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Les Aspirans de marine, volume 1

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IV.
DISSOLUTION DE SOCIÉTÉ. LES ADIEUX D’ASPIRANS.

Nous nous regardions tous sans trouver à nous dire un mot, après le départ du major-général[3], tant nous étions encore étonnés du but et du résultat de sa visite, lorsque nous vîmes arriver à nous la pauvre Juliette fondant en larmes et sanglotant de manière à nous briser l’âme. Elle venait d’entendre tout, et la semonce de notre vieux mentor, et la résolution que nous avions prise de partir le lendemain matin sur la division qui allait mettre sous voiles. Dans toute autre circonstance, chacun de nous n’aurait certainement pas manqué de blâmer l’indiscrétion de notre gouvernante ; mais, au moment de la quitter peut-être pour toujours, nous sentîmes qu’il y aurait eu de la cruauté à lui reprocher la curiosité qui l’avait portée à écouter notre entretien avec le vieux major. Et puis la douleur de cette pauvre enfant paraissait si sincère et si naturelle, qu’il nous aurait fallu une force que nous n’avions certainement pas, pour la gronder comme il nous arrivait quelquefois. Mathias fut le premier qui osât ou qui sût lui adresser la parole dans cette pénible conjoncture.

[3] Voir la note troisième, à la fin de l’ouvrage.

— Eh bien ! Juliette, ma pauvre fille, lui dit-il, tu sais tout ? Tes larmes nous apprennent que tu n’ignores pas que demain matin il faudra nous séparer ?

— Oui, sans doute, que je sais tout… C’est ce vieux général qui a fait mon malheur… Ah ! ah ! ah !… Oui, c’est même lui qui est venu vous dire que j’étais une fille corrompue, et que je vous perdrais… Je l’ai bien entendu, allez… Et vous autres, vous ne lui avez rien répondu…

— Il n’a pas dit, ma bonne amie, que tu fusses une fille corrompue, et tu as très-mal entendu ou très-mal compris. Il nous a seulement parlé de la corruption qui pourrait résulter d’une intimité innocente dans ses motifs, mais dangereuse dans ses effets. Du moins, c’est ainsi que je crois avoir saisi les paroles du général. N’est-ce pas, messieurs ?

— Oui, sans doute ; il n’a pas dit que Juliette fût une fille corrompue.

— Corrompue ou non, ça m’est égal ; et, puisque je me trouvais bien avec vous, cela ne regardait que moi… Et, à présent, je ne vais plus savoir que devenir… Mais mon parti est déjà pris… j’irai me jeter à l’eau.

— Non, non, repris-je à mon tour avec autant de calme qu’il me fût possible d’en mettre dans ma harangue, tu n’iras pas te jeter à l’eau, et c’est à nous d’assurer ton avenir… Messieurs, m’écriai-je, en m’adressant à mes amis, qui déjà m’avaient compris, nous sommes riches maintenant de trois mois de traitement, n’est-ce pas ? Est-ce que deux mois ne nous suffiraient pas pour payer notre bien-venue à la table des navires sur lesquels nous venons d’être embarqués ?

— Si certainement ! répondirent unanimement mes camarades. Donnons un mois de traitement à Juliette pour lui assurer une existence honorable et digne de nous, pendant notre absence.

— Oui, ajouta avec plus d’énergie que tous les autres notre ami Mathias, donnons-lui un mois de traitement pour qu’elle puisse vivre convenablement et nous rester fidèle.

— C’est cela ; voici d’abord la part de Mathias et la mienne, soixante francs !

Tous les autres imitèrent mon acte de générosité, et je présentai à l’orpheline les deux cent dix francs provenant de notre collecte spontanée. Notre modeste et inconsolable ménagère refusa d’abord cette offrande de l’amitié, avec une résolution qui paraissait ne nous laisser que peu d’espoir de la lui faire accepter. Mais à force de prières, d’instances et de caresses, nous parvînmes enfin à vaincre ses scrupules et sa résistance. Dieu, que l’expression de sa reconnaissance et de ses regrets nous sembla alors touchante ! La pauvre petite ne nous avait jamais encore paru aussi belle de sensibilité et de candeur. Elle nous inondait de ses pleurs en nous pressant tour à tour dans ses bras avec une sorte de tendresse muette et convulsive. Peu ne s’en fallut que chacun de nous ne trouvât des larmes pour répondre à sa douleur, et des soupirs pour répondre à ses sanglots.

Lapérelle seul entre nous tous, puisant dans son stoïcisme assez de sang-froid pour prévenir une explosion d’attendrissement, qu’il aurait cru indigne de la dignité de notre position, nous rappela à des sentimens plus virils en nous disant :

— Messieurs, je crois devoir vous faire observer que nous n’avons pas de temps à perdre, pour peu que nous voulions faire nos préparatifs de départ et nous amuser un peu.

— Nos préparatifs de départ ! lui répondit Mathias ; chacun de nous porte sur lui philosophiquement, je crois, tout ce qu’il a au monde. Ainsi notre malle, par conséquent, sera bientôt faite. Le loyer du logis est payé. Quant aux petites dettes criardes que nous laissons après nous, elles ne nous importuneront plus, puisque nous allons mettre l’Océan entre nous et nos Anglais[4], en sorte que tout, selon moi, est à peu près fait… Mais tu nous as parlé de nous amuser un peu, et c’est ce à quoi nous devons sérieusement songer… Comment nous amuserons-nous ? Maintenant voilà la question importante ; et toi, Lapérelle, tu vas nous donner tes idées là-dessus.

[4] Les créanciers.

— Volontiers ; voici mon plan : vous allez le concevoir à l’instant même. Que chacun de nous consente à sacrifier cinq francs seulement sur les deux mois de traitement qui nous restent, et avec cette somme Juliette nous improvisera un petit festin, un bon souper d’adieux.

— Cinq francs, ce n’est pas assez. Chacun de nous mettra dix francs s’il le faut.

— Oui, mettons chacun dix francs. Ce n’est pas trop pour nous étourdir sur le coup inattendu qui vient de nous frapper, et pour noyer notre chagrin dans des flots de bon punch au rhum, avec de jolis zestes de citron, car tous nous aimons le goût stimulant du citron, n’est-ce pas vrai, les enfans ?

— C’est cela, mes amis, du punch comme s’il en pleuvait, du Champagne même avec son écume enivrante, car nous avons tous besoin d’endormir notre douleur.

— Tiens, Lapérelle, voilà vingt francs, tu me rendras le reste.

— Ajoutes-y les miens.

— Et les miens aussi, et que cela dure jusqu’au moment de notre séparation !

— C’est fort bien, messieurs, dit Lapérelle quand il eut nos soixante et dix francs dans la main. Maintenant, Juliette, ma bonne petite Juliette, essuie tes larmes, et va nous chercher un jambon, un pâté si tu peux en trouver un, quelques poulets froids, du fromage, trois bouteilles de rhum, deux fois autant de bouteilles d’eau-de-vie, et six ou sept bonnes fioles de Champagne… Ah ! tu n’oublieras pas de nous acheter aussi trois livres de sucre.

— Oui, M. Lapérelle, mais attendez que je prenne un panier pour mettre tout cela… Vous m’avez dit un jambon, un pâté, du rhum, du Champagne et de l’eau-de-vie, n’est-ce pas ?

— Oui, va vite, ma tendre amie, et fais surtout pour le mieux ; mais fais vite.

— Voilà que j’y cours… Mais si vous saviez combien j’ai de chagrin en pensant que demain vous allez tous partir, et que je vais rester seule, toute seule ici… Ah ! ah, mon Dieu, que j’en veux à ce vilain général !… Du jambon, un pâté, quatre bouteilles de rhum…

La reine du logis partit avec son panier sous le bras et sa douleur profonde dans le cœur.

— Savez-vous bien, messieurs, nous dit Lapérelle dès qu’elle fut sortie, que le Major-général a eu raison ?

— Sans doute, lui répondis-je. Mais il aurait bien dû nous donner nos ordres d’embarquement sur la division en partance, quelques jours au moins avant l’appareillage, pour nous laisser le temps de respirer.

— Non, reprit Mathias ; je trouve pour ma part qu’il a agi prudemment en nous forçant à nous éloigner d’ici sans nous laisser le temps de la réflexion ! Le général est un brave homme, qui a vécu et qui aime les jeunes gens. Il a parfaitement compris tout le danger qui pourrait résulter pour notre avenir, de la conduite que nous tenions ; et, quelque agréable que fût pour nous la vie de famille à laquelle nous nous étions habitués, il n’en est pas moins vrai qu’elle était trop irrégulière pour qu’elle pût continuer, et pour que lui, notre chef et notre ami, pût la tolérer.

— C’est juste, ajouta Lapérelle. Ce vieux général est un homme d’esprit et d’excellentes mœurs. Il nous a parlé le langage d’un patriarche. Juliette nous avait trop affriandés, messieurs, ou plutôt vous avait trop affriandés vous autres, à cette existence molle et sédentaire qui ne pouvait plus convenir à des jeunes gens comme nous.

— Oh ! dis donc, toi, ne fais-donc pas tant, s’il te plaît, le philosophe. Il a été un temps où tu en tenais pour elle tout autant et peut-être plus que nous tous !

— Moi, messieurs, jamais ! J’ai été, j’en conviens, comme chacun de vous, son amant en titre à mon tour ; mais c’était plutôt pour me conformer au réglement que nous avions établi, que pour céder à l’entraînement d’une passion qui, Dieu merci, me possède moins que je ne la possède. Mais jamais, je vous jure…

— Allons, allons, notre président, ce n’est plus le moment de dissimuler les faiblesses passées. Avoue que tu en tenais, et très-vigoureusement, pour ton propre compte, et que même tu nous as donné plusieurs fois des preuves non équivoques de la jalousie que t’inspirait la préférence que la petite avait pour quelques-uns de nous.

— Moi, messieurs, de la jalousie ? Vous me connaissez mal.

— Oui, toi, et une fameuse jalousie encore !

— Allons, je le veux bien, puisque vous le voulez tous et que cela paraît vous faire plaisir… Mais je vous jure, la main sur la conscience, que je consens que le diable m’emporte si jamais…

Ici Juliette rentra, chargée des provisions qu’elle avait réussi à récolter à la hâte, dans le voisinage.

En un instant, un feu aussi grand que le permettait l’exiguïté de notre cheminée fut allumé ; la table se trouva dressée et couverte des objets précieux que nous nous empressâmes de retirer du panier et des mains de notre ménagère. Notre gaîté naturelle, qui pendant quelque temps paraissait nous avoir abandonnés, nous revint à tous, à la vue des apprêts du festin, auxquels chacun s’efforçait de contribuer. Mille bons mots ne tardèrent pas à s’échapper de nos bouches animées par le goût exquis du Champagne mousseux. On mangea à peu près tout, d’abord, pour arriver plus tôt au vaste punch que nous nous proposions de faire flamber pour couronner le banquet. Juliette seule paraissait ne se livrer qu’à moitié à la joie que nous cherchions à lui faire partager, et ce ne fut qu’après l’avoir déterminée à essayer avec nous quelques verres d’Aï que nous parvînmes à suspendre, jusqu’à l’heure de la séparation, le cours des pleurs qu’elle versait en pensant à ce moment fatal. Ce fut alors qu’en voyant notre gouvernante s’abandonner au milieu de nous à quelques élans de folle ivresse, nous parvînmes à jeter sur notre repas d’adieu une de ces teintes de fumeuse orgie, si douces pour des yeux accoutumés comme les nôtres au spectacle délirant des grosses fredaines.

— Brûlons tout ce qu’il y a ici, s’écria l’un, à l’exception de la maison et de Juliette !

— Oui, brûlons tout, mettons tout en cendres, en commençant par ce tableau de mathématiques, qui nous rappelle le mal que nous avons eu à nous fourrer quatre volumes de Bezout dans la tête.

— C’est cela ! au feu ce coquin de tableau.

— Approuvé à l’unanimité ! au feu le tableau et tous nos livres d’études ! Il faut que demain il ne reste plus rien dans le logis qui puisse rappeler douloureusement, à cette pauvre Juliette, le souvenir de ses chers aspirans.

— Au feu aussi les Aventures du chevalier de Faublas !

— Non, messieurs, non ; moi, je m’oppose à cet holocauste, par égard pour Juliette. N’oublions pas que c’est dans cet ouvrage que notre élève a commencé son éducation.

— Il a raison ; épargnons Faublas, en faveur de Juliette ; mais brisons, brûlons ou saccageons tout le reste.

— Pein, pan, vlin, vlan ; tiens, voilà le cas que je fais de nos chaises et de nos tabourets. A propos, mes amis, si, pendant que nous sommes en train d’anéantir les monumens de notre séjour ici, nous jetions ces lits et ces matelas au feu ?

— Non pas, dites donc vous autres ! nous pourrions mettre le feu à la cassine, et brûler là des objets qui ne nous appartiennent pas.

— Et voyez le grand mal, quand nous rôtirions nos voisins et notre propriétaire ! est-ce que nous ne partons pas demain ?

— Ah ! dites donc, si vous vous décidez à mettre le feu à la maison, prévenez-nous-en d’avance, car j’ai l’intention de sauver Juliette des flammes, comme ce citoyen espagnol qui brûla, vous le savez bien, sa turne, pour avoir le plaisir d’enlever sa maîtresse au beau milieu de l’incendie.

— Non ; si l’on met le feu, c’est moi qui sauverai Juliette.

— Non, ce sera moi.

— Non, c’est moi qui veux la sauver, cette chère enfant ; mais, en attendant, buvons vite notre punch, pour casser ensuite les bols et la table.

— Buvons ! oui, buvons tout, mes amis !… Juliette, ma fille, viens m’embrasser encore une fois… Embrasse-moi là ; mais aussi tendrement que tu le pourras…

— Juliette, embrasse-moi aussi, ma bonne et tendre amie !

— Mais, messieurs, je vous embrasserai tous, tant que vous voudrez ; mais j’ai une prière à vous faire, et vous ne me refuserez pas ce que je vais vous demander.

— Voyons, parle, âme de ma vie. Tu sais bien qu’aujourd’hui nous sommes trop faibles pour avoir quelque chose à te refuser. Que demandes-tu, belle odalisque ?

— Que par amitié pour moi, vous ne brûliez pas la maison.

— Messieurs, vous venez d’entendre la réclamation de notre suppliante amie ? Etes-vous d’avis d’y faire droit, et de ne pas incendier la case, par égard pour elle ?

— Oui, oui ! Suspendons l’exécution. Du punch, du punch ! Plus on en boit, et plus on en a soif !

— O mes amis ! Un instant, il me vient une idée lumineuse. Avant que nous ayons entamé notre dernier bol, il faut que Juliette coupe une mèche de ses beaux cheveux blonds, et qu’après avoir brûlé cette dépouille précieuse à la flamme de cette liqueur ardente, nous avalions avec le punch la cendre des cheveux de cette chère petite.

— Bien trouvé ! C’est vrai, et moi qui n’y avais pas pensé ! Voyons, Juliette, vite une mèche de tes cheveux. J’ai déjà soif de boire, avec amour, quelque chose de toi.

— Mais où faut-il que je vous coupe de mes cheveux ?

— Là, tiens, à l’endroit où je viens de te donner un baiser. Détache la plus longue et la plus belle de celles de ces tresses onduleuses dont tu pourras disposer en notre faveur.

— La voilà, messieurs ; voyez la belle espèce de cheveux ! C’est moi qui vais l’offrir à l’ardeur de la flamme dévorante. Remarquez le sublime effet que ces belles boucles blondes font au-dessus de ces flammes légères et bleues qui vont les consumer pour toujours !

— Oui, mais pour passer dans notre sein, là, sur notre cœur !

— Allons, verse-nous toi-même ce punch cinéraire, ma fille ! Nous venons de faire là un sacrifice à la manière des anciens ; car nous autres nous serons toujours pour toi aussi les anciens, n’est-ce pas ?

— Je bois à toi, Juliette, à ton bon cœur !

— Moi aussi, je bois à elle, à sa sensibilité !

— Moi, à son attachement pour le corps des aspirans de marine !

— Moi, à sa reconnaissance et à la douceur inaltérable de son caractère !

— Moi, à sa prospérité future !

— Moi, à sa gentillesse et à ses grâces naturelles !

— Et moi, au bonheur de la revoir bientôt !

— Messieurs, messieurs, embrassons-la tous à la fois, en un seul baiser général ; pressons tous ensemble cette chère amie dans nos bras fraternels !

— Oh ! messieurs, combien je suis touchée de votre attachement pour moi !… mais ne m’étouffez pas, je vous en prie…

— Elle a raison, ne l’étouffons pas… Elle a bien assez de son émotion, la pauvre petite, pour la suffoquer ! Maintenant, mes chers amis, savez-vous ce qu’il nous reste à faire ? Il nous reste à danser sur ces débris de chaises, de tableaux, de tables et de vaisselle. Dansons donc tous en rond, Juliette au milieu. Il faut que le jour nous surprenne tous, fumant encore du punch que nous avons bu, et narguant le chagrin qui n’a jamais franchi le seuil de cet asile qu’il va nous falloir bientôt abandonner.

— Oui, oui, chantons, dansons, crions, sautons jusqu’au jour ; et si personne ne peut dormir dans le quartier avec le tintamarre que nous allons faire, demain tout le monde dira au moins : Les aspirans de marine ont fait un bruit d’enfer pour passer du sein de la bamboche sur le sein de l’Océan.

— Bravo, bravo ! En avant la contredanse et les rondes. En avant !

Le jour vint, et nous surprit dansant comme des perdus et ébranlant la maison au bruit de nos infernales chansons et sous la cadence de nos pas alourdis… L’heure du départ se fit bientôt entendre. La scène changea alors… Chacun de nous rétablit autant qu’il put le désordre de sa toilette, sauta sur son épée et sur son chapeau. Il fallut se séparer de Juliette qui se mit à sangloter dans nos bras comme si elle eût perdu tout au monde en nous perdant. Que de baisers, de tendres caresses, lui furent prodigués dans les quelques minutes qui précédèrent notre séparation ! Vingt fois chacun de nous franchit le seuil fatal de notre porte, pour rentrer encore et dire un dernier adieu à notre amie inconsolable. Force fut enfin de prendre une résolution énergique et de se déterminer à fuir… Lapérelle nous donna le premier l’exemple du courage dans ce moment cruel et décisif… Il tendit la main à la main presque inanimée de Juliette… et il sortit. Nous imitâmes tous sa résolution, et nous laissâmes, presque évanouie, notre malheureuse orpheline inondée de ses larmes, couverte de nos baisers, et pouvant à peine nous dire de l’œil et du geste un dernier, un tendre, un douloureux adieu.

J’allai, moi, en sortant de notre ancien gîte, prendre congé de ma famille. Les canots des nouveaux navires sur lesquels nous allions faire voile nous attendaient le long des quais du port. A l’heure dite, tous nous nous trouvâmes prêts à nous rendre à bord de la division qui, déjà, avait fait entendre au loin le lugubre coup de canon de partance.

Là encore il fallut nous arracher des bras de nos amis. Mais entre nous l’affaire fut bientôt faite… On s’embrassa, on se serra la main en se promettant du plaisir au retour de la croisière, et les canots de nos vaisseaux nous enlevèrent à nos plus chères affections, aux liens si doux que nous avions formés pour si peu de temps, hélas !…

Nos yeux, en se portant avec distraction sur le sillage rapide de nos embarcations, se tournèrent tristement vers les navires à bord desquels nous devions aller à la gloire… C’était là qu’était tout notre avenir : le passé fut emporté avec la brise, dans le premier nuage qui vint rouler sur nos têtes.

Malheureux ! Nous venions de laisser bien loin derrière nous, avec la trace des canots qui nous emportaient, nos plus belles et nos plus folles années !…

Un sillage d’embarcation, que les vents en se jouant, allaient effacer pour toujours sur l’onde, et le souvenir de tant de bonheur perdu pour jamais, ah ! c’était, hélas ! la même chose ![5]

[5] Voir la note 4.

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