Dissertation sur la nature et la propagation du feu
VII.
Quelles sont les propriétés distinctives du Feu.
Le Feu tend naturellement en-haut. Mais si après avoir examiné les expériences de la pesanteur du Feu, on vient à considérer sa nature & à rechercher ses propriétés, on ne peut s’empêcher de reconnoître que loin d’avoir cette tendance vers le centre de la terre, que l’on remarque dans les autres corps, il fuit au contraire toujours ce centre, & que son action se porte naturellement en haut.
L’Académie de Florence a découvert cette tendance du Feu en haut, par une expérience qui ne permet plus aux Philosophes de se méfier de leurs sens, quand ils voyent la flamme monter, & l’action du Feu se porter toujours en haut.
Deux Thermometres, l’un droit, & l’autre renversé, ayant été mis dans un tube de Verre, & deux globes de Fer, rouges & égaux, approchés à égale distance de ces tubes, le Thermometre qui étoit droit, monta sensiblement plus que celui qui étoit renversé ne descendit. Je ne rapporte point le procedé de cette expérience, ni les autres circonstances qui l’accompagnerent, on peut les voir dans les Tentamina Florentina, mais toutes ces circonstances concourent à prouver que le Feu tend naturellement en haut, loin d’avoir aucune tendance vers le centre de la terre.
Cette tendance du Feu en haut, dépend d’une autre propriété particuliére au Feu, par laquelle il tend à l’équilibre, & se répand également dans tout l’espace, lorsque rien ne s’y oppose; ainsi le Feu tend sans cesse à se dégager des pores des corps, & à se répandre en haut où il n’y a point d’atmosphere sensible, & où il peut s’étendre également de tous côtés sans obstacle; car l’atmosphere contribue infiniment à la chaleur dans laquelle nous vivons, ainsi que le froid qu’il fait sur les Montagnes le prouve.
Une expérience bien simple, & que j’ai répétée souvent, prouve encore cette tendance du Feu en haut.
Si vous mettez une assiette ou une planche sur un de ces grands cylindres de Verre qui fervent l’Eté à couvrir les bougies, & que vous laissiez une bougie allumée sous ce cylindre couvert, il est certain que la chaleur de la flamme doit à tout moment raréfier l’air renfermé dans ce verre: donc si la flamme montoit par sa seule légéreté spécifique (comme on le prétend) on la devroit voir à tout moment s’arrondir & perdre sa figure conique, puisque cet air renfermé dans le cylindre, se raréfie à chaque instant, mais c’est ce qui n’arrive point: la flamme conserve cette figure conique jusqu’au moment auquel elle s’éteint, & lorsqu’elle est très-diminuée de hauteur, on voit toujours sa pointe tendre en haut.
Pourquoi la flamme monte dans un air très-rarefié. La cause de ce phénomene est que la flamme de la bougie contient assez de feu pour qu’il puisse s’opposer à la tendance naturelle de cette flamme vers le centre de la terre, & que le Feu la fait monter par cette supériorité de force, indépendamment de la pesanteur spécifique de l’air; le Feu ne feroit peut-être pas le même effet sur toutes les flammes, car il y en a qui contiennent bien moins de particules ignées les unes que les autres.
La légéreté spécifique de la flamme est sans doute une des causes qui fait qu’on ne la voit jamais tendre en bas, c’est aussi cette légéreté spécifique qui fait monter la fumée; mais les particules de feu que la flamme & la fumée contiennent, contribuent aussi à cette tendance en haut.
Pourquoi la fumée descend dans le vuide. Tentamina Florentina. La fumée qui est la même chose que la flamme, lorsqu’elle contient moins de particules ignées, descend dans le vuide, parce qu’étant composée des particules que le Feu a détachées des corps, & ces particules tendant par leur pesanteur vers le centre de la terre: puisque dans le vuide la résistance de l’air est ôtée, & qu’alors la pesanteur de ces particules surpasse la force du Feu, elles doivent tendre en bas; mais si vous augmentez la quantité du Feu, en approchant un charbon du récipient, alors la fumée monte par la supériorité des particules du Feu.
M. Geoffroy a fait une expérience dans laquelle on voit à l’œil que le feu tend à se répandre également de tous côtés, & qu’il fait sans cesse des efforts sur les parties des corps pour les écarter les unes des autres; car cet habile Académicien rapporte qu’ayant fait fondre du Fer au Miroir ardent, & ayant ramassé les étincelles qu’il jettoit, il trouva que ces étincelles étoient autant de petits globes de fer creux; le Feu avoit donc combattu la cohesion de ces particules de fer, & leur pesanteur, & il les avoit surmontées.
Le Feu est l’antagoniste de la pesanteur, loin d’y être soumis. Le Feu est donc l’antagoniste perpétuel de la pesanteur, loin de lui être soumis, ainsi tout est dans la Nature dans de perpétuelles oscillations de dilatation & de contraction par l’action du Feu sur les corps, & la réaction des corps qui s’opposent à l’action du feu par Point de repos dans la Nature. leur pesanteur & la cohésion de leurs parties, & nous ne connoissons point de corps parfaitement durs, parce que nous n’en connoissons point qui ne contienne du Feu, & dont les parties soient dans un parfait repos; ainsi les anciens Philosophes qui nioient le repos absolu, étoient assurément plus sensés, peut-être sans le sçavoir, que ceux qui nioient le mouvement.
Le Feu conserve & vivifie tout dans l’Univers. Sans cette action & cette réaction perpétuelle du Feu sur les corps, & des corps sur le feu, toute fluidité, toute élasticité, toute mollesse seroit bannie, & si la matiére étoit privée un moment de cet esprit de vie qui l’anime, de ce puissant agent qui s’oppose sans cesse à l’adunation des corps, tout seroit compact dans l’Univers, & il seroit bientôt détruit. Ainsi non seulement les expériences ne démontrent point la pesanteur du feu; mais vouloir que le feu soit pesant, c’est détruire sa nature, c’est enfin lui ôter sa propriété la plus essentielle, celle par laquelle il est un des ressorts du Créateur.
Le Feu est également répandu partout. Un autre attribut du feu qui paroît encore n’appartenir qu’à lui, c’est d’être également distribué dans tous les corps. Les hommes ont dû être long-tems sans doute à se persuader cette vérité. Nous sommes portés à croire que le Marbre est plus froid que la Laine, nos sens nous le disent, & il a fallu pour nous détromper, que nous créassions, pour ainsi dire, un être pour juger du dégré de chaleur répandu dans les corps; cet être, c’est le Thermometre, c’est lui qui nous a appris que les matiéres les plus compactes & les plus légeres, les plus spiritueuses & les plus froides, le Marbre, & les Cheveux, l’Eau, & l’Esprit de Vin, le Vuide de Boyle, & l’Or, tous les corps enfin Tous les corps dans un même air, contiennent également de Feu. (excepté les créatures animées) contiennent dans un même air la même quantité de feu.
Il suit de cette propriété du Feu, 1o. Que tous les corps sont également chauds dans le même air, puisqu’ils font tous le même effet sur le Thermometre. 2o. Que le feu est distribué non selon les masses, mais selon les espaces, puisque l’Or & le Vuide pneumatique en Le Feu est répandu non selon les masses, mais selon les espaces. contiennent également. 3o. Qu’il n’y a aucun corps qui s’empreigne de Feu plus qu’un autre, ni qui puisse en retenir une plus grande quantité, puisque dans un même air l’Esprit de Vin n’est pas plus chaud que l’Eau, & qu’ils se refroidissent au même degré.
Si nos sens nous disent que la Laine contient plus de Feu que le Marbre, notre raison semble nous dire que l’Esprit de Vin en contient plus que l’Eau, il refracte davantage la lumiére, le plus petit feu l’enflamme, il se consume entiérement par la flamme, il ne gele jamais; enfin cette liqueur paroît toute ignée, surtout lorsqu’elle est devenue alcohol par la distillation; cependant malgré tous ces phénomenes, le L’Esprit de vin ne contient pas plus de Feu que l’eau. Thermometre décide pour l’égalité, & on ne voit pas comment l’Esprit de Vin pourroit contenir plus de feu que les autres corps, sans que le Thermometre nous en fît appercevoir; car on ne peut dire que cette plus grande quantité de Feu que contient l’Esprit de Vin, est en équilibre avec ses parties, de même qu’une moindre quantité est en équilibre avec celles de l’Eau, & que quand l’action & la réaction sont égales, c’est comme s’il n’y avoit point d’action. Car on supposeroit une chose entierement contraire à tout ce que nous connoissons de l’action du Feu sur les corps, & de la réaction des corps sur le Feu; les corps ne résistent à l’action du Feu que par leur masse, ou par la cohérence de leurs parties: or l’Esprit de Vin est de tous les fluides celui qui pese le moins (si vous en exceptez l’air) & celui dont les parties paroissent les moins cohérentes; l’alcohol, qui est plus leger que l’Esprit de Vin, est encore plus inflammable que lui; ainsi plus on considére le Feu comme un corps qui agit selon les loix du choc sur les autres corps, moins on trouvera vrai-semblable que le corps le plus léger soit de tous celui qui résiste le plus à l’action du Feu. Donc puisque le Thermometre fait voir que l’Esprit de Vin ne contient pas plus de Feu que l’Eau, il faut convenir que le Feu est distribué également dans tout l’espace, sans égard aux corps qui le remplissent. Si l’Esprit de Vin rompt plus la lumiére que des liquides plus denses, s’il ne se gele jamais, cela dépend vrai-semblablement de la contexture & de la distribution de ses pores, & nullement d’une plus grande quantité de Feu contenue dans sa substance, & s’il s’enflamme plus aisément, c’est qu’il contient plus de pabulum ignis, & que ses parties sont plus aisément séparées.
Le Marbre nous paroît plus froid que la Laine, parce qu’étant plus compact, il touche notre main en plus de points, & qu’il prend par conséquent d’autant plus de notre chaleur; ainsi malgré quelques apparences, nous sommes forcés de reconnoître cette égale distribution du Feu dans tous les corps.
Le froid artificiel que Faheinrhest a trouvé le moyen de produire, & qui fait baisser le Thermometre à 72 degrés au-dessous du point de la congélation, prouve que dans les plus grands froids que nous connoissions, aucun corps n’est privé du Feu, & qu’il habite en tous, & en tout tems.
Le Feu tend par sa nature à l’équilibre. Cette distribution égale du Feu dans tous les corps, cet équilibre auquel il tend par sa nature, & dont on a été si long-tems sans s’appercevoir, nous étoit cependant indiqué par mille effets opérés par le Feu, qui sont sans cesse sous nos yeux, & ausquels on ne faisoit aucune attention.
Preuves. 1o. Toutes les parties d’un corps quelconque s’échauffent également, pourvû que le Feu ait le tems de le pénétrer; or si le Feu ne tenoit pas à l’équilibre par sa nature, il est à croire qu’il trouveroit dans les corps, des parties dans lesquelles il pénétreroit plus facilement que les autres, ainsi leurs parties seroient inégalement échauffées, ce qui n’arrive pas.
2o. Un corps tout pétillant de Feu, auquel on applique un corps froid, perd de sa chaleur jusqu’à ce qu’il ait communiqué à cet autre corps une quantité de Feu qui rétablisse l’équilibre entr’eux.
3o. L’Huile de Tartre par défaillance, qui nous paroît si ignée, & l’Huile de Térébenthine distillée, qui garantit nos corps du froid, & qui nous paroît si chaude, ne le sont pas plus par elles-mêmes que l’Eau pure; car étant mêlées avec l’Eau, elles ne changent rien à sa température: ce qui prouve que l’effervescence que quelques liqueurs font avec l’eau, ne vient pas de ce que ces liqueurs contiennent plus de Feu que l’eau pure.
Cette tendance du Feu à l’équilibre, est la cause de l’échauffement & du refroidissement des corps. 4o. Cette tendance du Feu à l’équilibre paroît être la cause de l’échauffement des corps, car sans cette indifférence du Feu pour un espace quelconque, il seroit difficile d’imaginer comment tous les corps pourroient s’échauffer si facilement; mais cette tendance du Feu quaquaversum fait qu’il est aisé de le rassembler, & que peu de chose suffit pour rompre son équilibre, de même que le moindre poids fait pancher une balance bien juste.
5o. Cette égale distribution du Feu semble être encore l’unique cause du refroidissement des corps échauffés, car on ne voit nulle raison pour laquelle le Fer tout imprégné de feu, n’en retiendroit pas quelques particules dans sa substance, ni pourquoi aucun corps n’exhale tout le Feu qu’il contient; l’équilibre du Feu donne la clef de toutes ces énigmes, car cet équilibre demande que tous les corps en contiennent une certaine quantité déterminée. C’est encore cette tendance du Feu à l’équilibre, qui fait que l’Huile & l’Esprit de Vin, ces liqueurs si spiritueuses, se refroidissent après l’ébullition au même degré que l’Eau; car comment l’air pourroit-il leur ôter la chaleur qu’elles acquiérent en bouillant, si le Feu par lui-même ne tendoit à rétablir l’équilibre entre tous les corps, dès que la cause qui l’avoit rompu, vient à cesser? Les corps se refroidissent également dans le Vuide de Boyle, & dans l’Air; or si le Feu ne tendoit pas à l’équilibre, les corps une fois échauffés devroient conserver plus de particules de Feu dans le Vuide que dans l’Air.
6o. Le même Feu qui fond l’Or & les Pierres au foyer du Miroir ardent, répand dans l’air une chaleur qui nous est à peine sensible, parce que l’air ne s’oppose pas à l’équilibre du Feu comme l’Or & les autres corps, qui, par leur solidité, le retiennent quelque tems dans leurs pores. C’est encore pourquoi le Feu du Soleil raréfie l’air supérieur sans l’échauffer sensiblement, car la pression de l’atmosphere n’opposant plus sa résistance au Feu, il s’étend sans obstacle, & n’est plus rassemblé en assez grande quantité, pour que nous nous appercevions de sa chaleur; la nécessité de cette pression de l’atmosphere, pour la chaleur du Feu, se fait voir sensiblement dans l’Eau, qui acquiert un plus grand degré de chaleur en bouillant, à proportion de la plus grande pesanteur de l’atmosphere.
7o. Une preuve de l’indifférence du Feu pour tous les corps quelconques, c’est que l’air d’ici-bas, qui est composé de toutes les parties hétérogenes qui se mêlent à lui par les exhalaisons, s’échauffe également par un même Feu.
8o. Le Thermometre d’Esprit de Vin, qui est composé d’une liqueur très-spiritueuse, baisse dans les fermentations froides, & hausse dans les chaudes; d’où peut venir cet effet, si ce n’est de ce que dans les unes il donne de sa chaleur aux corps qui fermentent, & que dans les autres il prend de la leur, ce qui n’arriveroit pas si le Feu ne tendoit à se répandre également dans tous les corps.
Une des propriétés distinctives & inséparables du Feu, est donc d’être également répandu dans tout l’espace, sans aucun égard aux corps qui le remplissent, & de tendre à rétablir l’équilibre de la chaleur entre les corps, dès que la cause qui l’a rompu vient à cesser.
Le Feu paroît incapable par sa nature, d’un repos absolu. Il paroît très-vraisemblable que le Feu est capable de plus ou moins de mouvement, selon que les corps lui résistent plus ou moins, ou que sa puissance est excitée par le frottement, mais que le repos absolu est incompatible avec sa nature; & que c’est le Feu qui imprime aux corps le mouvement interne de leurs parties, c’est ce mouvement qui est la cause de l’accroissement & de la dissolution de tous les corps de l’Univers; ainsi le Feu est, pour ainsi dire, l’ame du monde, & le souffle de vie répandu par le Créateur sur son ouvrage.