Jeunes Madames
V
- MADELEINE.
- SUZANNE.
- ÉTIENNETTE.
Chez Madeleine, grande chambre à coucher très élégante, tendue de soie claire, bleue et blanche ; lit de milieu très étroit et très bas ; bibelots à profusions ; grande armoire ouverte, embaumant l’iris dont sont remplis de longs sachets de soie rose.
MADELEINE. — C’est tout de même ennuyeux d’être dans les terres de sa famille.
ÉTIENNETTE. — C’est la mienne de famille qui ne dirait pas ça, elle pleure les siennes tout le temps.
MADELEINE. — Il y en a pour tous les goûts ; moi je n’ai jamais envie d’être champêtre, et toi, Suz…?
SUZANNE. — Moi non plus, j’aime les bains de mer pour le flirt.
ÉTIENNETTE. — Mais, à la campagne, on flirte magnifiquement ; on n’a encore rien de mieux inventé que les voisins.
MADELEINE. — S’ils n’étaient pas bêtes, mais ils le sont toujours ; et puis, à Azou, nous avons la famille avec nous du matin au soir ; maman, qui n’a rien à faire, est toujours à me chatouiller le dos avec ses éventails, pour me rappeler d’avoir de la tenue ; — elle en est pour ses frais, du reste. — Non, vrai, ça me donne des idées noires !
ÉTIENNETTE. — Emporte des livres.
MADELEINE. — C’est cela, parlons-en des livres qu’on nous laisse lire ; c’est d’un rasant ! Heureusement que j’entends raconter les autres ; l’autre jour, au mariage, on ne parlait que du jeune Casal.
ÉTIENNETTE. — Qui, Casal ?
MADELEINE. — Eh bien, le chouchou du dernier roman à Bourget ; je connais la chose comme si je l’avais lue. Maman s’attendrissait tous les matins, et ne se tenait pas d’en parler à déjeuner ; du reste, papa est pratique, et cette dame qui va entendre sonner les cloches du monastère lui a paru d’un faible !
ÉTIENNETTE. — Qu’est-ce qu’elle avait fait ?
MADELEINE. — Rien du tout, c’est une serine ; elle aime un monsieur qui l’aime et, au lieu d’être contente, elle pleure tout le temps. Elle devait en avoir des douzaines de mouchoirs de poche, cette femme-là ! Regarde ceux que je viens de me faire faire, sont-ils mignons ?
SUZANNE. — On voit bien que les hommes se trouvent tous délicieux, ils se font toujours adorer dans les livres.
MADELEINE. — Avec ça que c’est ainsi dans la vie ; je n’en connais pas de gens qui veulent se faire périr par amour. Qu’on pleure quand on n’a pas le sou, je comprends ça, c’est une raison sérieuse.
ÉTIENNETTE. — Moi, je lis des livres anglais où l’on s’embrasse tout le temps, mais, là, ferme ; seulement maman est convaincue que la collection Tauchnitz ne renferme que des ouvrages d’une moralité irréprochable ; elle fait ses recommandations à miss Lee, et moi je lui fais la mienne. Tout de même, ils sont trop expansifs ; je n’aimerais pas ça, moi, qu’on m’embrasse tout le temps.
MADELEINE. — C’est une habitude de sauvages ; les Japonais sont bien plus gentils : on se frotte les genoux en se regardant de loin.
SUZANNE. — Une bonne poignée de main, ça suffit ; dans les livres, les gens qui s’embrassent ont toujours l’air de se préparer des torticolis ; en voilà un plaisir d’être défrisée et chiffonnée ! Moi, ma devise sera : Pas d’expansion !
MADELEINE. — La mienne aussi. J’ai remarqué, à Azou, quand madame de Vallat va à la pêche avec mon oncle Raoul, elle en revient toujours avec la figure marbrée ; c’est qu’elle s’est laissée embrasser, et comme il a une barbe qui griffe, elle ne s’embellit pas ! — Rien ne gâte le teint comme toutes ces bêtises-là. — Ah ! maman pourrait bien me laisser lire le livre à Bourget.
SUZANNE. — Moi, c’est Maupassant que j’ai envie de lire.
MADELEINE. — Lardinois m’a raconté l’histoire de son dernier roman, avec convenance, bien entendu, et des conseils de morale. Elle a des périphrases, cette chère Lardinois ; je la mets à l’aise en l’assurant qu’à table j’en entends bien d’autres, et dans les sacristies, et aux jours ; vrai, on devrait nous fourrer du coton dans les oreilles. Je me demande, là, si vraiment, la main sur la conscience, les jeunes filles ont été les idiotes de convention qu’on offre à notre admiration. On parlait donc par signes dans ce temps-là, ou on les faisait vivre à la cave !
SUZANNE. — C’est ça que je trouve immoral de jouer à cache-cache avec des malheureuses ; il faut au moins savoir de quoi il retourne. Si elles étaient aussi dindes qu’on veut nous le faire croire, je trouve que c’était une coquinerie de la part des parents.
MADELEINE. — Elles n’étaient pas plus dindes que nous, c’était de la frime : la frime prend toujours avec les hommes, c’est comme d’épouser sa première passion. C’est pas moi qui dirai ça. J’ai déjà eu au moins une demi-douzaine de toquades, et mon mari pourra bien le savoir, je trouve que ce sera plus flatteur pour lui.
ÉTIENNETTE. — Est-ce qu’il y aura des épouseurs à Azou ?
MADELEINE. — C’est probable ; c’est la rage de grand’mère de les faire trotter devant nous ; il y en a qui sont d’un drôle. Je crois, cette année, que nous aurons d’Étampes pour Suzanne. N’est-ce pas, Suz…?
SUZANNE. — C’est possible, il n’est pas plus mal qu’un autre ; je lui raconte mes petits défauts, et il adore ça.
ÉTIENNETTE. — C’est ta manière de le séduire ?
SUZANNE. — C’est la bonne, va ; il est capable de devenir amoureux pour tout de bon. Je verrai bien ça : on ne m’en fait pas accroire.
MADELEINE, passant sa main dans un bas de soie noire. — Crois-tu que je vais avoir un pied là dedans ! Il paraît qu’autrefois on ne montrait pas son pied !
SUZANNE. — Faut croire qu’ils avaient des idées bien indécentes. Donne-moi deux paires de tes bas, Madeleine, tu en as trop, et moi je suis dans la dèche ; il y a beau temps que mon trimestre est avalé.
MADELEINE. — Je te les vends, si tu veux, à crédit ; mais je ne te ferai pas de cadeaux, tu es plus riche que moi. En veux-tu, Étiennette ?
ÉTIENNETTE. — Non, merci. On ne me refuse rien en ce moment, parce qu’on compte faire tout payer par mon mari. Tâchez, quand j’irai à Azou, d’avoir mon affaire ; la marquise a promis à maman que je ne partirais pas de Gonthier sans être fiancée ; mais je parie bien que si ; cependant j’ai une amazone neuve dans laquelle je suis un peu chouette, je vous en réponds. C’est fâcheux que je ne sois pas comme la madame à Bourget ; mais il me faut mon tub, moi, et c’est pas porté dans les couvents.
MADELEINE. — Voyons, Étiennette, ne dis pas de bêtises ; tu seras si jolie en mariée, et il faut te décider, les petits chapeaux te vont si bien.
ÉTIENNETTE. — C’est vrai, tout de même.
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