La grande artère de la Chine: le Yangtseu
CHAPITRE XV
I. Le service de la poste en Chine. Les entreprises particulières ou Sin-Kiu.—II. La poste faite par les douanes maritimes.—III. Le service postal actuel.—IV. Fonctionnement du service actuel dans le Haut et le Bas-Yangtseu.—V. Le télégraphe.
I.—Le service postal chinois mérite une étude particulière. On y verra par quelles phases il a passé avant d'arriver à son état actuel. Bien qu'un système à peu près normal fonctionne aujourd'hui dans les principaux centres, cependant le vieux système chinois n'a pas dit son dernier mot; car aujourd'hui la poste impériale coûte au Trésor et ne lui rapporte rien. Seuls quelques districts où le commerce est prospère commencent à couvrir leurs frais et à équilibrer leurs dépenses et leurs recettes; mais il est loin d'en être ainsi partout. Il faut, naturellement, de nouveaux crédits tous les ans pour améliorer et étendre le service dans un pays immense où les communications ne sont pas toujours faciles. Le système postal chinois, pris dans son ensemble, ne ressemble donc pas encore à un service européen, régulier et donnant des bénéfices; c'est un service à côté de la douane, et les commissaires de douanes sont les directeurs principaux des districts postaux établis dans les ports ouverts et les villes principales des provinces limitrophes; dans l'intérieur, ce sont des Chinois.
Autrefois, dans la Chine tout entière, et aujourd'hui encore dans les provinces et dans les centres éloignés, la poste se faisait par des entreprises particulières chinoises, soit correspondant entre elles, soit se faisant concurrence, concurrence d'ailleurs limitée, grâce à l'existence et au pouvoir des chambres syndicales désignées sous le nom de «guilde».
Ces entreprises, désignées sous le nom de Tchang-Houa-Sin-Kiu, ou simplement Sin-Kiu, existaient dans toutes les villes et endroits importants de l'intérieur; elles transmettaient leurs dépêches par tous les moyens possibles, soit par terre, soit par eau; elles se servaient notamment, sur les canaux, de petites embarcations, longues et étroites, très légères, peintes en rouge, avec un toit en nattes; l'équipage se composait de deux hommes qui faisaient la relève à tour de rôle; appuyé à l'arrière, l'homme avait une petite godille sous le bras gauche, dont il tenait le corps de la main gauche et la tête de la main droite qui servait surtout de gouvernail; plus en avant, à droite, il avait un petit aviron qu'il faisait mouvoir avec le pied; la barque possédait également un petit mât et une petite voile qui pouvait servir quand le vent était favorable.
Suivant les provinces et l'importance des localités, ces services variaient de journaliers à mensuels. Il fallait payer chaque entreprise par laquelle la correspondance passait. Il n'y avait naturellement pas de timbres-poste, mais chaque entreprise avait un cachet en bois qu'elle appliquait sur les correspondances, ainsi qu'un autre cachet indiquant la destination. Il existait même une sorte de recommandation qu'on pouvait obtenir moyennant un payement spécial.
Afin d'assurer l'arrivée à destination, l'expéditeur avait soin d'écrire sur l'enveloppe: «pourboire à remettre au porteur», tout suivant l'importance de la missive.
Les lettres dont le port était payé étaient marquées d'un cachet spécial, «payé d'avance»; les autres portaient l'inscription: «à payer la somme habituelle» (cette somme variait de 5 à 20 cents suivant l'importance du courrier).
On pouvait aussi, par l'intermédiaire de ces entreprises, envoyer de l'argent et des petits colis en les assurant, le bureau expéditeur se rendant responsable de toute perte causée par sa faute ou celle de ses employés; mais si la perte était causée par une attaque à main armée, ou autres actes de violence, on pouvait s'adresser aux autorités locales qui généralement faisaient rembourser par leur trésor 50 ou 60 pour 100 de la valeur perdue.
Pour donner une idée de la somme à payer pour une lettre, une lettre expédiée de Changhai pour Hankeou, par exemple, coûtait 50 sapèques (environ 25 centimes) si elle passait par une seule entreprise.
Bien entendu toutes ces entreprises postales ne servaient qu'aux particuliers; le service officiel se faisait par courriers spéciaux qui transmettaient les dépêches des autorités provinciales à Pékin et les décrets impériaux de Pékin aux gouverneurs et vice-rois. Ces courriers nommés Yi tchang étaient supposés exister dans toutes les capitales de provinces et dans les autres villes importantes, et elles devaient avoir toujours un certain nombre de chevaux prêts à partir. Comme les autres services chinois du temps présent, cette organisation existait plutôt sur le papier qu'en réalité.
Le service postal se faisait donc très régulièrement, sinon rapidement, et les missionnaires de l'intérieur m'ont déclaré que jamais leurs lettres ou paquets ne leur manquaient, à moins qu'il n'y ait eu cas de force majeure, telle que les inondations ou le pillage du courrier.
Cependant, vers 1866, le service des douanes impériales organisa une sorte de poste particulière pour transmettre les correspondances de l'Inspectorat général aux divers ports ouverts et vice versa. Cette poste avait même fini par admettre (en franchise naturellement, puisqu'il n'y avait pas de timbres-poste) les correspondances du public aux agents des douanes et réciproquement; elle se chargeait encore d'expédier en Europe la correspondance privée de tous les agents des douanes. Mais le besoin d'un service postal plus régulier se faisait sentir, et, en 1876, avec l'approbation de Li-Hong-Tchang, alors vice-roi du Tche-Li, ce service fut installé d'abord dans le nord, avec des timbres de 1, 3 et 5 candarines (1, 3 et 5 cents). Peu à peu il gagna les autres ports, et en 1890, il fonctionnait officiellement dans tous les ports ouverts, mais seulement dans ces ports et nullement dans l'intérieur du pays.
C'est alors qu'en 1893, Li-Hong-Tchang, vice-roi du Tche-Li, et Lieou-Kouen-Yi, vice-roi de Nankin, appelèrent l'attention du gouvernement impérial sur le développement des bureaux de poste anglais, français, américains et allemands, qui tous s'étaient depuis longtemps installés à Changhai et faisaient le service de courrier avec l'Europe et le monde entier, en collaboration avec les paquebots-poste de ces différentes nationalités; ils attirèrent également l'esprit du gouvernement sur la poste locale de Changhai, instituée par les municipalités étrangères, et qui faisait un service postal entre les ports ouverts et aussi dans les limites des concessions étrangères de Changhai. Il s'agissait de faire échec à toutes ces postes exotiques, d'autant plus que, suivant en cela l'exemple de Changhai, toutes les municipalités des ports ouverts avaient créé un service postal local avec des timbres à cet effet. Ce fut la belle époque des finances municipales; car la quantité de timbres vendus dans le monde entier fut énorme.
II.—Malgré les avis de Li-Hong-Tchang, le gouvernement impérial refusa l'invitation du gouvernement austro-hongrois de se faire représenter au Congrès de l'Union postale universelle. Toutefois l'administration des douanes chinoises fit émettre en automne 1894 une série de timbres de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 9, 12, 24 cents pour célébrer le soixantième anniversaire de l'Impératrice douairière. En même temps la municipalité de Changhai émettait un timbre spécial pour fêter le cinquantenaire de la colonie.
Ce n'est qu'après la guerre sino-japonaise que le gouvernement chinois, pour se procurer les revenus dont il avait un besoin inéluctable, consentit à mettre à l'étude la question de la Poste. Après bien des pourparlers et des discussions, un projet de l'Inspecteur général des douanes fut adopté en 1896; la direction générale des Postes était rattachée à l'administration des douanes; on devait faire une demande immédiate de participation à l'Union postale et on avait exigé la fermeture des bureaux de poste en Chine.
Le nouveau système devait être primitivement essayé dans tous les ports ouverts et leur voisinage immédiat; on n'interviendrait pas dans les affaires des entreprises particulières desservant l'intérieur, dont les ramifications devaient être employées plus tard pour l'extension du service postal. Il y avait donc à distinguer les bureaux de l'Union établis dans les ports ouverts au fur et à mesure, et le service de l'intérieur du pays.
Le service fonctionna normalement, mais les bureaux de poste étrangers continuèrent de fonctionner comme auparavant; seuls les bureaux locaux ou ports ouverts furent supprimés. Des timbres de toute valeur furent émis par le nouveau service, et la taxe d'une lettre pour l'étranger fut fixée à 10 cents (0,25 cent.). Pendant un certain temps, et afin d'attirer la clientèle, des bureaux postaux chinois se chargèrent de transporter toutes les correspondances européennes munies de timbres des puissances faisant partie de l'Union.
Ce service fut notifié par une circulaire du Tsong-Li-Ya-Menn, le 14 juin 1896, aux ministres accrédités à Pékin; cette circulaire leur annonçait l'établissement de Postes impériales chinoises, ainsi que la demande faite par le gouvernement chinois à Berne pour son admission dans l'Union postale universelle, et les invitait ainsi que leurs subordonnés et sujets à ne plus se servir que des services postaux chinois.
Il est inutile de dire que les étrangers continuèrent à se servir de leurs bureaux nationaux, et que les Russes et les Japonais, qui n'en avaient pas encore, se hâtèrent d'en établir.
L'ouverture du nouveau service postal était fixée au 1er juillet 1896. Mais elle a été reculée jusqu'au 1er juillet 1897 et n'a commencé à fonctionner qu'à cette époque.
Dans cette organisation, les entreprises particulières chinoises n'étaient pas oubliées; elles avaient conservé le droit de fixer leur propre tarif, mais elles devaient en faire la déclaration au bureau de l'Union le plus proche afin que celui-ci pût le publier. En même temps elles étaient invitées à se faire enregistrer officiellement au bureau de l'Union si elles voulaient être reconnues et subsister, ou à fermer tout simplement. Beaucoup d'entre elles essayèrent de résister, notamment celles de Changhai, Tchen-Kiang, Wou-Hou et Canton, mais elles furent contraintes de céder, et finirent par accepter toutes l'enregistrement. Elles n'étaient évidemment pas de force à lutter et auraient été impitoyablement brisées.
Il n'en était pas de même des bureaux de poste étrangers, et malgré toutes les amendes annoncées et les foudres lancées, la Poste chinoise n'a aucune action sur eux; elle ne peut même rien sur les postes locales des concessions, tant qu'elles opèrent dans la limite de ces concessions, et tant que leurs sacs se trouvent à bord de navires étrangers. Elle ne peut donc en rien toucher aux bureaux de poste des différentes puissances qui sont établis dans tous les ports de Chine. La seule chose qu'elle puisse faire, c'est d'empêcher les vapeurs de la compagnie chinoise (China merchants) de transporter d'autres sacs de dépêches que ceux que leur remettent les postes impériales chinoises; quant à refuser l'expédition de navires étrangers portant des sacs de dépêches, c'est une plaisanterie à laquelle on ne s'est pas risqué, et pour cause.
III.—Aujourd'hui donc, le service chinois fonctionne de pair avec les services européens en tout ce qui concerne l'étranger, et il fonctionne en participation avec les entreprises particulières pour tout ce qui regarde l'intérieur de l'Empire. Les Postes impériales, il faut bien le dire, gagnent en importance d'année en année; elles sont maintenant admises partout régulièrement comme le service naturel et nécessaire pour la transmission de la correspondance; les mandarins n'emploient plus que ce canal pour toutes leurs commandes. Les agences indigènes, elles-mêmes, s'en vont peu à peu et cèdent la place au service impérial; il est bien évident d'ailleurs que les Sin-Kiu ne continueront à prospérer que dans les endroits très éloignés où il n'a pas encore été possible à la Poste impériale de pénétrer; et elles continueront seulement dans les autres à se charger du transport des sapèques et des taels d'argent, marchandises dont la Poste ne tient pas à se charger. Toutes ces entreprises particulières reconnaissent franchement le nouvel ordre de choses, et demandent même l'appui et l'aide de la Poste impériale pour la transmission de leurs paquets.
Le trait prédominant de l'année sus-indiquée a été un accroissement considérable dans toutes les branches de l'administration postale. Le nombre total des bureaux a été élevé de 2.803 à 3.493; les articles divers: lettres, cartes postales, journaux, livres et échantillons qui, en 1907, s'élevaient à un total de 168.000.000, ont atteint le chiffre de 252.000.000, augmentation frappante et qui fait présager un avenir plus florissant. Les colis ont passé de 1.920.000 à 2.455.000, le poids en kilogrammes étant de 7.155.000 contre 5.509.000 l'année précédente, avec, naturellement, une augmentation correspondante de valeur; cette progression est à remarquer, surtout étant donné qu'on exige l'assurance de tout colis ayant une valeur de 30 piastres et plus. Les lettres chinoises des entreprises privées se sont élevées de 6 à 8.000.000, avec un poids de 83.000 kilog., contre 74.000 l'an passé, ce qui montre non pas que les entreprises privées deviennent de plus en plus prospères, au détriment de la Poste impériale, mais qu'elles se servent de plus en plus des facilités qui leur sont accordées par cette Poste. Les mandats d'argent ont également augmenté; ils représentent, tant en émission qu'en paiements de mandats, un mouvement de fonds de 5.000.000 de taels, soit un demi-million de plus que l'année dernière.
Le revenu postal a beaucoup augmenté, et dans de meilleures proportions, étant donné que, d'année en année, le développement du service exige de nouvelles dépenses par suite d'améliorations introduites dans l'organisation générale, et aussi vu l'augmentation du traitement du personnel.
En général, les opérations postales ont été faites partout avec régularité, quoique certaines difficultés aient été éprouvées sur quelques points.
Des arrêts se sont produits sur la ligne Pékin-Hankeou, occasionnés par l'enlèvement des rails, à la suite de grandes inondations. Des inondations ont eu lieu également dans le district de Wou-Hou et ont amené des retards au service des courriers et des chaloupes de transport.
Cha-Che (Shasi) n'a pas donné comme d'habitude, par suite d'un ralentissement dans le commerce et de la rareté de l'argent. Au Yunnan la brusque suppression de la culture du pavot tend à diminuer. Quant à présent, avec l'esprit d'entreprise, on espère que, grâce à la plantation du maïs, le Yunnan va retrouver une ère de prospérité dont profitera naturellement la Poste, mais il faudra, comme on l'a fait l'année dernière en Mandchourie, qu'on relâche un peu les restrictions qui pèsent sur l'exportation des céréales aux frontières du Tonkin.
Comme on le remarquera plus loin, le progrès a été général, les lignes de courriers ont été étendues, la transmission accélérée; les communications par chemin de fer se sont développées dans plusieurs directions, et dans tous les districts de nouveaux bureaux postaux ont été ouverts, plus particulièrement dans la vallée du Yangtseu.
IV.—On pourra mieux se rendre compte de l'œuvre poursuivie en se référant aux renseignements ci-dessous qui montrent l'œuvre accomplie par la Poste depuis plusieurs années.
Le Haut et le Bas-Yangtseu possédaient en 1909 (janvier), 969 bureaux ou agences, et avaient expédié ou reçu 123.000.000 d'articles divers de correspondance et 1.017.000 colis postaux.
Le groupe de la Chine centrale comprend le Sseu-Tchuen, le Kouei-Tcheou, le Houpe, le Hounan et le Kiang-Si, et dans cette vaste étendue de territoire le progrès postal a été constant, l'augmentation se chiffrant par 86 nouveaux bureaux, 8.000.000 de dépêches, 28.000 colis.
Au Sseu-Tchuen, la direction principale du district a été transportée de Tchong-King à Tcheng-Tou et placée sous la haute main d'un directeur provincial. Cette transformation a été bien accueillie par tous les fonctionnaires de la province, et il est à croire que le service va se développer normalement. Quelques pas en avant ont été déjà faits: les bureaux ont passé de 151 à 178. Le sous-district de Wouan-Chien, bien que se trouvant dans la province du Sseu-Tchuen, relève encore du directeur des postes d'Itchang. L'extension du service a été poursuivie systématiquement dans les districts au nord et au sud du fleuve, et les bureaux ont passé de 15 à 34, les dépêches de 320.000 à 404.000. Dans la province de Kouei-Tcheou, où un seul employé européen, résidant à Kouei-Yang, surveille les opérations, les dépêches ont augmenté de 167.000 à 408.000, et l'extension a été activement poursuivie, surtout dans la section nord.
Le Houpe, avec ses trois centres de Itchang, Cha-Che et Hankeou, montre également une avance continue, mais cependant pas en proportion des résultats obtenus dans les provinces du nord. Hankeou, avec les deux villes très peuplées de Hanyang et Wou-Tchang tout à côté, est considérée comme destinée à un grand avenir; cependant les entreprises particulières ou Sin-Kiu y tiennent bon; le progrès est continu, mais lent. La correspondance figure au tableau pour 16.000.000; les colis pour 113.000; 38 bureaux auxiliaires ont été ouverts dans tout le district, qui sous peu seront convertis en bureaux.
Dans la province du Hounan, à l'entour des deux centres de Yo-Tcheou et Tchang-Cha, le service postal a donné de bons résultats: à Tchang-Cha, 1.000.000 de correspondances; les colis par contre ont diminué sensiblement. Ceci est dû probablement à ce qu'on expédie maintenant par le Tonkin les colis destinés au Kouei-Tcheou et au Yunnan.
Du Kiang-Si dont la direction principale est à Kieou-Kiang, on a eu également des résultats appréciables: les bureaux ont augmenté de 61 à 84, et le total des recettes fait supposer que d'ici peu ce district couvrira tous les frais.
Le Bas-Yangtseu.—Cette division, comprenant les provinces du Ngan-Houei, du Kiang-Sou et du Tche-Kiang, donne une augmentation de 42 bureaux, 34 millions d'articles de correspondance et 83.000 colis. Dans le Ngan-Hoei, les districts de Ta-Tong et Wou-Hou font plus que couvrir leurs dépenses et vont sans cesse en augmentant.
Le Kiang-Sou, avec ses quatre centres importants: Nankin, Tchen-Kiang, Changhai et Sou-Tcheou, continue à faire des progrès énormes. En les passant en revue, on trouve que Nankin est en voie de devenir un des bureaux les plus productifs et que, en dépit de la pauvreté si discutée de sa région, l'avenir postal semble devoir être brillant: les opérations en une année se sont élevées de 4.000.000 à 7.000.000. Tchen-Kiang également a été de l'avant, les opérations ayant augmenté de près de 3.000.000 et les recettes balançant presque les dépenses. L'ouverture du chemin de fer de Changhai viâ Sou-Tcheou et Tchen-Kiang à Nankin a bien accéléré les opérations, et il faut rendre ce qui leur revient aux autorités du chemin de fer, qui ont bien voulu donner toutes les facilités pour rendre plus rapide et plus efficace le service postal. Le district de Tchen-Kiang a pris de telles proportions actuellement, qu'un sous-directeur y a été nommé, qui viendra en aide au directeur principal (le commissaire de la douane) trop chargé de travail.
Le principal marché de la Chine, Changhai, continue à prendre un développement postal énorme, ce qui est tout naturel puisqu'il est, grâce aux nouvelles lignes de chemin de fer, de plus en plus en communication avec les autres provinces. Aussi les matières expédiées, correspondances et autres, donnent-elles un chiffre de 51.000.000. Si rapide est l'accroissement dans chaque branche du service postal (lettres, journaux et colis), qu'on croit que le nouvel hôtel des postes, construit cependant tout récemment, sera tout à fait insuffisant pour les besoins du service. Le système des boîtes de ville a donné de bons résultats. Les journaux ont fourni beaucoup: 108 journaux sont édités aujourd'hui à Changhai, contre 80 en 1907.
A Sou-Tcheou les articles postaux sont passés de 3 à 5.000.000, et les colis de 27.000 à 30.000. Cette direction a acquis de l'importance parce qu'elle est devenue le bureau d'échange des courriers venant de Hang-Tcheou, de, et pour Changhai et les ports de la rivière. Les recettes sont très élevées. Les transactions postales de la province du Tche-Kiang sont à la charge des bureaux de Hang-Tcheou, Ning-Po et Wouen-Tcheou (Wenchow). Dans ces trois localités, des progrès satisfaisants ont été notés, et le premier de ces bureaux, celui de Hang-Tcheou (Hangchow), depuis déjà quelques années, couvre ses frais et améliore constamment ses revenus.
La province du Yunnan a aussi donné d'assez bons résultats, malgré les circonstances désastreuses qu'elle a traversées, telles que les révoltes du Tonkin, l'occupation de Ho-Keou (Hokow) par les soi-disant réformistes et la crue anormale de la rivière Rouge en novembre, qui a dévasté Man-Hao et Ho-Keou et causé la destruction du chemin de fer à Yen-Bay et Laokay. Dans le district de Mong-Tseu le chiffre de la correspondance a passé de 855.000 à 1.242.000, et les colis de 9.000 à 25.000. Les dépêches lourdes ont toutes pris le chemin de Haiphong au lieu d'être expédiées sur Yo-Tcheou comme autrefois. Quant à Sseu-Mao et Teng-Yueh, ils ont réalisé tout ce qu'on peut attendre de districts aussi éloignés et aussi inaccessibles.
En 1908, 2.455.000 colis sont passés par les mains de la poste, ce qui représente une augmentation de 535.000 par rapport à l'année précédente. Cette augmentation est surtout remarquable dans les localités suivantes:
| Hankeou | 85.000 | 113.000 |
| Tchen-Kiang | 87.000 | 122.000 |
| Changhai | 302.000 | 317.000 |
| Mong-Tseu | 9.000 | 25.000 |
L'administration estime qu'il y avait 2.229.000 colis ordinaires représentant une valeur de 22.000.000 de piastres, et 216.000 colis assurés pour 14.435.000 piastres et 10.000 autres colis commerciaux d'une valeur de 109.000 piastres. La valeur totale des colis assurés s'est élevée de 3.000.000 de piastres à plus de 14.000.000 de piastres, ce qui est dû à l'obligation d'assurer les colis d'une valeur de 30 piastres et plus. Le commerce par colis des soies de Sou-Tcheou, Nankin, dans toutes les provinces de Chine, continue à être florissant, mais c'est surtout pour la transmission d'objets de nécessité journalière entre les ports et la côte, que le colis postal est employé. Il faut observer une fois de plus que, considérant les conditions de transport par courriers, sur des routes difficiles, pour ne pas dire inexistantes, le prix des colis pour l'intérieur et principalement pour les provinces éloignées du Sseu-Tchuen, du Yunnan et du Kouei-Tcheou, n'est pas en rapport avec les dépenses occasionnées. En général, le service des colis postaux est fait par des chars, des animaux de bât loués dans l'intérieur des districts; mais sur les routes souvent impraticables et toujours pénibles du Yunnan et du Kouei-Tcheou ou du Sseu-Tchuen, les conditions sont telles qu'on ne peut employer que des hommes. Dans beaucoup d'endroits on court des risques par suite du brigandage, bien qu'en général les pillards ne s'attaquent pas aux sacs de dépêches, lesquels sont presque toujours retrouvés.
Les articles de valeur expédiés, consistant surtout en soie, broderies, fourrures, perles, jade, livres, médecines, pilules, vêtements, souliers, conserves alimentaires, objets manufacturés, sont communément envoyés par colis postal. A Sou-Tcheou et Hang-Tcheou, la majeure partie des colis expédiés contenaient des pièces de soie et broderies, se chiffrant respectivement par 21.800 et 38.000. C'est une chose assez ordinaire à Sou-Tcheou de livrer 300 colis par jour, et le chemin de fer a dû faire construire des hangars spéciaux pour arriver à loger la quantité de colis expédiés journellement. Il est à noter que le deuil national à l'occasion de la mort de l'Empereur et de l'Impératrice a, pour un temps, tout à fait arrêté l'expédition des colis postaux. Tous les colis payent un droit, et à Sou-Tcheou il fut perçu une somme totale de 45.000 piastres, soit 25 pour 100 du revenu total du port, et cela sur les colis renfermant de la soie.
A Nankin, la valeur des colis pour l'intérieur est montée de 176.000 à 348.000 piastres. Parmi les colis internationaux reçus à Changhai, 15.500 provenaient des bureaux de poste étrangers.
Les articles recommandés ont passé de 15 à 19 millions.
La poste chinoise possède comme le Japon un service de distribution rapide moyennant une surtaxe. Actuellement ce service ne peut fonctionner dans l'intérieur et sept bureaux seulement en font l'essai. Ce service semble prendre assez bien, puisque de 221.000 lettres délivrées par lui en 1907, il est passé à une distribution de 317.000 en 1908.
Dans le Yangtseu, Changhai et Hankeou sont les deux villes où ce service fonctionne.
Les articles d'argent ont continué de progresser, et, en réalité, plus que ne le désire l'administration impériale des postes qui, avec ses moyens très restreints, trouve ce service bien compliqué et difficile, et ne désire nullement prendre la place des banquiers. Ces opérations sont un sujet d'ennuis constants dus aux risques à courir, en faisant un transport de fonds dans l'intérieur, et aux difficultés du change sur les différentes provinces. Malgré toute l'attention et toute la bonne volonté, toute la vigilance des agents de la poste, il est très difficile, par exemple, d'arriver à une taxe exacte entre les différentes provinces. Néanmoins on a expédié 2.578.000 taels au lieu de 2.221.000 l'année dernière, et la poste a payé 2.570.000 taels au lieu de 2.204.000 en 1907.
Dans beaucoup de provinces il y a encore du terrain à gagner par l'administration postale; ainsi les Sin-Kiu possèdent d'excellents services au Sseu-Tchuen, et le programme à exécuter par la poste impériale dans cette province est d'accélérer les services sur les longues distances, d'établir des courriers de jour et de nuit, comme ceux que l'on va créer entre Wouan-Chien et Tchong-King et Wouan-Chien et Tcheng-Tou; il est nécessaire d'en établir rapidement sur d'autres points importants de la province. Dans le district de Wouan-Chien, une plus grande extension a été donnée aux lignes de courriers vers Tong-Lieng (500 li), Kouei-Tcheou-Fou (90 li), Miao-You-Tsao (90 li), pays qui jusqu'alors n'avaient pas été desservis par la poste impériale. Dans le district de Cha-Che (Shasi), trois nouveaux services ont été inaugurés, le plus important étant King-Meun-Tcheou, dans le nord, lequel promet d'être très fructueux. Yo-Tcheou a été relié avec le district de Tchong-King par Sieou-Chou, et avec le district de Canton par Kou-Yi, à l'aide de nouveaux services au nombre de six, faits par des courriers qui couvrent une distance de 5.600 li.
Kouei-Yang-Fou, capitale du Kouei-Tcheou, à la tête d'un district vaste mais fort peu peuplé, a augmenté le service de ses courriers sur 1.400 li. Kieou-Kiang a de même poussé vigoureusement l'amélioration de son service et y a ajouté treize nouvelles lignes d'une longueur totale de 2.000 li. Wou-Hou a organisé trois nouveaux services; Nankin, deux; Tchen-Kiang, sept.
Dans le district de Mong-Tseu, les courriers couvrent 9.400 li et se rejoignent tous en un seul réseau; l'attention de l'administration impériale a été surtout attirée vers l'amélioration des routes existantes, les plus importantes étant Yuen-Kiang—Sin-Ching qui est destinée à abréger la route Yunnan-Fou—Sseu-Mao, et la ligne de Heou-Yen-Tsing à Yuan-Meou qui évite un détour de 500 li par Yunnan-Fou, à la correspondance qui provient des puits de sel de Houei-Li.
De même que les lignes de courriers par terre, le service par eau se développe également, le total des lignes de navigation intérieure étant passé de 18.500 à 20.500 li. La flottille de Tchong-King—Wouan-Chien, composée de sept jonques, marche très bien, malgré les difficultés et les dangers; l'été dernier l'une d'elles naufragea près de Tchang-Cheou; toutes les dépêches furent submergées, mais finalement repêchées. Le temps moyen pour le voyage en remontant le fleuve est de sept jours; le plus rapide jusqu'à présent a été de cinq jours dix-huit heures. La communauté de Tchong-King est unanime à rendre hommage au mérite de ces hommes qui dirigent les jonques postales, humbles mais loyaux serviteurs qui donnent leur temps, leur force et aussi, malheureusement, quelquefois leur vie à la tâche difficile de piloter leurs bateaux dans les gorges dangereuses et rapides du terrible Yang-Tseu-Kiang. Six d'entre eux furent noyés dans l'été de 1908.
Wouan-Chien, où un inspecteur des postes réside, à moitié chemin entre Itchang et Tchong-King, est le point où convergent les deux services de jonques postales de Tchong-King et d'Itchang; de ces deux services, les sept bateaux allant de Wouan-Chien à Itchang ont fait 160 voyages en 1908, couvrant 326.400 li; et ceux qui courent entre Wouan-Chien et Tchong-King ont fait 180 voyages couvrant 316.000 li. Yo-Tcheou a des jonques postales faisant le service de Tchang-Cha (360 li), de Tchang-Te-Fou (580 li) et de Tchang-Te à Tchen-Yuan (1.510 li), en tout 2.540 li.
Hankeou a ouvert récemment un service entre Tien-Kia-Tchen et Wou-Siue.
Kieou-Kiang se sert d'une jonque pour faire un service de nuit entre Yao-Tcheou et Che-Tchen-Kai.
Tchen-Kiang emploie trente-sept jonques qui font en moyenne 10 li par heure.
Sou-Tcheou possède quarante-deux bateaux sur 837 li et Hang-Tcheou, quarante-quatre sur 2.000 li.
Les chemins de fer, sur lesquels l'administration des postes compte tant pour son développement futur, continuent de couvrir peu à peu le sol chinois, et déjà des lignes d'une certaine étendue relient entre eux quelques-uns des plus grands centres. La voie ferrée pénètre à Hankeou, à Nankin, et ces deux villes reçoivent très rapidement les correspondances d'Europe, grâce à la ligne Hankeou-Pékin. Lorsque sera achevée celle qui doit courir entre Hankeou et Canton, le bassin du Yang-Tseu-Kiang sera admirablement desservi par son port central, Hankeou.
Au Yunnan, la construction du chemin de fer français, terminée complètement jusqu'à Yunnan-Fou, rend un service inappréciable à l'administration des postes.
Une notable portion de la correspondance confiée à l'administration impériale des postes est transportée par des vapeurs entre les ports et dans les endroits qui leur sont accessibles dans l'intérieur; aucune opportunité n'est négligée pour se servir autant qu'on le peut de ce moyen utile et rapide pour accélérer la transmission des correspondances. Sur le Haut-Yangtseu, entre Itchang et Cha-Che (Shasi), les services des compagnies chinoise, anglaise et japonaise sont mis à contribution, et la transmission se fait régulièrement; de courtes interruptions se sont produites cependant en mars et en novembre, par suite de la baisse des eaux de la rivière. Pendant le mois d'août les malles furent confiées à des chaloupes chinoises entre Itchang et Itou; mais cet essai fut malheureux et on dut y renoncer à cause du peu de régularité des voyages de ces chaloupes. Des chaloupes transportent également la correspondance entre Yo-Tcheou et Tchang-Cha. De Hankeou, une vraie flotte de navires de nationalités variées fait le service: anglais, allemands, français, japonais et chinois; des arrangements ont été conclus avec tous pour le transport des malles de l'administration impériale.
Qu'est donc devenu dans tout ceci le service des entreprises particulières? Si, comme on l'a déjà vu, les lettres portées par le service impérial pour le compte de ces agences a dépassé 2.000.000, la conclusion à en tirer est que ces agences indigènes renoncent à leurs propres courriers et se servent du service de la poste; elles limitent leurs opérations à la levée et à la distribution locales. Chaque lettre paye le tarif; donc il est juste de dire que ces agences travaillent pour la poste et lui viennent en aide pour la levée et la distribution de la correspondance. Dans beaucoup de centres, les populations chinoises sont si nombreuses, qu'il faudra des années avant de pouvoir installer la poste officielle d'une façon saine et régulière; les entreprises particulières viennent donc naturellement suppléer au service de la poste, et cela a été une excellente chose de les obliger à se faire enregistrer au bureau de poste le plus proche. Les statistiques prouvent que, en bloc, plus de la moitié des entreprises privées qui existent actuellement ont été enregistrées; le reste continue à ses risques et périls et, comme il est difficile de les rechercher partout et d'avoir recours contre elles à la coercition, on les laisse faire. Elles mourront toutes seules. Des enquêtes ont été entreprises sur la condition présente des Sin-Kiu, et elles ont donné des chiffres intéressants et qui montrent bien la décroissance continue des entreprises particulières, sauf dans les districts montagneux du Sseu-Tchuen et du Yunnan, où cependant elles finiront également par disparaître comme ailleurs.
Les postes étrangères continuent de fonctionner dans les principaux ports ouverts, et notamment, dans le bassin du Yangtseu, Changhai et Hankeou possèdent des bureaux anglais, allemands, français, japonais et russes.
Un bureau de poste français existe aussi à Tchong-King, mais comme ses transactions se bornaient à fort peu de chose, le gouvernement de l'Indo-Chine, duquel il relevait, a décidé sa suppression.
V.—Le télégraphe a été installé pour la première fois dans l'Empire chinois en 1877. Il existait le câble danois à Changhai pour les relations avec l'Europe et l'Amérique, mais aucune ligne télégraphique n'avait touché le sol chinois dans l'intérieur. En 1876, lors des négociations avec la Russie pour l'évacuation de Kouldja, l'Impératrice douairière fut surprise de voir que les réponses à ses demandes ou objections arrivaient si rapidement de Saint-Pétersbourg; le ministre de Russie lui fit comprendre qu'elles venaient par fil jusqu'à la frontière même de Mandchourie, ce qui simplifiait beaucoup les choses, et que les négociations seraient encore bien plus rapides si le télégraphe arrivait jusqu'à Pékin. L'Impératrice se fit expliquer le fonctionnement du télégraphe et ordonna immédiatement de l'installer entre Pékin et toutes les capitales de provinces. Aujourd'hui chaque localité un peu importante possède un bureau télégraphique, et les lignes chinoises sont reliées par le nord aux lignes russes, par le sud aux lignes françaises, et par l'ouest aux lignes anglaises.
Un vocabulaire des principaux caractères usuels a été composé, comprenant environ dix mille signes idéographiques représentés chacun par un groupe de quatre chiffres arabes, de sorte qu'on peut télégraphier en chinois comme en n'importe quelle langue du monde. Ce service étant infiniment plus simple à organiser que le service postal a fonctionné tout de suite d'une façon normale; toutefois, un télégramme de l'intérieur peut quelquefois se faire attendre trois ou quatre jours; car l'employé, qui n'a généralement pas à transmettre beaucoup de correspondances, n'est pas toujours à son poste et en prend à son aise.