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Eldorado : $b roman

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IV

Ce jour-là, le quatrième de la traversée, il faisait encore un temps splendide. Une grande animation régnait sur le pont des premières. L’Eldorado y prenait des airs de fête. On hâtait les préparatifs d’un bal de charité qui devait avoir lieu, le soir même, au bénéfice de la Société centrale pour le sauvetage des naufragés. Mme Larderet, Mme Gallerand et le consul Danglar, qui formaient un groupe à part, interrompirent un moment leur conversation pour observer les matelots occupés à décorer l’arrière du navire avec des pavillons, d’énormes lanternes chinoises et tous les fanaux du bord, tandis que d’autres disposaient déjà un peu partout des rangées de sièges. Il ne manquait que des plantes vertes et des fleurs. Mais le commandant Lagorce, très gai, s’excusait plaisamment en montrant les côtes arides du Maroc, que le paquebot longeait depuis l’aube. Le commissaire annonçait qu’on servirait des glaces et qu’on souperait. Enfin, l’orchestre des tziganes avait promis son concours pour toute la soirée.

— Je m’inscris sur votre carnet pour la première valse, dit M. Danglar à Mme Larderet.

— Je ne danserai pas, déclara celle-ci.

— Pourquoi ?

— Je ne suis plus jeune et je suis veuve… Je vous regarderai, cela m’amusera tout autant.

— Moi non plus, je ne danse pas, dit Mme Gallerand.

— Vous, vous n’avez pas d’excuse, fit Danglar. Vous m’accorderez une valse.

— C’est impossible.

— Voyons, une seule, rien qu’une ?

— Non, pas même.

— Ce n’est pas gentil, là !

— Je vous assure que cela contrarierait beaucoup mon mari.

— Le colonel, un si charmant homme ? Il est donc…

— Vous tenez à le savoir ? Eh bien, oui, il est très jaloux… La danse, ça l’exaspère ; à l’entendre, c’est indécent, ça encourage le flirt, ça autorise des frôlements, des étreintes que la morale réprouve… Enfin, à son avis, une femme qui se respecte ne doit pas danser.

— Et M. Gallerand a raison, approuva Mme Larderet. Mon pauvre mari pensait tout à fait comme lui. Même, il m’interdisait les bains de mer, que les médecins m’avaient tant recommandés… Pauvre cher homme ! ajouta-t-elle avec un profond soupir, après vingt ans de mariage, il était comme au premier jour !

Le diplomate ne put réprimer un sourire. La veille, une mauvaise langue lui avait révélé le passé galant de la respectable veuve. Vers 1880, à Paris, toute une génération d’étudiants en avait fait ses délices. Elle était alors la reine du Quartier Latin, parant de ses cheveux dorés, de son éclat de courtisane fauve, les restaurants de nuit et les bals publics, allumant tous les regards, quand elle dansait, par sa sensualité brûlante, l’ardeur lascive de ses déhanchements. Et Danglar lui-même, qui, justement à cette époque, commençait son droit, se demandait s’il n’avait pas goûté jadis à ces lèvres ardentes. Il lui semblait bien, en effet, maintenant, que quelque chose, dans ce visage de veuve vénérable, ne lui était pas absolument étranger — quelque chose qui n’était plus la beauté, n’en avait plus l’éclat, mais qui en gardait le reflet. Oui, une nuit, peut-être, il n’en était pas bien sûr, c’était si loin, ce bon temps-là, et il en avait tant vu depuis, ayant mené lui-même une jolie vie et passé, pendant vingt ans, à travers toutes les amours avec l’admirable sécheresse d’un conquérant.

— Soyez sans inquiétude, monsieur Danglar, dit Mme Gallerand, vous ne manquerez pas de danseuses, ce soir. Voici, par exemple, une jeune évaporée qui ne se fera pas prier, ajouta-t-elle en désignant Myrrha, qui papillonnait de groupe en groupe, ayant un mot gentil pour chacun, dans un besoin incessant d’agitation vaine. Et rien n’était beau comme sa chevelure abondante, d’une légèreté de fine poussière d’or, flambant au soleil.

Elle était la jeunesse et la grâce, égayant l’assistance de sa candeur ravie et de son frais babil ininterrompu, dissipant l’ennui que provoquent à la longue le spectacle monotone de la pleine mer, le ciel constamment limpide, les mêmes visages sans cesse aperçus. C’était elle qui organisait les jeux, jouait du piano, elle qui chantait — d’une voix très douce, qu’emportait parfois la brise infinie du large. Elle encore qui devinait les charades, mettait l’entrain partout, elle, toujours elle, capricieuse, fantasque, jamais lasse, étourdissante presque avec ses réparties imprévues, ses gestes vifs, ses sautillements d’oiseau.

Elle était si fluette, cependant, d’une telle gracilité maladive, qu’on finissait par s’étonner et s’émouvoir de cette gaieté extraordinaire qui ne se démentait pas un instant, de ce regard clair et joyeux que jamais n’embrumait l’ombre la plus fugitive de mélancolie.

La vieille parente, qui veillait sur elle, restait silencieuse et grave, souriant à peine, parfois, d’un sourire contraint, tandis que ses prunelles se noyaient de larmes. Myrrha, tout bas, l’exhortait à prendre un autre visage.

— Tu vois bien que je ne souffre pas… Je suis heureuse, très heureuse. Je ne veux pas qu’on me plaigne.

Avec une adorable mutinerie, elle plaisantait les gens soucieux, dont le front se barrait de rides sévères, ou dans les yeux desquels elle surprenait une pitié maladroite.

— Vous êtes triste ?… Auriez-vous le mal de mer ? Regardez comme il fait beau ! On n’est pas malade par ce temps-là… Je vais vous jouer une valse.

Elle se remettait au piano, faisait courir sur les touches blanches ses mains plus blanches encore, d’une transparence de cire. Et, sous ses doigts fragiles, les notes les plus graves avaient un son joyeux, éclatant d’allégresse.

Elle était, ce jour-là, déjà prête pour le bal, parée de tous ses bijoux, de dentelles qui flottaient au vent et de deux beaux œillets écarlates qui coloraient ses pommettes, tandis que ses lèvres avouaient la soif inassouvie d’aimer, de se donner et de vivre, de vivre vite… Bientôt, peut-être, ce serait trop tard.

Il était environ quatre heures. L’océan frémissait sous un ciel de feu, rouge et brumeux à l’Occident.

— Il y aura encore bal demain, dit en riant le commissaire.

Et comme on n’avait pas saisi la plaisanterie, il précisa :

— C’est un bel orage qui se prépare, nous danserons.

— Tant mieux, fit Danglar, ça rafraîchira le temps.

Il faisait, en effet, une chaleur accablante. Des passagers prolongeaient leur sieste en plein air, sur le pont. D’autres lisaient, flânaient ou se glissaient sans bruit dans le dédale des fauteuils, contemplant les poses variées des dormeurs et des dormeuses, avec ce regard vague et somnolent qui donne aux voyageurs sur mer la lassitude des espaces sans bornes.

Armand Reboul et M. Rolande, assis l’un près de l’autre, causaient bas, pour ne pas réveiller Mme Rolande, qui reposait à côté d’eux, dans une chaise longue. Les deux hommes, dès les premiers jours, s’étaient intimement liés. Ils en étaient déjà aux confidences.

— Qu’avez-vous donc, mon cher ami ? interrogea M. Rolande… Je vous sens agité et fiévreux… Il se passe en vous quelque chose d’extraordinaire, de mystérieux.

— Quand on est seul dans la vie, soupira Armand, il est des heures où l’on éprouve comme un grand vide !

— Mariez-vous, mon ami, je suis convaincu que vous rendriez une femme heureuse.

Armand allait répondre, lorsqu’il s’aperçut que les paupières de Mme Rolande frémissaient un peu et, devinant qu’elle ne dormait pas, il éleva la voix pour dire :

— J’avais fait ce souhait, mais le destin est cruel parfois : la seule femme que j’aie jamais aimée est aujourd’hui mariée.

— Et vous l’aimez encore ?

— Oui, dit Armand.

— Alors, vous êtes parti… par désespoir ?

— Non, pour la retrouver… et j’irai, s’il le faut, jusqu’au bout du monde.

M. Rolande s’égaya soudain :

— Votre aventure est romanesque ; mais voulez-vous que je vous en prédise le dénouement ?… Cette femme vous aimera, mon ami, car vous lui aurez donné une rare preuve d’amour. Vous serez son amant, et c’est beaucoup de bonheur que j’entrevois pour vous dans l’avenir.

Un irrésistible sourire monta aux lèvres d’Armand, et il craignit un instant que Mme Rolande elle-même ne partît à rire ; mais il lui parut, au contraire, qu’une légère rougeur se répandait sur son visage. Alors, sérieux, il déclara :

— Oui, cela pourrait être, si les honnêtes femmes n’étaient retenues par cette fausse conception de la vertu, qui leur commande le renoncement au bonheur, la fidélité éternelle dans un mariage sans amour. Et la plupart redoutent aussi l’indiscrétion, le scandale, l’abandon… Tant d’hommes sont légers, vaniteux, inconstants ! Parce qu’ils n’aiment pas vraiment. Je sens bien que je ne suis pas de ces gens-là. La véritable passion est discrète, silencieuse, exclusive… Une voix intérieure m’avertit que je n’aurai dans ma vie d’autre amour que celui-là.

Il avait haussé le ton, pour que Mme Rolande ne perdît rien de ses paroles. Évidemment, elle ne dormait pas, car ses paupières baissées semblaient s’éclairer d’une flamme intérieure, refléter l’éclat de ses prunelles.

M. Rolande demeura un moment songeur. Un pli mélancolique parut au coin de sa bouche, et il dit enfin d’une voix lente, où il y avait à la fois du regret, de la tristesse et du dépit :

— Je ne vous plains pas ; non, je ne vous plains pas… Heureux les hommes de notre époque qui peuvent aimer, qui en ont le loisir ! Ce privilège appartient à bien peu dans la terrible lutte pour l’existence, le souci dévorant du lendemain qui enfièvre nos sociétés modernes. Les Werther, les René, les Obermann se font rares… On n’a plus le temps ! La nécessité de gagner son pain, chaque jour, accapare toute l’énergie vitale, toutes les forces du cœur et de l’intelligence. La vie nous trique, il faut marcher, combattre sans trêve, sans répit… Ainsi, moi, où aurais-je trouvé le temps d’être amoureux, même de ma femme ? Toujours l’inquiétude, le travail, la bataille !… Je n’avais pas de rentes, moi ; je n’avais que des diplômes, je sortais de l’École Centrale… Ah ! le prolétariat intellectuel, les carrières libérales !… Mes parents, des sans-le-sou, auraient mieux fait de m’apprendre un bon métier manuel ; je n’aurais jamais été tout près de la misère et je ne serais pas obligé maintenant d’aller là-bas, si loin, et pour quelle situation, mon Dieu ! Juste de quoi vivre… Vous savez, mon ami, entre nous, ce que je vous raconte là. Les autres n’ont pas besoin de savoir, il vaut mieux sauver sa devanture, bluffer un peu, comme on dit aujourd’hui. C’est de l’héroïsme moderne.

Mme Rolande avait entendu, et, feignant de se réveiller, elle se dressa, mais aussitôt détourna la tête pour cacher ses yeux pleins de larmes et qui brillaient comme une flamme sous l’onde. En un instant, tout le passé s’était rouvert, ainsi qu’une blessure. Elle n’avait jamais été heureuse ! Du mariage, elle ne connaissait que les servitudes. Jamais une joie pure, une bonne journée sereine et voluptueuse, en quinze ans de ménage ! Ah ! que d’efforts, de courage, de petits mensonges, pour sauvegarder les apparences, tenir son rang dans la société ! Car ils faisaient partie de la société… Toujours le sourire aux lèvres et l’angoisse au cœur ! Elle accomplissait des miracles pour figurer dans le monde. « C’est par les relations qu’on arrive », affirmait M. Rolande. Mais le bluff ne leur réussissait guère, la situation s’aggravait, si bien qu’un jour, il fallut inventer une histoire, une ruine soudaine, consentir enfin à s’expatrier pour un gagne-pain dérisoire, qu’une Compagnie américaine offrait au malheureux ingénieur. Voilà à quoi avaient abouti tant de patience, de dévouement, de volonté ! Elle n’en voulait pas à son mari, qui l’avait épousée sans dot et qui avait bien fait son possible, très honnête, très laborieux, mais poursuivi par la malechance. Elle lui était restée fidèle, et combien, pourtant, l’avaient courtisée, séduits par sa grâce élancée, son ravissant visage ovale, d’une candeur délicieuse de blonde qui, chez elle, ne mentait pas, car elle avait gardé, à travers le mariage, cette virginité morale de tant d’honnêtes femmes qui donnent à leur mari ce qu’il est en droit d’exiger, mais rien de plus, rien de leur être intime et profond.

Pour la première fois, Mme Rolande éprouvait, en présence d’Armand Reboul, cet amollissement du cœur qui annonce de prochaines défaillances. En vain se défendait-elle contre un sentiment si doux, sa reconnaissance s’élançait vers celui qui répandait du romanesque, ainsi qu’une rosée, sur la sécheresse de sa vertu conjugale. Ce grand amour, venu tard, à l’heure du renoncement, lui embaumait l’âme, comme les fleurs tardives la terre désolée par les premiers souffles de l’automne. Lui, charmé de la trouver si belle encore, la contemplait, en songeant au bonheur qu’il aurait, ce soir-là, à danser avec elle, à sentir, si près de lui, dans l’ivresse d’une valse, les pulsations tièdes de sa chair.

Elle leva les yeux sur l’horizon, où s’amassaient de gros nuages noirs, sillonnés par de longues raies de feu, tandis que le soleil, à l’occident, prenait un éclat singulier d’or en fusion.

— Nous allons avoir de l’orage, annonça-t-elle.

— Oui, demain ou très tard, cette nuit, dit M. Rolande. Et, d’ailleurs, ça ne changera pas l’état de la mer, s’il n’y a pas de vent. Nous n’avons à craindre que le roulis et le tangage. J’ai déjà vu l’océan très calme, malgré la pluie, les éclairs et le tonnerre… Puis, il faut bien s’attendre à quelques petites bourrasques, en vingt-trois jours de traversée.

— Les marins ne redoutent que la brume, car elle les empêche de rien apercevoir, ni les phares, ni les fanaux des autres navires, expliqua Reboul, et c’est par elle que se produisent les abordages, les échouages, la plupart des sinistres en mer. Mais il est rare qu’il y ait de la brume, en cette saison.

— Je ne suis pas aussi rassurée que vous, dit Mme Rolande. Regardez donc ce ciel, là-bas, ces nuées menaçantes… Oh ! nous allons être ballottés, vous verrez.

— Un petit grain, peut-être, répliqua l’ingénieur, mais nous n’en danserons pas moins, ce soir, au bénéfice des naufragés… N’est-ce pas, commandant ? ajouta-t-il en interpellant celui-ci qui passait près de là.

Mais le commandant Lagorce, si aimable d’habitude, ne répondit pas, paraissant ne pas entendre, l’air anxieux et résolu du marin tout prêt pour la lutte, grandi soudain dans le sentiment de son devoir et de sa responsabilité. De ce brave homme, charmant et modeste, qui rêvait de vivre à la campagne, de pêcher à la ligne, quand il aurait sa retraite, il s’exhalait de l’héroïsme.

— Vous voyez bien que le commandant lui-même n’est pas tranquille, observa d’une voix plus basse Mme Rolande.

Eh effet, le baromètre venait de baisser tout à coup d’une façon inquiétante. L’atmosphère lourde se saturait d’électricité. Aucun souffle, cependant, n’agitait encore la surface de l’océan. L’Eldorado, brave et superbe, continuait à glisser dans l’immensité, sans autre secousse que la trépidation régulière, continue, de sa puissante machine. Le pont des premières classes se faisait désert. Armand Reboul tira sa montre.

— Il est temps de nous apprêter pour le bal, dit-il.

Les deux amis, précédés de Mme Rolande, se levèrent pour regagner leurs cabines, et ils croisèrent André Laurel, qui, voyant le pont abandonné, y venait respirer un peu d’air… Il souffrait ! La tristesse et l’ennui tissaient silencieusement leurs toiles autour de son cœur, et ces journées, avec le spectacle uniforme d’un océan calme, lui semblaient interminables, alourdies par la solitude et les rêves incessamment ressassés. Il ouvrit un livre. Il y avait une heure qu’il lisait, lorsqu’un frôlement léger le fit se retourner, et il demeura surpris, très troublé. Myrrha était devant lui, claire et riante, et lui parlait :

— Bonjour, monsieur André Laurel… Enfin, nous allons pouvoir causer un peu ensemble, car cela me peine de vous voir toujours seul, abandonné. Il est vrai qu’on vous tient à l’écart, on paraît vous en vouloir, oui, je l’ai bien remarqué.

— En effet, ils m’en veulent, répondit André.

— Pourquoi ? Que leur avez-vous donc fait, à tous ces gens-là ?

— Je ne sais, mademoiselle, je ne les connais pas.

— Alors, c’est incompréhensible, car vous n’avez pas l’air méchant ni terrible. Je suis sûre qu’on est très injuste à votre égard. Pourtant — vous allez me trouver bien curieuse et bien indiscrète…

— Non, dites…

— Eh bien ! il doit y avoir quelque raison, un malentendu, sans doute ?

— Oui, quelqu’un a dû leur raconter mon histoire… Je suis un insoumis.

— Insoumis à quoi ?

— A tout.

— C’est-à-dire ?

— A la société, à ses institutions, à ses lois, à sa morale, à ses préjugés.

— C’est là votre crime ?

— Pour l’instant.

— Ainsi, vous êtes un anarchiste ?

— Est-ce le mot qui vous effraie ?

— Oh ! oui, vous me faites très peur… Mais permettez que je vous confesse complètement.

— Je vous le permets, dit André, qui commençait à se divertir de ce badinage, ravi de la trouver si simple, si enjouée, si charmante et originale à la fois.

— Avouez que vous ne voulez pas faire votre service militaire, comme tout le monde, et que c’est pour cela que vous vous êtes embarqué ?

— Comment le savez-vous ? demanda-t-il.

— On le racontait devant moi, ces jours-ci, et votre équipée est connue de tous, à bord.

— Alors, j’avoue.

— Et que vous rêvez une société où tous les hommes seront libres et frères… C’est très grave, et vous êtes un jeune homme très dangereux.

— Prenez garde, mademoiselle, répliqua-t-il avec la même ironie, si on nous voyait ensemble, cela pourrait vous nuire beaucoup dans l’esprit de tous ces honnêtes gens.

— Et je passerais, n’est-ce pas ? pour une excentrique, une évaporée. Cela se dit déjà ; Mme Gallerand le répétait encore tout à l’heure… Elle est bête, Mme Gallerand.

— Vous ne respectez donc pas l’opinion, mademoiselle ?

— Non. Et puisque c’est ainsi, nous continuerons à causer, et nous deviendrons deux bons amis, à leur barbe… Voulez-vous ?

Il prit la main qu’elle lui tendait, une main si fine, si délicate, qu’il la sentait fondre dans la sienne, et, dans la pâleur de son visage, ses yeux rougirent, retenant des larmes.

— Je ne veux pas que vous soyez triste, dit-elle. Moi, je suis très gaie, tout m’amuse, et l’on prétend que je suis malade… Je ne sais pas ce qu’ils ont tous à me regarder ainsi avec pitié… Je vais très bien, à part quelques petits malaises passagers… N’est-ce pas que je n’ai pas l’air malade ?

— Non, répondit-il d’un ton convaincu, pour donner plus de vraisemblance à son mensonge charitable. Et, à son tour, il interrogea :

— Vous allez aussi à Buenos-Ayres ?

— Non, nous nous arrêtons, ma tante et moi, à Montevideo, où nous avons des intérêts, un héritage à recueillir.

— Vous n’avez que votre tante ?

— Oui, et je n’ai pas connu mes parents, j’étais orpheline à un an… Mais j’ai toujours été très heureuse, on m’a tellement gâtée !… Seulement, l’an passé, j’ai commis une imprudence, j’ai pris froid en m’attardant, une nuit, sur une terrasse, au clair de lune… et, depuis, je tousse un peu… un rhume qui ne veut pas guérir… Ah ! voilà M. Danglar, fit-elle, ressaisie d’une gaieté soudaine, en apercevant le diplomate campé, en habit, à l’autre bout du pont… Voyez comme il est beau ! C’est lui, ce soir, qui conduira le cotillon, n’en doutez pas… Savez-vous que nous aurons une tombola ?… Oh ! il y a des lots magnifiques : trois cravates, un paquet de cure-dents, une paire de jarretières, offertes par Mme Larderet. Ma tante a donné un éventail ; moi, un album… Oh ! on va s’amuser !… Et vous, je vous défends d’être triste, vous entendez.

Elle se grisait de son babil, radieuse, malgré sa fragilité de petite fleur maladive, enivrée de ce rien de vie qui lui restait, et d’où jaillissait comme par miracle une intarissable source de joie.

— Je danserai toute la soirée, reprit-elle, et je veux que vous dansiez aussi.

— Je ne sais pas, dit-il.

— Comment, vous ne savez pas ?

— Non, car je n’ai jamais fréquenté le monde ; j’ai toujours vécu comme un sauvage.

— Eh bien ! vous apprendrez. Je vous donnerai, ce soir, votre première leçon.

— Mais je ne suis pas habillé, et je n’ai même pas d’habit, avoua-t-il.

— Tant pis, vous danserez comme vous êtes… Écoutez, voilà que ça commence, offrez-moi votre bras.

Les tziganes attaquaient une première valse, une musique lointaine qui semblait se perdre dans l’infini de l’océan.

Le bal venait de s’ouvrir. On ne dansait pas encore. Il y avait de la tenue et de la raideur. Assises au premier rang, les dames, en des poses de photographie, étalaient d’audacieux décolletages. La plupart, matrones tétonneuses et empesées, bombaient d’opulentes poitrines, dissimulaient, sous l’abondance de leurs jupes, des ventres obèses. Seules, Mme Gallerand et Mme Larderet, qui n’avaient pas fait toilette, demeuraient effacées, manifestant des minauderies décentes et s’obstinant à refuser toute invitation. Les hommes se penchaient, disaient un mot, puis se redressaient avec un secret chatouillement de vanité, et, parmi eux, le consul Danglar, superbe et droit, moustache au vent, allait et venait lentement, comme étincelant de toutes les aventures amoureuses qui avaient marqué sa carrière diplomatique. Quand il passait derrière les épaules nues, trempées de clarté, il allongeait un peu le cou, les paupières pincées, plongeant un regard oblique et dédaigneux. Quelles nudités se cachaient sous ces satins purs, ces velours souples et caressants, ces bleus défaillants comme des évanouissements de turquoises, ces taffetas brodés en mille capricieux dessins, ces dentelles si légères, si fines, qu’on eût dit des vapeurs flottantes sur les transparences des mousselines ? Son œil exercé ne s’y trompait point ; mais il restait aimable, désirant faire réussir cette fête, dont il était l’organisateur, avec le commissaire du bord et M. Conseil, un écrivain notoire qui allait entreprendre, en Amérique, une série de conférences.

M. Gallerand, portant beau également, très froid, très digne, l’allure martiale, s’entretenait avec M. Rolande, s’accordant très bien avec lui pour dauber sur la République, cause de tous leurs mécomptes, — tandis qu’Armand Reboul, debout près de Mme Rolande, s’intéressait à ses moindres gestes, aux mouvements de ses lèvres, comme s’il eût voulu boire ses paroles. Modeste en sa simple toilette de soie blanche, à peine violetée, elle ne répondait que par monosyllabes à un voisin bavard, tout attentive à la musique des tziganes. Et elle penchait la tête, paraissant vouloir s’isoler, pour mieux s’imprégner de cette harmonie qui mettait sur son doux visage une expression de rêve, comme si l’accent des violons eût élevé jusqu’au romantisme le ton de ses pensées habituelles. Un charme infini émanait de toute sa personne, et on eût dit que le malheur se parait en elle de toutes les grâces de la joie.

Maintenant, on dansait, le commandant Lagorce et les officiers du bord ayant les premiers donné l’exemple, aussitôt suivi par Danglar et Conseil, qui entraînaient deux lourdes matrones en une valse onctueuse et pudique.

— A nous deux, dit Myrrha à André.

Il s’excusa en balbutiant :

— Non, non, c’est impossible… Je ne puis pas, je ne sais pas… Vous me rendriez ridicule. Je vous en prie, n’insistez pas… pour moi et pour vous-même…

— Pour moi-même ?

— Mais oui, vous savez bien que je suis mal vu dans ce monde-ci, et il faut craindre les mauvaises langues, les médisances, les calomnies. Je vous assure qu’on bavarderait sur votre compte… Les gens sont si sots, quelquefois si méchants, surtout quand ils n’ont rien à faire.

— Je vous ai déclaré que je me moquais de leur opinion, justement parce qu’ils sont ce que vous dites.

Il supplia encore :

— Faites-moi la grâce de me laisser bien inoffensif et bien sage dans mon petit coin.

— Pas du tout… Je veux que vous dansiez… Vous allez voir, c’est très facile… Vous vous laisserez conduire.

Il était assis tout au fond, à demi-caché, très timide parce qu’il était très fier. Elle l’obligea à se lever, lui fit prendre la position du cavalier. Le cœur lui battait à rompre sa poitrine, il rougissait, s’imaginant que tous avaient les yeux fixés sur lui et qu’on allait se gaudir de sa gaucherie. Mais bientôt, il domina son émotion, et, au premier signal qu’elle lui donna, ils s’élancèrent parmi le tourbillon des autres valseurs. Dix fois, ils firent le tour du bal, passant à travers les groupes, en zigzags. Admirable danseuse, Myrrha le dirigeait avec une aisance étonnante. Il se laissait entraîner, se rendant aussi léger que possible, sans oser la serrer de trop près, comme s’il eût craint de briser cette frêle tige pliante qui s’attachait à lui, l’enveloppait comme d’une caresse. Autour d’eux, tout tournait aussi, le parquet du pont, les lanternes chinoises, les fanaux du navire, la mer immense. André en perdait la notion des réalités environnantes, transporté en une étourdissante extase, un paradis inconnu, plus beau mille fois que la terre promise de ses chimères idéales. Des sourires ravis lui montaient aux lèvres, tout son être s’imprégnait du parfum étrange et délicieux qui émanait d’elle, de son corsage, de ses épaules nues, de sa chevelure de fine poussière d’or pâle. Ils tournaient toujours, accélérant et ralentissant leur envolée, selon le rythme des tziganes. D’instant à autre, leurs corps se rapprochaient et s’étreignaient ; il se sentait pénétrer lentement par la tiédeur douce de cette chair vierge et délicate. Maintenant, leurs regards, leurs sourires se rencontraient, leurs haleines se confondaient, et, sans qu’il le voulût, sa bouche effleurait presque ses cheveux, sa main pressait plus fort la sienne, son bras enlaçait plus étroitement sa taille… Ils tournaient, tournaient, tournaient toujours. Un long frisson le parcourut, une telle ivresse, enfin, le souleva qu’il crut un moment l’emporter, dans un grand vol éperdu, à travers l’espace, là-bas, loin de ce monde, loin de tout, et ses lèvres tremblantes bégayèrent des paroles d’amour.

La musique cessa ; ils s’arrêtèrent, et ce fut Myrrha qui le rassit. Il regardait partout, étonné de se retrouver là, revenant d’une hallucination merveilleuse.

— Que me disiez-vous, tout à l’heure ? demanda-t-elle… Oui, pendant que nous dansions… Répétez un peu, pour voir !

— Moi ?… Je n’ai rien dit, protesta-t-il, très rouge.

— Si, si, j’ai bien entendu ; je n’avais pas perdu la tête, moi… C’était une déclaration, monsieur. Vous allez vite, bien vite… Enfin, je vous pardonne.

Elle riait, d’un rire innocent et joyeux, très amusée de le voir confus, interloqué.

— C’est une folle, dit à voix basse Mme Gallerand, en se penchant vers Mme Larderet.

— Une inconsciente, murmura celle-ci.

— Danser avec ce mauvais sujet !

— Si sa tante le savait !

— Mais elle est là, sa tante, et elle ne lui dit rien, elle lui permet tout.

— Quelle faiblesse !

— Dites plutôt, chère madame, une absence complète de sens moral. C’est une jeune fille qui tournera mal ; vous verrez si je me trompe.

— Dans ces longs voyages, on est toujours exposé à des promiscuités fâcheuses, déclara Mme Larderet. Il faut en prendre son parti.

Les tziganes rejouaient une valse, et leur chef d’orchestre, le brillant Rienzo, se pâmait d’aise, la face réjouie d’un sourire vainqueur. Il regardait les femmes comme s’il eût promené son archet sur leurs nerfs, avec autant de virtuosité que sur les cordes de son violon.

Cependant, le ciel se couvrait. Un léger roulis, dont on ne s’apercevait pas dans le vertige de la fête, berçait doucement l’Eldorado, qui, avec toutes ses lumières, resplendissait, ainsi qu’une féerie errante au milieu d’un océan de ténèbres. Soudain, un long éclair sillonna l’horizon, le tonnerre gronda.

— Gare, gare ! ça va tomber ! cria Danglar.

— Pas encore, affirma un officier du bord.

M. Rolande jeta les yeux autour de lui, de cet air passif et résigné qui indique chez un homme que sa destinée est faite. Il s’étonnait de ne plus voir sa femme.

Elle venait de se retirer pour rejoindre Armand Reboul, qui l’attendait en un coin d’ombre, vers la poupe du navire.

Tout à l’heure, en dansant avec elle, il lui avait donné rendez-vous là. Maintenant qu’il la savait malheureuse, il était plus sûr de la vaincre, car il n’ignorait pas que le malheur est frère de la faiblesse et qu’il n’engendre l’héroïsme que quand il est de courte durée, quand le bonheur précédent a mis dans l’âme une provision d’énergie et de confiance. Ce n’était pas le cas de Mme Rolande. L’amour d’Armand ne s’en trouvait pas amoindri, il était autre, se mêlant à une pitié qui en atténuait la fièvre et en augmentait la douceur… Elle l’écoutait, grave, indécise et tremblante, tandis que le vent de la nuit apportait l’harmonie lointaine des violons.

— Que vous avez dû souffrir, disait-il, car vous n’étiez point faite pour cette vie médiocre et tourmentée à la fois, qui fut la vôtre, pendant quinze ans de mariage !

— Hélas ! répondit-elle, c’est la vie à laquelle sont condamnées la plupart des femmes, qu’on croit heureuses, parce qu’elles ont la fierté de ne jamais se plaindre.

— Mais la plupart n’ont pas votre âme, ni votre beauté ni votre grâce.

— Oh ! mon ami, dit-elle avec une grande mélancolie, choisissez d’autres flatteries pour une femme qui n’est plus jeune.

— La plupart n’ont jamais été aimées comme je vous aime, Xanie !

C’était la première fois qu’il l’appelait par son prénom, et il attendit un instant pour voir si elle acceptait cette liberté, qui établissait entre eux une intimité plus grande et l’autorisait à oser davantage. Elle garda le silence, il reprit :

— Bien peu ont trouvé le salut que je viens vous offrir en me jetant à vos pieds, en vous jurant un amour et une fidélité éternels. En les repoussant, Xanie, à moins que vous ne me haïssiez, vous seriez coupable envers vous-même, car le premier devoir de tout être, c’est de se conserver, c’est de vivre… Que devez-vous désormais à l’homme auquel vous vous êtes immolée jusqu’à ce jour et qui n’a pas su vous rendre heureuse, qui vous entraîne aujourd’hui dans sa ruine et sa faillite ? Quelle sera, là-bas, votre existence ?… O Xanie, puisse-t-elle ne pas être pire que l’ancienne !

Un grand éclair sabra le chaos croissant des ténèbres, projeta, l’espace d’une seconde, une clarté de plein jour. Armand y vit le visage de Mme Rolande baigné de larmes. Alors, il crut que le moment était venu de tout dire :

— Oh ! partons ! s’écria-t-il, partons ensemble, dès notre arrivée à Buenos-Ayres… Gagnons un autre port pour nous soustraire aux recherches… Nous retournerons en France… Qui vous retient ? Quelle chaîne morale que vous ne puissiez rompre sans remords ? Vous n’avez pas d’enfant… Votre mari ? Reconnaissez-vous à cet homme le droit de vous lier jusqu’à votre dernier jour à son mauvais destin ? Encore, s’il vous aimait, mais il n’a plus pour vous que cet attachement banal, ce sentiment neutre qui naît d’une longue vie commune ; il se consolera, et votre départ, dans sa situation présente, lui sera même une délivrance… Xanie, ayez ce courage, consentez à être heureuse !

Un autre éclat de tonnerre retentit dans la nuit. De larges gouttes commençaient à tomber. Mme Rolande ne répondait pas ; il prit ce silence pour une acceptation dont la pudeur retenait l’aveu et, tendant les lèvres, il lui donna un baiser. Elle eut un geste doux qui voulait s’en défendre… Elle était devant la tentation des voluptés défendues comme un naufragé qui a soif devant toute l’eau de la mer. On ne se désaltérait pas davantage, pensait-elle, avec toutes les sources du désir, empoisonnées par le remords.

— Non, mon ami, murmura-t-elle, je ne crois pas à la félicité que vous me promettez et que vous attendez de moi… Elle ne vous laisserait au cœur que la souffrance d’un idéal inassouvi. Abandonnez votre projet, car je ne puis me résoudre à ce que vous me demandez, je serais trop coupable.

Elle avait prononcé ces paroles d’un ton découragé. Armand sentit que ce découragement était tout près de l’abandon, et il l’embrassa de nouveau.

— Mon ami, dit-elle, nous faisons mal.

Elle ne luttait plus que faiblement… Un nouvel éclair les éblouit.

— Séparons-nous, ajouta-t-elle… On pourrait nous surprendre.

Il l’accompagna, descendit avec elle jusqu’à un corridor au fond duquel se trouvait sa cabine, puis remonta seul sur le pont.

Le vent se levait, la mer commençait à s’agiter. A la hâte, on avait tiré la tombola pour les naufragés, et la société, réduite à une vingtaine de personnes, s’était réfugiée dans le salon des premières. Armand y fut assailli par une tempête d’hilarité.

— Qu’est-ce qu’il y a donc ? demanda-t-il.

— Ah ! mon cher, vous avez eu tort de vous absenter, lui répondit M. Rolande… mais ce n’est pas fini ; écoutez, vous allez rire.

Pour distraire la compagnie, navrée par la brusque interruption de la fête, un passager, expert en chiromancie, en même temps qu’homme d’esprit, avait entrepris de lire, dans les mains de ces dames, et ce qu’il leur prédisait devait être d’un comique extraordinaire, car M. Gallerand lui-même s’en tenait les côtes, en perdait sa dignité.

— A madame Larderet, maintenant, fit Danglar.

La vénérable veuve se défendit en rougissant.

— Oh ! moi, déclara-t-elle, mon passé n’a rien qui puisse vous réjouir beaucoup.

— On ne vous dira que votre avenir, madame, répliqua Danglar, en donnant encore un peu plus d’impertinence ironique à son monocle.

Curieuse et rassurée, Mme Larderet présenta la paume de la main gauche. Le chiromancien en étudia consciencieusement les lignes.

— Madame, dit-il gravement, j’ai le plaisir de vous annoncer que vous mettrez au monde deux beaux jumeaux, dans une dizaine de mois.

— La gaffe, la lourde gaffe ! chuchota Danglar.

Le chiromancien avait oublié que Mme Larderet était veuve. Des rires fusèrent. Seul, M. Gallerand, cette fois, demeura impassible, sévère, jugeant la plaisanterie plus que déplacée, indécente.

— Nous oublions que nous sommes Français, dit-il.

La leçon de galanterie jeta un froid. Personne un moment, n’osa élever la voix.

— En voilà des naissances ! fit enfin Mme Chabert, pour rompre un silence pesant. On nous a prédit, à moi, une fille, à Mme Bineau un garçon. Nous allons donc peupler l’Amérique.

— A votre tour, cher ami, dit M. Rolande à Armand.

Sceptique, le jeune homme tendit la main.

— Ah ! monsieur, fit le chiromancien, que vois-je à l’intersection de ces deux lignes ?… Un signe bizarre, vraiment… Vous allez assister à des événements tragiques… mais qui favoriseront vos desseins, sans doute, car votre ligne de vie se prolonge… Celle du cœur s’arrête tout à coup.

— Que j’affronte aussi l’avenir ! s’écria M. Rolande… Voici ma main.

— Vous, reprit le chiromancien, vous avez éprouvé bien des revers, des déboires… Rassurez-vous, cependant… L’imprévu seul arrive… Il va changer bientôt votre situation… Oui, la chance ! Vous allez avoir de la chance !

— Qui donc croit à la chiromancie ? demanda M. Conseil, le littérateur conférencier.

— Pas moi, répondit Mme Chabert.

— Ni moi… heureusement ! déclara Mme Larderet.

— Et vous, commandant, y croyez-vous ?

Le commandant Lagorce haussa les épaules, puis raconta :

— Il y a longtemps, un oiseau de mauvais augure m’a prédit que je périrais de mort violente, dans je ne sais plus quel sinistre, vers ma soixantième année. J’ai dépassé cet âge… Je fais mon dernier voyage… et vous constatez tous que je me porte admirablement.

Un grand coup de roulis ébranla le navire. Le vent, maintenant, soufflait en tempête. L’un après l’autre, se suivant de près, les passagers, pris de malaise, abandonnaient la place, en s’accrochant de meuble en meuble.

— Oh ! dit le Second, nous allons avoir du gros temps.

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