale, loin de diminuer la force des rayons, est précisément ce en quoi elle consiste.

2o. Les rayons de la Lune, quoique très-rapprochés dans le foyer d’un verre ardent, ne paroissent point augmenter leur force, car ils ne font aucun effet sur les corps qu’on leur expose: Donc, peut-on objecter, les rayons n’ont pas cette force que vous leur supposez dans leur approchement, puisque des rayons très-rapprochés en sont privés.

Mais si on concluoit de ce raisonnement que les rayons n’acquerent pas dans leur approchement la force que je leur suppose, il faudrait en conclure aussi qu’ils n’ont pas la vertu de brûler, parce que les rayons de la Lune sont privés de cette proprieté.

3o. On peut dire encore que deux mêches dilatent moins une lamine de métal dans le Pyrometre, font moins d’effet sur elle qu’une mêche, trois en font moins que deux, & ainsi de suite; or cependant les rayons sont plus rapprochés quand il y a deux mêches, que quand il n’y en a qu’une; l’effet du Feu devroit donc être plus grand alors, mais il est plus petit: Donc cette expérience que j’ai citée ci-dessus pour prouver mon opinion, lui paroîtroit contraire. Je répons à cette objection.

Premierement, que cette force que les rayons acquerent dans l’approchement, n’est pas assez augmentée dans l’expérience dont il s’agit; ainsi dans ce cas l’effet n’est pas proportionné seulement à l’approximation des parties du Feu, mais il dépend de cette approximation, & de la résistance qu’on lui oppose.

Secondement, lorsque ces deux mêches sont éloignées, la dilatation est moindre que lorsqu’elles sont rapprochées. Ainsi la force que le Feu acquert par l’approximation de ses parties, se manifeste même alors dans un effet presqu’insensible.

Conjecture sur l’action du Feu dans Saturne & dans les Cometes. Cette augmentation de la force du Feu, par l’approximation de ses parties est peut-être une des voyes dont le Créateur s’est servi pour suppléer à l’éloignement où Saturne & les Cometes sont du Soleil. Peut-être les rayons agissent-ils dans ces Globes, en raison du cube des approchemens, & alors une très-petite quantité de rayons peut suffire pour les échauffer & pour les éclairer.

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