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Jeunes Madames

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NOS JEUNES FILLES

I

Le lendemain du Grand Prix.

Dans un petit salon. Ces demoiselles sont autour de la table couverte de choses appétissantes. Elles mangent avec appétit. Madeleine, fille de la maison, fait les honneurs. Dans l’encadrement de la porte, apparition d’un jeune homme qui salue.

MADELEINE. — Approchez, jeune homme timide.

NOVION. — Mesdemoiselles, je suis votre serviteur.

SUZANNE. — Arrivez, Novion, arrivez, et donnez-nous vite des nouvelles, on n’entend pas un mot dans le grand salon.

NOVION. — Eh bien, mesdemoiselles, je suis content.

ÉTIENNETTE. — Je vous adore alors.

NOVION. — Si vous saviez comme cela m’arrange, mademoiselle Étiennette ! Dites-le encore.

MADELEINE. — Mais non, parlez, vous.

SUZANNE. — Ils étaient bons, hein, mes tuyaux ?

NOVION. — Admirables.

MADELEINE. — C’est de la chance tout de même ! Ce que j’ai eu de peine à persuader maman de recevoir encore aujourd’hui après le Grand Prix ! Elle ne comprenait pas pourquoi.

SUZANNE. — Ne l’empêche pas de raconter. Vite, qu’est-ce que nous gagnons, Novion ?

NOVION. — Vous, mademoiselle Suzanne, six louis, mademoiselle Madeleine, quatre, et mademoiselle Étiennette, dix ! hein, je l’ai gardée pour la bonne bouche, celle-là.

ÉTIENNETTE. — Novion, vous êtes mon ami pour toute la vie. Je vais être d’un chic avec mes dix louis. Comme papa m’en a rapporté deux, cela ne l’étonnera pas. Ce qu’il est naïf, mon père ! Ainsi il croit que Jacques ne joue jamais, qu’il s’arrange avec ses cinq louis par mois ; mais il parie sur tout, mon petit frère. Seulement, il ne veut jamais rien faire pour moi.

MADELEINE. — Heureusement que nous avons des amis. Mettez vos petits paquets dans la tasse, là, à votre gauche, Novion, et passez-la-moi. (M. de Novion obéit, et, avec une habileté parfaite, mademoiselle Madeleine escamote le rouleau dans sa poche.) Vous nous deviez bien ça. Vous m’avez fait perdre trois louis à Chantilly.

NOVION. — Ce n’est pas de ma faute, mademoiselle Madeleine. Je vous ai scrupuleusement obéi. Vous savez que je ne triche jamais.

MADELEINE. — Il ne manquerait plus que cela ! Vous devez être joliment heureux d’être notre homme de confiance.

NOVION. — Je le suis, mais pas assez. J’ai de l’ambition.

SUZANNE. — Vous voudriez peut-être nous épouser toutes les trois ?

NOVION. — Si l’état des lois ne s’y opposait pas, j’y aurais assez d’inclination.

MADELEINE. — Je comprends ça, moi.

SUZANNE. — Et moi aussi.

ÉTIENNETTE. — Après tout, moi aussi.

NOVION. — C’est que vous êtes bonnes comme des petits anges.

MADELEINE. — Vous ferez bien de ne pas trop vous y fier, à notre bonté. Il faut marcher droit avec nous.

NOVION. — On marche, mademoiselle Madeleine, on marche.

SUZANNE. — Dites-nous des potins, Novion ? je suis de bonne humeur.

NOVION. — Faut-il être convenable ?

ÉTIENNETTE. — Nous vous avertirons si vous devenez inconvenant.

NOVION. — Cela vous intéresserait-il de savoir qu’en sortant du Jardin de Paris, hier soir, Ponthonnier a donné une gifle à sa connaissance ?

SUZANNE. — Ponthonnier ! mais c’est ravissant, c’est un monsieur à marier. Qui est sa connaissance, Novion ?

NOVION. — Mesdemoiselles, je ne sais pas si je dois ?

MADELEINE. — Nous demanderons à un autre, voilà tout.

NOVION. — Elle s’appelle Laborde, puisque vous y tenez.

SUZANNE. — Je la connais de vue. Alors Ponthonnier l’a giflée ? Du reste, il ne m’a jamais déplu, cet homme-là.

MADELEINE. — Ni à moi. Il paraît que son château est magnifique.

ÉTIENNETTE. — Il doit avoir du cœur. Vous nous direz ce qu’il lui a donné pour la consoler.

NOVION. — Si je le sais.

MADELEINE. — On s’arrange à savoir. Il faudra que je fasse inviter Ponthonnier à dîner.

NOVION. — Mais, mademoiselle Madeleine, vos parents ne voudront pas, il s’affiche !

MADELEINE. — Ceux qui ne s’affichent pas ne sont pas meilleurs. Nous ne prétendons pas épouser des jeunes hommes vertueux. Même dans les familles austères, on ne recommande plus cette marchandise. Ça m’amuserait si Ponthonnier avait un coup de cœur pour moi.

SUZANNE. — C’est ça, il faut essayer de le rendre amoureux.

NOVION. — Si je savais faire un pareil succès à cet animal-là !

MADELEINE. — Ah ! voilà, dites donc, Novion, regardez un peu par la glace s’il y a du monde dans le salon ?

NOVION. — Oui, mademoiselle, deux dames d’âge causent avec madame votre mère.

MADELEINE. — Très bien. Elle ne pourra pas se déranger. Elle va encore me dire que vous êtes resté trop longtemps.

NOVION. — Faut-il m’en aller ?

MADELEINE. — Pas du tout. Je ne peux pas mettre les gens à la porte. Je dis à maman qu’elle n’a qu’à s’en charger, et comme elle est d’une politesse effrayante, je suis bien tranquille. C’est encore une jolie source d’embêtements que la politesse. Être gracieuse pour tout le monde, jamais de la vie ! Le grand secret d’être heureux, c’est d’avoir carrément des défauts, ils vous font respecter d’abord.

NOVION. — Éclairez-moi, mademoiselle Madeleine ; éclairez-moi.

MADELEINE. — Par exemple, si j’étais une jeune fille modeste, douce et timide, M. de Novion se moquerait de moi derrière mon dos.

NOVION. — Peut-on dire ? moi qui vous idolâtre !

MADELEINE. — Persévérez dans cette voie. Avez-vous de la chance, au moins, de n’être un parti d’aucune façon. Voyez toutes les douceurs que cela vous procure.

NOVION. — Et celles dont cela me prive !

SUZANNE. — Pas de grand’chose. Ce ne sera pas déjà si drôle d’être notre mari.

MADELEINE. — C’est-à-dire que je le plains d’avance, l’infortuné ; mais comme j’aurai la douce certitude qu’il aura épousé ma dot autant que moi, je n’aurai pas de scrupule. Ce ne sera pas comme toi, Étiennette.

ÉTIENNETTE. — Il aura assez de veine de m’avoir épousée. Ce bonheur tout sec devra lui suffire. J’aurai une cour, je t’en réponds. Et ce que je les ferai marcher ! Il y en a un ou deux que j’ai déjà en vue et qui n’ont qu’à bien se tenir. Je rumine mes petites vengeances comme ça le soir avant de m’endormir.

NOVION. — Ne parlez pas de ces choses-là.

ÉTIENNETTE. — Ne le faites donc pas à la pose ! Vous vous moquez bien de moi.

NOVION. — Défendez-moi, mademoiselle Madeleine. Là, voyons, est-ce que je suis poseur ?

MADELEINE. — Ça dépend des jours et de ce que vous espérez.

NOVION. — Mais je n’espère rien. Je suis l’âme la plus désintéressée.

MADELEINE. — Si vous étiez désintéressé, vous seriez bête, et vous ne l’êtes pas. Nous nous marierons un jour, n’est-ce pas, mon cher Novion ?

SUZANNE. — Et Novion est notre flirt établi. Je vous trouve bien gentil. Mais je vous avertis que ça ne sera pas encore pour vous que je divorcerai.

NOVION. — Vous pensez à ces choses-là, mademoiselle Suzanne ?

SUZANNE. — Et pourquoi pas ? C’est une situation comme une autre et ce sera très porté d’ici une dizaine d’années. Je sens que j’ai en moi l’étoffe d’une délicieuse petite divorcée.

NOVION. — Vous savez, je ne vous crois pas du tout. Vous voulez faire de l’épate.

SUZANNE. — Pour qui, pour vous ? vous vous trompez rudement : je dis ce que je pense.

MADELEINE. — Avons-nous assez de chance d’être venues au bon moment ; ce que j’en connais de ménages qui ont envie de divorcer, et qui n’osent pas ; nous, si cela nous dit, nous oserons — voilà tout.

NOVION. — Voilà tout : vous allez bien, mesdemoiselles.

SUZANNE. — Il nous faudrait respecter vos vertus peut-être ; mais nous vous voyons, quand je dis vous, c’est de l’espèce que je parle, au Bois, aux Courses, à l’Hippique, nous savons qui vous fréquentez, et il faudrait se morfondre pour ces mignons-là, s’écraser le cœur comme faisaient nos bonnes bêtes de grand’mères. Zut ! on vous donne ce que vous méritez ; nous pensons à nous-mêmes aujourd’hui, c’est fini, ni ni la mode de filer la laine pendant que Monsieur se promène ; ah ! si mon mari m’agace, il ne la mènera pas large ; s’il est gentil, eh bien, je serai gentille. Ainsi, voilà ma théorie, et vous savez, ce n’est pas un secret, les romanciers peuvent bien m’appeler petit monstre ; pour ce que ça me gêne !

NOVION. — Mademoiselle, je vous signale l’arrivée de madame votre mère.

SUZANNE. — Tiens, c’est vrai : voilà maman avec d’Étampes, on veut me le faire trouver charmant, ça viendra peut-être… (Entrée des mères et de M. d’Étampes ; la maîtresse de la maison, doucement et bas à sa fille :) M. de Novion !

MADELEINE, haut. — Il est temps de filer, Novion, vous inquiétez les autorités. (Mouvements divers.)

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