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Les Aspirans de marine, volume 1

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NOTES

Note 1.

La malheureuse jeune fille que je viens de faire connaître à mes lecteurs n’est pas un personnage fictif, elle a existé ; et ceux de mes amis qu’ont épargnés les chances fatales de la carrière que nous parcourions ensemble, se rappelleront sans doute encore la pauvre créature dont il m’a plu de faire une héroïne de roman. Peut-être, après m’avoir taxé d’égoïsme en lisant ce que je dis de Juliette et de moi, m’accusera-t-on d’un peu de cruauté pour avoir livré au vent de la publicité la mémoire d’une infortunée, qu’il aurait sans doute mieux valu laisser dormir dans la tombe où elle était descendue en expiant les torts de toute sa vie. Mais est-on toujours libre, quand on écrit, de ne dire que ce que l’on veut, et l’indiscrétion de ceux qui une fois ont laissé courir leur plume, n’a-t-elle pas aussi sa fatalité ? Cette Juliette d’ailleurs, dont j’ai retracé les souffrances et les fautes, m’a toujours paru avoir si complétement effacé ses torts par ses malheurs, que j’ai cru pouvoir parler d’elle, comme j’aurais fait de la femme la plus chaste et la plus vertueuse. Au surplus, en me mettant moi-même en scène, comme j’aurais mérité d’y être mis sans ménagement par un autre, je n’ai pas essayé à me peindre plus moralement beau que je ne le suis réellement. J’ai dit, autant que j’ai eu la force de le faire, un peu de vérité de moi et à mes dépens ; et s’il y a du mauvais dans ma nature, on trouvera du moins qu’il ne saurait y avoir d’hypocrisie dans mon fait.

Avant de mettre en évidence une fille comme Juliette, entraînée par cette fatalité qui ne peut jamais être acceptée comme une excuse morale suffisante, à faire le métier de femme galante, j’avais calculé tout ce qu’il était nécessaire de trouver de hardiesse en soi, pour fournir ainsi bénévolement à la critique, des armes aussi redoutables contre soi-même. Mais l’avouerai-je ! c’est la difficulté que j’avais entrevue dans mon plan, qui m’a engagé le plus fortement à tenter un essai pour lequel je sentais bien qu’il fallait être doué de quelque force et de quelque témérité. J’ai osé enfin, satisfait d’avoir devant moi un obstacle à vaincre, et je laisse à ceux qui me liront le soin d’apprécier jusqu’à quel point j’aurai réussi dans ce que je regarde encore comme une tentative assez singulière.

Mais au degré de licence qu’a déjà atteint notre littérature, est-il bien encore nécessaire de chercher à se faire pardonner les libertés qu’on a cru pouvoir se permettre ; et doit-on raisonnablement se féliciter, comme d’une bonne action, d’avoir réussi à cacher, sous la timidité ou la subtilité des formes, le fond peu moral de certaines choses ? Dans ces deux cas, ce me semble, le scrupule et la vanité seraient également mal placés. On m’a déjà trouvé très-hardi, il est vrai, pour avoir dessiné à grands coups de crayon de bonnes et fortes natures de matelots tout naïfs et tout bruts, comme je les avais rencontrés dans le monde maritime. On a été même jusqu’à me reprocher, disons le mot, une espèce de diogénisme littéraire, et c’est là au moins une justice que je me plais à rendre à la pruderie de notre époque. Mais avec quelque humilité que je me sois soumis à subir la réputation de rudesse qu’il a plu à certains critiques de me faire dans l’opinion du public, je ne prétends pas passer aussi aisément condamnation sur l’article de la morale dont j’ai toujours cherché à revendiquer les principes, même dans mes plus grands écarts. Tous mes personnages, il s’en faut, sont bien loin d’être moraux ; j’aurais même été très-fâché quelquefois qu’ils le fussent. Mais dût-on m’appeler vieilliste ou classique, qui pis est, j’ai toujours voulu que les vices que j’ai mis en action ou en évidence, fussent punis comme le sont les vices, c’est-à-dire comme des causes de désordres sociaux qui doivent trouver leur châtiment dans la société même qu’ils tendent à troubler, si ce n’est dans la providence qui les condamne.

Juliette, ma pauvre et vulgaire héroïne, ne se sert pas toujours d’un langage très-choisi dans le cours de mon ouvrage. Elle raconte même à l’aspirant Édouard l’histoire de ses premières années, en des termes et dans un style qui seraient à peine avoués par le goût littéraire le moins exigeant. Mais il ne faut pas oublier que c’est une jeune fille de la Basse-Bretagne que je fais parler ainsi, alors qu’elle n’a pas encore assez fréquenté le monde pour user, dans la fréquentation des hommes un peu comme il faut, les habitudes et le ton qu’elle a dû contracter à Ouessant où elle a été élevée au milieu de bons et braves habitans de cette petite île. Les paysans bas-bretons qui commencent à s’exprimer passablement en français ont un idiome à eux, et cet idiome n’est ni tout à fait du breton pour les mots, ni tout à fait du beau français pour la construction grammaticale. C’est en quelque sorte une langue mixte, qu’il n’est peut-être pas inutile d’imiter quand on veut mettre en scène les hommes qui l’emploient, pour faire comprendre leurs pensées. Cette langue, ou si l’on veut, ce patois, a sa force, sa naïveté, et quelquefois même sa grâce, et souvent déjà j’ai essayé, avec un peu de succès je crois, à en donner une idée, en introduisant dans mes dialogues de marins et de femmes de la côte finistérienne, plusieurs expressions et plusieurs locutions, qui ne pouvaient appartenir bien sûrement qu’au pays où je les avais puisées.

Le langage de Juliette change, au reste, et se modifie avec les circonstances qui changent sa position. Elle devient presque une grande dame pour sa manière de parler, quand elle sait assez lire pour lire des romans, et quand, après avoir vécu quelque temps avec des aspirans de marine, elle se trouve être la maîtresse d’un général. C’est alors, mais alors seulement, qu’elle parle comme une personne du monde ; et cette transformation morale est la chose la plus facile à concevoir, car il n’y a rien de plus aisé pour une femme un peu intelligente qui lit des livres nouveaux et qui a une loge au spectacle, que d’apprendre le jargon de toutes les autres femmes en chapeau à plumes et en châle de cachemire.

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