La grande artère de la Chine: le Yangtseu
CHAPITRE V
I. Changhai (Shanghai); situation géographique.—II. Nature et climat.—III. Les concessions; la ville européenne; services publics.—IV. Les cités chinoises; la route d'Europe à Changhai.—V. La population étrangère et la population chinoise; les ponts; l'observatoire de Zi-Ka-Weï; les égouts.—VI. L'industrie européenne; les quais; établissements du gouvernement chinois.—VII. Situation commerciale de Changhai; importation, exportation.—VIII. Organisation des douanes maritimes.—IX. Population étrangère d'après le recensement de 1905.—X. Relevé commercial d'une année (1908).
I.—Changhai est situé à l'extrême sud-est de la province du Kiang-Sou; il ne se trouve pas précisément sur le Yang-Tseu-Kiang, quoique dans une province arrosée par ce fleuve; il est situé sur la rivière Houang-Pou, à peu près à 20 kilomètres en amont du village de Wousong, où les eaux jaunâtres du Houang-Pou rejoignent les eaux non moins jaunâtres de l'estuaire du Yangtseu. La ville chinoise est une sous-préfecture de peu d'intérêt: Changhai n'est important, en effet, que parce qu'il est le grand port de commerce où les négociants d'Europe sont installés et où les marchandises européennes s'échangent contre les marchandises chinoises; il fut déclaré port ouvert par le traité anglais de Nankin en 1842, et depuis ce temps jusqu'à nos jours n'a cessé de prospérer et de se développer; c'est aujourd'hui, sans conteste, le plus important des marchés de l'Extrême-Orient.
Changhai est géographiquement situé, par 31° 15 de latitude nord et environ 119° est, méridien de Paris, dans une vaste plaine d'alluvions, très riche et où toutes les cultures réussissent; la population, au reste, y est plus dense que dans n'importe quelle partie de la Chine. Les principales cultures y sont le riz et le coton; cette dernière a pris, depuis quelques années, beaucoup d'extension, grâce à l'installation de filatures à Changhai même.
En revanche, on n'y fait pas beaucoup de soie. En dehors du riz, le blé, l'orge, les légumes de toutes sortes, les choux, navets, carottes, les melons et les pastèques y viennent admirablement. Il y a peu de fruits; et le seul fruit mangeable qui soit à Changhai est une espèce de pêche, petite, en forme de tomate, et qui n'est, en effet, pas mauvaise. En automne on peut se procurer le fade kaki; tous les autres fruits sont importés.
II.—Il ne faut pas chercher les beautés de la nature à Changhai. L'immense plaine se déroule à perte de vue, coupée par des canaux et des criques qui font communiquer entre elles les différentes villes de la province: Song-Kiang, Sou-Tcheou, Hang-Tcheou, Tchen-Kiang. Les Européens qui habitent Changhai n'en sortent que pour aller, en automne, faire des excursions de chasse; quand on veut un changement d'air on prend le bateau pour Nagasaki.
Le climat de Changhai passe pour être relativement sain, mais les étés y sont affreusement chauds, le thermomètre, pendant les mois de juillet et d'août, montant facilement jusqu'à 41 et 42 degrés centigrades à l'ombre. Par contre, il y a des hivers très froids et souvent on patine. Malgré ces températures extrêmes, les Européens s'y portent généralement bien; la maladie la plus à craindre est la dysenterie et sa conséquence, l'abcès au foie. En dehors de cela, on y trouve les mêmes maladies qu'en Europe; parfois la petite vérole y fait d'affreux ravages.
Il y pleut une moyenne de 120 jours par an, ce qui n'est pas excessif, et l'automne, depuis octobre jusqu'à janvier, y est radieux, comme du reste dans toute la vallée du Yangtseu.
III.—La ville européenne comprend trois concessions: une américaine, une anglaise, une française. Les deux premières, fondues ensemble et sous la même administration, s'appellent la concession internationale; la française reste à part. C'est d'ailleurs sur la première que règne l'activité commerciale, et tous les négociants y sont installés; un quai superbe, bordé de maisons ressemblant à autant de palais, longe le fleuve; voitures, tramways, djinrikishas, brouettes, porteurs encombrent quais et rues adjacentes; du matin au soir c'est une fièvre, une course au dollar. Dans la concession française, on voit des rues larges, bien alignées et propres, et les agents de police se promenant, l'air digne; la concession française est une installation d'État destinée à abriter des fonctionnaires; l'autre est une installation d'affaires et de négoce. J'ai toujours, hélas! remarqué cette différence entre les établissements français et anglais. Allez à Saïgon; c'est une ville magnifique; ses rues, ses boulevards, ses monuments, ses jardins en font la plus jolie ville d'Extrême-Orient; on y traite peu ou point d'affaires; c'est comme une ville morte. Allez à Rangoon, tout près de là, en territoire anglais: la ville est vilaine, n'a pas de tournure; mais quelle activité! On y brasse des millions!
On trouve dans le Changhai européen de belles églises, de beaux hôtels d'un luxe et d'un confortable qui n'a rien à envier à l'Europe; plusieurs banques, notamment la Hong-Kong and Changhai Bank, occupent de vastes et somptueux édifices; le quai possède quelques monuments et un jardin où l'on va entendre la musique municipale l'après-midi à 5 heures, ou le soir à 8 heures.
Rien ne manque ici à la vie européenne, je devrais dire à la vie anglaise; car c'est la vie anglaise un peu, mais très peu modifiée, qu'on vit partout en Asie dans ce qui n'est pas exclusivement colonie française ou hollandaise. Courses, club, théâtre, tout existe; restaurants à la mode, dîners fins, bals et soirées pourraient faire croire qu'on n'est pas en Chine, si on n'avait constamment sous les yeux les domestiques chinois.
Les services publics fonctionnent comme en Europe et pour les postes et les télégraphes, on n'a que l'embarras du choix: poste chinoise, française, anglaise, allemande, russe, japonaise, etc..., télégraphe chinois, anglais, danois.
Enfin, actuellement c'est un coin d'Europe, et combien de vieux résidents s'en plaignent! Ce n'est plus la bonne vie d'autrefois où le laisser-aller et la négligence de tenue étaient universels; aujourd'hui, malgré 40 degrés à l'ombre, on ne saurait aller dîner autrement qu'en habit; il faut être correct et on n'oserait prendre, vêtu de blanc, son cocktail au club.
IV.—Derrière les constructions européennes, de nombreuses boutiques chinoises sont venues s'installer, lesquelles sont sous la juridiction de la concession; c'est une ville chinoise propre qui continue la ville blanche; puis, après cette ville chinoise européanisée, se trouvent le champ de courses et la campagne qui l'entoure où beaucoup d'Européens ont construit leur résidence pour être au calme après le travail et les affaires.
V.—Pour arriver à Changhai, le voyageur dispose de plusieurs voies:
D'abord la voie de terre par Moscou et le transsibérien jusqu'à Tien-Tsin, d'où un bateau mène en deux jours à Wou-Song; puis la voie d'Amérique soit avec le transcontinental des États-Unis par New-York et San-Francisco, soit avec le transcanadien entre Montréal et Vancouver; enfin la vieille route de l'Inde par Marseille, le canal de Suez, Saïgon et Hongkong. Cette dernière est évidemment la plus longue, mais elle est aussi la moins chère; aussi est-elle assez suivie, bien que, cependant, à l'heure actuelle, la voie russe soit très fréquentée.
VI.—La population étrangère de Changhai a considérablement augmenté dans ces dernières années; elle peut être évaluée à environ 8.000 Européens et Américains. Quant à la population chinoise, à qui, primitivement, il était absolument interdit d'habiter sur les concessions, elle s'élève bien à 500.000 âmes. Chassée par la révolte des Taipings à l'abri des établissements européens, la population des campagnes environnantes y resta et s'y accrut. De plus, les Européens, propriétaires des terrains, trouvèrent une rémunération sûre dans le fait de louer aux Chinois terrains et maisons, de sorte qu'aujourd'hui, en arrière des deux concessions française et anglaise, existent de véritables villes chinoises. Les rues des concessions sont toutes reliées entre elles par de nombreux ponts sur les criques qui forment leurs limites, et de belles routes sont entretenues par les conseils municipaux; elles permettent de gagner la campagne et de faire des promenades aux environs de la ville. C'est ainsi que deux magnifiques routes, dignes des routes de France, conduisent à Zi-Ka-Wei, chez les Pères Jésuites qui ont là un observatoire remarquable. Il est en communication avec les différentes stations météorologiques des mers de Chine et du Japon; par l'annonce qu'il fait du mauvais temps en mousson du suroit, il évite à bien des navires d'être perdus dans les typhons. La plus fréquentée des routes qui conduisent à Zi-Ka-Wei est la route anglaise connue sous le nom de Bubbling well ou puits qui bout, à cause d'un puits qui se trouve sur son parcours et où l'eau est constamment en ébullition.
De grosses sommes ont été dépensées pour construire des égouts, et il n'a pas été facile d'arriver à une solution bonne et rapide en cette matière, à cause précisément de la nature du terrain sur lequel la ville est construite, terrain bas et trop peu élevé au-dessus du niveau de la mer; cependant, le système de drainage actuel des eaux est parfait, et la propreté des rues est réelle. Au point de vue de l'alimentation et des bains, Changhai est magnifiquement pourvu; les deux concessions possèdent chacune leur château d'eau qui fournit à tous et à des prix modérés, une eau filtrée et saine. Deux compagnies de pompiers volontaires rendent d'immenses services en cas d'incendie.
VII.—L'industrie sous sa forme européenne est très prospère à Changhai et il y a tout lieu de croire que ses progrès ne s'arrêteront pas. Il existe dans le port quatre docks pour la réparation des navires: l'un, le dock de Tong-Kadou, a une longueur de 126 mètres sur une profondeur de 7 mètres; le vieux dock de Hong-Kiou, connu par tout le monde sous le nom de Old Dock, a environ 135 mètres de long sur 7 mètres de profondeur. Le nouveau dock de MM. Boyd et Cie à Poutong couvre une longueur de 150 mètres avec une profondeur de 8 mètres; il est plus large que les deux autres, et mesure environ 17 mètres de largeur au fond et 45 mètres à niveau du sol; mais le plus long est encore celui de la maison Farnham connu sous le nom de Farnham's cosmopolitan dock; situé également à Poutong, il mesure 187 mètres environ (exactement 560 pieds anglais) de longueur, et 17 mètres de largeur.
Un autre dock a été construit: le dock international, qui est encore plus considérable que les précédents.
Il n'est pas de port en Extrême-Orient qui possède des quais comparables à ceux de Changhai; ils s'étendent sur plus d'un kilomètre dans la concession américaine, à l'entrée du port, et tous les navires peuvent y accoster à quai.
La concession anglaise n'a pas de quai de marchandises, mais ici les bords de la rivière sont revêtus d'un vert gazon, et plantés d'arbres qui forment une fort jolie promenade depuis le pont du Yang-Kin pang (concession française) jusqu'au pont du canal de Sou-Tcheou où se trouvent les jardins publics.
Entre autres industries florissantes à Changhai on peut compter les filatures de coton. Cinq sociétés à capitaux européens se sont formées à cet effet:
«E wo» dirigée par MM. Jardine Matheson and Cº;
«The international» sous les auspices de The American trading Cº;
«Lao Kung mow» à la tête de laquelle se trouvent MM. Ilbert and Cº;
«Souy chee» dont les directeurs sont MM. Arnhold Karberg and Cº;
«Yah loong» dirigée par MM. Fearon Daniel and Cº.
Ces différentes sociétés possèdent chacune de 40.000 à 50.000 broches; les résultats cependant n'ont pas toujours donné ce qu'on espérait; ainsi la filature appartenant à la société Fearon Daniel and Cº a dû être fermée temporairement en 1901; cependant 1906 fut une bonne année pour toutes les filatures dirigées par les Européens. En dehors de ces dernières il existe aussi des filatures indigènes, sur le modèle d'Europe, mais tout à fait entre les mains des Chinois. Le vice-roi Li-Hong-chang avait fondé en 1893 puis reconstruit en 1895 la «Shanghai cotton cloth administration», l'une des plus grandes manufactures de coton de Changhai. Après le coton, la soie; c'est ainsi que Changhai possède aujourd'hui 25 filatures de soie; mais cinq d'entre elles seulement sont dans les mains des Européens, toutes les autres étant dirigées par des Chinois.
On trouve également comme industrie occidentale à Changhai des fabriques de papier; des fabriques d'allumettes suédoises; des meuneries; des ateliers de réparation de navires; des fabriques de fer-blanc. Le plus considérable des ateliers de réparation et de construction de navires est le «Shanghai dock and engineering Cº», fondé par un Anglais nommé Muirhead vers 1855, repris et augmenté par M. Farnham et connu jusqu'en 1906 sous le vocable «S. Farnham, Boyd and Cº».
Tous les navires déchargent à quai, sauf toutefois les grands paquebots qui sont obligés de rester à l'ancre en dehors de la rivière, en face de Wou-Song, à cause de la barre élevée par les alluvions à l'embouchure du Houang-Pou. Les quais de Changhai appartiennent à une Société qui les loue aux différentes compagnies de navigation.
Il existe aussi une certaine longueur de quais sur la concession française et plusieurs navires faisant le service du Yangtseu y ont leurs appontements.
Le gouvernement chinois possède à Changhai un dock et un arsenal ainsi qu'un dock pour la construction des navires, au lieu appelé Kao tchang miao, un peu en amont du fleuve, au delà de la ville indigène.
En 1876 une ligne de chemin de fer avait été installée entre les concessions européennes de Changhai et Wou-Song; mais les autorités chinoises rachetèrent ligne et matériel dix-huit mois après et firent tout enlever et vendre à l'encan. Aujourd'hui une ligne nouvelle a été construite; elle est déjà depuis longtemps en exploitation jusqu'à Wou-Song, et, depuis 1909 se prolonge jusqu'à Nankin en passant par Sou-tcheou et Tchen-Kiang.
Le port de Changhai est le centre du commerce européen en Chine et il absorbe plus de la moitié du commerce total de la Chine avec les puissances occidentales. L'ouverture des ports du Yangtseu, loin de lui faire du tort, a, au contraire, augmenté ses transactions; car bon gré mal gré il faut que tous les produits de l'intérieur passent par Changhai; seul le thé que les bateaux russes exportent de Hankow sort directement du Yangtseu.
VIII.—La situation de Changhai a toujours été prospère; mais il est bien évident qu'il ne s'y élève plus aujourd'hui les fortunes colossales des premiers temps de l'ouverture de la Chine aux étrangers; les «Princes merchants» n'ont eu qu'un temps, et à l'heure qu'il est la concurrence internationale y est aussi âpre qu'en aucun lieu du monde. Après la guerre russo-japonaise, un arrêt s'est produit dans les transactions et beaucoup de maisons européennes ont souffert; actuellement encore le marché se ressent d'un malaise général et les affaires ne sont pas ce qu'elles devraient être. Et, du reste, en dehors de toute autre cause de fléchissement dans les affaires, la concurrence de chaque instant que se font ces différentes maisons rivales suffirait à expliquer le ralentissement. L'exportation est toujours plus ou moins au même niveau; mais l'importation a subi et subit encore des à-coups. Après l'Allemand, qui était venu concurrencer l'Anglais, un autre, le Japonais, est apparu qui a dépassé encore l'Allemand pour le bon marché de ses produits.
D'après le résumé décennal récemment publié, les chiffres du commerce de Changhai pour les dernières années, en taels de douane ou Hai-Kwan taels, sont les suivants:
| Année 1907 | = 392.731.600 taels |
| — 1908 | = 397.106.850 —[9] |
[9] J'ai pris comme année type de statistique commerciale l'année 1908, parce qu'elle était la seule dont j'eusse les documents complets au moment où j'ai écrit ce livre (à la fin de 1910). Elle peut, d'ailleurs, servir fort bien de critérium général, car les années ne diffèrent pas extraordinairement, à moins de les prendre de dix en dix.
Ces chiffres sont un peu plus faibles que ceux des trois années précédentes, lesquelles donnaient, en effet:
| Année 1904 | = 405.064.260 taels |
| — 1905 | = 443.954.262 — |
| — 1906 | = 421.256.496 — |
Les principales marchandises importées de l'étranger ont été les pièces de coton; le fil de coton; l'opium; les métaux; le pétrole; le sucre; le charbon; tabacs et cigares; teintures et couleurs; lainages; bois de construction; machinerie; papier; matériel de chemins de fer; herbes marines; savon; vins, bières et alcools; farines; allumettes; verrerie; bougies; pêche de mer; matériel pour l'électricité; soude; ciment; nids d'hirondelle; rubans; parapluies; meubles; lampes; montres et pendules; perles; nageoires de requins; bois de Santal; huile; poivre; lait condensé; aiguilles; soieries et rubans de soie; matériel pour le service télégraphique; cordes et ficelles; et divers autres produits.
Parmi les puissances importatrices la Grande-Bretagne figure au premier rang; le Japon est le grand importateur d'allumettes et de parapluies, de bêche de mer et d'herbes marines; les ustensiles en fer blanc, la verrerie, le savon et les parfums à bon marché sont également importés par le Japon qui prend tous les ans une part de plus en plus grande à l'importation en Chine. L'Allemagne et les Indes importent également: la première des objets fabriqués, des machines; la seconde de l'opium et du coton brut; cependant, par suite de la détermination du gouvernement chinois de supprimer la fumerie d'opium, l'Inde en introduit de moins en moins et cet article finira par disparaître complètement de la liste des produits importés. En Chine même la culture du pavot est aujourd'hui interdite, et les champs du Yunnan que j'avais vus, il y a quelques années, tout fleuris de superbes pavots multicolores, sont actuellement plantés de fèves et de maïs.
L'exportation fournit: soie; thé; coton; graines; huile; suif végétal; suif animal; cordes; fourrures; haricots; riz; laines; tabac; peaux; soies de porcs; médecines; chanvre; jute; ramie; sucre; éventails; vernis; porcelaines; œufs; poterie; noix de galle; sucre; plumes; albumine; son; cire; cheveux; graisse; tresses de paille pour chapeaux.
Les soies sont prises principalement par la France, les États-Unis, l'Italie et la Suisse. La France exporte aussi des peaux, des soies de porc pour la brosserie, du suif, de la noix de galle; les maisons françaises à Changhai ne sont pas nombreuses et le nombre de nos compatriotes ne dépasse pas 700. Elles font surtout de l'exportation et principalement de l'exportation des soies. Il nous est en effet difficile de lutter pour l'importation en Chine d'objets fabriqués, et cela parce que nous avons des concurrents qui vendent moins cher que nous. Nous ne pouvons guère les distancer que dans un produit: le ruban, dont les femmes chinoises se servent pour toute espèce d'ornements, et que Saint-Étienne est arrivé à fabriquer selon le goût et la mode des clientes. Quant à nos vins, liqueurs, conserves, beurres, confitures ils sont achetés uniquement par les Européens et par conséquent l'importation en est insignifiante; ou bien ils sont concurrencés par d'autres (comme les beurres par le Danemark) qui vendent bien meilleur marché et nous ferment la place.
Quant aux articles de Paris, l'Allemagne et la Suisse se chargent de les fournir à très bon compte et le Japon les dépassera bientôt dans ce genre d'objets. Cela évidemment est inférieur à ce que nos fabricants pourraient livrer; mais c'est bon marché, et tout est là pour le Chinois.
IX.—Les importations dans les ports ouverts au commerce européen sont sujettes, comme dans tous les pays, au payement des droits de douane. Aux premiers temps des relations commerciales des puissances européennes avec la Chine, aux temps où les douanes se trouvaient dans les mains des fonctionnaires chinois, corrompus et corrupteurs, les négociants étrangers purent, dans tous les ports, faire la contrebande en soudoyant les agents chinois; cependant quelques négociants européens, plus scrupuleux que les autres, refusèrent constamment de se servir de ce moyen facile mais malhonnête; il s'ensuivit pour eux une infériorité notoire et ils protestèrent. En 1854, les représentants des puissances résolurent d'aviser et eurent recours à une combinaison qui permit de sauvegarder le contrôle chinois tout en empêchant les manœuvres frauduleuses: il fut convenu que la douane indigène, bien que restant soumise à la direction supérieure des autorités chinoises, fonctionnerait, dans les ports ouverts aux Européens, sous la surveillance d'inspecteurs européens choisis par les légations étrangères et recevant une investiture du gouvernement chinois. C'est en 1858 que fut consacrée par les traités, l'organisation si merveilleuse de l'«Imperial maritime Customs», laquelle fournit à la Chine le plus clair de ses revenus parce que précisément elle est tout entière dans les mains d'agents européens. Il y a quelque temps les Chinois émirent la prétention de reprendre la direction de cet important service; mais comme il constitue précisément la garantie des emprunts conclus par la Chine, cette prétention fut trouvée exagérée. D'ailleurs, en l'état actuel d'anarchie où se trouve l'Empire chinois, le rendement des douanes tomberait rapidement à rien si le service se trouvait dans les mains des Célestes.
Les importations payent au taux de 5% ad valorem au prix du marché local. Le gouvernement chinois a demandé aux puissances le relèvement de ses droits de douanes, mais aucune négociation n'a abouti à ce sujet.
D'après le relevé de 1905, la population étrangère de Changhai se répartissait ainsi:
| Anglais | 3.872 |
| Allemands | 832 |
| Français | 667 |
| Russes | 414 |
| Austro-Hongrois | 163 |
| Italiens | 162 |
| Espagnols | 151 |
| Danois | 126 |
| Norvégiens | 93 |
| Suédois | 81 |
| Suisses | 92 |
| Hollandais | 63 |
| Belges | 63 |
| Grecs | 39 |
| Turcs | 28 |
| Autres européens | 31 |
| Japonais | 2.230 |
| Hindous | 619 |
| Malais | 194 |
| Autres asiatiques | 47 |
Bien que Changhai soit toujours et doive rester le port principal de Chine, cependant le développement de Hankeou et des ports du nord, qui augmentent tous les ans leurs relations directes avec les pays étrangers, affecte la situation de Changhai en tant que port distributeur et centre commercial. En dehors des causes nombreuses qui ont eu, ces temps derniers, une influence sur le commerce de ce port, l'amoindrissement de son ancien monopole comme marché central est un signe des temps, et qu'il ne faut pas perdre de vue pour l'avenir. Quoi qu'il en soit le développement des concessions étrangères, qui s'accroissent journellement, montre que Changhai tiendra encore longtemps, et vraisemblablement toujours, sa suprématie dans le commerce des ports de la Chine. La constante vitalité de la ville est mise en lumière par l'installation de 26 milles dans la ville anglaise et de 15 kilomètres dans la ville française de tramways électriques, des deux côtés du Yang-King-Pang[10] qui couvrent la ville et la campagne. Les premières tentatives pour doter Changhai de tramways remontent au printemps de 1895. Depuis ce temps, l'augmentation rapide de la population avait rendu nécessaire, indispensable, la réalisation de l'idée qui avait pris naissance alors. La «Shanghai electric Company» ouvrit ses lignes au trafic le 4 mars et toute la voie fonctionnait à la fin de mai; de son côté la «Compagnie française des Tramways» ouvrait un service le 4 mai. Cette innovation fut bien accueillie des indigènes qui, à l'heure actuelle, apprécient singulièrement ce mode de transport rapide et peu coûteux, d'autant plus qu'en somme, cela n'a pas affecté sensiblement le service des djinrikisha. Les deux compagnies ont le même type de voitures, sans impériale, l'intérieur divisé en deux parties pouvant loger 12 passagers de première classe et 20 de seconde. Chaque extrémité de la voiture est munie d'un chasse-pierre automatique; les lignes ont la voie d'un mètre; comme ce sont des entreprises différentes, elles prennent leur énergie à deux différentes stations électriques. La compagnie française possède 28 voitures, mais seulement 20 sont en service permanent, et elles transportent une moyenne de 7.450 voyageurs par jour, tandis que la compagnie anglaise possède 65 voitures et transporte par jour 60.000 voyageurs. Il est fort probable, et tout à fait désirable que les deux compagnies se fondent en une seule, ce qui semble, d'ailleurs, devoir être très rapproché. L'importance de Changhai s'est encore accrue par l'ouverture de la ligne de chemin de fer qui va à l'ancienne capitale des Ming: un arrangement avait déjà été fait en 1898 en vue de cette entreprise, mais par suite des difficultés rencontrées un peu partout, il n'avait pas été exécuté, et ce n'est qu'en 1904 que l'emprunt fut réalisé avec une compagnie anglo-chinoise par Cheng-Siun-Hoai, directeur des chemins de fer impériaux. L'arrangement prévoit un emprunt de 3.250.000 livres sterling, avec comme première garantie la ligne elle-même. Tous les travaux préliminaires furent terminés en 1904, et le coup de pioche initial fut donné le 25 avril 1905. La première section du chemin de fer qui va de Changhai à Nan-Siang fut ouverte le 20 novembre 1905; la section Sou-Tcheou—Wou-Si en juillet 1906; puis la voie fut terminée jusqu'à Tchang-Tcheou (Chang-Chow) le 15 mai 1907, et jusqu'à Tchen-Kiang (Ching-Kiang) le 15 octobre 1907. La dernière section jusqu'à Nankin fut conduite le 28 mars 1908, et ce jour-là le premier train roula depuis Changhai jusqu'à Nankin, couvrant une distance de 193 milles anglais en 5 heures 35 minutes, y compris les arrêts. Le travail des ingénieurs dans la construction de la ligne a surtout consisté en terrassements, construction de ponts, et aqueducs. Les terrassements, comprenant les digues, les percées, les détournements de criques ont été de 2.657.761 pieds cubes. Entre Changhai et Nankin il y a 25 grands ponts et 177 petits ponts, plus 405 aqueducs. Les stations comprennent 25 gares, et 12 haltes et l'unique tunnel de la ligne est celui de Tchenkiang, seule partie de la ligne où le terrain soit accidenté; ce tunnel a 1.320 pieds de long. Ce chemin de fer a coûté par mille anglais (1 mille = 1.609 mètres), achat du terrain, construction et établissement des voies, 68.367 taels, soit environ 247.000 francs. Le développement des chemins de fer en Chine est une question tellement vitale au point de vue du bien-être de la nation qu'il n'est pas sans intérêt de s'arrêter un peu sur ces questions techniques. La compagnie a fourni les renseignements suivants au sujet du trafic des voyageurs: en 1908, 3.240.869 passagers représentant 1.384.127 dollars (1 dollar = 2 fr. 20); en 1907, 1.731.658 passagers représentant 760.607 dollars; mais, bien entendu, aucune comparaison n'est à établir entre ces deux chiffres, puisque la ligne a été totalement achevée en mars 1908. Les marchandises transportées consistent surtout en cocons et déchets de soie venant de Wou-Si. Pendant l'année 1908, sont arrivés à Changhai 4.344 piculs de cocons et 1.456 piculs de déchets. Par un arrangement intervenu récemment, les importations étrangères destinées aux ports de Sou-Tcheou, Tchen-Kiang, Nankin, pourront être transmises à ces ports par la voie ferrée avec payement de droits de douane à destination.
[10] Le Yang-King-Pang est la crique qui sépare la concession française de la concession anglaise.
Bientôt Changhai sera rattaché avec l'intérieur de la province par la ligne Changhai—Hang-Tcheou—Ning-Po. Quand cette ligne fut projetée, elle devait partir de Sou-Tcheou; mais les négociants et la population aisée firent une telle opposition qu'on fut obligé d'abandonner le projet jusqu'à l'apaisement des esprits; grâce aux mesures prises par le Taotai Liang, tout rentra dans l'ordre. Le 6 mars une convention fut signée à Péking pour la construction de la ligne, et un emprunt émis de 1.500.000 livres sterling; le 15 avril, le gouvernement central donnait aux provinces du Kiang-Sou et du Tche-Kiang contrôle absolu sur cette ligne et toute direction de l'entreprise. Jusqu'à présent chacune des deux provinces a souscrit la somme de 5.000.000 de taels pour la construction de sa part respective, et l'emprunt étranger a été ainsi réparti: 30% à la compagnie des chemins de fer du Kiang-Sou et 70% à la compagnie des chemins de fer du Tche-Kiang. La ligne est maintenant divisée en deux sections: Hang-Tcheou—Ning-Po et Hang-Tcheou—Changhai. La section Hang-Tcheou—Ning-Po a une longueur de 310 li (1 li = 500 mètres), les plans ont déjà été levés, et on pense que vers le mois d'avril prochain les travaux seront commencés. La section Hang-Tcheou-Changhai est dès maintenant ouverte au trafic sur une assez grande étendue.
Changhai attire de plus en plus les étrangers et les Chinois, grâce aux embellissements continuels de ses avenues, de ses rues, de ses alentours, grâce à la construction de maisons importantes et de bâtiments non moins remarquables, grâce aux jardins verdoyants que les municipalités installent un peu partout. Changhai prend de plus en plus grand air et devient une véritable ville. Parmi les industries locales qui se sont créées, il faut citer trois nouvelles filatures de soie: Tai-Tchang, Ta-King et Yun-Long.
X.—Le revenu total de l'année 1908 montre une moins-value de 1.393.727 taels, soit 12,60% comparé au total de 1907, et cependant moindre que la moins-value constatée en cette même année 1907. Elle porte surtout sur les importations: 1.154.281 taels; les droits sur l'opium et le likin 219.104 taels. Quant aux droits de tonnage et aux droits de cabotage, ils ne sont pas changés et restent sensiblement les mêmes. Les droits d'exportation donnent une plus-value de 58.494 taels, et les droits de transit 11.885 taels. En somme, depuis 1903, c'est la plus mauvaise année qui soit au point de vue du revenu douanier. Il y a une chute de 16.000.000 de taels dans le total brut des importations étrangères. Bien que ce chiffre ne représente que la moitié du déficit de 1907, il ne faudrait pas en conclure qu'il y a amélioration dans le trafic. Le marché est encore encombré de l'immense quantité de marchandises accumulées en 1905, et qui continuent à se solder à l'encan; de plus, la trop grande variation du change de l'argent a beaucoup gêné le marché, et la confiance n'a pas précisément régné. Enfin la dépréciation subie par la sapèque de cuivre a réduit considérablement les moyens d'achat de la classe ouvrière et paysanne qui ne possède guère d'autre monnaie; les achats doivent en effet être majorés de 20 à 25%, ce qui est énorme.
Les Russes ont essayé d'introduire sur le marché quelques cotonnades de diverses espèces. Par suite du développement des différentes industries, les métaux ont donné une plus-value de 1.720.455 taels. Le fer en barres donne 60.324 piculs de plus qu'en 1907; autres ferrailles, 37.207 piculs; saumon de plomb, 33.481 piculs; les pétroles américains continuent leur marche ascendante et donnent un surplus de 1.559.183 gallons (1 gallon = 4 litres) en gros, et 2.190.270 gallons en caisses. Le pétrole russe a réapparu sur le marché avec 1.391.377 gallons; quant au pétrole de Bornéo, il décline de 5.125.025 gallons, et celui de Sumatra de 557.168 gallons. Les bois et le sucre ont subi une diminution dans l'importation, et la farine a diminué de 1.479.720 piculs par suite du bon marché du riz.
La crise financière que l'on avait crainte a été arrêtée par suite de la baisse continue du change qui a beaucoup encouragé le commerce d'exportation. De plus, les moissons, heureusement bonnes, ont aidé à la stabilisation de la situation. Il y a une plus-value de 12.000.000 de taels au chiffre de l'exportation, qui est due à la demande de plus en plus forte de la soie et de ses produits. La prompte reprise des affaires aux États-Unis après la crise financière de 1907 a amené une demande considérable, et les prix se sont bien maintenus. Mais néanmoins, beaucoup de plaintes s'élèvent tous les ans sur les défauts de la soie, par suite des procédés défectueux de l'élevage chinois. Il faudrait ici un établissement comme celui fondé à Phulongthuong par les Français, et où les Annamites reçoivent l'instruction nécessaire pour sélectionner les œufs suivant la méthode de Pasteur. Le district séricicole de Tai-Hou n'aurait eu qu'à gagner à une telle organisation.
L'exportation du coton brut donne une diminution de 301.650 piculs sur les chiffres de l'année dernière. Le moment de la récolte fut contrarié par le mauvais temps et il y eut un déficit d'environ 20%.
Les fils locaux ont tendance à remplacer les fils importés. Les filatures sont très occupées et réalisent de gros bénéfices, mais elles ont dû s'adresser à l'Inde faute de matière première. La récolte des thés a été de 20 pour 100 meilleure qu'en 1907 et l'exportation des thés verts a, dans l'année étudiée, été faite presque tout entière sur Batoum. Cependant on dit que les producteurs ont perdu beaucoup par suite de la modicité des prix; on constate une diminution de 28.989 piculs sur les thés noirs, mais ceci est sans importance puisque le gros commerce des thés se fait à Hankeou.
Le transit intérieur donne le chiffre de 319.460 taels et consiste surtout en pétroles de la province du Tche-Kiang et en charbon japonais pour les filatures de Tsong-Ming et de Tong-Tcheou. Les communications rendues faciles par le chemin de fer avec le district séricicole de Tai-Hou ont amené une plus-value de 450.186 taels sur le transit intérieur de la soie. Chao-Hing, gros marché cotonnier de la province du Tche-Kiang, continue à envoyer ses produits à Changhai par jonque.
Les compagnies de navigation n'ont pas eu une année brillante, et les frets ont été très bas par suite de la concurrence très forte et aussi de la stagnation commerciale.
Quant à l'opium, la réduction de son importation est évidente, et celle-ci arrivera à être supprimée. Depuis la promulgation du premier édit contre la culture du pavot et l'habitude de fumer l'opium, édit qui parut le 20 septembre 1906, il y eut une activité marquée de la part des mandarins civils et militaires pour faire respecter les ordres de l'Empereur, en menaçant de châtiments sévères ceux qui continueraient à fumer la drogue. Les lettrés également, aidés du nouvel élément «étudiant», ont déployé une grande énergie pour influencer l'opinion, en répandant brochures et discours pour convaincre les masses que l'opium abîme la race et abrutit l'homme; des sociétés contre l'opium se sont formées, et des instruments sortis des fumeries d'opium, pipes et accessoires, ont été brûlés en public. Les nouveaux édits de 1907 et de 1908 ne font qu'encourager cette campagne méritoire. A Changhai les fumeries furent fermées à la date du 20 juin 1907 et dans les concessions étrangères, à la date du 1er juillet 1908, il fut procédé à la fermeture par séries de tous ces établissements. L'institut de Chas. B. Town pour le traitement des fumeurs d'opium fut ouvert le 24 octobre dernier, et jusqu'au 31 décembre 100 cas furent soignés avec succès. Mais toute médaille a son revers, et les fumeurs invétérés ont maintenant, faute d'opium, recours à la morphine ou à d'autres dérivés de l'opium. Beaucoup d'opium entre dans les pilules ou tabloïdes, dites stimulantes, fabriquées par les droguistes locaux et se vendant en quantités énormes. La codéïne, la cocaïne et d'autres drogues importées sous prétexte de guérir de l'opium ne sont que des substituts de l'opium.
D'ailleurs, si l'importation de l'opium du Bengale et de Bombay a diminué sur le marché chinois, par contre, l'importation à Changhai de l'opium indigène n'a cessé d'augmenter, ainsi qu'il est facile de s'en assurer par le petit tableau ci-après:
| Années | Quantité | Valeur |
| 1904 | 10.285 piculs | 4.678.291 taels |
| 1905 | 13.981 — | 5.233.239 — |
| 1906 | 13.068 — | 6.068.355 — |
| 1907 | 10.413 — | 4.396.437 — |
| 1908 | 19.053 — | 9.540.464 — |
Pendant que tous les ports d'Extrême-Orient avaient été plus ou moins atteints par la peste[11], Changhai était resté indemne. Malheureusement, en 1909, la peste est entrée à Changhai, et même y a été contractée par un chauffeur du vapeur Leongwo en partance pour Hankeou. L'homme, bien portant, était descendu à terre à Changhai avec quelques amis pour s'amuser; avant d'arriver à Hankeou il a été pris de la peste et il est mort le même jour. Comment cette maladie a-t-elle pénétré à Changhai, il est assez difficile de le dire, mais on suppose qu'un rat infecté sera parti d'un navire et aura donné l'infection aux autres rats sur le port, c'est la seule explication. Le premier rat infecté de la peste fut trouvé à Changhai le 8 décembre 1909.
[11] La peste, d'après les théories actuelles, vient de la terre, et ce sont les rats qui sont les premiers atteints. Le rat mort, les puces qu'il nourrissait le quittent et vont porter la peste aux humains.
Cette maladie a deux caractères: elle est bubonique et donne au patient des bubons aux aines et sous les bras; ou bien pneumonique. Cette dernière forme est la plus grave.
Elle se déclare généralement au printemps et a vite atteint une grande intensité épidémique. En 1902, à Long-Tcheou, j'ai vu mourir des familles entières de dix personnes en une seule journée; le docteur du Consulat, Dr Gaymard, a réussi à sauver, avec le sérum Yersin, quelques malades pris à temps, et l'inoculation préventive faite sur nos domestiques les a tous préservés. J'ai constaté, en accompagnant le docteur, sur les morts, d'énormes boules de sang coagulé qui se formaient sur la tête, et, quand on les perçait, il en sortait un liquide noirâtre.
L'hiver n'empêche pas l'éclosion de la maladie; seule la grosse chaleur en a raison. A l'heure où j'écris ces lignes, il y a une fort violente épidémie de peste en Mandchourie, et cependant, dans ce pays, le thermomètre descend jusqu'à - 20° au-dessous de zéro.
En Chine, la peste a pris naissance au Yunnan dans les années quatre-vingts (de 1885 à 1889), à Mong-Tseu principalement. De là, elle a gagné Canton et Hong-Kong, puis les différents ports du Nord. Elle s'est dirigée ensuite vers Bombay, où elle a été terrible, et a gagné l'Indo-Chine et la Birmanie. Chose curieuse, depuis qu'elle a atteint tout l'Extrême-Orient, le Yunnan, d'où elle est sortie, en est à peu près indemne.
Rarement les Européens contractent cette maladie; cependant, il y a quatre ans, j'ai vu un missionnaire français, le P. de Chirac, des Missions Étrangères, souffrir, à Rangoon, de la peste sous ses deux formes: bubonique et pneumonique. Il guérit à la profonde stupéfaction de tous, car ceux qui en reviennent sont bien rares.