Dissertation sur la nature et la propagation du feu
V.
Comment le Feu agit sur les Liquides.
On sçauroit peu de chose sur la façon dont le Feu agit sur les liquides, sans la découverte de M. Amontons; on sçait que ce sçavant homme, en cherchant le moyen de faire un Thermometre plus parfait que L’eau bouillante n’acquert plus de chaleur. celui de Florence, découvrit que l’eau qui bout, acquert un degré de chaleur déterminé, passé lequel elle ne s’échauffe plus par le plus grand Feu.
Le célébre M. de Reaumur, & Faheinrheit, cet Artisan Philosophe, ont perfectionné tous deux cette découverte d’Amontons.
M. de Reaumur a remarqué que l’eau ne fait pas monter le Thermometre à son dernier période dans le moment même de l’ébullition, mais quelque tems après, & que ce tems va même quelquefois jusqu’à un quart d’heure; ce Philosophe nous en a appris la raison, la liqueur du Thermometre se réfroidit en montant dans le tube, & il faut du tems pour que la chaleur de l’eau contrebalance cet effet des parties du tube; ainsi la chaleur de l’eau n’augmente pas réellement après l’ébullition, mais elle paroît augmenter, & cette augmentation apparente a trompé plusieurs Physiciens, & leur a fait douter de la découverte d’Amontons avant la remarque de M. de Reaumur.
Faheinrheit de son côté a découvert que la pression de l’Atmosphere augmente la chaleur que l’eau acquert en bouillant, en sorte que plus l’Atmosphere est pesant, plus il faut de Feu pour faire bouillir l’eau. Pourquoi? Cette découverte est confirmée par ce qui arrive dans le vuide, où l’eau qui n’étoit que tiede dans l’air, bout dans le moment qu’on la met sous le récipient.
On voit aisément la raison de ce qui arrive alors, car lorsque la surface de l’eau est pressée par un plus grand poids, le Feu sépare plus difficilement ses parties, & par conséquent il faut une plus grande quantité de Feu pour la faire bouillir, puisque c’est dans cette séparation des parties des liquides, que consiste l’ébullition; ainsi il est vraisemblable que l’eau, pressée par un poids pareil à celui que l’Atmosphere auroit à 409640 toises au dessous de la surface de la terre, brilleroit comme les métaux en fonte, car le poids de l’Atmosphere à cette profondeur, seroit égal à celui de l’Or, suivant le calcul de M. Mariotte.
Cette propriété de l’eau de ne point augmenter sa chaleur passé l’ébullition, appartient à tous les fluides, ainsi:
Il en est de même des autres fluides. 1o. Ils acquerent tous des degrés de chaleur différens dans l’ébullition, car il faut que le Feu soit en plus grande quantité pour faire les mêmes effets sur les corps qui lui opposent une plus grande résistance; mais cette quantité de Feu plus ou moins grande, que les différens liquides reçoivent dans leurs pores, ne dépend point de leur masse, car l’Huile qui est plus légere que l’eau, acquert cependant près de trois fois autant de chaleur que l’eau avant de bouillir, & l’Esprit de Vin qui est aussi plus léger que l’eau, acquert moins de chaleur qu’elle dans l’ébullition.
Le Mercure est de tous les fluides celui auquel il faut un plus grand Feu pour bouillir; ainsi on connoît avec certitude le plus grand degré de chaleur des autres fluides, à l’aide des Thermometres de Mercure.
La raréfaction ne suit point la densité des liquides. 2o. La quantité de la raréfaction que le Feu opere sur les fluides, depuis le froid artificiel produit par l’Esprit de Nitre, jusqu’à l’ébullition, est différente dans les différens fluides; mais elle ne suit ni la raison de la pesanteur spécifique, ni celle de la glutinité des parties, ni aucune raison constante, car l’Esprit de Vin qui est plus léger que l’eau, augmente son volume de 1/9e. & l’eau seulement de 1/85e. mais le Mercure dont la pesanteur spécifique est à celle de l’eau comme 14 à 1, augmente le sien de 4/51es. Ainsi il en faut toujours revenir à la contexture intime des corps quand on veut expliquer les effets que le Feu fait sur eux; & comme nous ne la connoîtrons jamais, il y aura toujours dans ces effets des exceptions aux regles les plus générales.
3o. La raréfaction de presque tous les fluides s’opere par des especes de sauts inégaux; le Mercure est celui de tous qui se raréfie le plus également, & c’est un des avantages des Thermometres qui en sont composés.
4o. L’Air qui est de tous les fluides celui qui se raréfie le plus, ne parvient jamais jusqu’à l’ébullition, sa raréfaction est telle, que la chaleur de l’eau bouillante augmente son volume d’un tiers, & c’est encore à M. Amontons à qui nous devons cette découverte: cette grande raréfaction est peut-être ce qui l’empêche de bouillir, de même que l’Esprit de Vin ne bout point au foyer d’un verre ardent, parce qu’il s’évapore dans le moment; ainsi après que le Feu a fondu les solides & fait bouillir les liquides, si son action est continuée il fait évaporer leurs parties.
Effets surprenans des différentes mixtions des liqueurs. 5o. Le mêlange des différentes liqueurs, produit des effets très-singuliers.
Quelquefois les liqueurs mêlées s’enflamment, & c’est ce qu’on appelle des fulminations; plusieurs Huiles font cet effet avec l’Esprit de Nitre.
Dans d’autres mêlanges, il se fait une grande effervescence, qui produit le réfroidissement des liqueurs, & c’est ce qu’on appelle des fermentations froides dont j’ai parlé dans ma premiere Partie, c’est ainsi que l’Esprit de Vin fermente lorsqu’il est mêlé avec l’Huile de Thérébentine.
D’autres liqueurs au contraire, s’échauffent très-sensiblement par la mixtion, ainsi l’Esprit de Vin mêlé avec de l’eau fait monter[5] le Thermometre de 18 degrés. Il fait à peu près le même effet avec notre sang; & c’est ce qui fait que les liqueurs spiritueuses sont mortelles, quand on en abuse.
Dans les fermentations chaudes, le mêlange s’échauffe dans le moment même de la mixtion, la Poudre à Canon ne prend pas feu plutôt, & lorsque le mêlange est parfait, la liqueur ne s’échauffe plus, quelque fort qu’on la remuë.
Il y a des mêlanges qui s’échauffent plus que d’autres, parce que les particules des liqueurs qui les composent, agissent plus puissamment les unes sur les autres; de même que certains corps acquerent plus de chaleur que d’autres, par l’attrition de leurs parties.
La chaleur que les fermentations chaudes produisent dure jusqu’à ce que le mouvement où sont les liquides cesse, alors ils retournent à leur premiere température, de même que la chaleur que les solides acquerent par le frottement, se dissipe dès que le mouvement interne de leurs parties vient à cesser.
L’analogie seroit parfaite, s’il y avoit des corps solides qui se réfroidissent par le frottement, comme il arrive à quelques liqueurs de se refroidir par la mixtion, mais nous n’en connoissons point.
Il paroît plus difficile de connoître ce qui cause les fermentations froides que les chaudes.
Il est cependant vraisemblable que c’est la même cause qui agit dans les unes & dans les autres; toute la différence consiste en ce que dans les fermentations chaudes, les particules ignées font évaporer les particules les plus légeres des liqueurs, & que dans les froides, ce sont les parties de Feu qui s’évaporent: ainsi ces effets si différens dépendent vraisemblablement de la façon dont les particules des différentes liqueurs agissent les unes sur les autres.
Mais l’effet le plus singulier de ces mêlanges, & qui paroît entierement inexplicable, c’est que deux quantités égales, mais inégalement échauffées, d’un liquide quelconque, prennent par la mixtion, un degré de chaleur qui est la moitié de la différence de la chaleur que ces deux portions du même liquide avoient avant d’être mêlées; ainsi une livre d’eau qui tient le Thermometre à 32 degrés, étant mêlée à une autre livre d’eau bouillante qui le tient à 212, fera monter le Thermometre après la mixtion, à 90: or 90 est la moitié de la différence de 32 à 212.
De quelque façon qu’on explique ce Phénomene si singulier, il est toujours certain qu’il est une nouvelle preuve de l’égalité avec laquelle le Feu se répand dans les corps.
Dans toutes les fermentations, soit chaudes, soit froides, le mouvement dure jusqu’à ce que les liqueurs ayent repris leur température ordinaire; ce mouvement est causé par le combat de l’action du Feu sur les corps, & de la résistance que les corps lui opposent par leur cohesion, ce qui nous prouve que les fermentations froides dépendent aussi de la combinaison de ces deux forces.