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Jeunes Madames

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II

MADELEINE, SUZANNE, ANDRÉE, ÉTIENNETTE, à un lunch, après une messe de mariage, elles sont très gaies, et se tiennent ensemble, passant en revue ceux qui arrivent au buffet.

MADELEINE. Robe de soie vert céladon, manches énormes, tulle blanc autour du cou, grand chapeau de velours noir.

SUZANNE. Toilette tailleur en drap tourterelle, empiècement de drap blanc, manches tailladées, toque assortie, beaucoup de poudre sur le visage, cheveux lavés.

ANDRÉE. Robe en soie changeante, ruches découpées dans le bas, fichu blanc noué négligemment ; elle embaume l’héliotrope.

ÉTIENNETTE. Jolie comme un ange, robe de foulard rouge gris, qui a vu une saison.

MADELEINE. — Tenez, regardez donc dans le salon là-bas, voilà deux de mes prétendants, lequel vous déplaît le plus ?

SUZANNE. — Qui ça, tes prétendants ?

MADELEINE. — Fossi et Marigot qui passent là-bas, sont-ils assez jolis !

SUZANNE. — Comment, Fossi t’a demandée en mariage ?

MADELEINE. — Un peu, et deux fois, il m’aime, cet homme.

SUZANNE. — Eh bien alors, moi aussi !

ANDRÉE. — Et moi aussi !

MADELEINE. — Ah ! elle est raide celle-là ! — Comment ! il vous a demandées toutes les deux !

ÉTIENNETTE. — Quelle chance j’ai d’être sans le sou, il ne m’a pas demandée, moi, je vous en réponds.

SUZANNE. — Ah ! c’est exquis ; voyons, établissons les faits ! toi, Madeleine, quand ?

MADELEINE. — Janvier.

SUZANNE. — Après moi, alors, mais c’est trop joli, a-t-il du goût au moins, le cher garçon ! et toi, Andrée, quand a-t-il daigné jeter les yeux sur toi ?

ANDRÉE. — Oh ! moi, je devais être le prix de consolation, c’est à Pâques.

ÉTIENNETTE. — Quel malheur qu’il ne soit pas mariable ! Pauvre Fossi, vrai, il est bien malheureux !

MADELEINE. — Il était si attendrissant avec son joli habit mauve au bal Auquetin, il me parlait de ses sentiments d’une façon déchirante, pendant que je mangeais du chaufroid ; je me donnais des forces, même que la grosse mère Auquetin me regardait avec ses yeux en boule de loto.

ANDRÉE. — Et son petit bicorne ! son cher petit bicorne ! J’ai eu un coup pour Fossi, son chapeau m’avait donné dans l’œil.

ÉTIENNETTE. — Moi, je ne les aime qu’en habit rouge, c’est à se dégoûter de se marier de les voir en habit noir ; du reste, vous savez, la victime d’aujourd’hui a une passion pour moi.

SUZANNE. — Pauvre Blanche, alors !

ÉTIENNETTE. — Non, puisqu’elle l’épouse : il a de la chance ! six cent mille francs, et je lui ai entendu dire qu’elle ne voulait pas avoir d’enfants.

SUZANNE. — C’est ça qui m’intrigue.

ÉTIENNETTE. — Moi aussi ; mais ça se peut, est-ce qu’on ne dit pas tous les jours : « Ils ne veulent plus avoir d’enfants », moi au contraire j’en veux six.

ANDRÉE. — C’est de la folie furieuse ; Blanche a bien raison : on est belle quand on a eu six enfants !

ÉTIENNETTE. — C’est ça qui m’est égal, c’est une fameuse avance d’être jolie, pour qui ? pour ces pinsons-là, pour un Fossi qui demande les héritières l’une après l’autre.

MADELEINE. — Je suis anéantie ! moi qui croyais qu’il dépérissait, il me pousse toujours dans les coins pour me dire qu’il n’aime que moi.

SUZANNE. — J’ai la même faveur, tiens, il nous regarde ; dis donc, Andrée, tu l’aimes, toi ?

ANDRÉE. — Oui, tout le temps d’un cotillon, mais pour la vie son bicorne ne suffit pas et il n’a que cela.

MADELEINE. — Alors de quoi vit-il ?

ANDRÉE. — Il fait quelque chose à la Bourse ! aussi il faut le voir devant papa, papa a défendu à maman de le recevoir, on l’invite à déjeuner les jours que nous sommes seules.

MADELEINE. — Dis donc, et Marigot ?

SUZANNE. — Il se contente de me serrer un peu trop sur son cœur, je le lui ai dit, il a une manière d’aplatir sa main sur mon dos qui ne me va pas… quand on ne me va pas.

ANDRÉE. — Moi, il m’exècre, et je le lui rends.

MADELEINE. — Tiens pourquoi ? en voilà une idée !

ANDRÉE. — C’est un vilain monsieur, il a lâché Claire pour courir après une plus grosse dot, et ils étaient comme fiancés, et cette imbécile de Claire qui le regrette !

ÉTIENNETTE. — Ah bien ouiche ! je serais morte il y a longtemps si je regrettais tous ceux qui brûlent de m’épouser, me disent des belles choses et s’en vont ; qu’ils attendent que je sois mariée seulement, ils en verront de grises.

ANDRÉE. — Et tes six enfants ?

ÉTIENNETTE. — C’est un autre point de vue.

MADELEINE. — Tenez, voilà Frenoy qui vient à nous toutes voiles dehors.

SUZANNE. — Il parlait à Thérèse, on dit qu’elle le reçoit dans sa chambre.

MADELEINE. — Oh !

ANDRÉE. — Je crois que c’est bien vrai, lui et d’autres ; bah ! elle se mariera tout de même.

MADELEINE. — Ce sont ceux qui y ont été qui te l’ont dit ?

ÉTIENNETTE. — Ce qu’ils sont gentils !

SUZANNE. — Ah ! voilà enfin mon flirt, je lui avais donné rendez-vous du reste ; je lui donne rendez-vous partout, ça anime mes journées ; je fais mes visites seule, n’est-ce pas ? puisque maman est à l’atelier. Je ne peux pas empêcher Fontenille de faire les siennes, un flirt établi, ça conserve la beauté. (Le capitaine Fontenille en tenue s’approche de ces demoiselles.)

MADELEINE. — Savez-vous que vous êtes joliment plus gentil en uniforme ?

LE CAPITAINE. — Mademoiselle, vous êtes cruelle.

SUZANNE. — Ne nous dites pas des douceurs.

MADELEINE. — Est-ce que cette touchante cérémonie ne vous a pas ému ?

LE CAPITAINE. — Si, et si vous saviez de quel cœur j’ai offert mes condoléances au marié.

SUZANNE. — Vous êtes poli.

LE CAPITAINE. — Voyons, une petite taupe, et mauvaise.

MADELEINE. — Et le marié ! avec ça qu’il est si aimable ! nous vous connaissons, allez ; aussi nous ne sommes pas pressées de nous marier, je vous en réponds.

LE CAPITAINE. — Espérons que vous parlez pour vous, mademoiselle.

SUZANNE. — Elle parle aussi pour moi, bien sûr ; je vous demande un peu ce que je pourrai y gagner, moi, à me marier ?

LE CAPITAINE. — Et l’amour, mademoiselle, l’amour ?

MADELEINE. — Monsieur de Fontenille, respectez les absents, et le voisinage de nos mères.

LE CAPITAINE. — Voyons, soyez un peu bonnes pour un pauvre garçon bien malheureux.

ÉTIENNETTE. — Est-il assez touchant ?

LE CAPITAINE. — Mademoiselle Étiennette, peut-on vous dire que vous avez l’air d’un bonbon ce matin ?

SUZANNE. — Ça veut dire qu’on la mangerait.

LE CAPITAINE. — Hein ! a-t-elle de l’esprit ?

SUZANNE. — Aussi, dans ma famille, on n’en revient pas.

LE CAPITAINE. — Vous avez l’air méchant, toutes les quatre, je parie que c’est de la jalousie ?

SUZANNE. — De qui ? de Blanche peut-être ? Ah ! vous êtes perspicace, vous voyez loin ; nous faisions précisément la revue de nos admirateurs, et nous échangions des confidences ; nous avons fait une drôle de découverte : Fossi nous a demandées toutes les trois !

LE CAPITAINE. — Ne vous occupez pas de Fossi, occupez-vous de moi.

SUZANNE. — Si vous croyez qu’on me donne des ordres, je m’occupe de ce qui m’amuse. — Tiens, Madeleine, voilà mon jeune homme de ce matin !

LE CAPITAINE, avec reproche. — Votre jeune homme.

SUZANNE. — Après, — est-ce que j’ai pris un abonnement à vos compliments ? — Tenez, on nous appelle. (Elles s’en vont, shake-hands, séparation.)

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