La bibliothèque nationale : $b Son origine et ses accroissements jusqu'à nos jours
LA BIBLIOTHÈQUE DE 1743 A LA FIN DU RÈGNE DE LOUIS XV.
Dès l’année 1722, l’abbé Bignon avait obtenu la survivance de sa charge pour son neveu, Bignon de Blanzy. Mais la mort de celui-ci précéda celle de son oncle de quelques jours. La place de bibliothécaire restait donc vacante. Le roi, autant pour récompenser les services de l’abbé Bignon, que pour conserver à cette famille un titre qu’elle n’avait cessé de porter avec éclat, appela à ces fonctions un autre neveu de l’abbé Bignon, Armand-Jérôme, maître des requêtes. L’acte de nomination est du 31 mars 1743. Armand-Jérôme Bignon ne fut pas que le successeur nominal de son oncle; il continua les bonnes traditions de sa famille et employa son zèle et le crédit que lui donnait la réunion de deux charges importantes à la prospérité de notre établissement. L’action bienfaisante de son administration s’étendit aux différentes sections de la Bibliothèque.
Au département des imprimés, de nombreuses acquisitions, judicieusement faites, soit à l’étranger, soit en France, continuèrent d’y apporter de nouvelles richesses. Quelques-unes sont hors ligne et font époque dans l’histoire de nos collections, ce sont celles des bibliothèques de Falconet, de Huet, des Jésuites, de Fontanieu.
Le célèbre médecin Falconet, membre de l’Académie des Inscriptions, possédait une bibliothèque qui faisait l’admiration des savants de l’époque, admis avec la plus grande libéralité à y travailler. Elle ne renfermait pas moins de 50,000 volumes. Au mois de décembre 1742, Falconet offrit au roi tous ceux de ses livres qui pouvaient faire défaut à la Bibliothèque. Capperonnier, chargé de ce choix, désigna plus de 11,000 volumes imprimés, que Falconet mit à la disposition du roi. Pour reconnaître cet acte de libéralité, on lui servit une rente viagère de 1,200 livres, en lui laissant, comme il le désirait, l’usufruit de sa collection.
Par suite de ces réserves, la Bibliothèque ne devint réellement propriétaire du Cabinet de Falconet qu’à sa mort, arrivée en 1762. L’année suivante, l’expulsion des Jésuites fournit à Bignon l’occasion de faire entrer dans le département des Imprimés, une bibliothèque, sinon plus nombreuse, du moins plus fameuse encore et plus riche, celle de Huet, évêque d’Avranches. Huet avait légué ses livres à la maison professe des Jésuites de la rue Saint-Antoine. Quant les Jésuites furent supprimés, les héritiers du prélat se crurent fondés à élever des réclamations, et à revendiquer des collections dont les légataires se trouvaient dépossédés et qui allaient être dispersées. Un arrêt du 15 juillet 1763 en ordonna la restitution à M. de Charsigné, neveu de Huet. Aussitôt Bignon entama des négociations en vue de l’acquisition de ce fonds important pour lequel l’étranger faisait déjà des propositions séduisantes. Les efforts du bibliothécaire eurent un plein succès. Pour une rente viagère de 1750 livres, M. de Charsigné se dessaisit d’un trésor que l’impératrice de Russie lui avait offert de payer 50,000 écus, toute une fortune. Ce désintéressement patriotique mérite d’être signalé; le souvenir tendrait à s’en effacer que les 8000 volumes imprimés et plus qu’il valut à la Bibliothèque sont là pour faire vivre à jamais le nom de ce bienfaiteur, en même temps que le goût et l’érudition du possesseur de la Bibliotheca huetiana. Dans le département des Imprimés, un monde de volumes, les livres de Huet ont conservé les traces de la main pieuse qui les a recueillis et qui les a ornés d’un ex-libris que tout le monde connaît. Impressions des Estienne et des Alde, éditions de choix des auteurs anciens et modernes souvent enrichies de notes précieuses du savant prélat, théologie, histoire, lettres, sciences, rien n’était oublié dans la bibliothèque de Huet; elle donne satisfaction à tous les goûts, elle suffit à tous les genres d’études. Combien de ces volumes vénérables ont déjà passé dans les mains des lecteurs depuis leur entrée à la Bibliothèque! Que de fois ils ont été l’occasion d’un retour vers un passé dont ils ravivent et ennoblissent le souvenir!
Avec la collection de Huet, le départ des Jésuites fut pour la Bibliothèque l’occasion d’acquérir de nombreux volumes imprimés qu’elle ne possédait pas. L’abbé Boudot, chargé de faire un choix dans leur bibliothèque, récolta une ample moisson de livres précieux qui auraient été perdus pour les lettres s’ils n’avaient trouvé place dans les collections royales. Ainsi, dès cette époque, semblait se poser ce principe qui fit de la Bibliothèque le refuge des trésors littéraires conservés dans les maisons religieuses, principe qui, quelques années plus tard, devait avoir une application si étendue au grand profit de la science.
Les accroissements dont il vient d’être question ne portaient pas seulement sur les séries imprimées; dans les acquisitions de la bibliothèque de Huet et des livres des Jésuites, les manuscrits avaient eu aussi leur part. D’ailleurs depuis la mort de l’abbé Bignon, ce département n’avait cessé de s’enrichir. Il avait reçu en 1748 la collection Megret de Serilly, riche surtout en manuscrits modernes, en 1749, les papiers de Dangeau, en 1752, vingt manuscrits précieux de la Sainte Chapelle de Bourges offerts par les chanoines à Louis XV, en 1753, les manuscrits de Bossuet, présent de l’abbé Delamotte. En 1754 ce fut le tour d’une célèbre collection sur laquelle la Bibliothèque avait jeté ses vues depuis longtemps, la collection Dupuy. Nous avons vu que Colbert en avait inutilement projeté l’acquisition lorsqu’elle passa des mains de M. de Thou, héritier de Jacques Dupuy, dans celles du président Charron de Ménars. Au moment où Bignon reprit des négociations en vue de cette acquisition, elle était devenue, depuis 1720, la propriété du procureur général Joly de Fleury. Sans compter la valeur considérable de ces manuscrits, très-précieux pour l’étude de l’histoire, du droit, de la littérature en France, la Bibliothèque avait le plus vif intérêt à recueillir la collection portant le nom d’hommes dont elle possédait déjà la majeure partie des livres; elle devait à la mémoire de ces bienfaiteurs de ne pas laisser se disperser la bibliothèque qu’ils avaient formée avec tant de sollicitude. Le 10 juillet 1754, Joly de Fleury la céda pour une somme de 60,000 livres, et près de quatorze cents volumes, remplis de pièces précieuses, entrèrent au département des manuscrits.
L’heureuse conclusion de cette importante affaire n’empêcha pas les acquisitions dans les années qui suivirent. Pour une rente viagère de 3000 livres allouée à l’arrière-neveu de Du Cange, la Bibliothèque s’enrichit, en 1756, des manuscrits de ce célèbre érudit. Cette même année, elle recevait, à titre de don, les papiers de Jean Racine offerts par son fils[26], et 301 manuscrits précieux dont les chanoines de Notre-Dame de Paris firent hommage à Louis XV. En 1765, la suppression des Jésuites fit entrer au département des manuscrits la plupart des volumes qui avaient appartenu à Huet et une quarantaine provenant du collége de Clermont. Enfin nous avons à enregistrer, sous la même date, l’acquisition de la très-importante et très-volumineuse collection de Fontanieu, conseiller d’Etat, intendant et contrôleur général des meubles de la couronne. Moyennant une somme de 90,000 livres, payable à sa mort, et une rente viagère de 8000 livres, il vendit au roi toute sa bibliothèque, riche en imprimés, en estampes, et surtout en pièces sur l’histoire et l’administration française. Près de mille volumes ou portefeuilles contenant des documents nombreux et curieux prirent place dans les collections manuscrites; les départements des Imprimés et des Estampes héritèrent des articles qui s’y rattachaient plus particulièrement. Encore aujourd’hui un lot de 376 volumes remplis de pièces imprimées et manuscrites, ayant cette provenance, sont conservés au département des Imprimés.
Cette époque fut particulièrement favorable au développement du Cabinet des Titres dont l’existence, comme département distinct, ne remontait pas au-delà de l’administration de l’abbé Bignon. La collection Gaignières, la collection d’Hozier surtout, riches en pièces généalogiques, avaient servi à la formation de ce fonds que les mœurs de l’époque et le goût des amateurs ne tardèrent pas à grossir. De 1720 à 1789, le Cabinet des Titres vit venir à lui toutes les collections nombreuses et importantes de ce genre qui furent formées au XVIIIe siècle, et notamment celles des hommes qui eurent la garde du département pendant cette période. Guiblet, qui à l’époque de la réorganisation provoquée par l’abbé Bignon avait reçu le premier le titre de garde du Cabinet généalogique, céda les documents qu’il avait réunis, comme généalogiste de la maison d’Orléans. Son successeur, l’abbé de La Cour, ne montra pas moins de zèle pour son département. Il y travailla à de nombreux et importants classements, et en 1763 il y fit entrer sa collection de titres originaux, au nombre d’environ 129,600. Elle fut payée 31,000 livres. C’est à son administration que se rapporte l’entrée des recueils généalogiques de l’abbé de Gevigney, de Bertin du Rocheret, de Blondeau de Charnage, du neveu de ce dernier, le chevalier Jault. Vers 1779, l’abbé de La Cour fut remplacé par l’abbé de Gevigney, que ses travaux généalogiques semblaient désigner à ces délicates fonctions. Sa négligence, dont la Bibliothèque fut victime, le força de se retirer en 1784.
Pendant que sous l’administration de l’abbé Bignon et de son successeur, les plus belles collections de l’époque s’accumulaient aux départements des Imprimés et des Manuscrits, le département des Estampes prenait une extension non moins grande. Depuis l’acquisition du cabinet de Beringhen quelques circonstances fâcheuses avaient, il est vrai, arrêté un moment ses progrès. Les dilapidations du successeur de Ladvenant, l’abbé de Chancey (1730), avaient failli porter un grand préjudice à nos collections. La nomination du peintre Coypel (1735) quelque bien justifiée par le talent du titulaire, quelqu’honorable qu’elle fût pour les arts, celle de Delacroix, qui le remplaça (1737) n’avaient guère amélioré l’état des choses. Heureusement pour notre dépôt, après vingt années perdues, pour ainsi dire, le choix du roi se porta sur un homme dont le souvenir se rattache à la période la plus brillante de l’histoire du Cabinet des Estampes, Hugues-Adrien Joly «qui pendant près d’un demi-siècle (1750-1792) ne cessa d’augmenter, d’enrichir les collections confiées à ses soins.»[27].
Trois ans à peine après son entrée en fonctions, Joly fut appelé à recevoir la collection du fermier général, Lallemand de Betz, qui s’en dépouilla en faveur de la Bibliothèque du roi. Cette célèbre collection appelée collection d’Uxelles, (bien que rien ne prouve qu’elle ait appartenu au maréchal de ce nom,) comprenait une série de portraits et une suite de costumes et de pièces topographiques et géographiques. Elle formait un total de près de 15,000 estampes réunies dans 78 volumes in-folio. Les volumes de la première série composés de «portraits d’hommes de toutes conditions rangés chronologiquement, ou à l’époque de leur mort, depuis les philosophes grecs et latins, jusqu’au milieu du règne de Louis XVI[28],» trouvèrent leur place à la suite de la collection dont Clément avait donné les premiers et les plus nombreux éléments. Quant à la seconde partie, elle forma, au département des Estampes, par son caractère universel et pour ainsi dire cosmopolite, un ensemble non moins curieux qu’instructif pour l’amateur et l’érudit. Un peu effacée aujourd’hui par les collections topographiques qui se sont constituées au Cabinet, elle ne cesse pas d’être consultée par le chercheur qui sait y découvrir quelque pièce curieuse et peu commune.
L’acquisition du cabinet de M. de Fontanieu, si profitable aux Imprimés et aux Manuscrits, procura également au département des Estampes un assez grand nombre de pièces relatives à l’histoire de France. Mais ce fut surtout la collection Fevret de Fontette qui vint considérablement augmenter la série des documents que le Cabinet renfermait sur notre histoire nationale. Tout ce qui, en fait de gravures, pouvait se rapporter à la France, mais à la France exclusivement, avait été soigneusement recherché et rangé par le consciencieux éditeur de la Bibliothèque historique du P. Lelong, Charles-Marie Fevret de Fontette, conseiller au Parlement de Bourgogne. Il possédait un fonds de pièces dont le nombre s’élevait à 12,000, classées chronologiquement, d’après le sujet reproduit, depuis les premiers temps de la Gaule jusqu’au règne de Louis XV. Evénements et personnages français, mœurs et costumes de notre pays s’y trouvaient représentés. Il ne fallait pas qu’une telle collection, unique en son genre, échappât à la Bibliothèque du roi. Son possesseur était d’ailleurs trop grand ami des lettres et de la science pour exposer à la dispersion ces recueils qu’il savait, par sa propre expérience, si difficiles à réunir et dont presque chaque page portait des annotations de sa main. En 1770, il signa un acte par lequel il faisait cession à la Bibliothèque de ses recueils. Comme dédommagement, le roi consentait à lui servir une rente viagère de 600 livres. En supposant que cette somme ait été exactement comptée à Fontette, elle est encore trop inférieure au prix de sa collection pour que cette cession ne soit pas considérée comme un des actes de libéralité les plus importants qui aient été accomplis en faveur de la Bibliothèque.
Ce fut par une donation faite sous la même forme que la collection de Michel de Bégon, intendant de la marine à Dunkerque, entra au Cabinet des Estampes. Les efforts de Joly, pour en assurer la possession à la Bibliothèque, secondés par le désintéressement du riche propriétaire, ne demeurèrent pas infructueux. En 1770, près de 25,000 pièces aussi intéressantes pour l’histoire et l’étude de la gravure en France que pour l’archéologie et l’érudition s’intercalèrent dans les œuvres des maîtres. Si quelques-unes y firent double emploi, beaucoup y furent très-utilement placées, soit en comblant des lacunes regrettables, soit en offrant, à côté d’exemplaires défectueux, des épreuves dans un état exceptionnel.
La valeur et la célébrité des collections dont le département des Estampes s’enrichit presque coup sur coup, font placer en seconde ligne d’autres accroissements notables qu’il reçut dans le même temps et qu’à une époque moins heureuse, on serait fier de citer au premier rang. Le cabinet dut à M. de Caylus la meilleure partie de la collection de dessins archéologiques que cet illustre bienfaiteur du département des Médailles avait formée, sans compter «un nombre considérable de morceaux détachés, qu’il prenait plaisir, dit Le Prince[29], d’y déposer de temps en temps.» En ajoutant à ces libéralités successives la magnifique donation faite au département des Médailles, on peut dire que la Bibliothèque hérita de la presque totalité des richesses artistiques et archéologiques du comte de Caylus. Il n’en fut malheureusement pas de même du cabinet de Mariette qui allait être vendu au mois de novembre 1775. L’importance de cette collection était trop grande pour ne pas éveiller le zèle de Joly, et si la vente se fit sans la participation de la Bibliothèque, ce ne fut pas la faute du digne conservateur des Estampes. Son influence, son activité, rapports, lettres sur lettres, démarches les plus pressantes, il mit tout en œuvre pour obtenir le crédit qui lui était nécessaire. Ses sollicitations finirent par vaincre la résistance du gouvernement. Mais il était trop tard. Les premières vacations, qui contenaient les pièces les plus importantes, étaient passées et le fonds de 50,000 livres que Turgot mit à la disposition de la Bibliothèque ne put être employé en temps opportun. Joly ne parvint à acheter que quelques milliers d’estampes utiles à son dépôt, et malgré l’acquisition des épaves encore très-honorables que le département fut appelé à recueillir dans la suite, la célèbre collection de Mariette fut en réalité dispersée et, du moins dans son ensemble, à jamais perdue pour la France.
Joly, dont le zèle fut si profitable au département des Estampes, eut un digne émule au cabinet des Médailles. La mort de Gros de Boze, en 1754, appela à la tête de cette section son collaborateur déjà depuis plusieurs années, le savant auteur du Voyage du jeune Anacharsis, l’abbé Barthélemy. Le temps de l’administration de ce dernier peut être considéré comme une des périodes les plus remarquables de l’histoire du Cabinet.
Déjà, avant la mort de G. de Boze, en 1750, la Bibliothèque avait fait l’acquisition, au prix de 20,000 livres, d’une collection de 2,400 médailles et médaillons appartenant au marquis de Beauvau. En 1755, le Cabinet dut aux efforts de son nouveau garde une suite, encore plus intéressante pour l’étude de la numismatique romaine, de 120 médailles impériales en or provenant de la collection de M. de Cary, de l’Académie de Marseille, qui furent payées 18,000 livres. En même temps, arrivaient du Danemark une série de médailles danoises envoyées par le président Augier et une autre collection plus considérable de médailles papales.
Ces diverses acquisitions apportèrent au Cabinet un assez grand nombre de doubles qu’il y avait intérêt à échanger. Barthélemy obtint une mission en Italie et par voie d’échange, s’y procura plus de trois cents médailles «dont quelques-unes uniques, dit Cointreau, et presque toutes remarquables par leur rareté.» C’est encore en partie au moyen des doubles qu’il réussit à faire entrer dans les médailliers de la Bibliothèque douze cents pièces du Cabinet de M. de Clèves, parmi lesquelles on comptait près de 500 médailles impériales en or.
Le zèle et le caractère de l’abbé Barthélemy qui servaient si utilement les intérêts du dépôt dont il avait la garde, ne furent certainement pas sans influence sur la détermination que prit à cette époque le comte de Caylus. L’amitié et l’estime du célèbre antiquaire pour le savant conservateur du département des médailles, contribuèrent, autant que les intentions libérales du riche amateur à son importante donation. En 1762, il se dépouilla en faveur de la Bibliothèque des monuments les plus remarquables du cabinet d’antiquités qu’il avait formé et décrit lui-même dans son ouvrage[30]. Cette donation exceptionnelle accrût considérablement le fonds des antiques, qui forme aujourd’hui une des séries les plus complètes et les plus riches de la Bibliothèque.
Il serait difficile d’énumérer toutes les acquisitions ou les donations de second ordre que reçut le département des Médailles pendant cette partie de l’administration de l’abbé Barthélemy; on a évalué à vingt mille le nombre des pièces qu’il y fit entrer dans une période de dix années; c’est-à-dire qu’à l’époque de la mort de Bignon, le Cabinet se trouvait augmenté de près d’un tiers, tant au point de vue du nombre des monuments qu’à celui de leur valeur et de leur importance.
Ce chapitre de l’histoire de la Bibliothèque consacré à l’administration de Jérôme Bignon serait incomplet, si l’on passait sous silence ses efforts pour assurer le service du dépôt légal que ses prédécesseurs avaient pris à tâche de réformer et de rendre plus productif pour nos collections. La lettre qu’il écrivit, dans cette intention, aux syndic et adjoints de la librairie, doit être citée toute entière: «Le devoir de ma place, Messieurs, étant de veiller aux intérêts de la Bibliothèque du roi, je ne saurais me dispenser de vous adresser mes plaintes sur le grand nombre d’ouvrages que messieurs les libraires et les graveurs ne fournissent pas. Comme je n’aime pas à user des voies de contrainte, vous me ferez plaisir de les engager à se conformer volontairement aux ordonnances, en remettant avec exactitude à votre Chambre syndicale les plus belles éditions:
«1o Des ouvrages anciens qu’ils ont imprimés et gravés, et qu’ils n’ont pas fournis;
«2o Les suites des ouvrages qu’ils ont commencé à fournir;
«3o Les ouvrages nouveaux qu’ils impriment, qu’ils gravent, qu’ils débitent et qu’ils ne devraient mettre en vente qu’après les avoir fournis.
«Tout rentrera par ce moyen dans l’ordre: le public trouvera à la Bibliothèque les ressources qu’il vient y chercher; Messieurs les libraires et les graveurs rempliront les engagemens sous lesquels ils ont obtenu des privilèges et des permissions; et je ne me verrai pas dans la dure nécessité de les y contraindre par les voies de rigueur prescrites par les ordonnances.
«Je me flatte, Messieurs, que votre zèle pour le bien des Lettres vous portera à entrer dans mes vues, et à presser l’exécution de ce que j’ai l’honneur de vous demander pour la Bibliothèque du roi. J’en conserverai la plus vive reconnaissance.»
Dans les différentes parties de son administration, Bignon ne fut donc pas au-dessous de sa tâche, il fut digne de son prédécesseur, digne du nom qu’il portait. A sa mort, en 1772, il laissait à son fils qui lui succéda, avec de nobles exemples à suivre, un dépôt dont ses dix-neuf années de services avaient singulièrement accru la valeur.