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Le Cœur chemine

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III

« Raoul, tu ne sais pas ?… On nous demande Toquette en mariage. »

C’était Nicole qui parlait. Les deux époux avaient regagné la Martaude. Ils avaient dîné. Le soir s’avançait. Un soir presque d’automne, déjà brouillé au dehors d’une pluie fine, qui venait de s’établir. Le chef d’usine, regagnant son cabinet de travail, sa femme l’y avait suivi. — « J’ai une nouvelle à t’apprendre. » Avec une bonne grâce inaccoutumée, il se déclarait tout oreilles. — « Attends seulement que j’allume une cigarette. » Maintenant, il s’adossait à l’appui de la fenêtre, contre le gris brumeux de la nuit, tandis que, sur son bureau, la clarté d’une lampe électrique glissait sous un abat-jour de soie verte.

Un instant à peine auparavant, Nicole avait pris la résolution de lui montrer la lettre de Sérénis.

Et pourquoi ne la lui aurait-elle pas communiquée, puisque, en somme, l’épître était pour lui, du moins officiellement, presque autant que pour elle ? C’est que, à tort ou à raison, la jeune femme soupçonnait Ogier de n’avoir mis que par simple précaution respectueuse les phrases concernant Hardibert. Quel motif aurait l’écrivain pour solliciter l’agrément d’un parrain et d’une marraine sans autorité sur sa fiancée, alors qu’il avait le consentement du père ?… Non, c’était son aveu, à elle, qu’il souhaitait. Par cette démarche, il voulait lui prouver que le passé n’était pas mort, que, sans elle, il ne se croyait pas le droit de disposer irrévocablement de son cœur, ni surtout de le donner à celle qui fut mêlée à leur fragile roman. C’était aussi la permission de la revoir, qu’il implorait, puisque ce mariage le remettrait forcément en relation avec elle… Peut-être était-ce autre chose… Mais, à la dernière alternative, Nicole se refusait de songer. De toutes façons, la réponse qu’attendait son ancien ami d’enfance, c’était un mot d’elle à lui, une entente secrète, pleine d’une douceur amère, effaçant d’un commun accord le rêve d’autrefois, mais avec la mutuelle assurance que nulle rancune ne restait pour en empoisonner le souvenir.

Voilà comment Mme Hardibert interprétait la démarche de celui qu’elle ne pouvait oublier. Les subtiles délicatesses de son commentaire concordaient-elles absolument avec les intentions d’une nature masculine, d’où son hypothèse éliminait l’intérêt et l’égoïsme, — éléments dont elle ne voulait pas tenir compte ?… Berthe Raybois en eût douté. Mais cette impitoyable logicienne n’était plus là. Et, depuis que sa cousine avait repris le chemin de la Martaude, trop d’impressions avaient noyé la remarque, vaine à force d’exagération, où la veuve montrait Ogier sous le jour d’un arriviste brutal.

« La réponse la plus prudente et la plus digne que je puisse lui faire, » venait de conclure Nicole, « est de comprendre sa lettre comme elle est écrite, de la soumettre à Raoul, et de faire connaître à Georget notre décision par mon mari. »

Il y avait, chez cette femme, au cœur toujours à vif, d’autant plus de courage à prendre un tel parti que, malgré l’adroite rédaction de la missive, Hardibert ne manquerait pas de lire entre les lignes. Elle ne pouvait pas croire qu’il n’eût jamais soupçonné Ogier d’être le héros de sa demi-aventure. Il n’en douterait plus après avoir pris connaissance de ce que l’auteur dramatique écrivait. Sans doute, il y trouverait une preuve de sa sincérité, à elle. Mais ces sortes de preuves ne sont pas pour enchanter un mari. Le sien aurait une façon plutôt dure d’apprécier la valeur de celle-là. N’importe ! Toutes les réflexions de Nicole ne l’en amenaient pas moins à cette nécessité. Et qui sait, si, parmi ses mobiles inconscients, ne se glissait pas un peu de ce besoin de défensive à tout prix qui, déjà, lui avait indiqué la franchise envers Raoul comme la plus urgente sauvegarde.

— « Comment !… On nous demande Toquette en mariage ?… » s’exclamait Hardibert. « Mais c’est à son père d’accorder sa main. Et d’ailleurs, la jeune personne nous a trop complètement lâchés depuis longtemps pour que je la suppose très soucieuse de notre opinion.

— Voyons… Sois indulgent… Elle a si gentiment fait sa paix avec nous.

— Soit. Mais, quant à son mariage, nous en a-t-elle seulement soufflé mot ?… Ça s’est donc décidé depuis la semaine dernière ?

— Rien n’est décidé, justement.

— Ah ! on nous attend pour cela ? » dit la voix mordante de Raoul. (Il avait une manière éminemment sardonique de prononcer des phrases de ce genre, qui, fussent-elles plus inoffensives encore de signification, les affilait en lames tranchantes.) Il ajouta : « Et quel est l’heureux mortel ?…

— Une de nos anciennes connaissances, » prononça Nicole avec un accent trop simple pour sembler tout à fait naturel. Et, s’efforçant de rire : « Un lâcheur aussi, suivant ton expression. Mais qui s’en excuse. Lis ceci… Tu verras… C’est le fait de la plus élémentaire politesse. »

Hardibert saisit la lettre, en regardant sa femme avec une soudaine attention. Il avait quitté la fenêtre, et vint s’asseoir à son bureau, pour placer le papier sous la lumière de la lampe.

Lentement, il lut, sans que sa figure, d’ailleurs habituellement impénétrable, changeât le moins du monde d’expression. Nicole se tenait assise sur une banquette, devant la cheminée encore close par la saison. Elle sentait son cœur battre à grands coups dans sa poitrine, et pétrissait l’étoffe de sa jupe avec des mains moites et tremblantes.

— « Eh bien, ma chère, que comptes-tu lui répondre, à ce monsieur ? » fit, après un silence qui lui sembla très long, la voix de son mari.

— « Mais, mon ami, c’est toi qui lui répondras.

— Moi ?…

— Certainement. Ne demande-t-il pas ton avis autant que le mien ?

— Crois-tu qu’il craigne pour moi l’émotion de le revoir, et juge indispensable de m’y préparer avec tant de précautions ?…

— Mais, » s’écria-t-elle, les nerfs soudain raffermis devant l’intention de cruel persiflage, « je n’interprète pas cette lettre dans un sens aussi offensant pour moi. Autrement, je n’en aurais même pas tenu compte, et l’aurais jetée sans seulement te la montrer.

— Oh ! » répliqua-t-il, « tu n’aurais pas fait cela. Les femmes sont trop friandes des occasions de franchise perfide, qui leur permettent de nous ennuyer un peu, tout en prenant d’héroïques attitudes.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Nicole.

Elle se tendait, maintenant, hostile, et le sang glacé. L’ironie dédaigneuse, et surtout l’exaspérante façon de généraliser, de la mettre dans le troupeau « des femmes », sans vouloir entrer dans le détail si personnel de sa propre sensibilité, la froissaient au point de suspendre tout ce qu’il y avait en elle d’intuitif, de doux, de compatissant, l’empêchaient de pressentir la réelle souffrance dont Raoul se trouvait soudain mordu, et que cet orgueilleux cachait sous l’injustice de son agression.

— « Ce que je veux dire… C’est que, si tu tiens absolument, Nicole, à ce que je m’occupe de tes affaires de cœur, tu me trouveras aujourd’hui moins naïf qu’autrefois.

— Toi, naïf !… » s’exclama-t-elle, si stupéfaite de l’expression qu’elle en perdit toute autre idée.

— « Parfaitement. Tu m’as fait jouer un rôle assez ridicule, il y a cinq ou six ans. Je t’aimais, j’ai eu l’air de tout croire, j’ai tout avalé, même les choses les plus pénibles et les plus invraisemblables. Tu me rendras cette justice que, lorsque la réflexion m’a mieux éclairé, je ne suis pas revenu là-dessus, je ne t’ai pas dit ma pensée, je ne t’ai adressé aucun reproche. Ce qui était fait, était fait. Ce qui était dit, était dit. J’ai traversé secrètement quelques mauvais quarts d’heure, en t’épargnant des récriminations inutiles. Mais aujourd’hui, c’est autre chose. Agis comme tu l’entendras, sans assaisonner tes petites machinations romanesques de ce piquant spectacle : la tête que je peux faire en écoutant des confidences superlativement désagréables pour moi. »

A ce discours, une intraduisible angoisse contracta Nicole. Terrifiée et révoltée à la fois par les insinuations qu’elle y saisissait, par la découverte de ce qui avait pu subsister, sans qu’elle s’en doutât, pendant si longtemps, derrière le silence de son mari, elle s’écria :

— « Mais, Raoul, quelle abominable arrière-pensée gardes-tu sur mon compte ?… Dis-la moi, que je puisse au moins me justifier. Comment, tu la conserves par-devers toi depuis six ans, et tu parles de la duplicité des autres !… Je n’ai eu qu’un tort envers toi, c’est d’avoir été trop franche !

— Voilà un tort, » repartit l’impassible Hardibert, « qui ne fermera pas le paradis aux femmes. Elles peuvent être tranquilles.

— Je ne t’ai pas dit la vérité ?…

— Mais si… mais si… C’était la vérité telle que tu voulais qu’elle fût, au moment où tu me la disais.

— Et quelle était la vérité vraie ?… Supposerais-tu que je t’avais trahi ?

— Oh ! ma chère, voyons… Même avec le minimum de tes aveux, c’était tout comme. »

Par un jeu bizarre des combinaisons psychologiques, cette phrase éclata terrible d’évidence dans l’esprit de Nicole. Ce qu’elle repoussait de toute sa force comme l’accusation la plus inique, retomba sur sa conscience, d’un poids accablant, irrécusable. Et pourtant elle le savait, elle le savait bien, elle s’était arraché le cœur pour ne pas devenir infidèle à l’époux, dont le noble caractère, tout à coup, l’avait reconquise. Mais alors, mon Dieu ?…

Elle s’affola. Un de ces mots lui vint aux lèvres, tels qu’en jettent comme une écume à la surface de l’être les convulsions désordonnées et incompréhensibles des profondeurs. Ils n’ont quelquefois pas plus de rapport avec le sens de notre émotion qu’une éclaboussure d’embrun avec les houles de l’abîme. Avant même d’y avoir réfléchi, Nicole répliquait à Raoul :

— « Tu mériterais que je me fusse conduite comme tu oses le prétendre. »

Il la cingla d’une sauvage riposte :

— « Peut-être ce risque m’était-il devenu indifférent. Quand on a cessé de croire à la valeur de ce qu’on possède, on ne prend plus la peine de le garder.

— Mon pauvre ami, » prononça Nicole, que la plus furieuse douleur mit hors d’elle-même, « que sais-tu de la valeur d’une femme ?… Tu la mesures à l’effacement de son caractère, à la platitude de son admiration pour toi. Tu ne lui demandes que des satisfactions d’orgueil. Avec suffisamment de bassesse ou de ruse, la première venue fait de toi ce qu’elle veut. Prends donc le bonheur où tu le trouves : auprès de quelque fille de rien. »

Hardibert, qui secouait la cendre de sa cigarette contre le bord d’une petite coupe en onyx, ne broncha pas. Seulement, un furtif sourire, d’une intraduisible insolence, tendit sa lèvre inférieure, la seule distincte sous la moustache, — une lèvre plate et d’une courbe baissante, découpée étonnamment pour l’ironie.

Quel devait être l’effet d’un tel sourire, répondant à une telle phrase, sur une femme qui avait observé ce que Nicole venait d’observer ce jour-là, qui saignait de soupçons, lesquels, malgré le détachement du lien conjugal, lui causaient une étrange souffrance ! Comment se serait-elle dit que, pour bizarre que fût chez Raoul la conception de l’amour, il ne se consolait pas de ne l’avoir point réalisée en elle, et ne rencontrerait ailleurs, — s’il en cherchait, — que des compensations faites pour aggraver son déboire. L’acuité de son amertume, la férocité même de ce sourire qui blessait d’un fer rouge la fierté de Nicole, auraient pu, et très justement, se traduire en hommages pour une amante qu’auraient satisfaite des triomphes raisonnés et secrets. Mais de semblables triomphes, quand parfois elle en avait l’intuition, semblaient non moins arides à ce cœur féminin que la pire misère sentimentale. Son rêve de bonheur était tellement contraire ! — tout d’expansion, de communion absolue, et du plus total désarmement, dans une passion où quelque coquette eût goûté surtout le plaisir de la petite guerre.

Avec sa façon excessive de sentir, Nicole crut toucher à la limite de ce qu’elle pouvait endurer, tandis qu’elle contemplait, d’une part, ce mari sans doute infidèle, et, à coup sûr, si distant, et, devant lui, ce papier, sujet de la cruelle scène, où s’inscrivait le définitif adieu d’un être trop follement cher, de celui qui, croyait-elle, l’aurait le mieux aimée.

Dans sa pensée, s’affirma, en un trait de foudre, la puissance terrible de la vie, qui, pour faire de nous de pauvres objets de torture, plus pitoyables et pantelants que l’opéré sur une table d’amphithéâtre, n’a pas besoin de mettre en œuvre ses ressorts de drame et ses péripéties d’horreur. Qu’y avait-il de plus effacé, de plus monotone, que son existence ?… Son frêle roman n’eût pas fourni la matière d’un de ces épisodes dialogués où Sérénis enfermait, en deux colonnes de journal, la quintessence de l’amour parisien au vingtième siècle. Qui donc eût vu, dans la tranquille petite Mme Hardibert, si correcte, d’une destinée si unie, si limpide, le type d’une victime passionnelle ?… Le contraste entre son découragement tragique et le paisible décor de ce cabinet de travail, où l’on n’avait même pas besoin d’entrer pour se représenter le spectacle du plus irréprochable et du moins agité des ménages, s’imposa, l’espace d’une seconde, à son âme désolée.

Puis, de son exaltation même, sortit pour elle une espèce de griserie morale anesthésiante, — quelque chose comme l’élan taciturne qui jette au danger un conscrit ivre de peur. Avec un calme surprenant, elle dit à son mari :

— « D’après ta manière d’envisager les choses, tu ne demanderas pas mieux, je pense, que de voir Toquette devenir madame Sérénis ?

— Voilà qui m’est égal, par exemple !

— Raoul, il est un fait que je te prie de considérer. Ces jeunes gens attendent notre réponse. Tu jugeras comme moi, je suppose, que notre dignité l’exige prompte, favorable, et exprimée de telle sorte que nul ne songe à mettre en doute notre parfait accord. »

Rien ne pouvait mieux adoucir le hérissement dont s’armait la nature âpre et secrètement meurtrie de Hardibert, que cette fière netteté à trancher la question. Le ton posé de sa femme détendit ses nerfs, frémissant jusque-là d’appréhension sous la menace des aigres doléances et des pleurs. Il regarda Nicole avec des yeux qu’elle connaissait bien, où luisait une approbation étonnée, un peu moqueuse, mais mâle et forte. Ce n’était pas la chaleur d’estime qui l’eût flattée, apaisée. De lui, elle n’aurait jamais, fût-ce aux minutes révélatrices, une parcelle de ces effusions spontanées qui font fumer le cœur comme d’un encens. Toutefois, il ne marchandait pas son acquiescement adouci quand il constatait l’effort victorieux de la volonté, la maîtrise de soi, le succès de la raison contre le sentiment, toutes manifestations morales qui le séduisaient au plus haut degré.

— « Du moment, ma chère amie, que tu laisses les ergotages inutiles, pour fixer si justement les convenances extérieures, tu me trouveras tout disposé à m’entendre avec toi.

— Je désire, » dit Nicole, « que tu répondes toi-même à monsieur Sérénis.

— Ce sera fait. »

Au fond, il éprouvait de ce résultat une satisfaction véritable. Ce dont il n’eût jamais convenu avec sa femme, ce qu’il se refusait à s’avouer, c’est que la lettre de l’écrivain avait frénétiquement réveillé sa jalousie. Mais la jalousie place trop un être dans la dépendance d’un autre, surtout quand elle se laisse voir, pour que Hardibert la trahît autrement que par d’indirectes attaques. Moins sûr qu’il n’avait eu soin de le faire paraître de la culpabilité ancienne de Nicole, il endurait de ses seuls soupçons des souffrances trop exaspérantes pour ne pas s’en venger en affichant une certitude. C’est en poursuivant cette cruelle représaille, qu’il dit encore, avant de se séparer ce soir de celle qui lui restait précieuse au delà de tout, et à qui nulle grâce ne manquait que de le savoir :

— « J’espère, Nicole, que ton expérience de la fragilité spéciale aux poètes t’inspirera le souci de ce que tu te dois à toi-même, dans les relations très sommaires, mais forcées, où ce mariage va nous mettre avec le futur mari de ta filleule. Il est dans son droit, ce garçon, de trouver qu’une femme de vingt ans et une dot mirifique valent toutes les romances chantées sous les balcons des dames incomprises, que la trentaine attendrit outre mesure. Tu ne peux que l’approuver. Moi aussi. Montrons-lui donc une vague bienveillance, aussi éloignée de l’empressement que du dépit, afin que ce petit monsieur ne se figure pas qu’il nous ait impressionnés en suspendant ses visites. »

Au cœur de la rêveuse de Bruges, ce fut comme un jaillissement enflammé de sang, sous les rudes lanières que maniait ce froid bourreau. Pourtant elle retint même l’habituel battement de ses cils pour lui souhaiter tranquillement le bonsoir.

Le pire était qu’elle ne pouvait le haïr, ce qui eût mis au moins quelque clarté dans l’obscur infini de sa peine. Mais non. Elle n’arrivait pas à cesser de percevoir, sous les méchancetés expertes, comme quelque chose qui gémissait enfantinement dans le lointain de cette âme altière. Elle avait, elle si simple, ce qu’il n’avait pas, lui si averti : une sensibilité intuitive à laquelle n’échappait point assez complètement la douleur éparse dans les autres. De sorte que nulle rancune ne lui offrait l’entière saveur de son fruit amer. Elle craignait trop les vibrations intolérables par lesquelles le mal qu’elle oserait rendre se répercuterait en elle-même. D’ailleurs, ne savait-elle pas ce que valait, au fond, Raoul, quel être de droiture, de générosité, d’intelligence, de fière indépendance, il était ? N’avait-elle pas désespérément essayé de rattacher sa vie intime à celle de ce compagnon de sa vie extérieure ?… Pourtant l’abîme s’élargissait davantage. Elle allait connaître désormais la hantise de la trahison. Comment supporterait-elle, jusqu’à la vieillesse, qui lui paraissait plus loin que la mort, l’hiver prématuré du cœur, dont tout son être frissonnait ?… Quelle conclusion donner à sa tristesse inutile ?… Était-ce donc vrai, ce que disait Berthe, que le bien peut engendrer le mal ?… Que nos morales savantes ne font que déplacer la somme inéluctable des iniquités ? Et que, dans l’incapacité de prévoir, nous devons répandre de la beauté et de la bonté, comme les fleurs épanchent leurs parfums, sans prétendre ajouter du mérite à nos actes ?…

Mais alors ?… La leçon des jours qui passent, de la vie qui se déroule, du cœur qui chemine, allait-elle lui apprendre qu’il eût été meilleur de goûter l’amour interdit, d’échanger un peu de beauté, un peu de tendresse, un peu de volupté, avec l’être le plus capable d’en recevoir d’elle et de lui en donner ? Au moins elle garderait à jamais un enivrant souvenir !…

« Et je vais revoir Georget !… » se dit Nicole, tandis qu’elle pleurait, cette nuit-là, sur son oreiller fiévreux, les larmes, ruisselantes éternellement, de l’humaine incertitude.

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