← Retour

La bibliothèque nationale : $b Son origine et ses accroissements jusqu'à nos jours

16px
100%

CONSULAT ET EMPIRE.


Sous le Consulat et l’Empire, le mouvement des acquisitions se ralentit, mais les envois de l’étranger continuèrent plus importants et plus nombreux encore que pendant la Révolution. Dans cette période, la Bibliothèque vit arriver dans ses collections les monuments les plus rares et les plus précieux des Bibliothèques de Milan, Mantoue, Modène, Venise, Vérone, Bologne, Gênes, Rome, Turin, Vienne, Berlin, Munich, Wolfenbüttel, jusqu’au jour où la fortune ayant changé, il fallut faire les restitutions et rendre à la force ce qu’on avait pris par la force.

Les objets que la Bibliothèque reçut de l’étranger à cette époque ne furent pas tous cependant le fruit de nos victoires. En 1801, Dom Jean-Baptiste Maugerard, ancien bénédictin, reçut du ministre de l’Intérieur la mission de rechercher dans les provinces rhénanes, les livres et manuscrits qui pouvaient intéresser nos collections. On lui accorda pour cet objet une indemnité de 6000 francs. La mission de Dom Maugerard et de son adjoint Ortolani dura jusqu’en 1806 et fut marquée par de fréquents envois de manuscrits et de livres rares imprimés.

Le 13 floréal an XI, la Bibliothèque reçoit par ses soins trois caisses de volumes imprimés et manuscrits recueillis à Trèves, le 26 floréal une autre caisse de même provenance contenant des manuscrits. A Coblentz, il fait choix de manuscrits, d’imprimés et de médailles. Une lettre écrite de Cologne le 9 thermidor de la même année annonce qu’il a trouvé à Crevelt, à Gueldre, à Clèves, des éditions rares de Cologne d’Ulric Zell, jusqu’alors inconnues. Le 11 brumaire an XII arrivent de Metz 2 caisses renfermant 223 volumes dont 15 manuscrits. Le 13 brumaire, il écrit d’Aix-la-Chapelle pour prévenir le conservatoire du départ de caisses contenant des manuscrits et des incunables. La même année, il est à Bonn, à Coblentz, où il rédige un catalogue des articles qui lui paraissent utiles à la Bibliothèque. Le 12 pluviôse, il expédie 3 volumes manuscrits et le célèbre exemplaire de la Bible de Pfister imprimée vers 1461 en 2 volumes in-folio, le tout acheté et payé par lui 1544 francs. La possession que le département des Imprimés doit à Maugerard de ce rare monument typographique suffirait pour immortaliser son nom dans nos annales. Le 18 thermidor an XII, le conservatoire enregistre un nouvel envoi de deux grandes caisses contenant tout ce qu’il avait pu trouver d’intéressant dans les départements de la Roër et de Rhin et Moselle.

De retour en France, Dom Maugerard fut chargé par décision ministérielle du 24 thermidor an XIII, de faire des recherches analogues dans les bibliothèques publiques. Mais cette partie de sa mission ne dura pas longtemps; le 8 janvier 1806, il informait le conservatoire de la cessation de ses fonctions «en qualité de commissaire pour la recherche des objets de science et d’art dans les départements réunis.» En résumé, la mission de Maugerard profita principalement au département des Imprimés, elle fournit à la série des incunables de précieuses additions qui ont fait placer son nom à côté des plus illustres bienfaiteurs de ce département[47].

L’année même où finirent les recherches de Maugerard, la Bibliothèque acheta, au prix de 9000 francs, la collection de lois imprimées et manuscrites depuis 1200 jusqu’à 1789, formée par le libraire Rondonneau. Ces documents furent déposés au département des Imprimés où furent versés également les livres du Tribunat. C’est encore le seul département des Imprimés que Napoléon avait en vue lorsqu’en 1805 il fit porter au budget de la Bibliothèque un crédit extraordinaire de 130,000 francs, premier à-compte d’une somme de 1,000,000 qui devait être entièrement employée à «l’achat des bons ouvrages publiés en France depuis 1785.» Puis cette augmentation ne paraissant pas suffisante pour combler les lacunes du département des Imprimés, il reprit le système de la Convention qui consistait à prélever dans les bibliothèques de France les articles qui manquaient à la Bibliothèque nationale. Il fit connaître sa volonté à ce sujet dans la note suivante qu’il dicta à M. de Champagny, ministre de l’Intérieur, le 17 pluviôse an XII:

«Beaucoup d’ouvrages anciens et modernes manquent à la Bibliothèque impériale tandis qu’ils se trouvent dans les autres bibliothèques de Paris ou des départements. Il faudrait en faire dresser l’état et les faire prendre dans ces établissements auxquels on donnerait en échange des ouvrages qu’ils n’ont pas et dont la Bibliothèque a des doubles. Il doit résulter de cette opération, si elle est bien faite, que lorsqu’on ne trouvera pas un livre à la Bibliothèque, il sera certain que cet ouvrage n’existe pas en France.

«Le déplacement des objets attirés des autres bibliothèques par l’exécution de cette mesure, ainsi que celui des livres à donner en échange n’aura lieu que lors de l’établissement définitif de la Bibliothèque au Louvre.»

Ce projet de la Bibliothèque universelle, comme on l’a appelé, plus séduisant dans la forme que réalisable dans la pratique, ne fut pas exécuté. D’un côté l’insuffisance des fonds accordés à la Bibliothèque, l’augmentation prodigieuse du nombre des ouvrages entrés depuis une cinquantaine d’années ne permettaient guère de reprendre l’impression du catalogue, et d’un autre côté, il ne fallait pas compter sur un grand empressement de la part des bibliothèques à répondre à un appel qui tendait à les amoindrir.

A la même époque la question du déplacement de la Bibliothèque était à l’ordre du jour; il s’agissait de la transférer au Louvre. Dès 1801, le ministre de l’Intérieur, Chaptal, exposait dans un rapport les raisons d’intérêt supérieur qui selon lui devaient faire adopter ce projet: «L’espace manque au développement de tant de richesses[48]... Le peu de solidité de l’édifice nécessite des réparations ruineuses et sans cesse renaissantes, placé au milieu de théâtres nombreux[49], entouré et presque confondu dans des maisons habitées, la sûreté du riche dépôt qu’il renferme est menacée à chaque instant. La translation de la Bibliothèque nationale au Louvre présente tous les avantages qu’on peut désirer: 1o elle assure la conservation de ce précieux dépôt; 2o elle réunit dans le même lieu la plus riche bibliothèque du monde à la plus belle collection de peinture et de sculpture qu’on connaisse: par elle, les chefs-d’œuvre de Phidias, de Raphaël et de Racine n’auront plus qu’un même temple; 3o elle établit dans le centre de ces monuments éternels du génie le corps littéraire, l’Institut qui en est le conservateur né; 4o elle termine enfin le beau palais du Louvre et donne pour asile aux chefs-d’œuvre de l’esprit humain le chef-d’œuvre de l’architecture. Sans doute il en coûtera des sommes considérables pour opérer cette translation; mais la vente des bâtiments qu’occupe en ce moment la Bibliothèque fournit en partie à la dépense; d’ailleurs la nécessité de cette translation est tellement sentie, si vivement sollicitée que la différer et exposer par le retard la Bibliothèque nationale à périr serait un crime de vandalisme dont aucun motif d’économie ne pourrait absoudre.»

Sur les ordres de l’empereur, le ministre de l’Intérieur Crétet prescrivit le 7 septembre 1807 un recensement général des collections et une évaluation de l’espace à ménager pour l’avenir. Le dénombrement des collections fait à cette époque, donna les chiffres suivants:

252,000 volumes imprimés. (Dans ce nombre on avait compté pour un volume seulement des recueils renfermant 20, 30, 40 et quelquefois 50 pièces).

83,000 volumes manuscrits.

85,000 monnaies, médailles, jetons, etc., etc.

1,250 pièces gravées.

4,600 bronzes, antiques, etc., etc.

4,626 volumes contenant environ 1,500,000 estampes.

La mise à exécution des projets de l’empereur, au sujet du déplacement de la Bibliothèque, se borna à cette opération. Des réformes qu’il avait en vue, il ne vit s’accomplir, et encore temporairement, que celles qui concernaient l’organisation administrative de la Bibliothèque. Le Consulat, qui ramenait partout le pouvoir à la centralisation, établit dans la Bibliothèque l’unité administrative et la responsabilité d’un seul. L’arrêté de Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, en date du 28 vendémiaire, an IX, créait une place d’administrateur et nommait:

Capperonnier, administrateur,

Van Praet, conservateur des Imprimés,

Langlès, La Porte du Theil, Legrand d’Aussy, conservateurs des Manuscrits,

Millin, Gosselin[50], conservateurs des Médailles,

Joly, conservateur des Estampes.

Les conservateurs formaient sous la présidence de l’administrateur un conseil purement consultatif. Les principes contenus dans cet arrêté ont été reproduits dans le décret organique de 1858, qui régit aujourd’hui la Bibliothèque nationale.

La mort de Legrand d’Aussy, arrivée le 15 frimaire an IX, appela aux fonctions de conservateur des manuscrits en langue moderne, Dacier, membre de l’Institut, et le 4 janvier 1806, Dacier fut nommé administrateur de la Bibliothèque. C’est lui qui en cette qualité eut, en 1814 et en 1815, le triste devoir d’exécuter les ordres de restitution des alliés, commandant en maîtres dans Paris.

La Prusse fut la première à réclamer en 1814; elle demanda la restitution de la collection de médailles romaines et des pièces dites bractéates qui avaient été rapportées de Berlin en 1806. Le 1er octobre les commissaires prussiens, Bussler, conseiller aulique, et Henry, bibliothécaire du roi de Prusse, signèrent un reçu de 8,465 pièces. Le 29 décembre, la Bibliothèque rendit les quelques volumes enlevés à Potsdam parmi lesquels se trouvaient les tomes II et III des œuvres de Voltaire annotés de sa main. Le commissaire de l’Autriche, le baron Ottenfels se fit également restituer les volumes manuscrits rapportés de Vienne en 1809.

Le 2 septembre 1815, les manuscrits de Wollfenbüttel furent remis au grand chambellan du duc de Brunswick, et le 6 du même mois on livra aux commissaires prussiens les diplômes, bulles, etc., venus d’Aix-la-Chapelle et de diverses villes de la Belgique. Le 9 septembre, la Bavière reprit les imprimés, manuscrits et estampes enlevés aux bibliothèques de Munich, de Nuremberg, etc.

Ensuite ce fut le tour de l’Italie. Le 27 septembre, le général prussien de Müffling, gouverneur de Paris, demanda, au nom de l’empereur d’Autriche, le manuscrit de Virgile qui avait appartenu à la Bibliothèque Laurentienne à Florence. «Vous m’obligerez, écrivait-il à M. Dacier, en me dispensant de prendre des mesures ultérieures.» Dacier crut devoir en référer au ministre de l’Intérieur. «Vous ne devez céder qu’à la force, répondit M. de Barante, ou du moins à une démonstration suffisante qu’elle sera employée.»

Le 5 octobre 1815, le baron Ottenfels, commissaire de l’Autriche, se présenta à la Bibliothèque accompagné du capitaine Meyern, porteur des ordres du général de Müffling et suivi d’un fort détachement de troupes. Le conservatoire remit entre leurs mains deux cent deux manuscrits des bibliothèques de Saint-Marc à Venise, de Mantoue, de Milan, qui reprirent le chemin de l’Italie, avec les livres et les manuscrits de Turin et de Rome réclamés par Mgr Marini, commissaire du Saint-Siége.

Quelques jours plus tard, le 20 octobre, on fut obligé de rendre au baron Fagel, ambassadeur du roi des Pays-Bas, les manuscrits rapportés de La Haye.

Cependant la Prusse n’était pas satisfaite. Dans un long mémoire remis le 8 octobre au Ministre de l’Intérieur, le baron Alkensten, ministre d’Etat à Berlin, déclarait que le gouvernement prussien n’ayant pas obtenu la restitution de tous les objets emportés par les autorités françaises et déposés soit dans nos bibliothèques, soit dans nos musées, il se voyait forcé de réclamer une compensation en objets de même nature. Dans ce système il ne s’agissait rien moins que d’enlever à la Bibliothèque des centaines de médailles, d’estampes, de livres imprimés, surtout et plus particulièrement des manuscrits précieux relatifs à l’ancienne poésie allemande, à l’histoire d’Allemagne, au droit romain, à la théologie, tous objets qui n’avaient jamais appartenu à l’étranger.

C’était un véritable démembrement des collections du département des manuscrits. Ces prétentions émurent vivement le conservatoire et son digne président M. Dacier. Il était en effet au moins étrange d’obliger la Bibliothèque à un dédommagement pour des objets dont le sort était inconnu, qui avaient pu être perdus ou détruits dans les hasards de la guerre, ou encore transportés d’un établissement dans un autre dépôt appartenant en 1815 aux puissances alliées, comme les 35 caisses de livres provenant de pays conquis qui avaient été expédiées, avant 1796, à Bruxelles et à Bruges. Dacier fit valoir ces raisons avec force dans un rapport au ministre de l’Intérieur qu’il terminait par ces nobles paroles:

«Dans le cas où la Bibliothèque aurait le malheur d’être obligée de souffrir cette spoliation, je supplie Votre Excellence de charger un autre des conservateurs d’en être l’instrument et d’avoir l’extrême bonté d’épargner à ma vieillesse la douleur d’y prendre part. Je ne me sens ni la force, ni le courage nécessaire pour être le témoin d’une opération aussi désastreuse qu’humiliante et irréparable.»

Fort heureusement le Ministre ne fut pas obligé de recourir à cette mesure extrême, l’affaire n’eut pas de suite. Dans deux lettres du 26 et du 30 octobre 1815, le baron de Müffling et le baron Ottenfels annonçaient la fin de leur mission. Cette époque pénible des restitutions était passée, mais la Bibliothèque en avait retiré cet enseignement, que pour l’établissement scientifique qui les a reçus, la présence des trophées peut à un moment donné être plus funeste qu’utile.

Chargement de la publicité...