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Dissertation sur la nature et la propagation du feu

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XIII.
Des causes de la Congélation de l’Eau.

Il y a trois sortes de froids.

Le premier est celui qui dépend de la disposition de nos organes, car nos sens nous font souvent juger qu’un corps est plus froid qu’un autre, quoiqu’ils soient tous deux de la même température; c’est par cette illusion que le Marbre nous paroît plus froid que la Laine, que le Peuple croit les Caves plus chaudes en Hiver qu’en Eté, &c.

Le second est celui des corps qui se refroidissent réellement, & que le Feu abandonne; cette sorte de froid n’est autre chose que la diminution du Feu, & c’est d’elle dont j’ai parlé dans l’article précedent. C’est ainsi que toute la Nature se refroidit & se contracte l’Hiver, par l’absence du Soleil, & par l’obliquité de ses rayons.

Le troisiéme est la congélation.

L’absence du Feu n’est pas la seule cause de la congélation. Il semble par toutes les circonstances qui accompagnent cette troisiéme espece de froid, qu’il ne peut être attribué à la seule absence du Feu; & qu’il faut en chercher une autre cause dans la Nature.

Preuves. 1o. Le Feu raréfie tous les corps qu’il pénetre, & augmente par conséquent leur volume: Donc si la glace n’étoit causée que par l’absence du Feu, elle seroit de l’eau contractée, & elle devroit être spécifiquement plus pésante que l’eau; mais il arrive tout le contraire, l’eau augmente son volume par la congélation, environ dans la proportion de 8 à 9, & elle l’augmente d’autant plus que le froid est plus grand, & qu’elle devroit être plus contractée: Donc la glace n’est pas causée par l’absence du Feu seulement.

2o. Cette augmentation de volume de l’eau glacée, ne peut être attribuée aux bulles que l’air qui s’échappe de ses pores, éleve dans sa substance; car de l’eau purgée d’air, avec tout le soin possible, se gele sans faire paroître aucune de ces bulles, & cependant son volume augmente.

3o. Le Feu étant le principe du mouvement interne des corps, moins un corps contient de Feu, plus ses parties doivent être en repos; ainsi si la glace n’étoit causée que par l’absence du Feu, elle devroit être privée de tout mouvement sensible, mais cependant il se fait une fermentation très-violente dans sa substance, cette fermentation va même jusqu’à lui faire rompre les vases qui la contiennent, quelque solides qu’ils soient; on sçait qu’elle fit peter un canon de Fusil que M. Huguens exposa sur sa fenêtre pendant l’Hiver, après l’avoir rempli d’eau: Donc l’absence du Feu n’est pas la seule cause de la congélation.

4o. Ce mouvement dans lequel les parties de la glace se trouvent continuellement, se prouve encore par les exhalaisons qu’elle rend, elles sont si considérables, que son poids en diminuë sensiblement. M. Hals a observé que si une surface d’eau s’évapore de 1/21e. de pouce en 9 heures, à l’ombre, pendant l’Hiver, la même surface de glace, mise dans le même endroit, s’évapore pendant le même tems, de 1/31e; c’est cette transpiration qui fait que la neige qui est sur la terre, diminuë, même par le plus grand froid.

Enfin, dans les Etangs pendant la gelée on entend le bruit causé par cette effervescence, ainsi la cessation du mouvement n’est pas plus la cause de la congélation, que le mouvement n’est la cause du Feu.

5o. Si la glace n’étoit que la privation du Feu, il devroit toujours dégeler dès que le Thermometre monte à 33 degrés au-dessus de la congélation; mais le Thermometre monte souvent jusqu’à 36 & même jusqu’à 41, sans qu’il dégele; & au contraire, il dégele quelquefois lorsque le Thermometre est au-dessous de 32 degrés: Donc l’absence du Feu n’est pas la seule cause de la congélation.

6o. Si le Feu en se retirant des pores de l’eau, étoit la seule cause de la congélation, on ne pourroit attribuer cet effet qu’à l’absence du Soleil, qui fait seul la différence du plus ou du moins de Feu répandu dans l’Atmosphere, pendant l’Hiver & l’Eté.

Or M. Amontons, qui nous a si fort éclairés sur toutes ces matieres, a trouvé par ses observations sur le Thermometre, que le froid de l’Hiver ne différe du chaud de l’Eté, que comme 7 differe de 8: or comment une si petite différence dans la chaleur pourroit-elle suffire pour changer les fluides en solides, & pour faire périr quelquefois une partie des germes de la Nature?

Si la congélation ne peut être attribuée à la seule absence du Feu, il faut donc en chercher quelque autre cause dans la Nature; les circonstances qui l’accompagnent, sont ce qui peut nous servir le plus à découvrir cette cause, ainsi il faut les examiner avec soin.

Il se mêle des parties hétérogenes à l’eau, lesquelles sont la cause de sa congélation. Nous voyons que les parties de la glace sont dans un grand mouvement, il faut donc qu’il se mêle à l’eau, lorsqu’elle se gele, des parties hétérogênes, qui soient cause de cette effervescence continuelle; car aucun fluide ne fait effervescence, s’il ne se joint à lui quelque corps hétérogêne avec lequel il fermente.

L’existence de ces parties qui se mêlent à l’eau, & qui produisent sa congélation, paroît prouvée par une foule d’expériences.

1o. L’eau de la glace fonduë s’échauffe bien plus difficilement que l’autre; elle n’est plus propre à faire ni Caffé ni Thé, & ceux qui ont le palais délicat, la distinguent facilement au goût: il faut donc qu’il se soit mêlé des parties hétérogênes à cette eau, puisque sa saveur & sa qualité sont changées. Ces parties hétérogênes donnent des goitres & des maux de gorge continuels aux habitans des Alpes qui boivent de l’eau de neige.

2o. L’eau exposée à l’air se gele beaucoup plus vîte que l’eau enfermée hermétiquement dans une bouteille de verre, & cependant ces deux eaux contiennent également de particules de Feu; & les particules de Feu passent à travers le verre avec facilité: Donc si l’absence du Feu faisoit la congélation, il ne devroit pas y avoir une si grande différence dans la vîtesse de la congélation de ces deux eaux: Donc puisqu’elle s’opere si inégalement, c’est une marque certaine que des particules hétérogênes se mêlent à l’eau dans le tems de la congélation, & que ces particules passent plus facilement dans cette eau, lorsqu’elle est en plein air, que lorsqu’elle est enfermée dans une bouteille.

3o. L’épaisseur de la glace n’augmente pas à proportion du froid qu’il fait, plus la glace est épaisse le premier jour de la gelée, moins son épaisseur augmente le second, & ainsi de suite; marque certaine qu’il s’est introduit dans sa substance, des particules hétérogênes qui ont bouché ses pores & ses interstices, & en ont rendu par-là, l’accès plus difficile à celles qui veulent y pénétrer; mais les particules de Feu qui pénétrent les pores d’un Diamant, devroient sortir de cette eau glacée avec la même facilité, quelle que soit son épaisseur: il faut donc qu’il se fiche dans les particules de l’eau qui se gele, des particules roides qui remplissent ses pores, & qui sont cause de sa congélation.

Expérience singuliere faite par l’Académie de Florence, qui prouve cette opinion. 4o. Il est rapporté dans les expériences de l’Académie de Florence, que 500 livres de glace ayant été exposées à un Miroir concave, les parties frigérifiques firent baisser sensiblement un Thermometre qu’on avoit placé à son foyer, les Philosophes qui firent cette expérience craignant que ce ne fût l’effet direct de cette masse de glace sur le Thermometre, qui l’eût fait baisser, couvrirent le Miroir, & alors le Thermometre haussa, quoique les 500 livres de glace n’eussent pas changé de place: Donc ce Miroir réfléchissoit réellement des rayons glacés: Donc il falloit qu’il y eût dans cette glace des particules frigérifiques; car si la seule privation du Feu faisoit la congélation, le Miroir n’auroit pû rassembler, réfléchir le froid; une privation ne pouvant être ni réfléchie, ni rapprochée.

Mais quelles sont ces particules frigérifiques? c’est ce qui nous reste à examiner.

Les eaux glacées que nous faisons, nous font connoître quelles sont les parties frigérifiques qui causent la glace. Les Hommes ont inventé un art qui peut servir également à leur instruction & à leurs plaisirs; la façon dont on fait ce qu’on appelle des eaux glacées, peut nous servir d’indice pour découvrir la maniere dont les congélations naturelles s’operent.

Tout le monde sçait que de l’eau contenuë dans un vase que l’on entoure de sel & de neige, se glace, quelque chaud que soit l’Atmosphere, dès que le Sel commence à fondre la neige; mais si au lieu de sel on met de l’Esprit de Nitre avec la Neige, le froid qui se produit alors, fait baisser le Thermometre à 72 degrés au-dessous de la congélation: c’est Faheinrheit qui fit le premier cette expérience, & elle nous prouve invinciblement qu’il y a encore beaucoup de Feu dans la glace naturelle, puisqu’on peut produire une sorte de froid, qui surpasse de 72 degrés celui qui fait geler l’eau sur la terre. Et qui osera mettre des bornes à cette puissance d’exciter le froid! Ainsi cette expérience nous fait voir que nous ne connoissons pas plus les bornes de la congélation, que celles de la chaleur.

Ces particules sont les Sels & les Nitres dont l’air est chargé. Il y a grande apparence que les congélations naturelles s’operent de la même maniere que nos congélations artificielles, & que les particules de Sel & de Nitre, que le Soleil éleve dans l’air, & qui retombent ensuite sur la terre, s’insinuent dans l’eau, bouchent ses pores, & se fichant comme autant de cloux entre ses interstices, en chassent les particules de Feu, & font enfin que cette eau passe de l’état de fluide, à celui de solide: ainsi l’absence du Feu est une des causes de la congélation, mais elle n’en est pas la seule cause, car quoiqu’il soit vrai que dans toute congélation les particules de Feu s’envolent d’entre les pores de l’eau, cependant sans les particules roides qui s’y insinuent, l’absence seule du Feu ne suffiroit pas pour la réduire en glace: c’est ce qui paroît encore dans les liqueurs spiritueuses, comme l’Eau forte, l’Esprit de Vin, &c. qui ne gelent point, quoique, dans le froid, il se retire beaucoup de particules de Feu de leur pores.

Pourquoi l’Esprit de vin & d’autres liqueurs ne gelent point. Ces liqueurs qui ne gelent jamais dans nos climats reçoivent à la verité des parties frigérifiques comme celles qui se gelent, mais vraisemblablement ces particules frigérifiques ne fermentent point avec ces liqueurs comme elles font avec l’eau; ce qui fait qu’elles ne se gelent point, & que l’eau gele.

Plus on examine les congélations, plus on se persuade que les particules de Sel & de Nitre qui s’introduisent dans l’eau, en sont la cause.

1o. Les lieux qui abondent en glace & en neige, sont tous remplis de Sel & de Nitre; ainsi il y a des pays où il gele la nuit du jour le plus chaud: telle est la partie septentrionale de la Perse & de l’Armenie. M. de Tournefort, que l’amour des Sciences entraîna jusques dans ces pays, a remarqué qu’ils abondent en Nitre & en Sel; le Soleil qui y est très-chaud, éleve le jour, par sa chaleur, ces particules nitreuses, & elles retombent la nuit sur la terre où elles s’insinuent dans l’eau, & la gelent malgré les particules de Feu qui ont pénétré dans cette eau pendant le jour, par la présence du Soleil.

2o. Lorsqu’un pays abonde en ces sortes de particules nitreuses & salines, la chaleur du Soleil doit les élever de la terre pendant l’Eté, plus que pendant l’Hiver, car elle est beaucoup plus forte; ainsi il doit geler l’Eté dans ces pays, & c’est ce qui arrive en plusieurs endroits de l’Italie, de la Suisse & de l’Allemagne où il y a des Lacs, & même un Fleuve dans l’Evêché de Bâle, qui, au rapport de Scheuchserus, ne gele que dans l’Eté.

On connoît la sçavante Description que M. de Boze a faite des Grottes de Besançon, & l’on sçait que ces Grottes dans le plus fort de l’Eté, sont pleines de glace, & que plus il fait chaud, plus cette glace est épaisse; il sort de ces Grottes pendant l’Hiver, une espece de fumée, laquelle annonce la liquéfaction de cette glace, & un ruisseau qui est dans le milieu de la Grotte, gele l’Eté, & coule l’Hiver. M. de Billerez a examiné la terre qui couvre & entoure ces Grottes, & il l’a trouvée pleine de Nitre, & de Sel ammoniac; le Soleil fond ces Sels bien plus facilement l’Eté que l’Hiver, ces Sels coulent dans ces Grottes par des fentes, & l’eau qu’elles contiennent, se glace d’autant plus, que l’Eté étant plus chaud, le Soleil fait fondre une plus grande quantité de ces Sels: or que la glace de ces Grottes en contienne beaucoup, cela est certain, car lorsqu’on la fait fondre & évaporer, il reste dans le fond, une terre qui a le même goût à peu-près que les Yeux d’Ecrevisses.

Pourquoi de l’eau entourée de glace & de Sel, gele sur le Feu. 3o. Si l’on met de la Neige & du Sel autour d’un vase plein d’eau, & que l’on mette le tout sur le Feu, l’eau qui est dans le vase se gelera d’autant plus vîte que le Feu sera plus grand, & que la Neige sera plutôt fonduë, ce qui ne peut venir que de ce que le Feu chasse d’entre les pores de la Neige, les parties roides qu’elle contenoit, & que ces particules s’insinuent dans l’eau & la gelent; car on ne dira pas, je crois, que le Feu prive l’eau du vase, des particules de Feu qu’elle contenoit, ni qu’il diminuë leur mouvement; c’est de la même maniere que la Neige & le Sel font geler l’eau sans être dessus le Feu, car le Feu ne fait qu’accélérer sa congélation.

Il n’y a point de pays dont la terre ne contienne de ces particules salines & nitreuses, que j’appelle parties frigérifiques, mais les régions qui en contiennent le moins, sont, toutes choses d’ailleurs égales, beaucoup moins froides que les autres.

Je dis, toutes choses d’ailleurs égales, car il y a des vents qui apportent ces sortes de particules avec eux, c’est ce dont on ne peut douter, si on fait attention aux effets qu’ils produisent.

De certains vents apportent avec eux le Sel & le Nitre, qui causent la glace. 1o. Au mois de Juin, dans le milieu de l’Eté, & par un tems très-serein, l’irruption inopinée d’un vent d’Est vient geler la pointe des herbes, les vignes, les fosses qui contiennent une eau dormante, & changer entierement la température de l’air: or si ce vent n’apportoit avec lui ces particules nitreuses qui font la congélation, il ne pourroit réfroidir à ce point les herbes & l’eau échauffées depuis long-tems par le Soleil.

Or pourquoi le vent d’Est, qui vient d’un pays très-chaud, fait-il plutôt cet effet que le vent du Nord, qui vient du Pole, si ce n’est parce qu’il apporte avec lui ces particules de Sel & de Nitre, dont le Soleil éleve une plus grande quantité dans ces contrées chaudes, que sous le Pole? Donc ce n’est pas seulement parce que le vent s’applique successivement aux corps qu’il les réfroidit.

2o. Il gele quelquefois aux deux côtés, & non au milieu, dans un endroit, & non dans un autre qui lui est contigu; ces effets ne peuvent être assurément attribués à l’absence du Feu, car ces deux endroits en contiennent également; mais on voit avec évidence qu’un vent d’Est qui souffle dans un endroit, & non pas dans un autre dont quelque Montagne lui défend l’entrée, doit répandre dans cet endroit ou il souffle, les particules nitreuses dont il est chargé, ce qui cause la congélation.

3o. Une preuve que le vent par lui-même ne réfroidit point l’air, & qu’il faut que ceux qui causent le froid, apportent avec eux des particules frigérifiques ou de la glace, c’est qu’en soufflant avec un soufflet sur un Thermometre, on ne le fait jamais baisser.

Pourquoi il gele rarement l’Eté dans nos climats. 4o. Il gele rarement l’Eté, dans les climats qui n’abondent pas dans ces parties frigérifiques, parce que les particules de Sel & de Nitre étant plus divisées, plus petites, par l’agitation que la chaleur du Soleil cause dans toute la Nature, elles se soutiennent dans l’Atmosphere lorsque le Soleil les éleve de la terre, & ne retombent point sur la terre comme en Hiver; & de plus, les parties de l’eau étant dans un grand mouvement, le peu qui retombe de ces particules sur la terre, ne peut suffire pour la geler.

L’air ne gele point, apparemment à cause de la rareté de ses parties, & de leur prodigieux ressort. Il me semble qu’on peut considérer l’air extrêmement comprimé, comme une espece d’air gelé, & apparemment qu’il n’est pas susceptible par sa nature, d’une autre sorte de congélation.

Ces particules salines & nitreuses, qui s’introduisent dans l’eau, & qui devroient la rendre plus pésante lorsqu’elle est gelée, n’empêche pas cependant que sa pésanteur spécifique ne diminüe, l’augmentation de son volume & les exhalaisons qui en sortent, empêchant qu’on ne s’apperçoive du poids de ces corpuscules, qui sont d’ailleurs très-déliés, & il se peut très-bien faire que leur poids soit insensible à la grossiereté de nos balances, de même que celui des corpuscules du Musc, de l’Ambre, & de toutes les odeurs.

Je ne crois pas, après toutes ces raisons, qu’on puisse s’empêcher de reconnoître que ces particules (dont tous les Phénomenes de la Nature, & toutes nos opérations sur la glace, nous démontrent l’existence) sont absolument nécessaires à la congélation de l’eau, & que sans elles on n’en pouvoit assigner aucune cause.

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