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Jeunes Madames

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XI
ENTRETIEN CONJUGAL

Madame d’Haspre, sur le coup de minuit, descend tranquillement de la voiture qui est venue la chercher à la gare ; elle est juste assez fatiguée pour penser avec plaisir à se retrouver dans sa chambre, et monte doucement les quelques marches qui de la porte d’entrée mènent au rez-de-chaussée ; elle est distraite et ne remarque pas que la porte du salon s’est ouverte ; son mari s’avance et la salue.

— Ah ! mon Dieu, vous êtes ici, et pourquoi ?

— Mais, pour vous recevoir, chère amie, je vous ai fait préparer à souper…

— A souper ? Quelle drôle d’idée ! Souper avec vous ?

— Si vous le voulez bien… entrez toujours une seconde, vous chauffer les pieds ; les soirées sont fraîches.

— Une minute seulement, car je veux dormir.

M. d’Haspre a refermé la porte derrière sa femme et lui avance un fauteuil.

— Merci. Je vous croyais à la chasse.

— J’en suis revenu, comme vous voyez. Est-ce que cela vous déplaît de me trouver ici ?

— Je ne veux pas être malhonnête, puisque vous êtes si poli ce soir, mais la vérité est que j’adore être toute seule chez moi.

— C’est bien aussi un peu chez moi, vous conviendrez.

— Il paraît…

— Ma chère Paule, il faut absolument que nous nous expliquions ; je mène depuis quelques mois une vie intolérable.

— Pas par ma faute, au moins ; je ne vous dérange jamais.

— Mais vous avez une manière de comprendre votre rôle d’épouse…

— Je ne le comprends pas du tout ; je vous le disais tout à l’heure, j’adore être toute seule. Quel malheur que nous soyons mariés !

— Il est fâcheux que vous l’envisagiez ainsi ; mais enfin, nous le sommes…

— Nous ne le serons peut-être pas toujours.

— Vous n’êtes pas sérieuse, j’imagine.

— Tout ce qu’il y a de plus sérieuse, je vous assure. Mon rêve serait d’être démariée… Oh ! je ne souhaite pas votre mort !

— Et c’est à moi que vous dites cela ?

— Mais à qui voulez-vous que je le dise, puisque cela ne regarde que vous et moi ?

— Vous êtes tellement franche, Paule, que je me permets de vous demander si vous me préférez quelqu’un.

— Non… Mais j’ai envie de devenir amoureuse, c’est une expérience que je n’ai pas faite.

— Et vous trouvez que je vous gênerais pour cette expérience ?…

— Je le crains. Vous avez l’air d’une victime seulement parce que je vous en parle ; là, franchement, entre gens raisonnables, quelle bonne raison voyez-vous à ce que je vous adore ?

— D’abord, vous êtes ma femme.

— Cela ne vous constitue pas un mérite personnel. Au fond, vous m’avez trompée pour m’épouser.

— Je vous ai trompée !… et en quoi, s’il vous plaît ?

Dans son indignation, M. d’Haspre s’est levé et se met à marcher de long en large devant sa femme.

— Mais en tout : j’aurais pu croire que vous étiez le monsieur le plus doux, le moins exigeant… Je croyais même que vos cheveux frisaient naturellement.

— Vous plaisantez, Paule !…

— Jamais je n’ai été plus sérieuse. Une jeune fille est toujours trompée sur l’homme qu’elle épouse. Je n’ai jamais entendu parler que d’un seul honnête homme : c’est ce marquis savoyard qui s’est fait voir à sa fiancée dans ses plus vieux habits, sa barbe pas faite, et de mauvaise humeur, et qui l’a avertie qu’il était souvent pire… Avez-vous fait cela, vous ? Vous ai-je jamais vu avec la tête que vous rapportez du cercle quand vous avez perdu, par exemple…? etc., etc…

— Alors, vous êtes mécontente de moi ?

— Je crois ne vous avoir jamais laissé supposer que j’étais folle de vous.

— Sans doute… mais enfin vous m’acceptiez… et maintenant…

— Mon ami, je me refuse de plus en plus au devoir conjugal, car voilà ce que vous voulez dire, n’est-ce pas ? Est-ce que cela ne vous donne pas envie de vous débarrasser de moi ?

— Non, mais cela me donne envie de vous briser…

Et d’Haspre blême et furieux se penche au-dessus de la jeune femme. Elle le regarde si tranquillement qu’il s’arrête, glacé…

— Si nous en restions là de notre entretien, dit Paule ; c’est peut-être assez pour ce soir.

— Faites-moi la faveur de me donner quelques minutes encore ; à supposer que par une folie réciproque je prête la main à rompre notre mariage, vous êtes-vous bien rendue compte de la situation que vous auriez.

— Admirablement.

— Vous ne pourriez certainement pas compter sur l’appui de votre famille… vos parents sont désolés, je dois vous le dire, de l’attitude que vous avez prise vis-à-vis de moi.

— Oui, je sais, ils apprécient beaucoup la façon dont votre fortune est placée, et puis, ils ont des idées vieille perruque… ce serait une crise pour eux, comme l’influenza, mais ils se remettraient.

— Et le monde, le monde auquel vous appartenez, croyez-vous que dans la bonne compagnie on continuerait à vous recevoir ?

— Sauf quelques maisons droguantes où je serai enchantée de ne plus aller… oui ; et puis, du reste, j’aurai toujours la ressource de me remarier… une jolie femme comme moi n’est jamais embarrassée. Que voulez-vous, mon pauvre ami ? il m’est impossible de croire que j’ai été mise au monde uniquement pour votre agrément ; voilà six ans que je suis votre propriété, ou que vous me le dites… j’en ai assez.

— Mais, Paule, je vous aime, enfin.

— Non, mon cher, non ; le sentiment que je vous inspire n’a rien de commun avec l’affection, vous avez pour moi le goût qu’on éprouve pour un plat qui réveille l’appétit… j’en suis fâchée, mais je ne vous en ai pas la moindre reconnaissance… vous vouliez me faire souper avec vous… pourquoi ?… vous le savez… ça ne me touche aucunement.

— Paule, aucun homme au monde n’a eu ma patience ; vous traitez ainsi votre mari, et à Didier et Monteux vous permettez la plus intolérable familiarité, vous vous faites peindre à moitié nue : c’est à devenir fou…

— Je reconnais que comme épouse je ne suis pas agréable, mais je vous l’ai toujours dit ; encore, quand vous ne vous occupiez pas de moi, cela pouvait marcher ; mais du moment qu’il vous est venu à l’idée de vous mêler de toutes mes affaires, j’ai préféré vous avouer carrément ce que je pense… je vous avertis, je n’aurai de repos que lorsque je trouverai le moyen de faire annuler notre mariage.

— Et si vous n’y arrivez pas ?

— Ce sera fâcheux pour vous, car à un moment donné il est probable que je vous tromperai, c’est-à-dire non, je ne vous tromperai pas, mais j’aimerai un monsieur qui ne sera pas vous… Il est impossible qu’avec votre expérience de la vie, vous n’ayez pas envisagé cette éventualité ; pourquoi serions-nous différents de tous les ménages que nous connaissons ?

— Mais c’est épouvantable ce que vous dites là ? mais toutes les femmes ne trompent pas leur mari…

— Un grand nombre, à en juger par les histoires que vous m’avez racontées ; par le fait il y a parmi nos relations au moins cinq femmes dont vous avez été notoirement l’amant. Ce sont des femmes charmantes ; je ne leur en veux pas, et en somme il y aura eu moi aussi. Ce sera un souvenir agréable.

— Et, si vous essayiez, Paule, de tâcher de vous figurer que nous ne sommes pas mariés ?…

— Pas moyen, et du reste dans ce cas-là vous n’êtes pas mon idéal, tous nos goûts diffèrent.

— Pas le moins du monde ; c’est vous qui imaginez cela. Vous savez bien, Paule, que je suis disposé à me prêter à toutes vos fantaisies.

— C’est-à-dire que vous seriez disposé à m’offrir un bijou ou à payer une de mes notes, voilà jusqu’où va l’imagination désordonnée d’un mari…

— Ah ! Paule, si nous avions eu un enfant, vous ne parleriez pas ainsi aujourd’hui.

— Ah ! mon cher, ne faites pas allusion à cette ignominie ; cette chose-là me fait l’effet de la marque au fer rouge qu’on mettait aux galériens, et du reste à mes yeux c’est la dernière des indécences.

— Mais vous êtes un monstre…

....... .......... ...

— Oui, mon ami, je le crois… et c’est peut-être mon mérite…

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