Dissertation sur la nature et la propagation du feu
X.
Comment le Feu agit dans le Vuide.
L’air paroît aussi nécessaire au Feu pour brûler, qu’aux Animaux pour vivre; cependant la Machine Pneumatique nous a fait voir que cette regle si générale, a aussi ses exceptions.
Quelques corps s’enflamment dans le vuide. 1o. Du Souffre versé dans le vuide sur un Fer chaud, donne une lumiere très-foible à la verité, & qui s’éteint très-vîte, mais enfin il s’enflamme.
2o. Quelques grains de Poudre à Canon jettés sur ce Fer, s’enflamment sans explosion. M. Hauksbée assure que lorsqu’on y en jette une plus grande quantité, elle fait explosion & casse même le récipient: Boyle rapporte avoir fait à peu près la même expérience avec le même succès.
3o. L’Huile de Gérofle s’enflamme dans le vuide, & c’est la seule de toutes les Huiles qui ait cette vertu.
4o. Les Pierres & les Métaux se vitrifient dans le vuide par la percussion, mais ils n’y jettent point d’étincelles.
5o. Du Phosphore d’urine enfermé hermétiquement dans une boule de verre, à laquelle on donne un feu de 120 degrés, jette une flamme très-légere.
Je ne parle point des effets du Verre ardent dans le vuide, n’ayant pas eu la commodité de m’en instruire, & de faire les expériences nécessaires.
Il est assez difficile de concevoir comment l’air peut être si nécessaire au Feu pour brûler, & comment en même tems il peut y avoir des corps qui brûlent dans le vuide; car quels seront les corps qui brûleront sans air? Quelle sera enfin la cause de cette différence? Conjecture sur la cause de ce phénomene. Seroit-ce que les corps plus inflammables, plus pleins de la matiere qui est l’aliment du Feu, comme le Souffre & la Poudre à Canon, s’enflammeroient plus aisément, & que le Feu pour les embraser n’auroit pas besoin d’être excité par les secousses & le poids de l’atmosphere? La foiblesse & le peu de durée de la flamme, que ces corps donnent dans le vuide, rendent cette conjecture assez vraisemblable.
Cependant malgré ces exceptions, les corps en général ne s’allument point dans le vuide, & ils s’y éteignent très-promptement, mais ils s’y réfroidissent précisément dans le même espace de tems que dans l’air; Les corps se refroidissent également vîte dans le vuide & dans l’air. c’est de quoi M. de Musschenbroek s’est convaincu en mettant deux Pyrometres sous deux récipiens, l’un plein d’air, & l’autre entierement vuide.
Ce réfroidissement des corps dans le vuide, est une des plus fortes preuves de l’équilibre du Feu; car ils ne se réfroidissent pas dans le vuide, parce que l’air prend à tout moment de leur chaleur: Donc ils se réfroidissent alors par la seule tendance du Feu à l’équilibre; ainsi le contact des corps froids accelere le réfroidissement des corps échauffés, mais il ne le cause pas.
L’eau bout d’autant plus promptement dans le récipient, que l’on en a tiré plus d’air, & les urines de différens Animaux, de même que plusieurs mêlanges, y bouillent plus ou moins vîte, selon que le vuide est plus ou moins parfait.
Enfin la plûpart des effervescences, tant chaudes que froides, s’operent dans le vuide comme dans l’air; il y a même des liqueurs dont le mêlange ne fait point d’effervescence dans l’air, & qui fermentent sous le récipient; mais les bornes de ce mémoire ne me permettent pas d’entrer dans ces détails.