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Les Aspirans de marine, volume 1

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Note 2.

Le pilote dont il est ici question fut exécuté à Brest, en 1805 ou 1806, pour avoir servi, en temps de guerre, sur les bâtimens anglais qui bloquaient la côte de Bretagne. La frégate la Blanche, à bord de laquelle on parvint à s’emparer de ce transfuge, se perdit près de Portsall et non sur les rochers d’Ouessant où j’ai jugé à propos de placer le lieu de l’événement que je retrace dans ce chapitre. Poursuivi long-temps par les agens de la force armée, appelés à surveiller le sauvetage du bâtiment naufragé, le pilote français fut retrouvé dans la maison qu’habitaient sa femme et ses enfans, sur les bords mêmes du rivage où ce malheureux avait long-temps fait la pêche. Vingt-quatre heures après avoir été conduit à Brest pour y être jugé par une cour martiale, il avait cessé de vivre.

L’histoire de la mystérieuse fécondité de la femme du pilote de mon roman est vraie. On la retrouve encore dans la tradition du pays. Mais la crainte de contribuer à perpétuer l’injuste flétrissure qui s’attacha dans le temps à la famille de ce misérable marin, m’a engagé à dénaturer le nom qu’il portait, et qu’il légua, comme un funeste héritage, à des enfans bien innocens du crime que venait d’expier si terriblement leur père.

A peine âgé de neuf à dix ans lorsque le naufrage de la Blanche eut lieu sur les côtes du Finistère, je me trouvais embarqué comme petit mousse, à bord d’un des bâtimens convoyeurs qui furent expédiés de Brest pour recueillir les débris de cette frégate anglaise. La moitié de l’équipage avait péri, et en arrivant sur le lieu du sinistre, nous n’eûmes d’abord à retirer de l’eau que des cadavres.

C’est dans cette circonstance funeste que les agens de la marine, appelés les premiers sur le théâtre de l’événement, eurent à déplorer les excès auxquels le défaut de civilisation pouvait encore porter les habitans de ces côtes abandonnées. L’épouse ou la fille du commandant anglais fut ramenée sur le rivage, mais presque morte. Une jeune paysanne, qui avait contribué, autant que les pêcheurs eux-mêmes, à retirer des flots, non pas les naufragés, mais les corps des noyés pour les dépouiller de leurs vêtemens, aperçoit la dame anglaise encore évanouie… Un diamant, qui paraissait de quelque valeur, brillait à l’un de ses doigts gonflés par la macération de l’eau. La jeune paysanne s’efforce d’arracher l’anneau, qu’elle veut s’approprier, du doigt sur lequel il est trop étroitement serré. Irritée de ses inutiles efforts, que fait la misérable ! Elle coupe, de ses dents de bête fauve, le doigt de la victime, et disparaît, toute fière de sa conquête, avec la bague qu’elle tient encore entre ses lèvres ensanglantées.

Nous trouvâmes, en arrivant à Portsall, les témoins de cette scène de cannibale, encore tout indignés de la férocité de la jeune sauvage. Mais le châtiment que méritait tant de cruauté ne se fit pas attendre. Je ne puis pas dire ici avoir vu de mes yeux le fait que je viens de rapporter ; mais je puis du moins affirmer qu’on le racontait comme une chose qui vient de se passer au vu et su de tout le monde, quand notre petit navire mouilla sur cette partie de la côte du Finistère pour diriger le sauvetage de la frégate la Blanche.

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