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Le Cœur chemine

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II

Sur le large Promenoir, qui domine l’Escaut, ils n’aperçurent pas tout de suite Raoul Hardibert. Cependant, aux approches de midi, en ce brillant jour de juin, les flâneurs étaient rares sur les dalles étincelantes. D’un coup d’œil, on les distinguait tous, parmi les miroitements d’eau et de soleil, dans l’éclat du lumineux décor.

Les beaux yeux un peu myopes de Nicole, d’un mauve plus délicat parmi l’ardeur des reflets, scintillaient avec inquiétude entre les lourds cils rapprochés.

— « C’est curieux. Et nous sommes en retard. Lui si exact !

— Monsieur Hardibert est peut-être entré au café, là-bas, pour fuir la chaleur.

— Voulez-vous que j’aille voir, marraine ? »

Sans attendre la réponse, Toquette se trouvait à dix pas, filant vers l’extrémité du Promenoir. Sa marche bondissante de fillette l’emportait avec une liberté souple de jeune animal. Dans la clarté, ses cheveux d’or flambaient.

— « Toquette !… » rappelait Nicole. Et contrariée : « Elle ne va pas entrer dans ce café toute seule, j’imagine. D’ailleurs, certainement, Raoul n’est pas là.

— Je vais vous la ramener, madame. »

Les longues enjambées de Sérénis n’atteignirent Victorine Mériel que sous la tente de toile abritant les petites tables. Elle ne s’y arrêtait pas, entrait bravement dans la salle, dont la fraîcheur relative retenait quelques consommateurs autour des chopes de bière.

— « Mademoiselle Toquette, attendez-moi ! »

Il la vit plantée, un rire d’espièglerie aux lèvres, devant quelqu’un qui, lui faisant face pourtant, ne la voyait pas.

Tout de suite, les souvenirs d’Ogier se réveillèrent. Des images internes surgirent, s’adaptant à la physionomie apparue. Il reconnut le directeur de la Martaude.

L’ingénieur s’accoudait à la petite table en bois ciré. Sa main droite, armée d’un crayon, reposait sur une feuille couverte de croquis et de chiffres. La face levée, le regard direct, mais absent, il semblait avoir perdu toute notion de la scène extérieure. A côté de lui, son verre de bière, où s’éteignait la mousse, n’avait pas été touché.

Ce visage caractéristique apparaissait en plein, Hardibert ayant retiré son chapeau. Une belle tête, malgré la quarantaine dépassée, grisonnant les cheveux drus, aux racines droites. Un profil sec et brusqué, plein d’énergie. Une élégance de proportions qu’accentuait la barbe finement coupée, en pointe. Une stature qu’on devinait haute, bien que l’homme fût assis. Quelque chose de martial dans l’ensemble, qui, sous l’uniforme, se fût dessiné en une allure superbe. Mais Raoul n’était pas un soldat, c’était un savant. Ce que le métier militaire, avec ses habitudes d’âme et de corps, eût ajouté d’aisance, de netteté, de hardiesse, à ses gestes et à ses traits, lui manquait pour être tout à fait le beau cavalier qui semblait taillé en sa personne. L’empreinte professionnelle se marquait, inverse. Les épaules un peu étroites pour ce corps bien découplé, se voûtaient légèrement. La distraction perpétuelle du regard mettait une atonie presque morne dans les prunelles foncées, — des prunelles de cette catégorie qu’on nomme « de velours », mais qui, justement, n’avaient pas la moelleuse douceur de leur nuance, ni la voluptueuse humidité où nage d’habitude leur ardeur orientale. Ces yeux-là, durs et clos sur la pensée intérieure, déconcertaient par le contraste entre leur désintéressement de toute séduction et ce qu’on pourrait appeler leur vocation de conquête. Plusieurs cœurs de femmes y avaient trouvé un tragique déboire. Et moins sentimentale encore que les yeux était la bouche, aux lèvres bien tracées, mais plates, tendues de réflexion quand elles ne s’amincissaient pas d’ironie, s’affilant au bord comme le tranchant d’une lame.

— « Eh bien, parrain ?… » fit Toquette, lui mettant sous le nez sa frimousse de malice.

Hardibert tressaillit, la regarda vaguement, puis, d’un seul coup, prit conscience.

Sérénis, qui l’observait avec sa préoccupation de psychologue, remarqua ceci : la réaction agressive du premier mouvement :

— « Allons… quoi ?… Fais donc attention… tu vas renverser cette bière…

— Oh ! parrain grognon… »

Aussitôt, dans la barbe brune, un sourire s’esquissa, vraiment doux, quoique teinté de raillerie et de hauteur. Dans cette nature, la bonté foncière ne montait pas spontanément à la surface. Sans méchanceté vraie, le caractère se révélait pénible, presque intolérable pour les natures tendres.

Toquette n’était pas une tendre. Elle ne s’effarouchait ni ne se blessait, se sachant quand même en faveur. Aussi réussissait-elle admirablement auprès de ce rude, qui n’admettait pas qu’on ressentît trop ses rudesses.

— « Comment, parrain, vous me recevez mal, quand je vous déniche loin du rendez-vous ! Sans moi, marraine vous attendrait longtemps sur le Promenoir.

— J’y suis, sur le Promenoir.

— Non, dans le café.

— Ne sois donc pas déjà si femme par l’ergotage, Toquette. Le café fait partie du Promenoir, c’est la même chose. »

Elle ne répondit pas, trop maligne pour le contrarier, pour souligner ce qui se devinait, que Hardibert, entré là un instant pour inscrire quelque note, s’était oublié dans ses calculs. D’ailleurs, Ogier s’approchait.

— « Monsieur Sérénis, parrain. Vous savez… le poète en herbe de marraine… »

Cette bizarre présentation devait rappeler une taquinerie à l’adresse de Nicole. Ogier n’eut garde de s’en formaliser. L’amie d’enfance s’exposait donc, par quelque partialité pour lui, à de petites escarmouches intimes ?… Quant à Raoul, la définition de sa filleule lui parut sans doute opportune pour restreindre toute prétention chez le jeune inconnu.

— « Parfait… Très bien… » prononça-t-il d’un ton si distant que Sérénis, malgré tout ce qui le captivait, faillit prendre congé sans retour. Mais, tout à coup, le directeur de la Martaude parut se souvenir. « Ah !… n’êtes-vous pas le fils de mon pauvre collègue Selni ? »

Ogier pâlit, étreint par le souvenir, si poignant dans une telle bouche. Pour lui, toutefois, la mort de son père restait un accident auquel l’ancien rival demeurait étranger. Coïncidence douloureuse, non pas motif de haine. Il s’inclina, muet, mais sans hostilité.

Hardibert lui tendit la main.

— « Très heureux de vous retrouver, jeune homme. La Martaude est toujours votre maison. Pourquoi ne vous y voit-on plus ? »

Il ne s’aperçut pas du silence froissé d’Ogier, qui rougissait maintenant, après avoir pâli, son émotion dégonflée sous la piqûre d’amour-propre de s’entendre appeler « jeune homme ».

Tous trois sortaient sur le Promenoir. Et rien n’exista plus pour le poète que cette jolie vision : Nicole venant au-devant d’eux, dans son frais costume de toile, à blouse de linon, son délicieux visage aux bandeaux sombres, affiné, et comme nacré, par la transparence lilas de son ombrelle, dans la vibration dorée de la lumière éparse. Autour d’elle, le vide clair et bleu du fleuve, où se hérissaient des mâtures. Sur l’eau aveuglante, les étraves brunes semblaient briser des miroirs étamés d’or. Une sirène cria. Dans la nerveuse perceptivité de Sérénis, toutes ces impressions s’enregistraient. Tandis que Hardibert, l’esprit encore absorbé par le problème poursuivi tout à l’heure, ne prenait des choses qu’un contact vague et importun.

— « Où étais-tu donc, Raoul ? » demanda la jeune femme.

— « Mais… où tu m’avais donné rendez-vous, ma chère… » riposta le mari d’un ton cassant.

Ce n’était rien, cette réponse, même dans l’enfantillage autoritaire de vouloir couper court à tout reproche sur un manque d’attention. C’était si peu de chose pour une Toquette, par exemple, que celle-ci fit un signe à sa marraine, en haussant les épaules, comme pour dire : « Vous seriez vraiment trop déraisonnable de regimber le moins du monde ou de prendre cela à cœur. » Mais il est des natures pour qui ces petits dénis de justice deviennent cruellement sensibles, surtout lorsqu’ils se répètent à tout propos. Un besoin intense d’équité, jusque dans les moindres choses, les leur rend insoutenables. Et ceci était si vif chez Nicole, que, malgré sa douceur, elle parvenait rarement à retenir, dans des cas semblables, une récrimination plaintive. Si, en ce moment, elle se taisait, semblant obéir à la pantomime insouciante de Toquette, c’est qu’elle contenait un frémissement de chagrin autrement aigu qu’à l’ordinaire. Jamais l’accent impératif avec lequel lui parlait ce mari tellement plus âgé qu’elle et d’une personnalité despotique, ne lui avait ainsi heurté le cœur. Voilà donc le premier mot qu’il trouvait à lui dire devant Ogier Sérénis !… Une divination de la délicatesse, de la minutie tendre que le jeune homme devait apporter dans toute affection, lui fit s’exagérer cette brusquerie conjugale, dont il s’étonnait sans doute et la plaignait outre mesure. Malgré tout, elle n’était pas une femme malheureuse. Pourquoi s’avisait-elle, cette fois, qu’elle pouvait en avoir l’air ? Et pourquoi en ressentir une mortification spéciale devant un tel témoin ?

Tel fut pourtant le genre d’impression qui, tout de suite, prédomina chez elle, et lui gâta un peu la joie de cette matinée. Dès la traversée de l’Escaut, sur le petit vapeur, Hardibert montra, d’une façon qui parut à sa femme plus manifeste qu’à l’ordinaire, l’extériorité acerbe de sa nature et le goût singulier qu’elle lui connaissait, non seulement d’avoir raison pour les plus négligeables choses, mais surtout de mettre les gens dans leur tort.

— « Je m’assieds ici pour ne pas avoir le soleil, » avait-elle déclaré.

— « C’est la place où il donne le plus, » affirma-t-il aussitôt.

Déroutée un instant, elle reprit :

— « Ah ! tu penses que le bateau va tourner ? »

Sans s’expliquer, il eut un demi-sourire dédaigneux, qui faisait aussitôt souhaiter, comme une chance des plus désirables, que le bateau ne tournât pas, ou pas assez du moins pour que la marge d’ombre quittât le banc choisi. D’aussi minces détails prenaient, malgré qu’on en eût, l’importance d’une revanche à obtenir sur cet interlocuteur agressif.

Le « Tu vois, ma pauvre petite. Ah ! dame, il faut connaître un peu les quatre points cardinaux », dont il ridiculisa la déroute de Nicole, quand, le bateau ayant effectivement viré, elle eut aux épaules la tape brûlante du soleil, fit sentir à la jeune femme ce malaise désagréable qu’on éprouve à paraître se vexer d’un incident auquel on ne voudrait attribuer aucune importance. Elle eut conscience d’un énervement sur son visage et dans sa voix, tandis qu’elle essayait de rire en disant à Sérénis :

— « Pourvu que mon grand homme de mari ne vous fasse pas trop l’effet d’un savant rébarbatif… Vous auriez peur de venir à la Martaude. Mais, je vous assure… il n’est pas si terrible qu’il veut en avoir l’air. »

Ogier, dans les yeux couleur d’hortensia, qu’ombrait la palpitation nerveuse des cils, distingua le gracieux mouvement d’âme. Le mari, lui, n’y vit qu’une manière détournée de le traiter en tyran, et, content d’atteindre d’une même cinglée de raillerie celui qu’il jugeait une jeune nullité prétentieuse, il prononça :

— « Voyons, ma chère, si femme que soit un poète, monsieur Sérénis ne l’est pas, j’en réponds, au point de me juger terrible parce que je me permets de remarquer humblement qu’il n’y a pas d’ombre en plein soleil. Ah ! jeune homme ! » continua-t-il, sans que l’écrivain, trop intéressé, sourcillât cette fois sous l’épithète, « heureusement que les lois de l’univers échappent au caprice des femmes ! Des petits êtres, si faibles qu’on les briserait d’une chiquenaude… Elles ont un instinct de domination qui n’admet pas l’obstacle. Aucun sens des nécessités. Dire que ça réclame des droits politiques !

— Dites donc, parrain… Si les hommes s’en servent tous bien, de leurs droits politiques, et s’ils ont tous le « sens des nécessités, » interpella Toquette, qui enfla comiquement la voix sur ces trois mots, « pourquoi qu’y a tant de révolutions et de guerres civiles, et si assommantes à apprendre dans les bouquins d’histoire ?

— Toi, retourne donc à l’école te faire coiffer du bonnet d’âne, » dit le savant, dont les doigts secs, aux jointures fines, d’homme de race et d’homme d’étude, pincèrent une oreille de l’effrontée.

Subitement, il se détendit. Tous riaient. Voilà ce qui lui plaisait… Qu’on lui ripostât, qu’on eût l’âme assez élastique pour rompre devant ses estocades, pour narguer ses coups de boutoir, pour lui nier à lui-même une âpreté dont il n’admettait pas toutes les conséquences. Mais il fallait à ce jeu l’indépendance du cœur. Les promptes meurtrissures de Nicole, qu’il jugeait irritantes et absurdes quand il en prenait par hasard conscience, naissaient d’un rêve de sentimentalité qui s’acharnait. D’un tel rêve, au temps de sa virile jeunesse, quelques femmes, tour à tour, s’étaient déprises. Son noble visage, où l’amertume coutumière ne gravait pas encore son pli, où la vertigineuse cérébralité ne jetait pas encore son voile, les avait séduites. Sa hauteur les avait piquées. Chacune crut atteindre une tendresse lointaine, et d’autant plus profonde, chez ce philosophe aux attitudes misogynes. Toutes firent l’expérience de l’irrémédiable malentendu entre cette nature, pourtant affectueuse, et le vœu féminin d’amour. Hardibert la fit également, successivement, sans jamais convenir, même au secret de lui-même, qu’il y eût de sa faute. Il en prit une idée plus définitive, plus solidement ancrée, de la déplorable infériorité des femmes. C’étaient de petits animaux qu’on devait dresser comme les autres, avec un peu de sucre et beaucoup de cravache. Mieux encore, il fallait les enfermer, suivant la sagesse orientale, dans les harems, puisque c’était le seul moyen qu’elles ne prissent pas la clef des champs. Quant à d’autres clôtures, enveloppement de compréhension, palissades de caresses, liens de grâce, chaînes dévouées qui enserrent d’autant mieux que le cœur captif est d’essence plus haute, il en méconnaissait l’efficacité, citant pour exemple quelques basses courtisanes épousées par passion, chez qui le rédempteur avait rencontré plus d’infidélité que de reconnaissance.

Tel était, au point de vue sentimental, ce Raoul Hardibert, amoureux notoirement inférieur, mari loyal, directeur énergique, maître redoutable et généreux, homme de chatouilleux honneur, de fierté âcre, de caractère détestable, ingénieur de premier ordre.

Nicole Dervangeaux, à dix-huit ans, l’épousa, éblouie. Par son père, depuis que Raoul était entré à l’usine, l’admiration s’instillait en elle. Engoué de ce génial collaborateur, le vieux chef de la Martaude, volontairement ou non, suggestionna sa fille. Le physique, si séduisant de gravité pour cette jeune isolée aux songeries altières, ne faisait que gagner par la quarantaine approchante. Nicole avait au cœur cet instinct, fait tout ensemble d’humilité et d’orgueil, qui porte certaines adolescentes, toutes sérieuses de passion ignorée, vers les hommes de seconde jeunesse ou même mûrs. Elles souhaitent leur domination, pour s’anéantir délicieusement sous leur volonté forte, et elles sont flattées de les émouvoir. Quant à Raoul, jamais il n’avait éprouvé la sensation de son prestige autant que sur cette enfant. Et c’était là, outre l’attirance d’une créature fraîche, désirable et charmante, sa plus vive, et presque son exclusive notion de l’ivresse sentimentale.

Ce fut donc un mariage d’amour, dont l’amour était absent : chez l’épouse, par ignorance virginale, chez l’époux, par une ignorance toute différente, mais plus absolue, puisqu’il y manquait la vocation, l’intuition, le vœu secret de l’être vers une harmonie merveilleuse.

Aujourd’hui, après six ans d’irréprochable union, rien n’était changé. Raoul et Nicole s’aimaient, dans les mêmes rapports de protection et d’admiration, de prestige et d’aveuglement, sans que l’une se fût éveillée, ni que l’autre se fût converti à ce qui fait d’un couple humain l’unique chose d’extase, envolée et planante, que symbolise la vision passionnée d’Alighieri : « Ces deux qui vont ensemble et paraissent au vent si légers… »

Ni l’un ni l’autre ne s’en doutaient, d’ailleurs. Il se peut que Nicole eût souffert du caractère de Raoul, mais ces contrariétés d’existence n’intéressaient pas, — elle l’eût juré, — le fond de ce qu’elle croyait son bonheur.

Ce matin, au bord de l’Escaut, dans ce midi d’argent et d’or, où pleuvait un peu d’azur pâli de lumière, pourquoi donc le sourire pincé d’amertume aux lèvres d’Ogier, et la caressante tristesse de ses yeux, lui firent-ils penser qu’il pouvait secrètement la plaindre ?…

— « Sais-tu ce que tu ferais, Raoul, si tu voulais être tout à fait gentil ?… » dit-elle, sans se rendre compte du paradoxe entre l’expression mignarde et la force ample et rêche d’une telle nature. « Eh bien, tu nous accompagnerais demain à Bruges.

— Demain ?… oh ! impossible… J’ai deux rendez-vous d’affaires.

— Ici ?

— Le premier, oui. Le second, à Bruxelles. Il était convenu, n’est-ce pas ? que vous me rejoindriez le soir à Bruxelles.

— Veux-tu que nous remettions ?

— Et à quand, ma chère ?… Je dois être après-demain de retour à la Martaude. »

Il ajouta :

— « D’ailleurs, Bruges, tu sais, ma petite, je connais ça. »

Le dernier monosyllabe, d’une si leste indifférence, fit lever les sourcils à Sérénis. Au mot de « Bruges », il avait tressailli. La veille, il s’y attardait encore, captif d’un charme pareil à celui qui nous retient, déchirés, haletants, curieux jusqu’au sacrilège, devant le visage d’une belle morte. Ce nom le remua comme celui d’une maîtresse quittée. Puis, tout de suite, la piqûre d’un désir : s’il pouvait y retourner avec Nicole ! Déjà le déjeuner s’achevait. Dans un instant il n’aurait plus aucun prétexte pour rester auprès d’elle. Et, par avance, il pressentait sa solitude désorientée quand aurait disparu le doux visage mat aux bandeaux sombres, quand il lui faudrait renoncer à surprendre la vraie nuance et la secrète pensée des yeux mauves, des yeux dont l’indéchiffrable clarté l’intriguait si fort, derrière la grille vite interposée des cils trop longs.

— « Alors, » disait Nicole à son mari, « tu crois que je serai désappointée, moi qui me figure rencontrer à Bruges des impressions extraordinaires ?

— Désappointée ?… Oh ! je ne pense pas. Tu y verras tout ce que tu attends, tout ce que les romans et les poèmes t’ont préparée à y voir. Les choses n’ont aucune importance. Crois-tu, ma petite femme, que tu puisses dégager un aspect réel hors de son effet préconçu ? Ne te tourmente pas, va. Cette pauvre ville ne fera qu’illustrer tes lectures. L’impression des tirades évoquées l’emportera toujours sur celle de l’image. »

L’ironie, plus haute et plus voilée qu’à l’ordinaire, laissa Nicole perplexe. Ogier demanda, non sans une ironie égale :

— « Et quel est, monsieur, l’aspect réel que vous avez distingué dans Bruges, hors des travestissements littéraires ?…

— Je n’y eus aucun mérite, monsieur, » répliqua l’ingénieur, en butant contre lui ce regard fermé dont il annihilait un interlocuteur. « Je ne pouvais apercevoir que la réalité, n’ayant jamais eu le temps de me composer d’avance des impressions artificielles. Je n’avais lu aucune description de cette petite ville. Je ne l’ai trouvée ni plus silencieuse, ni plus suggestive, qu’aucune autre cité provinciale restée en dehors des grandes voies de communication modernes. On y rencontre quelques curiosités architecturales, plus singulières qu’harmonieuses. Les maisons à pignon y sont celles de tous les Pays-Bas. Des canaux devenus inutiles y croupissent. L’existence doit y être mortelle d’engourdissement, de préjugés féroces, de cancans venimeux. Ceux mêmes qui l’ont le mieux chantée ont eu soin de la fuir.

— Et les Memling, parrain ? » demanda Toquette, avec un air sagace et pénétré, comme si elle ne tirait pas cet à-propos d’une récente étude de Bædecker.

— « Quoi, les Memling ?… Ah ! les enluminures de cette châsse, à l’Hôpital Saint-Jean. Mon Dieu ! c’est intéressant pour l’étude de l’art primitif. Mais si c’était beau en soi, on peindrait encore de cette façon. Tandis qu’on se garde bien de donner aux femmes ces silhouettes de poupées à ressort, qui dénotaient une ignorance absolue de l’anatomie. Ou nous avons l’idéal de ces gens-là, ou nous avons le nôtre. Alors, pourquoi produire des œuvres différentes, ou pourquoi simuler leur façon de sentir ? Leurs contemporains, dont ils fixaient pourtant le rêve, se pâmaient moins que nous. Ces imagiers furent considérés de leur temps comme des artisans ingénieux et pittoresques. Pas davantage.

— Vous avez raison, monsieur, » dit Ogier, tandis que, dans un rapide coup d’œil, il souriait à la stupeur causée à Nicole par cet acquiescement. Il devinait le trouble de sa fine nature instinctive, capable d’éprouver, mais sans en concevoir l’analyse, et surtout sans en pouvoir rendre compte, des communions frissonnantes avec les œuvres chargées d’âme. Il devinait l’étouffement, par le positivisme scientifique du mari, des velléités qu’elle-même jugeait un peu ridicules en son impuissance à les défendre. Et aussi sa crainte gentille d’un froissement pour le poète, dans des théories qui réduisaient la poésie à un amusement charlatanesque. « Oui, vous avez raison, » répéta-t-il, diverti de la sentir interdite mais rassurée par sa complaisante réponse, « il n’existe certes pas, ni dans ce décor de ville dont vous parlez, ni dans ces naïves peintures, tout ce que nous autres, les faiseurs de chimères, nous y avons mis. Ou, du moins, cela n’y existait pas jadis, avant que des siècles de douleurs et de joies humaines, de rêves et de désirs humains y eussent collaboré. Mais maintenant, ça y est. Nul ne peut plus contempler ces choses, dans leur beauté simple, qu’à travers le prisme de beauté compliquée fait de toutes les larmes d’admiration des poètes et chatoyant de tous les rayons de leur enthousiasme. Est-ce une raison pour les dédaigner, ou bien, au contraire, comme je me le figure, pour les goûter plus profondément ? Si, demain, madame Hardibert est émue, soit devant la légende de sainte Ursule, soit au détour d’un canal solitaire, en écoutant carillonner le vieux Beffroi, chicanera-t-elle son émotion, sous ce prétexte que cette émotion lui fut suggérée par des écrivains ? N’est-ce pas notre seule raison d’être, à nous autres : toucher au fond du cœur des hommes la fibre qui ne vibrerait pas sans nous ?

— Oh ! c’est chic, ça ! » cria Toquette.

Tout le monde rit, excepté la fillette elle-même. Prise par l’intonation grave et modulée de Sérénis plus que par le sens des paroles, — inaccessible pour elle, — ébranlée dans sa sensualité inconsciente par la cadence des phrases et la grâce, vaguement sentie, de l’idée, elle exhalait sa délectation sous une forme gamine, mais avec la plus sérieuse sincérité. Ses yeux d’or pétillaient dans sa frimousse irrégulière. Sa lèvre sinueuse et retroussée laissait voir des quenottes friandes, entre lesquelles frétillait une langue rose, comme d’une chatte qui vient de laper de la crème.

— « Voilà bien le nanan qu’il faut aux femmes, » observa Raoul, plus sensible au mutisme ravi de la sienne qu’à la pétulante adhésion de Toquette. « Des mots… des apparences… l’illusion. Mettez-leur de la poésie sur les choses, monsieur, comme on met aux petites filles de la confiture sur leur pain. N’empêche que le fait substantiel, comme le pain, est la vraie nourriture du monde. »

Il offrit un cigare à Ogier, qui refusa, d’un mouvement de tête et d’un sourire.

— « Vous ne fumez pas ?

— Bien rarement. Une cigarette de temps à autre… »

Et il passa le doigt sur sa longue moustache, par une association d’idées inconsciente. Comment se résoudre à saturer d’un relent âcre et caustique cette soyeuse complice du baiser ?…

On quitta la table et la terrasse surplombant le fleuve. Ogier ramena la conversation au point qui l’intéressait.

— « Ainsi, madame, vous allez à Bruges, demain, avec mademoiselle Toquette ?

— Oui, je m’en réjouis follement.

— Je m’en réjouirais autant à votre place.

— Vous aimeriez retourner à Bruges ?

— Je n’y ai pas encore été. »

Il débita ce mensonge avec la plus franche lumière dans le bleu intense de ses yeux. N’avait-il pas vanté, à propos du sonnet de Plantin, les déguisements subtils, somptueux, ou simplement nécessaires, de la pensée ?… C’était sans remords qu’il déguisait la sienne, surtout par une duplicité tellement inoffensive. L’exercice de ce droit, — comme de tous les droits individuels, — lui semblait n’avoir de limites que le tort fait à autrui.

Nicole s’étonnait. Hardibert lui-même, qui les précédait vers le quai, se retourna.

— « Vous arrivez donc seulement en Belgique ?

— Mais oui. Je n’ai visité que Bruxelles.

— Et, » railla l’ingénieur, « vous avez donné à Anvers, vulgaire réceptacle de vivants, le pas sur votre ville de mirage et de fantômes ? »

Prestement, Sérénis para l’objection.

— « J’ai trouvé qu’il faisait trop beau temps. J’attendais le premier jour gris, pour voir Bruges avec sa vraie couleur.

— Vous attendrez longtemps, » observa Toquette. « Le baromètre est en hausse. Je l’ai regardé ce matin, à l’hôtel. »

Malencontreuse gamine ! Lui qui comptait sur elle pour proposer, avec le sans-gêne de son âge, qu’il les accompagnât. Il reprit :

— « Malheureusement, mademoiselle, je n’ai plus le loisir de remettre beaucoup cette visite. »

Il rencontra le regard de Nicole. Aussitôt elle rougit, comme s’il pouvait y voir, — et il l’y vit, grâce à cette rougeur, — un souhait que sa réserve féminine l’empêchait d’exprimer.

Il tressaillit d’aise, et balbutia :

— « Si le vieux camarade que je suis osait se permettre… »

A sa grande surprise, ce fut Hardibert lui-même, dont l’humeur peu accommodante l’inquiétait, qui vint à son aide.

— « Accompagnez donc, demain, ces dames, chevaleresque poète, » dit-il, avec la sorte de bonhommie agressive qui lui était spéciale. « Comme cela, elles ne m’en voudront pas trop de les laisser encore faire une excursion sans moi. »

Fut-ce la joie de cette permission qui fit apprécier à Sérénis la simplicité vraie, la confiante loyauté de la phrase ? Il découvrit tout à coup, sous l’écorce bourrue de Hardibert, quelque chose de sincère et de droit jusqu’à la candeur. C’était la pensée toute claire du directeur de la Martaude, ce regret d’avoir encore dû refuser à Nicole de la conduire à Bruges, et cet aveu impliqué dans le mot « chevaleresque poète », que le jeune écrivain décadent jouerait mieux que lui le rôle de cicerone dans la ville compliquée de passé et de songe. La sécurité conjugale, évidente et absolue chez ce mari, si tracassier d’autre part, ne manquait pas de noblesse, et restituait à Nicole beaucoup du respect qu’on ne sentait guère dans sa façon leste et autoritaire de la traiter.

Et c’était bien, en effet, la hauteur de sa propre nature qui préservait Raoul de la mesquinerie du soupçon. Mais c’en était aussi la sécheresse. Malgré ce qu’ils avancent sur l’infériorité, sur la fragilité des femmes, ce ne sont pas les hommes les plus sévères à leur égard qui sont le plus jaloux d’elles. La jalousie, à moins d’être un bas mouvement d’égoïsme vaniteux, — et Raoul valait trop pour cette petitesse, — naît de la passion, s’attise de ses idôlatries comme de ses inquiétudes. Le dévot d’amour croit à chaque instant l’univers entier attentif à lui soustraire un bien qui lui paraît incomparable. Celui qui adore la femme, en dépit de ses défauts, — ou peut-être à cause d’eux, — est aussi celui qui pressent le mieux les frissons d’une sensibilité si prompte, et qui redoute le plus pour celle entre toutes chère, les vertiges de pitié, d’illusion, de caresse, où se prennent les meilleures, — plus rarement, mais plus irrémédiablement, que les pires.

Hardibert n’était pas occupé de sa femme assez en amoureux pour être jaloux d’elle. Il ne la voyait pas avec un désir assez assidu pour évoquer frénétiquement le désir des autres. Il n’avait pas assez l’intuition de ce qui existait en elle, à son insu à elle-même — petites souffrances en éveil, songes assoupis, goût éperdu de la volupté tendre, — pour imaginer que la tentation pût la surprendre par des aspects de beauté. Selon lui, elle ne verrait jamais que les côtés répugnants de la faute. Et, quel que fût le scepticisme misogyne de ce raisonneur sans souplesse, il ne doutait pas une minute que devant la laideur brutale de la trahison, Nicole ne se détournât avec horreur.

D’ailleurs, il ne s’en disait pas si long. Comme toutes les forces profondes qui dictent nos attitudes et suggèrent les explications que nous nous en donnons après coup, ces sentiments demeuraient inconscients chez Hardibert. Ils n’apparaissaient que par leurs résultats, en opinions dans sa pensée, en direction dans sa conduite.

Sur le bateau qui les ramenait à la rive droite, tandis que, machinalement, leurs yeux suivaient, contre le ciel blanc de lumière, ce trait d’union entre le monde et l’infini qu’est la flèche de la Cathédrale, on décida que ces dames prendraient, le matin suivant, un des premiers trains pour Bruges, et qu’elles retrouveraient M. Sérénis à la gare.

— « Vous me rejoindrez à Bruxelles dans la soirée, » dit Hardibert. « Cependant, si cela vous est trop difficile, ne revenez qu’après-demain matin, puisque je ne puis, de toutes façons, reprendre qu’un train d’après-midi pour notre retour en France. Vous n’avez plus rien à voir à Bruxelles. J’emporte vos malles, que vous fermerez tout à l’heure. Prenez donc votre temps. Je me rappelle avoir très bien dormi à Bruges, dans un certain Hôtel des Pays-Bas, rue du Nord-Sablon. Mais, » — et il se tourna vers Ogier, — « j’espère bien que monsieur Sérénis ne se croira pas obligé d’accepter en tout votre programme. »

Si le jeune poète, à l’esprit poivré de parisianisme libertin, crut d’abord voir dans ces paroles une interdiction de descendre au même hôtel que les voyageuses, il en revint aussitôt. Déjà il comprenait mieux la nature acerbe, mais sans bassesse, de Hardibert. Jamais celui-ci n’eût fait à sa femme, ou à lui-même, le tort d’un tel scrupule. La seule circonstance que Nicole promenât avec elle une grande fillette comme Victorine, lui semblait une sauvegarde parfaite, aussi bien pour les convenances extérieures que contre la moindre velléité de flirt, s’il en eût supposé capable celle qui portait si dignement son nom. Aussi l’espèce d’échappatoire qu’il offrait à leur chevalier servant venait-elle uniquement de l’embarras qui résulterait pour tous si le jeune homme se trouvait dans le cas de payer de triples frais d’hôtel.

Dans la même idée, sans doute, Mme Hardibert déclara qu’elle s’arrangerait pour regagner Bruxelles le soir.

— « On voit très bien Bruges en une journée, » affirma-t-elle, « surtout en cette saison, où il fait clair si tard.

— Eh bien, » reprit Raoul, comme Sérénis allait se séparer d’eux au débarcadère de la rive droite, « je compte, monsieur, que vous voudrez bien dîner, — ou souper, suivant l’heure, — au Grand-Hôtel de Bruxelles, si vous revenez avec ces dames, demain soir.

— Merci, monsieur. J’aurai le regret de prendre congé de madame Hardibert, à Bruges, où je compte rester pour…

— Pour attendre un jour gris, » interrompit Toquette, piquée de ce que le poète eût répondu au « ces dames » de son parrain par un singulier qui l’excluait comme avec intention.

— « Pour attendre un jour gris, oui, mademoiselle, et le bon plaisir d’une muse presque aussi rétive que votre malicieuse personne, » riposta Ogier avec tant de grâce, que Nicole, souriante, ne put gronder sa filleule.

— « Bien fait, Toquette ! Ça t’apprendra ! » plaisanta Raoul, qu’égayaient toujours les escarmouches de mots.

On se dit « au revoir » parmi les rires, tandis que les Hardibert et leur filleule s’installaient dans une victoria.

Un moment, Ogier vit chatoyer au soleil deux ombrelles claires… Puis tout disparut.

Il prit, au hasard, une des ruelles qui, du port, ramènent directement vers le centre de la ville. Et, tout de suite, il eut le regret de n’avoir pas suivi le quai Van Dyck. La chaleur du beau jour d’été ouvrait, sur l’étroite voie nauséabonde, les portes et les fenêtres des vieilles maisons aux murs lézardés, aux pignons vermoulus et noirs. Depuis des siècles, dans ce quartier immuable, ces équivoques asiles accueillent la luxure farouche des matelots affolés par l’exil amer des flots sans fin. Sur l’obscurité sinistre des chambres et des corridors, des silhouettes éclatantes se découpaient, tachant l’ombre par des bleus et des roses douloureux de crudité. Des visages mal coloriés de poupées de bazar dardaient des yeux effrayants, enflammés de voracité ou aiguisés d’insulte… Quelle vision, superposée à celle qu’Ogier emportait au cœur !… Il hâta le pas, tourna un angle… Ah ! les contrastes de la mise en scène, dans cette tragédie que l’Humanité joue sous le ciel, entre le bouge et le sanctuaire !… Un clair espace s’ouvrit… Des gradins de splendeur soulevèrent l’âme de ce passant, la haussèrent, haletante, d’un seul élan, d’un envol effréné, jusqu’à la cime où le souffle manque… jusque tout là-haut, dans l’azur… La Cathédrale venait de surgir. La ruelle infâme aboutissait au parvis.

Sérénis fit quelques pas et s’arrêta devant le puits, que couronne un feuillage en fer, forgé par Quentin Metsys. Machinalement, il observait les rinceaux légers, ce travail adroit, mais si humble, d’artisan, dû à la main prodigieuse. Pourtant son attention ne s’y fixa pas. Ses nerfs vibraient en lui, cruellement et délicieusement, comme des cordes de harpe. Il écoutait retentir les échos de son cœur sonore. Toujours un souci de gloire hantait sa jeunesse ambitieuse. Mais, en ce moment, la gloire lui apparaissait comme une apothéose dont Nicole s’éblouirait, déployant ses longs cils noirs sur les prunelles indécises, enfin dévoilées dans un étonnement ravi. Hardibert, impressionné, hocherait la tête, ne le traiterait plus de jeune homme sans conséquence. Et l’impertinente Toquette elle-même changerait le ton de son caquet. Ce petit univers de trois amis, cette goutte d’eau, est-ce bien pour y mirer son image, qu’il voulait cette image démesurée de génie, de succès ?… Qui le lui eût dit, ce matin ?…

O Cathédrale !… prière multiple et pétrifiée, n’est-tu pas la voix de ce jeune homme qui monte si ardemment au ciel, pour en arracher le don sublime, afin qu’une femme dise : « Comme il est grand !… »

Ogier lève la tête, et croit voir dans cette façade de vertige, qui lui aspire toute l’âme, la colossale image de son désir. Le soleil, qui décline, dore l’extrémité supérieure de la flèche. Une ombre fine s’insinue plus bas dans les interstices innombrables des sculptures, ainsi qu’une cendre bleuâtre. Un calme indicible tombe des corniches altières. Et pourtant, c’est une fièvre, toute la fièvre de sa jeunesse, qui palpite là, pour le poète, dans les nervures frémissantes.

Cependant, sur le seuil des portes, des boutiquiers observaient curieusement ce songeur obstiné. Il finit par s’en apercevoir, rit intérieurement, et se secoua, comme un somnambule qui s’éveille.

Dans une papeterie, il acheta une photographie de la Cathédrale, et aussi une vue de l’Escaut. Le soir, avant de les glisser au fond de sa valise, il inscrivit au dos la date et quelques hiéroglyphes compréhensibles pour lui seul. Plus tard, après des années, il toucherait à ces petits cartons avec des doigts tremblants. De quel regard il examinerait ces architectures ! Sur leurs faces de pierre, le frisson d’un rêve… à leur pied, l’effleurement d’une ombre… Ce serait là, pour jamais enfuie, une des heures charmées de sa jeunesse.

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