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Le Cœur chemine

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VII

Nicole Hardibert à Ogier Sérénis.

« Georget, mon cher Georget,

« Aujourd’hui encore je vous appelle de ce nom… Aujourd’hui encore… Et puis… jamais plus !… Oui, vous lisez bien… C’est un adieu que je vous envoie.

« J’espère, je crois, que vous l’accepterez sans révolte, avec le sentiment qu’il est, cette fois, irrévocable. Vous y verrez l’arrêt même de notre destin, non plus une incertaine alternative de nos vouloirs.

« Interrogez-vous sincèrement, Georget. Sans doute vous trouverez en vous-même l’intuition de ce qui me fut révélé il y a quelques heures, de ce que vous n’avez pu manquer d’entrevoir depuis nos résolutions insensées. Si vous vous défendez contre le regret d’avoir pris de telles résolutions, si vous craignez de l’éprouver plus tard, sachez que ce n’est pas moi, hélas ! qui pourrais vous en préserver. J’en aurais trop grand’peur… Je vous le suggérerais rien qu’à trembler toujours de le lire dans vos yeux.

« Ah ! Georget… L’amour m’est apparu… Et il n’est pas entre nous. Il est dans le jeune cœur intact, innocemment passionné, de celle qui sera votre femme.

« Moi, je me suis trompée… Je ne vous aime pas comme cette enfant, puisque je ne sais pas dire, comme elle : « Je suis sûre de le rendre heureux ! » Et puisque j’ai rencontré en moi-même quelque chose de plus irrésistible que mon amour. Cette puissance à laquelle je cède, n’est pas le devoir… — Hélas ! je l’oubliais. — Ce n’est pas la crainte de l’au delà… Mon salut — (ce blasphème me soit pardonné !) — me semblait moins précieux que le paradis de notre chimère. C’est un sentiment contre lequel s’anéantissent tous les assauts désespérés de mon désir. Appelons-le la pitié… à défaut d’un nom plus auguste. Une invincible pitié pour Elle… qui vous a aimé aussi longtemps que moi, mieux que moi — oui, mieux que moi ! — et dont la jeune vie ne doit pas aboutir au gouffre de notre crime. Et aussi une tendre pitié pour Vous, que je priverais, par mon égoïsme, d’un bonheur éblouissant. Croyez-moi… Je l’ai bien vu… J’en ai les yeux pleins de lumière. Ouvrez les vôtres, et vous me remercierez quand vous reconnaîtrez ce que j’ai découvert.

« Georget, je suis créée pour les défaites, et non pour les victoires, de l’amour. La Destinée m’en avertit de nouveau. Je m’incline. Ne me demandez pas si j’en souffre. Ne me plaignez pas. Ne me condamnez pas… Mais seulement, je vous en supplie, soyez heureux ! Vous me le devez. Ce ne serait vraiment pas juste que j’aie tout manqué dans ma vie.

« Nicole. »

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