La grande artère de la Chine: le Yangtseu
CHAPITRE III
I. Commerce; premières relations avec l'Europe.—II. Principales productions.—III. L'opium.—IV. Le thé.—V. Le coton, les peaux, le musc.—VI. L'industrie; la porcelaine, sa fabrication.—VII. Industrie de la soie.—VIII. L'industrie des métaux; le pétrole, la laque, le vernis.
I.—De tout temps le Chinois a été essentiellement commerçant; les richesses particulières de chaque province de l'Empire et la facilité avec laquelle les marchandises circulent grâce aux nombreux canaux et rivières qui couvrent tout le territoire de leur réseau mouvant, ont rendu le commerce très florissant; chaque province, étant, pour ainsi dire, comme un état indépendant des autres, communique à ses voisines ses ressources, et c'est cet échange incessant de denrées et de produits divers qui unit entre eux les habitants et porte l'abondance dans toutes les villes.
A cet échange se bornait le commerce d'autrefois, avant la venue des Européens. A part, en effet, quelques relations commerciales par les caravanes avec l'Asie antérieure et aussi avec l'Empire romain, les Chinois ignoraient l'Europe. Les véritables relations avec les Occidentaux ne commencèrent d'une façon effective qu'à l'avènement de la dynastie actuelle des Tsing (traité avec la Russie 1689; mission de lord Macartney 1795; ambassade de lord Amherst 1816).
Dès 1702, la Compagnie anglaise des Indes avait envoyé à Canton un agent avec le titre de consul; les Hollandais et les Portugais faisaient le commerce à Canton et à Formose. Toutefois ce n'est qu'en 1840, après des difficultés qui duraient déjà depuis de nombreuses années, difficultés suscitées par la mauvaise volonté et l'animosité des autorités chinoises, que les Anglais se décidèrent à frapper un grand coup, à la suite duquel l'Empire chinois fut ouvert au commerce de toutes les nations étrangères, événement que consacra le traité anglo-chinois signé à Nankin le 29 août 1842 par Sir Henry Pottinger et les délégués chinois; ce traité stipulait l'ouverture au commerce étranger des ports de Canton, Amoy, Fou-Tcheou, Ning-Po, Changhai. La France suivit l'Angleterre, les autres puissances imitèrent ces dernières, et peu à peu, à la suite de guerres ou de négociations, la Chine en est arrivée, à l'heure actuelle, à être à peu près entièrement ouverte au commerce de toutes les nations d'Europe et d'Amérique.
Le Chinois a toujours passé, et passe encore aux yeux des Européens pour un commerçant honnête; mais il faut entendre ceci d'une certaine façon: c'est-à-dire que, lorsque le négociant chinois vous a donné sa parole, il s'exécute; pas n'est besoin de contrat par écrit; mais, d'un autre côté, si vous discutez une affaire avec lui, avant d'arriver à une conclusion, soyez persuadé que le Chinois essayera de vous tromper le plus possible, et qu'il sera on ne peut plus aise d'y avoir réussi. Une fois, cependant, le marché conclu, si, contrairement à ce qu'il avait espéré, les chances tournent contre lui, il s'exécutera quand même. C'est là sa grande supériorité sur son voisin japonais qui, lui, n'a aucune probité commerciale.
II.—Les principales productions qui intéressent le commerce européen en Chine sont d'abord: la soie dont les marchés, actuellement, se trouvent à Changhai et à Canton. Quoique plusieurs provinces fournissent de fort belle soie, cependant celles du Tche-Kiang, du Chan-Tong et de Canton sont les plus appréciées. Les soies du Tche-Kiang et de Canton proviennent des cocons de vers à soie du mûrier; celles du Chan-Tong, au contraire, sont des soies provenant du ver à soie d'une espèce de chêne, cette soie est brune: c'est le pongée du Chan-Tong.
Les Chinois jugent de la bonne soie par sa blancheur, par sa douceur et sa finesse. Si, en la maniant, elle est rude au toucher, c'est mauvais signe. Souvent, pour lui donner belle apparence, ils l'apprêtent avec une certaine eau de riz mêlée de chaux qui la brûle et qui fait que, lorsqu'elle arrive en Europe, on ne peut dévider les écheveaux sans les rompre constamment. La soie du Tche-Kiang se travaille dans la province du Kiang-Nan, principalement à Nankin, et c'est dans cette province que les bons ouvriers se rendent; cependant, les ouvriers de Canton ne le leur cèdent en rien, depuis surtout que les étrangers y font ce commerce. Aujourd'hui plusieurs fabriques de soie montées à l'européenne existent à Changhai et dans d'autres villes; j'en parlerai plus loin.
Les pièces de soie dont les Chinois se servent davantage sont les gazes unies et à fleurs dont ils se font des vêtements d'été, des damas de toutes sortes et de toutes les couleurs; des satins rayés; des satins noirs de Nankin; des taffetas à gros grains; des crêpons; des brocarts, et différentes espèces de velours.
Avec la soie du Chan-Tong ils font une étoffe fort serrée, qui ne se coupe point, dure beaucoup, se lave comme de la toile; quand elle est tout à fait bien préparée, elle est fort estimée des indigènes et elle est quelquefois aussi chère que les étoffes de satin et que les étoffes de soie les mieux fabriquées.
Les puissances occidentales qui font la plus grande exportation de soie sont: la France, la Suisse, l'Italie et les États-Unis. Autrefois, c'était à Londres que s'amoncelaient les balles, c'était Londres qui était le grand marché des soies; mais aujourd'hui Lyon, d'abord, et Milan, puis Zurich exportent directement sans passer par le marché anglais.
III.—L'opium est une des productions dont la culture était à un moment donné, devenue intense dans beaucoup de provinces de la Chine. La drogue est venue de l'Inde et a été introduite par les Anglais qui l'ont pour ainsi dire imposée, puisque c'est par suite de la destruction de caisses d'opium importées à Canton par la Compagnie des Indes qu'a éclaté la guerre de l'Angleterre contre la Chine en 1840. Aujourd'hui la culture du pavot à opium est interdite par ordre impérial dans toute l'étendue de l'Empire chinois, et par suite d'un accord avec la Grande-Bretagne, l'importation de l'opium indien diminue peu à peu de façon à arriver à la suppression totale. Ces ordres sont exécutés d'une façon rigoureuse par certains vice-rois; et, par exemple, au Yunnan où j'ai vu partout des champs de pavots, il n'existe à l'heure actuelle plus un seul terrain livré à cette culture. Il est à espérer que la funeste habitude de fumer l'opium finira par disparaître complètement du territoire de l'Empire.
IV.—Le thé est la boisson habituelle du Chinois, et les Européens ont, déjà depuis près de trois siècles, pris l'habitude d'en consommer une certaine quantité. Les Russes, notamment, et les Anglais en absorbent tellement qu'à un moment donné, des bateaux de ces deux nations, jaugeant de sept à huit mille tonnes, venaient charger du thé à Hankeou. Le thé de Chine croît, en effet, sur les collines dans les provinces du Houpe, du Kiang-Si, du Fou-Kien et du Tche-Kiang; du moins le bon thé; car il en pousse partout en Chine, mais les Européens n'apprécient que les thés du Fou-Kien et de la vallée du Yangtseu. Aujourd'hui les Russes seuls exportent le thé de Chine; car, à la suite de la maladie des caféiers de Ceylan, les Anglais ont détruit leurs plantations qu'ils ont remplacées par des plantations de thé; tout bon Anglais ne boit aujourd'hui que du thé de Ceylan, ou bien encore du thé de l'Inde ou de l'Assam où les sujets britanniques ont essayé des plantations qui ont parfaitement réussi. Mais, quoique le thé vienne fort bien à Ceylan et dans diverses contrées des Indes, il est, dans ces pays, beaucoup moins fin comme goût que le thé de Chine; il est plus noir et renferme beaucoup de tannin. Quoi qu'il en soit, comme il est produit en pays anglais et qu'il est, en outre, beaucoup moins cher que le thé de Chine, les Anglais le préfèrent à ce dernier.
V.—Le coton est cultivé dans la vallée du Yangtseu et est consommé sur place, notamment à Changhai où se trouvent de grandes filatures. La ramie, ou ortie de Chine, est également cultivée dans la vallée du Yangtseu mais elle est exportée à Canton où elle est travaillée et préparée. On avait essayé de l'introduire en Europe, mais malgré toutes les préparations qu'on lui a fait subir on n'est jamais parvenu à la rendre assez souple. Parmi les articles principaux que la Chine exporte en Europe, citons: le jute; les tapis de poils de chèvres et de moutons; les soies de porc, destinées à la brosserie; les crins de cheval; les plumes de canard; les peaux de vaches et de buffles; ce dernier article fait l'objet d'un commerce fort important, et la préparation de ces peaux en vue de l'exportation n'est pas toujours sans danger; car la maladie du charbon sévit cruellement sur les bêtes à cornes dans la vallée du Yangtseu; j'ai vu, notamment à Hankeou, bien des coolies périr malheureusement de cette terrible maladie contractée en préparant les peaux.
Les peaux de chèvres pour gants sont aussi un des principaux articles d'exportation.
Le musc arrive principalement du Sseu-Tchuen et des montagnes du Thibet; ce produit est énormément falsifié et les Chinois sont tellement habiles dans ce genre de falsifications que les Européens s'y laissent souvent prendre. Comme c'est là une marchandise de prix, on peut faire ainsi des pertes énormes. Parmi les autres produits qui donnent lieu à des échanges avec l'Europe, il faut encore citer l'huile de bois, sorte de vernis très long à sécher et d'une odeur désagréable, mais excellent pour préserver le bois de la décomposition; le suif végétal et animal; les noix de galle; les tresses de paille, exportées en grande quantité en Europe pour la fabrication des chapeaux; les nattes, très inférieures à celles du Japon ou du Tonkin; les arachides, le colza, le ricin, la graine de coton qu'on expédie beaucoup à Marseille où elle sert à faire de l'huile «d'olive».
VI.—L'industrie, telle que nous la comprenons, n'existe encore en Chine qu'à l'état embryonnaire. L'industrie chinoise se borne à la fabrication des objets de consommation locale, tels que vêtements, chaussures, meubles et ustensiles divers; seules la fabrication de la soie et celle de la porcelaine méritent vraiment de retenir l'attention. On peut y joindre la laque qui sert à divers usages. Dans quelques ports, on a installé aujourd'hui des fabriques de coton, de soie, de métaux; il en sera parlé plus loin quand nous étudierons chacun des ports ouverts.
Le grand centre de la fabrication de la porcelaine est Kin-Te-Tcheng, dans la province du Kiang-Si, laquelle est comprise dans le bassin du Yang-Tseu-Kiang. Kin-Te-Tcheng est une petite bourgade, dépendant de la préfecture de Yao-Tcheou et peuplée de plus d'un million d'habitants, tous porcelainiers. La porcelaine était autrefois d'un bleu éclatant ou d'un bleu de ciel remarquable; des ouvriers de Kin-Te-Tcheng essayèrent d'émigrer au Fou-Kien et d'y transporter leur art, mais ils échouèrent.
L'Empereur Kang-Hi, lui-même, manda à Pékin des ouvriers du Kiang-Si, mais ils ne réussirent aucun objet. Aujourd'hui on fabrique en Chine de la porcelaine un peu partout, mais c'est encore à Kin-Te-Tcheng que se fait la plus belle porcelaine. Deux matières principales servent à la fabrication: le pe toun tseu, dont le grain est très fin et qui n'est autre chose que des quartiers de rochers qu'on tire des carrières, et le kaolin qui est une sorte de terre blanche parsemée de petites parcelles éclatantes.
Pour préparer le pe toun tseu, on se sert d'une masse de fer destinée à briser les quartiers de roc; après quoi, on met les morceaux brisés dans des mortiers et on achève de les réduire en poudre très fine; on jette cette poudre dans un grand bassin rempli d'eau et on l'agite fortement; quand on la laisse reposer, il surnage une espèce de crème qu'on a soin d'enlever et de mettre de côté dans un récipient spécial. Cette crème se dépose au fond du récipient et forme une pâte qui dégage peu à peu l'eau qu'elle contient; lorsque cette eau paraît à la surface complètement claire, on la rejette de façon à n'avoir plus que la pâte; on la met alors dans des moules propres à la dessiccation. Cette pâte est le pe toun tseu. Même quand on l'a mise dans les moules à dessiccation, (lesquels ne sont en somme que de grandes caisses), on a soin de faire peser à la surface supérieure un fort poids de briques afin d'exprimer l'eau complètement.
Le kaolin ne demande pas autant de travail que le pe toun tseu, la nature le fournit presque tout prêt à être employé. On en trouve des mines dans les montagnes et ce n'est, en réalité, que du granit décomposé que l'on découvre par grumeaux; c'est du kaolin que la porcelaine tire toute sa fermeté; c'est son mélange avec le pe toun tseu qui donne aux objets fabriqués toute leur force de résistance.
On fait aussi de la porcelaine avec une autre espèce de matière que les Chinois nomment hoa che (sorte de marbre); la porcelaine faite avec le hoa che est rare et beaucoup plus chère que l'autre; elle est très fine et très légère, mais beaucoup plus fragile que la porcelaine ordinaire; les ouvriers, d'ailleurs, la réussissent plus difficilement; car il est malaisé de saisir le véritable moment où la cuisson est suffisante.
Avec le hoa che on trace sur la porcelaine des dessins divers qui ressortent à cause de la différence de leur couleur blanche, lorsque l'objet dessiné est verni et soumis à la cuisson. On peint aussi des figures avec le che kao, qui est une espèce de gypse; mais tandis que le hoa che peut au besoin remplacer le kaolin, le che kao ne peut servir qu'à exécuter des dessins.
Généralement on mélange autant de kaolin que de pe toun tseu pour les porcelaines fines; pour les demi-fines on emploie quatre parts de kaolin pour six de pe toun tseu, et pour la porcelaine tout à fait ordinaire on met une partie de kaolin pour trois de pe toun tseu.
Je ne m'étendrai pas davantage sur la porcelaine et la peinture sur porcelaine, choses fort connues maintenant en Europe; qu'il me suffise de dire que les ornementations qui figurent sur les porcelaines chinoises sont d'une uniformité immuable depuis l'antiquité. Personnages, animaux, fleurs et arbres divers, on retrouve toujours et partout les mêmes motifs.
VII.—La soie a été de bonne heure une des principales industries chinoises; des vêtements merveilleux, des tentures d'une rare beauté sont sortis des ateliers bien primitifs cependant des fils de l'Empire du Milieu. Toute l'Europe a pu admirer ces richesses puisque, soit par les expositions, soit par les voyageurs et les négociants, quantités d'étoffes de soie chinoise sont venues échouer sur le marché des grandes villes. Cependant, si la facture est élégante, si les dessins sont brodés avec goût, il est juste de dire que, au point de vue de la solidité, elles ne valent pas nos étoffes de Lyon.
J'ai déjà eu occasion d'indiquer que la soie est d'un usage général en Chine. Il faut qu'un Chinois soit complètement dans la misère pour n'avoir pas au moins une robe de soie dans son armoire. Tous ceux qui sont tant soit peu à l'aise portent des vêtements de soie et sont vêtus de satin et de damas. Leurs lits sont ornés de tentures de satin brodé; et les jours de fête, de mariage ou de décès, la maison est pavoisée de tentures de soie rouge d'un effet merveilleux. Le rouge est, en Chine, la couleur qui porte bonheur.
VIII.—L'industrie des métaux a été connue des Chinois depuis déjà longtemps; elle s'est surtout bornée aux cloches de temples, statues, brûle-parfums; des mines de fer, de plomb, de cuivre et de zinc ont été ouvertes et exploitées suivant des procédés fort primitifs, il est vrai, mais qui suffisaient grandement aux Chinois; l'or et l'argent étaient travaillés dès l'antiquité, et la bijouterie avait une finesse qu'on peut encore admirer dans les objets anciens. L'acier était connu et utilisé pour faire les charrues et autres instruments de culture; le cuivre servait à différents usages et était très employé pour l'ornementation des temples; il l'était également pour la fabrication des gongs, des cymbales, des trompettes, des lampes à huile, et surtout pour la frappe de la monnaie de cuivre connue sous le nom de sapèque et qui, seule, jusqu'à ces derniers temps, avait cours en Chine. Aujourd'hui encore, toutes ces industries sont très florissantes et conduites suivant les anciens procédés. Cependant, des usines métallurgiques ont commencé à s'élever selon la manière d'Europe; des mines sont exploitées à l'occidentale, et l'industrie se développe peu à peu d'après les méthodes modernes.
Le pétrole était connu et exploité au Sseu-Tchuen; il l'est encore aujourd'hui suivant des procédés très primitifs, et son exploitation occupe plusieurs villes et villages de la province.
Le cristal, le quartz sont travaillés et taillés pour faire des lunettes; le jade, cette fameuse pierre qu'on ne découvre qu'en Chine et dont une variété, le jade blanc laiteux, est très appréciée des Chinois, sert à faire des bracelets, des vases, des tuyaux de pipe, des statuettes. Le jade vert, au contraire, qu'on trouve principalement au Yunnan, a une bien moindre valeur.
Quant à l'industrie de la laque, elle remonte assez loin; elle est faite avec le vernis (tsi en chinois) tiré du Rhus vernicifera; c'est une sorte de gomme noirâtre qui découle par des incisions qu'on fait à l'écorce en ayant bien soin de ne pas entamer le bois. Ces arbres, dont la feuille et l'écorce ressemblent assez à celle du frêne, n'ont jamais guère plus de cinq mètres de haut; le tour du tronc est de soixante-quinze centimètres environ; ils poussent principalement dans les provinces du Kiang-Si et du Sseu-Tchuen; ceux du territoire de Kan-Tcheou-Fou, la ville la plus méridionale du Kiang-Si, donnent le vernis le plus estimé.
Pour tirer le vernis de ces arbres, il faut attendre qu'ils aient de sept à huit ans: plus tôt ou plus tard, le vernis ne pourrait servir à faire de bonne laque. La laque chinoise est loin de valoir comme finesse et comme élégance la laque japonaise[5]; on ne trouve pas un objet en laque digne d'attention; c'est toujours grossier et sans goût; le seul genre de laque où le Chinois excelle est la laque rouge de Pékin qui est vraiment remarquable. On a pu admirer à l'Exposition de 1900 la superbe et rare collection de M. Vapereau, ancien «commissioner» des douanes maritimes chinoises.
[5] Elle est étudiée en détail dans l'Empire japonais, ch. XII, pp. 166 et suiv.
La fabrication du cloisonné et de l'émail a toujours été très florissante en Chine, et en ce genre de travail les Chinois l'emportent décidément sur les Japonais. Ils commencent par fabriquer un vase en cuivre sur lequel ils font, au moyen de bandes de cuivre soudées, les dessins qu'ils veulent représenter en émail. Dans l'intervalle de ces bandes de cuivre, ils coulent l'émail fondu à une haute température et polissent ensuite la surface du vase; ils obtiennent ainsi de fort belles pièces; mais celles qu'ils livrent aujourd'hui à l'amateur sont loin d'égaler les cloisonnés de l'époque de Kien-Long (1736-1796) ou du début de la dynastie des Ming (1368).
En somme, le Chinois est très industrieux, et il possède, à un haut degré, tout comme le Japonais, l'esprit d'assimilation et d'imitation. Est-ce donc à dire qu'il manque d'imagination? Non certes: il a trouvé avant nous la manière d'imprimer, non pas les caractères mobiles, il est vrai, mais l'imprimerie sur planches gravées, et il s'en servait alors que nous étions encore en Europe réduits au travail du copiste; il a inventé la poudre, la boussole, l'organisation du travail, les arts, les lettres, les sciences: il a tout connu avant d'être en contact avec nous. Mais ce qui lui a manqué dans ses inventions, c'est l'encouragement de ses gouvernants, qui, bien loin de pousser aux perfectionnements et aux découvertes nouvelles, décourageaient au contraire les initiatives.
L'éducation même du Chinois le mettait en garde contre de trop grandes nouveautés, car il était admis que tout ce qu'avaient fait les ancêtres était parfait et qu'il fallait les imiter, au lieu de chercher à surpasser ou à améliorer leur œuvre. Dans de telles conditions l'Empire ne pouvait que se replier sur lui-même sans faire un pas en avant, et c'est pour ce motif que, au moment de son premier contact avec la Chine, l'Europe a trouvé cette dernière dans l'état social, commercial et industriel où elle était il y a mille ans.