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La grande artère de la Chine: le Yangtseu

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CHAPITRE XII

I. La province du Sseu-Tchuen (Szechuen); description.—II. Les salines.—III. Les puits à pétrole.—IV. Bronzes; coutellerie; chapeaux de paille; peaux; musc; vernis et suif.—V. Médecines.—VI. L'attention des Européens attirée vers le Sseu-Tchuen.—VII. Commerce du port ouvert de Tchong-King (Chung-King), importation et exportation.—VIII. Produits du Thibet exportés par Tchong-King.—IX. Considérations sur le transport des marchandises et les voies commerciales.—X. La capitale Tcheng-Tou (Cheng Tu) et ses environs; promenades; le mont Omei.

I.—La province du Sseu-Tchuen est l'une des plus belles et des plus grandes provinces de l'Empire: le Yang-Tseu-Kiang la traverse tout entière; elle est très riche, non seulement par la quantité de soie qu'elle produit, mais encore par ses mines d'étain, de plomb, de fer; par son ambre et ses cannes à sucre, par ses pierres précieuses, et, dit-on, aussi par ses mines d'or. Elle abonde en musc, surtout dans sa partie occidentale qui touche au Thibet, pays du musc. On y trouve quantité d'orangers et de citronniers; des chevaux très recherchés quoique de petite taille, mais fort vifs et énergiques; des cerfs, des daims, des perdrix, des perroquets; une variété de poules à plumes douces comme la laine, petites et basses sur pattes, que dans toutes les provinces, les habitants s'amusent à élever en cage. C'est de la province du Sseu-Tchuen qu'on tire la meilleure rhubarbe.

Considérée par les étrangers aussi bien que par les Chinois comme une des plus riches sinon la plus riche province de l'Empire, le Sseu-Tchuen est en outre la plus peuplée, et sa superficie égale à peu près celle de deux autres provinces. Elle fut le grenier des Empereurs quand ces derniers avaient leur capitale à Si-Ngan-Fou, dans le Chen-Si, et sa ville principale, Tchen-Tou, fut au IIIe siècle la capitale des Han.

Le Sseu-Tchuen est arrosé par quatre rivières qui, courant du nord au sud, viennent toutes se jeter dans le Yangtseu en suivant la même direction, et forment par suite quatre thalwegs tout à fait parallèles; ces rivières sont le Kialing, le Lo, le Min et le Yaloung, la plus grande de toutes, qui part du Thibet et qui vient se confondre avec le Yangtseu sur la frontière du Yunnan et du Sseu-Tchuen. La rivière Min descend dans la plaine de Tcheng-Tou, où ses eaux se divisent en une quantité de bras ou canaux qui contribuent à la grande fertilité de cette partie de la province. Il ne faudrait d'ailleurs pas considérer le Sseu-Tchuen sous un seul aspect; en effet, si, depuis Kouei-Tcheou-Fou, ville frontière à l'est, vers le Houpe, jusque sur les rives de la rivière Min, à Tchen-Tou et Kiating, le sol est productif et la province bien peuplée; depuis le Min jusqu'à la limite occidentale il n'en est pas de même. Là les contreforts du Thibet s'avançant en rangs serrés, offrant des hauteurs de 2.500 à 3.000 mètres, occupent la majeure partie du terrain, qui est, de ce fait, impropre à la culture et fort peu habité. C'est, du reste, de ce côté que vivent éparses sur les hauteurs quelques tribus de Lolos, aborigènes non encore assimilés et qui ont jusqu'à présent été absolument réfractaires à la culture chinoise. Quand on parle donc de la fertilité, de la richesse du Sseu-Tchuen, il faut entendre d'une partie de la province.

II.—En fait de richesses naturelles, en dehors de celles que j'ai déjà citées, on peut noter l'une des plus importantes et qui fait l'objet d'une industrie locale très active: ce sont les puits d'eau salée. Les Sseu-Tchuennais font évaporer l'eau pour avoir ensuite le sel qu'ils expédient un peu partout à dos de bœufs. Ces puits de sel sont exploités, depuis des générations, d'une façon absolument primitive, mais qui fait honneur à la patience et à l'ingéniosité des Chinois. Avec les moyens dont ils disposent, ils mettent généralement trois ans pour creuser un puits. Quand il s'agit de tirer l'eau, ils descendent dans le puits un tube en bambou au fond duquel se trouve une espèce de soupape; lorsque le bambou est au fond du puits, un homme, au moyen d'une corde, imprime des secousses; chaque secousse fait ouvrir la soupape et monter l'eau. Quand le tube est plein, un grand cylindre en forme de dévidoir, de seize mètres de circonférence, sur lequel roule la corde, est tourné par deux, trois ou quatre buffles ou bœufs, et le tube monte; l'eau qu'on en recueille donne à l'évaporation un cinquième, quelquefois un quart de sel. Ce sel est très amer et n'a pas la force du sel marin. Ces salines, dont les plus connues et les plus renommées se trouvent à Tseu-Lieou-Tsing, sont exploitées depuis des générations soit par des compagnies, soit par des familles, et à l'heure actuelle c'est toujours la vieille méthode qui triomphe; personne n'admet d'innovation, et celui qui introduirait les procédés d'extraction à l'européenne serait immédiatement en butte aux tracasseries, à la haine même de ses compatriotes et obligé de quitter le pays. Les corporations qui vivent des salines sont si nombreuses et si puissantes qu'on se demande à quelle époque pourra se faire l'exploitation normale et rapide par nos moyens mécaniques.

III.—A côté des puits salants, se trouvent les puits de feu (Ho tsing). On s'en sert pour éclairer les exploitations la nuit. Un petit tube en bambou ferme l'embouchure des puits et conduit l'air inflammable où l'on veut; on l'allume et il brûle sans s'arrêter. La flamme est bleuâtre et donne une lumière très douce. Ces flammes proviennent évidemment des nappes de naphte souterraines qu'on a dernièrement découvertes au Sseu-Tchuen, mais qui n'ont jamais été mises en exploitation.

Pour évaporer l'eau et cuire le sel, les Chinois se servent de grandes marmites en fonte, qu'ils emplissent au fur et à mesure de l'évaporation, de sorte que le sel, quand l'eau est complètement évaporée, remplit la cuvette à pleins bords et en prend la forme. Le bloc de sel est dur comme la pierre; on le casse en trois ou quatre morceaux pour qu'il soit plus facilement transporté à dos de mulets ou de bœufs. Pour chauffer les chaudières on emploie soit le charbon, soit le feu naturel. Les couches de charbon sont quelquefois assez épaisses et descendent à une grande profondeur, mais on n'exploite qu'à la surface; on n'ose pas ouvrir de grandes mines, car on ne peut employer la lumière à cause du grisou, et les ouvriers, la plupart du temps, vont à tâtons ou s'éclairent avec un mélange de sciure de bois et de résine qui brûle sans flamme et ne s'éteint pas.

Pour l'emploi du feu naturel, quand on peut y avoir recours, c'est infiniment plus simple: à trente centimètres sous terre, sur les quatre faces du puits, sont plantés quatre gros tubes de bambou qui conduisent l'air sous les chaudières. Un seul puits fait chauffer plus de trois cents chaudières. Chaque chaudière a un tube de bambou à l'extrémité duquel est adapté un tube de terre glaise qui empêche le bambou de brûler; le système, on le voit, est très simple et, pour éclairer l'exploitation la nuit, on creuse d'autres trous dans lesquels on fixe de longs bambous; on a alors des torches permanentes et donnant toujours la même lumière. Les nappes souterraines, qui fournissent ainsi un gaz inflammable, sont évidemment des fleuves de pétrole, et ils sont tellement abondants qu'avec une exploitation européenne raisonnée, la Chine pourrait s'éclairer sans avoir recours aux pétroles d'Amérique et du Caucase; mais la grosse difficulté est de convaincre toute cette population qui vit des puits de sel et des puits de feu. Ce sera très long et il sera nécessaire d'agir avec beaucoup de prudence.

IV.—En dehors de cette industrie toute spéciale, le Sseu-Tchuen fabrique des bronzes renommés, mais je crois cependant que les beaux bronzes du Sseu-Tchuen ont surtout été fondus autrefois; car aujourd'hui on n'en trouve guère. La soie y est travaillée et ouvrée. La coutellerie de Tcheng-Tou est renommée; de même aussi la fabrication de chapeaux de paille; d'ailleurs les tresses de paille du Sseu-Tchuen et particulièrement de Tcheng-Tou sont expédiées par gros chargements sur Changhai, à destination d'Europe, et deux maisons françaises de Changhai en exportent chaque année de grandes quantités sur Paris.

Le Sseu-Tchuen est aussi le marché des laines et des peaux de chèvre et de yack provenant du Thibet; du musc qui devient une marchandise rare et très frelatée; de la cire animale ou tchang pela, c'est-à-dire cire blanche des insectes. Ce sont de petits insectes qui la forment. Ils sucent le suc d'une espèce d'arbre, et à la longue ils le changent en une sorte de graisse blanche qu'ils fixent aux branches de l'arbre; on la récolte en râclant les branches en automne, puis on la fait fondre sur un feu doux, enfin, on la passe pour en chasser les impuretés et on la verse dans l'eau froide où elle se fige. Elle est polie et brillante, on la mêle avec de l'huile et on en fait des chandelles. On trouve cette sorte de cire au Hounan également, ainsi qu'au Yunnan; mais celle qu'on récolte au Sseu-Tchuen est supérieure. L'arbre qui porte l'insecte distillant cette cire est un arbre à feuilles persistantes; il donne des fleurs blanches en grappes au mois de mai et de petits fruits en forme de baie, ressemblant assez à de petites noix; les Chinois le nomment tong tsin chou. Les insectes sont blancs quand ils sont jeunes, et c'est à ce moment qu'ils font la cire. Quand ils ont rempli leurs fonctions, ils deviennent gris; ils se réunissent alors en forme de grappes et s'accrochent aux branches de l'arbre; au printemps ils font leurs œufs et construisent des nids comme les chenilles; chacun de ces nids contient plusieurs centaines de petits œufs blancs, lesquels, une fois éclos, livrent passage à une nouvelle génération d'insectes. Ainsi tous les ans, le même arbre donne une récolte de cire. Il faut avoir bien soin de surveiller l'arbre et d'empêcher l'invasion des fourmis qui mangeraient les insectes et détruiraient la récolte.

V.—Mais ce que le Sseu-Tchuen produit avec abondance, ce sont les médecines, et c'est de ce fait que la province a une célébrité spéciale parmi les Chinois; car le Chinois prend des médecines à tout propos et hors de propos. Or le Sseu-Tchuen lui en fournit abondamment. Rhubarbe et herbes médicinales de toutes sortes, cornes de cerf, os de dragon, et quantité de drogues extraordinaires, de mixtures sans nom, tout cela vient du Sseu-Tchuen. Les jonques qui partent de Tchong-King en amènent des chargements considérables à Hankeou et à Changhai, d'où ils sont dirigés dans toute la Chine.

VI.—La province qui nous occupe en ce moment a été l'objet de l'attention générale vers 1895 et les années qui ont suivi. Ce devait être l'eldorado rêvé. Tous les Européens s'accordaient à reconnaître au Sseu-Tchuen une valeur commerciale énorme; je crois qu'aujourd'hui on en est un peu revenu. D'abord l'accès de la province est particulièrement difficile et restera tel tant qu'une voie ferrée ne reliera pas Tchong-King et Tcheng-Tou à Hankeou et à Changhai, et puis, il faut bien le dire aussi, plus la Chine s'ouvrira, moins l'Européen aura de chances, surtout dans l'intérieur; car l'intelligence du Chinois s'ouvrira en même temps et le commerce restera dans les mains chinoises. Il n'y a qu'à voir la situation actuelle des grands centres comme Changhai et Hankeou; les maisons européennes s'y livrent une concurrence effrénée et sont de plus en plus battues en brèche par les maisons chinoises qui commencent à travailler directement; les profits sont loin d'être ce qu'ils étaient autrefois, et l'Européen en Chine doit fournir un travail considérable. Que sera-ce dans l'intérieur du pays? Seuls les Japonais pourront tenir quelque temps, mais le Chinois, une fois bien outillé et au courant des affaires de l'Occident, finira par laisser loin derrière lui tous les étrangers.

VII.—Le commerce total de Tchong-King pour l'année 1908 s'élève à la somme de 31.180.995 taels, contre environ 28.000.000 de taels en 1907 et 28.000.000 également en 1906. La ville de Tchong-King, qui est en même temps le port ouvert aux étrangers, est le centre commercial non seulement du Sseu-Tchuen, mais de la Chine occidentale et du Thibet chinois. La ville s'élève sur l'extrémité d'une colline assez haute et rocheuse, formant presqu'île au confluent de la rivière Kialing avec le Yangtseu. Elle est entourée, comme toutes les villes chinoises, d'un mur crénelé, percé de neuf portes. Le climat de Tchong-King, sans être malsain, est très lourd l'été à cause de la chaleur humide; quant à l'hiver qui est parfois très frais, il est désagréable à cause des brouillards épais qui s'élèvent du fleuve tous les matins. Sur la rive gauche du Kialing, en face de Tchong-King, se trouve la petite ville de Kiang-Pe-Ting, laquelle, avec Tchong-King, forme une agglomération d'environ 300.000 âmes. C'est en 1891 qu'a été ouvert le port de Tchong-King; vers 1893-1894, un Français est allé s'y installer et a assez bien réussi; aujourd'hui plusieurs maisons étrangères y ont établi des succursales, mais tout le commerce est entre les mains des indigènes. La Compagnie française des Indes et de l'Extrême-Orient y entretient un agent. Le gouvernement français, les missionnaires catholiques et protestants subventionnent également des hôpitaux et des écoles à Tchong-King et à Tcheng-Tou; enfin, un Japonais, M. Ishidzuka, a entrepris la construction d'une manufacture pour la préparation des cuirs du Sseu-Tchuen à Tcheng-Tou.

La situation commerciale de la province du Sseu-Tchuen, au cours de l'année 1908, a été, grâce à un ensemble de conditions favorables, particulièrement prospère[15]. La totalité du trafic qui a été contrôlé par l'administration des douanes chinoises de Tchong-King représente une valeur de 31.180.995 taels (environ 110.000.000 de francs), soit une augmentation de 15.000.000 de francs sur l'année 1907. Comme on estime qu'un cinquième seulement du commerce de la province passe par les douanes maritimes, la majeure partie des marchandises dirigées sur le Bas-Yangtseu, par les maisons chinoises de la place, acquittent les droits aux octrois indigènes ou likin. La valeur brute du commerce de Tchong-King peut être évaluée à 500 millions de francs. Ce chiffre semble d'abord considérable; il n'a cependant rien qui puisse surprendre si l'on considère que cette ville est le seul port ouvert d'une province qui compte plus de 40.000.000 d'habitants. Ce chiffre a, d'ailleurs, dû être de tout temps le chiffre normal des transactions du Sseu-Tchuen; seulement, comme autrefois nous n'avions aucune statistique pour nous en rendre compte, nous l'ignorions. Les produits de toute la Chine occidentale, du Yunnan septentrional, du Kouei-Tcheou même, ne trouvant leur débouché qu'à Tchong-King, il n'y a pas lieu de nous étonner.

[15] D'après les documents du ministère des Affaires étrangères.

Le nombre des jonques affrétées s'est élevé à 2.567, et le prix moyen du fret par picul à la montée a été de 80 francs d'Itchang à Tchong-King, et de 25 francs à la descente. La plus forte crue du Yangtseu n'a été que de 52 pieds, alors qu'au cours des années précédentes on avait fréquemment enregistré 80 et même 100 pieds.

L'argent s'est maintenu au taux moyen de 930 taels de Tchong-King pour 1.000 taels de Changhai. Toutefois, en automne, l'envoi de quantités importantes de numéraire aux grandes salines du Tseu-Lieou-Tsing, et surtout dans les marchés thibétains, pour payer les dépenses de l'expédition militaire chinoise, a eu pour résultat une hausse subite de l'argent. Les banquiers qui échangeaient 930 taels de Tchong-King contre 1.000 taels de Changhai n'en donnèrent plus que 890. Cette crise dura près d'un mois et causa quelque malaise sur le marché. Cependant il n'y eut aucune faillite à signaler. En somme, malgré la crise monétaire, l'année a été bonne; l'agriculture, au reste, a été également favorisée, et le prix des denrées est resté peu élevé, à tel point qu'on a pu exporter du riz et des céréales au Houpe.

La plus grande partie du commerce d'importation et d'exportation est entre les mains des maisons chinoises, lesquelles ont des représentants à Hankeou, Itchang et Changhai. Les articles importés sont des articles de vente courante, dits articles de bazar; la plus grande partie de ces articles viennent, comme toujours, du Japon ou de l'Allemagne; ils sont de fabrication et de qualité inférieure, mais ils ont l'avantage d'être à la portée de toutes les bourses. L'article allemand, très ordinaire surtout, se vend beaucoup.

Les produits français sont très appréciés, mais ils coûtent trop cher. On les trouve seulement dans les comptoirs de la Compagnie française des Indes et de l'Extrême-Orient, rarement dans les magasins tenus par les Chinois. Les articles suivants se vendent bien: verrerie de Bohême (vases à fleurs), passementerie, parfums et savons, montres, vins de champagne bon marché, liqueurs douces. Mais toutes ces marchandises, ce sont les Allemands et les Japonais qui les vendent, parce que seuls ils peuvent les livrer à un bon marché auquel nous ne saurions atteindre. Il en est de même de tous les articles de fer-blanc ou d'émail. Ces objets sont d'un emploi courant chez les habitants de cette province, mais les Allemands ont le monopole de la vente. Outils, charnières, clous, vis, pointes, fils de fer, tout cela est allemand, quoique cependant on voie sur le marché certains articles de provenance française. Il en est de même pour les machines à coudre; quelques-unes sont d'origine française, mais la grande majorité vient d'Allemagne. Il n'y a guère que dans les soieries de Lyon que nous trouvions une vente rémunératrice; elles commencent à être appréciées des gens riches et aussi des chefs indigènes lolos ou Miao-Tseu; il s'en est vendu 815 piculs (1 picul = 60 kgs.) en 1908, contre 478 piculs en 1907.

Le pétrole donne une importation de 300.000 gallons en 1908, et il est tout entier livré par la Standard Oil Cº de New-York.

Le coton est également importé en grande quantité. Les filés de coton indiens ont subi une diminution de 56.922 piculs; par contre les filés de coton chinois provenant des manufactures de Wou-Tchang sont passés de 42.000 piculs en 1907 à 75.000 en 1908; et les filés japonais dont il n'avait été importé que 210 piculs en 1907 ont atteint cette année 10.000 piculs. Tchong-King est le grand centre de transit pour les filés de coton envoyés au Yunnan, au Kouei-Tcheou et au Thibet. Les tissus écrus arrivent à Tchong-King; on teint dans la proportion de 600 pièces sur 1.000 ceux qui sont destinés au Yunnan et au Kouei-Tcheou; quant aux tissus dirigés sur le Thibet, ils sont habituellement teints à Yo-Tcheou.

Comme exportation le Sseu-Tchuen fournit:

Les soies de porc qui constituent le principal article d'exportation des maisons européennes de Tchong-King; les soies noires sont toutes expédiées en Europe; quant aux soies blanches, le Japon en achète tous les ans une certaine quantité.

La quantité de musc expédiée chaque année de Ta-Tsien-Lou peut être d'environ 1.000 livres chinoises ou Kin (le Kin vaut 600 grammes); ainsi que je l'ai noté plus haut, le négociant européen fera bien de vérifier les poches de musc avant d'en prendre livraison; car très souvent il est fraudé.

La rhubarbe croît ici en grande quantité, soit cultivée, soit sauvage; la rhubarbe cultivée provient des montagnes de l'ouest et du sud de la province; la rhubarbe sauvage se trouve dans les marches thibétaines; une quantité considérable est exportée tous les ans vers les autres provinces chinoises.

La cire animale blanche compte pour environ 300.000 taels chaque année. La cire jaune, les noix de galle figurent à l'exportation avec les peaux de bœuf, de buffle, de chèvre et d'agneau; le Sseu-Tchuen écoule par Tchong-King toutes les peaux de la Chine occidentale; on en fait des envois considérables en Europe et en Amérique; elles proviennent en partie du Thibet et en partie du Yunnan. Depuis quelques années la ville de Tchao-Tong, située au nord de cette dernière province, expédie au Sseu-Tchuen une grande quantité de peaux de bœuf jaunes et de peaux de chèvre; ces peaux sont en majorité dirigées sur l'Amérique.

Le transport des peaux provenant de Tchao-Tong se fait à dos de mulet pendant sept étapes, puis à dos d'homme de Lao-Wa-Tan à Soui-Fou, d'où on les envoie par jonques jusqu'à Tchong-King.

On exporte aussi en Europe des peaux de renard, de daim ou de lapin blanc, ainsi que la laine des troupeaux du Yunnan qui arrive à Soui-Fou pour être dirigée sur Tchong-King.

La soie du Sseu-Tchuen n'est pas à beaucoup près aussi estimée que celle du Kiang-Sou, du Chantong et de Canton; toutefois, dans ces dernières années, de grands progrès ont été réalisés dans cette industrie. A Tong-Tchouan, à quatre étapes au nord-est de Tcheng-Tou, une filature a été ouverte où la soie est dévidée suivant les procédés modernes. Le dévidage se fait pour les cocons blancs, de cinq par fil; pour les cocons jaunes, de six. Cette soie est brillante et souple. Une école indigène a été établie à Tcheng-Tou en 1906; une autre a été tout récemment créée à Tchong-King.

Le bureau d'agriculture provincial vend aux éleveurs de vers à soie qui en font la demande des graines importées de Hang-Tcheou et de Sou-Tcheou et aussi du Japon; des distributions gratuites de ces graines ont été faites dans toutes les écoles où l'on traite des questions se rattachant à la sériciculture. Les autorités ont promis une récompense à ceux qui chaque année produisent une qualité de soie supérieure.

Le Sseu-Tchuen fournit une autre espèce de soie, la soie sauvage produite par le bombyx du chêne, qui existe aussi au Japon où il est connu sous le nom de Yamamai. Cette soie a été, paraît-il, très demandée en Europe et en Amérique; on l'emploie en Amérique pour en faire une étoffe dénommée radjah, et en Europe aussi bien qu'en Amérique elle entre dans la confection d'un tissu spécial très résistant utilisé dans l'aérostation.

Le suif végétal provient des graines du Kiuen-Tseu-Chou, ou Stillingifera sebifera, de la famille des euphorbiacées.

Les plumes d'aigrette sont un article d'exportation; mais elles se font rares, tellement on détruit de ces malheureux oiseaux; d'ailleurs, les plumes dites aigrettes ne se trouvent que sur la tête des mâles qui ont plus de trois ans; s'il y en a encore quelques troupes, c'est qu'au Yunnan il existe des localités où les oiseaux sont sacrés et où on risquerait sa vie si on les tuait.

VIII.—Les produits du Thibet qui sont exportés en Europe par le port de Tchong-King sont les suivants:

Le musc, 120 à 160.000 francs;

La rhubarbe;

La laine;

Les peaux d'agneau;

Les queues de yack, environ 2.000 par an, chacune coûtant environ 1 fr. 25;

Les poils de yack, lesquels sont utilisés pour le tissage d'une étoffe imperméable;

Les crins de chevaux;

Les soies de porc;

Les cornes de cerf, qui, réduites en poudre, sont, paraît-il, un médicament d'une efficacité sans pareille;

Les peaux tannées: peaux de cerf, de musc, de renard, de yack, panthère, ours, lynx, loup, fouine, zibeline.

Ces marchandises sont apportées par les Thibétains à Ta-Tsien-Lou, qui est le grand marché du Thibet oriental. Avec l'argent qu'ils en retirent, ils achètent du thé, des cotonnades, des couleurs d'aniline, du bois de campêche, des fils de soie. De Ta-Tsien-Lou, les produits du Thibet sont envoyés par voie de terre à Yo-Tcheou; on compte neuf étapes entre ces deux villes. Ils sont alors chargés sur des radeaux qui, par la rivière Yaho, les amènent à Kia-Ting-Fou; de là ils descendent par le Min et le Yangtseu jusqu'à Tchong-King, d'où ils sont dirigés sur Changhai.

IX.—En somme, c'est toujours à Changhai qu'il faut en venir, comme au débouché le plus important pour toute la Chine centrale et occidentale. Même quand les chemins de fer auront relié Hankeou à Tchong-King et à Tcheng-Tou, même quand le chemin de fer de Yunnan-Fou ira rejoindre Tchong-King par Tong-Tchuen et Tchao-Tong, Changhai restera le marché principal pour tout le bassin du Yang-Tseu-Kiang, parce que la voie d'eau, n'importe en quel pays, est toujours la moins chère et parce que jamais, au point de vue du transport des marchandises, le chemin de fer ne contrebalancera les bateaux à vapeur du fleuve Bleu. Les chemins de fer pourront développer les échanges, amener plus facilement et plus rapidement les marchandises aux ports d'embarquement, ou, une fois débarquées, les distribuer plus facilement aux extrémités des provinces, mais la navigation gardera toujours la prépondérance, parce que moins chère et presque aussi rapide. D'ailleurs, même si elle n'était pas aussi rapide, cela ne gênerait en rien les Chinois pour qui le temps ne compte pas et qui ont une patience à toute épreuve.

Actuellement, dans le Sseu-Tchuen, les moyens de communication sont très difficiles, tant dans l'intérieur de la province qu'entre la province et les provinces voisines; les moyens de transport à dos d'homme ou de mulet sont fort coûteux; la navigation des fleuves et rivières, parsemés de rochers et de rapides, est dangereuse toute l'année et à peu près impossible pendant l'époque des hautes eaux. Les accidents sur le Yangtseu entre Itchang et Tchong-King sont extrêmement fréquents; on estime qu'une jonque sur dix, en moyenne, fait naufrage ou subit de graves avaries. Il est donc bien évident que, dans cette région, il importe d'avoir au plus tôt des voies ferrées, et la construction d'un chemin de fer venant de Hankeou pourra seule établir un transport normal; mais soyons bien persuadés que le négociant chinois n'abandonnera pas de si tôt le fleuve; il ne renoncera pas à ses habitudes, surtout parce que ses habitudes le conduisent au meilleur marché. On le voit bien par l'exemple du chemin de fer de Changhai à Nankin; les bateaux transportent toujours les marchandises et le chemin de fer n'arrive pas à les concurrencer.

Quant à songer à lancer une ligne régulière de vapeurs entre Itchang et Tchong-King, c'est là une pure chimère; si, à certaines époques, des canonnières à fond plat ont pu remonter le fleuve, il me paraît peu probable que des navires chargés de marchandises et cubant une certaine profondeur puissent jamais naviguer sur le Haut Yangtseu en l'état où il est actuellement.

Il serait cependant à désirer grandement que l'on pût remonter facilement au Sseu-Tchuen; car c'est incontestablement une des provinces les plus anciennes et les plus dignes d'être visitées, et les touristes n'y manqueraient pas.

X.—La capitale, Tcheng-Tou, est située au nord-ouest de Tchong-King, sur la rivière Min, qui forme, avec la rivière Tcheng, à l'endroit même où est située la capitale, un enchevêtrement de lacs et de canaux tel que la ville est entourée d'eau de tous côtés. Le premier aspect de Tcheng-Tou est celui de toutes les villes chinoises avec leur cortège de saletés, d'immondices, de guenilles et de mendiants. Cependant quelques rues, larges, bien pavées, bordées de boutiques assez propres et jolies à l'œil, contrastent avec ce que l'on est habitué à voir en Chine. C'est un reste de l'ancienne splendeur de la ville qui fut capitale de l'Empire il y a quelques siècles, et l'on peut y voir encore de nombreux palais et monuments. La révolte des Taiping a épargné cette province, et c'est une des raisons qui font que les villes du Sseu-Tchuen, et celle de Tcheng-Tou en particulier, offrent encore au voyageur un spectacle plus agréable et plus varié que la plupart des villes du Yangtseu, qui ont toutes plus ou moins été dévastées par les rebelles.

Quoique la province soit très fertile, on y rencontre beaucoup de pauvres, car la population, qui n'a jamais connu le déchet que causent les guerres civiles et les révoltes, est extrêmement nombreuse et ne trouve pas toujours de quoi se nourrir. De Tcheng-Tou partent plusieurs belles routes qui se dirigent sur Soui-Ting, Pao-Ning, Tong-Tchuen, Ta-Tsien-Lou, et qui sont bien entretenues, chose rare en Chine; non pas qu'elles ressemblent encore à nos routes de France, mais elles sont pavées de belles pierres qui rendent la marche moins pénible que les fondrières si souvent rencontrées dans les provinces de l'Empire.

Les environs immédiats de Tcheng-Tou produisent une impression de bien-être; on se trouve dans une autre Chine. Les jardins sont nombreux et bien cultivés; tout a un air de propreté et de prospérité auquel on n'est pas habitué ordinairement. Il faut observer d'ailleurs que la situation de Tcheng-Tou, au milieu de plaines fertiles et bien arrosées, au pied des derniers contreforts qui descendent du Thibet, contribue à la beauté de la ville et de ses environs; nulle part en Chine on ne trouve tant de beautés naturelles alliées à une telle fertilité. De plus, le réseau de canaux et de rivières qui environne la ville facilite le commerce par jonques, puisque toujours ces dernières peuvent remonter jusqu'à Tcheng-Tou; cependant de novembre à mai, pendant la saison sèche, les petites barques seules peuvent y parvenir.

La muraille qui entoure la ville a été élevée sous la dynastie des Tsin il y a quelque vingt siècles, mais elle a été agrandie et refaite sous l'empereur Kang-Hi, de la dynastie actuelle. On trouve dans l'enceinte trois villes, comme à Pékin et à Nankin; une ville impériale, dont il ne reste que des ruines, pavillons délabrés, marbres brisés, palais effondrés; une ville tartare où quelques Mandchoux tiennent garnison, et enfin la ville chinoise.

Hors de la ville le voyageur peut visiter quelques édifices intéressants, tels que la pagode de Wou-Keou-Tseu, tombeau d'un empereur; la pagode de Tsin-Yang-Kong ou des deux brebis, placée sous l'invocation de Lao-Tseu; c'est peut-être une des plus belles pagodes qui existent en Chine; tour, piliers, dragons et phénix, immenses brûle-parfums, enfin les deux brebis en bronze, l'ensemble offre un caractère de grandeur et d'élégance qu'on n'est pas habitué à voir dans ce pays. De temps à autre, aux époques où l'on fête les différentes phases de la vie du philosophe, de véritables foires s'installent autour du temple, avec des jongleurs, des montreurs de bêtes, etc.

Le monastère de Tsao-Tang mérite également d'être visité.

C'est là que repose un des poètes les plus connus de la Chine, Tou-Fou, célèbre non seulement par ses œuvres, mais aussi par la capacité de son gosier: il mourut à la suite d'un excès de vin de Chao-Hing; c'était, d'ailleurs, comme tous les beaux buveurs, un homme fort gai. Le monastère où il est enseveli depuis plus de mille ans est, comme il convient, entouré de cabarets en plein vent et de buvettes où les fervents admirateurs du poète viennent débiter ses vers en vidant quelques coupes de vin chaud.

A environ 50 kilomètres de Tcheng-Tou on peut faire l'excursion de Kouan-Chien, où se voit un pont suspendu fort original jeté sur le Min, en face des montagnes où la petite ville s'étage en amphithéâtre. Ces ponts ne sont pas rares dans ces parties montagneuses de la Chine et le Yunnan en possède plusieurs.

Mais la merveille du Sseu-Tchuen, c'est le monastère d'Omei, la montagne sainte du Sseu-Tchuen comme le Fuji-Yama est la montagne sacrée des Japonais. On y rencontre des pèlerins exactement vêtus comme ceux du Japon: vêtements blancs, sandales de paille, un grand bâton à la main.

Pour faire le pèlerinage d'Omei, il faut d'abord se rendre à Kia-Ting qui se trouve à 200 kilomètres au sud de Tcheng-Tou; le plus simple et en somme le plus rapide moyen pour s'y rendre est la barque. C'est là que tous les pèlerins se réunissent, et c'est de là qu'ils partent pour aller s'agenouiller dans les temples de la montagne sacrée, d'où, suivant la tradition, le bouddhisme s'est propagé en Chine. La nature ici est sauvage et grandiose: montagnes élevées, précipices, cascades se précipitant de rocher en rocher, et au milieu de cette nature, pagodes, temples et monastères. C'est vraiment un spectacle rare et qu'on ne peut se lasser d'admirer. Au monastère des Dix mille années, situé à mi-chemin de la cime du mont, les bonzes bouddhistes donnent une hospitalité aimable, et on y rencontre d'innombrables malades et estropiés qui, entassés pêle-mêle, prient avec ferveur pour obtenir un allègement à leurs souffrances.

Halage à la corde.

Comme le Fuji-Yama, la montagne d'Omei est souvent couverte de nuages, et il est rare qu'une fois arrivé sur la cime le pèlerin ait la vue, qui doit être pourtant merveilleuse, de tout le pays environnant. Le pèlerin chinois ne s'en soucie pas beaucoup; mais le voyageur européen qui vraisemblablement ne repassera pas tous les ans au mont Omei, comme il pourrait le faire au Rigi, est désappointé. Malgré tout on est payé de ses fatigues par le spectacle de cette nature grandiose, de ces montagnes derrière lesquelles on devine le Thibet, pays encore mystérieux et si bien défendu par ses énormes glacis couverts de neiges éternelles.

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