Les voix qui crient dans le désert : $b souvenirs d'Afrique
CHAPITRE VIII
BOUAGA
Cet endroit n’avait pas encore été reconnu, mais nous savions qu’il était riche en pâturages et que plusieurs tribus importantes avaient l’habitude d’y séjourner. Il fut donc décidé que je m’y porterais avec ma section et que j’y nomadiserais, jusqu’à ce que des ordres vinssent d’Atar.
Le 1er novembre 1911, je fis mes adieux au capitaine B., et je me rendis à mon camp de Nijan où je commençai mes préparatifs de départ. Le 3, dans l’après-midi, nous nous mettions en route. Nous campions le soir à six kilomètres de là, dans les champs de pastèques de Teintana, où séjournent d’ordinaire de nombreuses tentes d’Ideïchilli. Les indigènes que je vis le lendemain me donnèrent des renseignements sur les medjbours, qui sillonnaient l’ouest de nos territoires et sur l’emplacement des tribus Regueïbat. Enfin, ils me fournirent des moutons pour ma route et un guide qui s’appelait Ioouda, fils de Tezgao.
Le lendemain, 5 novembre, au soir, je donnai le signal du départ. Nous couchâmes au pied des monts Ibi, dans une immense plaine de cailloux dépourvue de toute végétation. Le 6, je résolus de fuir au plus vite ces lieux désolés, et nous nous portâmes, en longeant les monts Ibi, jusqu’à la source d’Erigi, à neuf heures de marche de notre campement du matin. Le 7, je m’arrêtai à l’extrémité des monts Ibi et le 8, j’arrivai à Tizégui, puits peu abondant au pied des hautes dunes mouvantes de l’Amatlich. Là, malgré l’insuffisance du pâturage, j’étais forcé de reprendre haleine et de chercher quelques renseignements sur la route que j’allais avoir à suivre.
J’étais assez embarrassé, quand je vis venir à mon camp trois Regueïbat qui venaient justement de Bouaga. Ils en étaient partis le matin même. Je calculai, d’après leur récit, que ce point devait se trouver à 105 kilomètres au sud de Tizégui. Mais, pour s’y rendre, deux routes se présentaient.
La première, incurvée vers le sud-est, longeait le massif de l’Adrar et permettait d’utiliser de nombreux points d’eau déjà reconnus. L’autre, franchissant directement du nord au sud la distance qui sépare Tizégui de Bouaga, était dépourvue de puits et elle n’avait pas encore été parcourue. Les Regueïbat m’assurèrent que cette route présentait de bons pâturages, au lieu que la première était à ce moment à peu près dépourvue d’herbes.
Cette considération, jointe à l’intérêt que présentait un itinéraire nouveau, m’encouragea à délaisser la route du sud-est, et à gagner d’une seule traite Bouaga à travers le désert de l’Am Khacir.
Lorsque les deux sous-officiers qui m’accompagnaient connurent cette décision, ils vinrent me trouver et me représentèrent que le passage d’une aussi longue région sans eau n’irait pas sans difficultés, à cause du train de femmes et d’enfants qui nous suivait, et du peu de récipients d’eau dont nous disposions. Je les rassurai et fixai le départ au lendemain matin.
On commença d’abreuver les animaux et de remplir les peaux de bouc à huit heures du matin. Mais le débit des puits était si lent que ce travail n’était pas achevé le soir. Au milieu de la nuit, les Sénégalais et les Maures tiraient encore de l’eau. Fort heureusement, le premier quartier de la lune était assez avancé et une molle clarté enveloppait la terre.
Je ne pouvais détacher mes yeux du petit groupe que faisaient nos gens. Pour gagner du temps, un Maure était descendu au fond du puits et il remplissait à la main les sacs en peau de mouton, qui servent au désert à tirer l’eau. On entendait sa voix souterraine à laquelle répondaient les appels de ses camarades restés sur le sol. Les moutons, auprès des abreuvoirs en cuir, bêlaient et ils se pressaient et se battaient avec la tête.
Tout ainsi, la même nuit et la même lune étaient jadis sur Sichem :
« Les frères de Joseph allèrent à Sichem, pour y faire paître les troupeaux de leur père. Et Israël dit à Joseph : Vos frères font paître nos brebis dans le pays de Sichem ; venez, que je vous envoie vers eux. »
Et la même citerne était dans le même désert :
« Ruben les ayant entendus parler ainsi, tâchait de le tirer d’entre leurs mains, en disant : Ne lui ôtons point la vie. — Ne répandez point son sang, ajouta Ruben, mais jetez-le dans cette citerne qui est dans le désert… »
A deux heures du matin, tout étant prêt, nous montâmes à chameau. La lune était très basse et ne donnait plus qu’une clarté incertaine. Nous franchîmes l’Amatlich par la passe facile de Tizégui. Il faisait tout à fait noir, quand nous pénétrâmes dans la plaine de l’Am Khacir. Un vent froid s’était levé qui nous glaçait les veines, et nous restions engourdis sur nos selles, ne pensant à rien et ne sentant même plus nos corps.
Enfin, une aube mortelle se leva ; elle n’éveillait nul chant d’oiseau, ne secouait nul sommeil… Et puis, le soleil parut dans la solitude, solitaire lui-même, et point accompagné de ces feux et nuages et riches rayons et bruits des villages, qui renaissent à la vie dans l’Angelus.
Je mis pied à terre, laissant cheminer la colonne et Sidia seul descendit, qui se taisait. J’étais le centre d’un immense cercle de désolation, et, dans l’immobilité de tout, hors du soleil qui grimpait allègrement la pente de l’Orient, je sentais en moi le sens des révolutions célestes. Il me semblait, debout au milieu du silence, que l’Ange était présent, si la cloche ne l’annonçait pas.
Angelus nuntiavit Mariae…
Les tintements sont là-bas, très loin dans le Nord, et ici est l’Ange, et ici est la servante du Seigneur.
Ecce ancilla Domini…
Et les tintements eux-mêmes sont ici, voyageant et roulant à travers le monde, et aussi les cloches n’allant plus à Rome seulement, mais infiniment plus loin, jusqu’à l’autre bout de la terre…
Le cœur d’un voyageur, quand il a passé la nuit dans la ville, ne peut pas résister à l’élan d’amour et de reconnaissance que fait le jour quand il paraît. Je restai longtemps à contempler l’horizon, écoutant naître en moi ce qu’il ne pouvait pourtant pas me donner.
Quand je rattrapai la colonne, le soleil était déjà haut, et il était l’heure de prendre enfin du repos.
Le soir, nous avançâmes encore de dix kilomètres, ce qui nous porta aux premières heures de la nuit. Nous étions arrivés dans une région de fortes dunes, où je craignais que le guide Ioouda ne se perdît. Aussi, fis-je arrêter la tête de colonne et allumer de grands feux avec les maigres herbes qui se trouvaient là, pour guider l’arrière-garde de la colonne. Ces feux faisaient des figurations fantastiques dans la mer de sable où le hasard nous avait conduits.
Le lendemain 11, nous partîmes à trois heures du matin. Les dunes cessèrent bientôt ; nous étions dans une plaine noire semée de petits cailloux. A la lueur des étoiles, je voyais de petites montagnes s’égrener à notre gauche. Ioouda me dit qu’elles s’appelaient Idjibitten. Je pus monter sur l’une d’elles, lorsque le soleil se leva. Le terrain ressemblait à une écorce rugueuse légèrement soulevée à certains endroits, et quelques pics dénudés rompaient la monotonie du paysage pour en accentuer l’infertilité. Tandis que j’essayais de placer ces montagnes sur le papier, à l’aide de la boussole, j’écoutais en moi les battements de mon cœur abandonné à lui-même.
Je remerciais Dieu d’y avoir mis plus de choses qu’il n’en pouvait contenir, et d’avoir ainsi daigné m’avertir que ce qu’il cachait était plus grand que ce qu’il montrait. Et pourtant c’était cette force surnaturelle que j’avais si longtemps employée contre lui, et c’était de Dieu même dont je m’étais servi contre Dieu !
A huit heures, nous entrâmes dans de nouvelles dunes, allant ainsi toujours des sables aux cailloux et des cailloux aux sables. Quand la chaleur commença à se faire sentir, nous reposâmes pendant quelques heures, puis reprîmes notre route. Nous marchions dans la plaine de sable, plus hâtivement peut-être, car l’on commençait à désirer le point d’eau. Je calculais que, depuis la veille, nous avions dû faire quatre-vingt-cinq kilomètres et que nous ne devions plus être très loin des puits, ce qui était à désirer, car la provision d’eau s’épuisait.
Je songeais à tout cela, quand le guide Ioouda vint près de moi et me dit que les puits n’étaient pas très loin, mais qu’il était à craindre que les hommes n’en pussent boire l’eau qui était extrêmement salée. Comme les tirailleurs marchaient tout près derrière moi, je craignis que les paroles de Ioouda ne leur fissent mauvaise impression, et je donnai l’ordre au Maure de se porter en avant. Quelques minutes après, j’allai le rejoindre. Il me confirma ses craintes.
La nuit était venue. Je contemplais la terre mauvaise, et, comme la mauvaise épouse, inféconde… in terra deserta et invia, et inaquosa…
Et pourtant, je n’avais nulle crainte, sentant l’Ange devant moi, et non plus la colonne de feu, mais une forme blanche, plus visible que toutes les choses visibles et qui nous protégeait dans notre voie.
Le lendemain matin, nous partîmes à quatre heures. Nous avions fait une quinzaine de kilomètres, quand nous atteignîmes une immense plaine dont la surface se craquelait d’efflorescences salines : c’était la Sebkhra de Bouaga. Ioouda me montra à l’horizon une ligne blanche qui tremblait : « Les oglats ! », me dit-il. Au bout d’une heure, nous mettions pied à terre. Nous étions à l’extrémité de la Sebkhra, et il semblait que ce fût aussi l’extrême bordure du monde, tant la déréliction de ces lieux était grande. Vingt trous de faible diamètre semaient le sol. Je fis tirer de l’eau de l’un d’eux et je la goûtai, elle était tellement salée que je faillis en avoir le cœur brouillé. Je ne marquai rien de mon inquiétude et me fis donner de l’eau d’un oglat voisin ; cette eau était mauvaise, mais elle n’avait pas le même goût que celle du premier oglat. Je ne me décourageai pas et continuai mes expériences. Enfin, au sixième oglat, je m’aperçus que l’eau était excellente. J’allai aussitôt rassurer les tirailleurs qui avaient suivi mon manège avec un peu d’inquiétude et nous allâmes, pleins de joie, installer le camp à une centaine de mètres de là.
Dans cette vie qui n’est faite que de départs et d’arrivées, il n’est qu’exaltations et recueillements. Tel est le double jeu de l’Afrique, tel est le double mouvement dans l’ordre de l’action et dans l’ordre du rêve, auquel nous sommes soumis. Les jours qui suivirent mon arrivée à Bouaga, je fus très occupé par les réquisitions de vivres, que j’avais à faire, et par l’envoi de diverses reconnaissances importantes. Pourtant, m’aventurant dans cette immense mer de sable où croît le hâd métallique, l’herbe chère aux chameaux, je rentrais en moi-même, j’essayais de saisir le sens de mon action, je veux dire de ce perpétuel effort où j’étais, et néanmoins de ce déroulement continu que je savais bien ne pas ordonner tout seul. Sincérité que l’on a difficilement en Europe, ici toute franche et simple, et bien allante. Et quelle joie de se réveiller dans de jeunes matins et de s’endormir dans de jeunes soirs, plus jeune soi-même et plus confiant, et non pas craignant la reconnaissance en nous de l’Absolu, mais au contraire l’appelant de tout notre cœur enfin guéri ! Crépuscules de béatitude, c’est à vous que l’on doit de se sentir encore capable d’adoration et d’être comme Israël attendant l’arrivée du Seigneur : A custodia matutina usque ad noctem, speret Israël in Domino.
Et voici que naît du désert la connaissance d’un adorable mystère. Car cet espoir de Dieu, à peine est-il formé qu’il est déjà réalisé, et à peine cesse-t-on de le former qu’il cesse de se réaliser. Et la connaissance de Dieu n’est que l’espoir, sans cesse irréalisé, de Dieu. « Je ne te chercherais pas, si je ne t’avais trouvé », et je cesserais de te trouver si je ne te cherchais plus. A peine ce faible et vacillant désir est-il né, non pas simple et volontaire, mais obscur et spontané, que déjà l’objet du désir apparaît et que déjà le but devient volontaire et connu. Chercher Dieu n’importe plus, puisque la recherche est elle-même la trouvaille.
Au Sud de Bouaga, il est d’immenses montagnes de sables meubles, dont les profondeurs stériles n’ont point encore été pénétrées. De mon camp, j’en voyais les premières ondulations et je me répétais leur nom défendu. L’Aouker ! Beau mot harmonieux et de grande tentation !
Le 18, j’allai avec quelques compagnons au puits de Sbaïa, afin de relier Bouaga à ce point connu du Trarza. Sbaïa est un lieu de grande circulation. Quand j’y arrivai, des Ouled Cheickh remplissaient d’eau leurs peaux de bouc. Je vis aussi un vieil El Hadj qui avait sa tente non loin du puits et qui faisait boire ses bœufs. Un convoi, chargé d’étoffes et de sucre et destiné au vieux commerçant Yezid, passa, se rendant à Atar. J’appris que des fractions importantes d’Ideïchilli se trouvaient au Sud de Sbaïa, dans l’Aouker, et je résolus de m’y rendre, avant de rentrer à mon campement de Bouaga.
Le jeune homme qui me servait de guide, me conduisit donc le lendemain au campement d’Eli Oued Alouibib, vieux chef de la famille des Ouled Silla. Ce vieux Maure en robe blanche, croyant que je ne le comprenais pas, reprocha vivement à mon guide de m’avoir conduit auprès de lui. Sur quoi, je pris la parole, et je lui dis mon étonnement de voir un musulman manquer aux lois de l’hospitalité. Eli, étonné de m’entendre parler maure, se confondit en excuses et me fit apporter sur l’heure deux tentes, du lait et deux moutons gras. Je passai la journée à causer avec les chefs des Ideïchilli, que j’avais fait venir des environs. Ces gens possèdent de beaux troupeaux de moutons, qu’ils ne mènent au puits de Sbaïa que tous les dix jours. Il est vrai que le pays où nous sommes est tapissé d’herbes de toutes sortes, et que la qualité du pâturage permet aux animaux de se passer d’eau.
Je quittai les Ideïchilli le lendemain, et marchai toute la journée à assez vive allure. Nous longions la bordure de l’Aouker, laissant à notre droite des dunes imposantes et où déjà la végétation avait cessé, et nous-mêmes nous cheminions dans des sables à peine ondulés, dont un arbre maigre venait de loin en loin couper la monotonie. La journée était charmante, semblable un peu à celle d’un automne de France, et nous nous laissions aller à l’amble égal des chameaux, voyant fuir sous nos pas le sol léger, oubliant nos affaires et nos soucis. Et l’air avait un goût si fin, un tel bouquet de naïveté qu’il semblait même capable d’effacer le péché. Les hommes de mon escorte chantaient, et moi, je ne chantais point, mais priais, comme ainsi me l’avait appris l’Afrique.
J’arrivai à mon camp, le 22. Il n’y avait que quatre jours que je l’avais quitté, et pourtant mon cœur battit, quand je revis de loin nos tentes perdues dans l’aklé, puis les mitrailleuses qui surmontaient deux petits monticules de sable, puis les hommes, mes chers compagnons du tour d’Afrique, accourant tous vers moi, tandis que des femmes poussaient, selon l’usage, des cris stridents.
C’est à ces heures-là que l’on sent comme tout est lié dans une troupe, et quel est ce lien indicible qui noue et enchaîne, plus fort que l’amitié et plus fort que l’amour. Et ce n’est ni de l’amour paternel, ni de l’amour filial, ni de l’amour fraternel, mais c’est un autre amour qui n’a pas été dit, un autre amour qui balaie le reste, ne laisse plus rien après lui. Qui dira comment Napoléon a aimé la vieille Garde ?
Je ne devais pas rester longtemps à Bouaga. A peine avais-je terminé mes affaires que le capitaine B. me convoquait à Hassei Tob, puits peu éloigné de la barrière de l’Adrar et où le capitaine était installé depuis quelques jours. Le 26 au soir et le 27, je franchis les vingt lieues qui me séparaient d’Hassei Tob. Cette route peut être coupée en son milieu par le puits d’Aguielt en Neuz, qui veut dire en arabe le « petit puits de la moitié ». Au delà d’Aguielt en Neuz, on suit pendant de longues heures une immense plaine — un de ces « rags » noirs qui sont la plus grande figuration d’éternité qui soit. Je m’y reposai quelques heures, me laissant griser par le vent, tandis que mes partisans dormaient dans le grand incendie de midi.
Ah ! qu’il n’y faut point dormir, qu’il n’y faut point oublier les heures, dans cette terre divine qui ne nous cache rien ! Tout debout, je ne vois dans la plaine nul recreux, nul coin secret, mais au contraire cette grande franchise sans détours que hait le démon. La terre se montre toute, sans ambages, sans feintes, sans fourberie ni cafardise. Et nul coin ne s’y voit où le péché se puisse cacher.
Deux jours après, je repassais par cette même plaine, mais je ne m’y arrêtais pas. Je devais retourner dans les campements de l’Aouker pour y procéder à l’arrestation d’un chef qui venait de nous donner des preuves de son infidélité, et il me fallait franchir à toute allure les cent quatre-vingts kilomètres qui me séparaient des campements.
Le 3 décembre enfin, je rentrais à mon camp, mais c’était pour dire adieu à Bouaga ; je venais de recevoir l’ordre de me rendre le plus tôt possible à Tijikja, pour y prendre part à la colonne de Tichitt.
Je voulus voir une dernière fois le soleil se coucher sur la Sebkhra déserte, et je m’éloignai du camp, affamé de grandeur et de solitude. Tandis que je franchissais les petites dunes où tombait l’ombre, je repassais dans ma mémoire les événements des derniers jours, voulant faire mon bilan et calculer les étapes. Mais non ! Il ne le faut pas. Quand j’arrivai dans la plaine rugueuse, toute semblable à un grand lac desséché, et où le soleil crachait d’immenses gerbes de lumière sereine, dans ce grand frissonnement de la terre qui elle-même va sombrer dans l’oubli, je descendis, frissonnant aussi, au fond de mon âme, rejetant le sophisme et l’équivoque et regardant bien en face le crépuscule…
Nous en avons assez fait, nous avons assez roulé et peiné sur les routes, pour que, maintenant, nous n’ayons plus peur de nous-mêmes. Nous avons conquis nos grades dans la béatitude et il faudra bien qu’on nous laisse la paix avec les preuves et les syllogismes, et les inductions et les déductions.
Maintenant, ce n’est point à prouver Dieu que nous allons occuper nos heures, mais à tâcher de le rencontrer. Ce n’est point à le chercher que nous allons nous employer, mais à le trouver. Amem non inveniendo invenire, potius quam inveniendo non invenire te !… Voici un grand soleil et une terre simple, et nous devons faire notre âme à leur image, claire et simple. Voici une plaine silencieuse et nue, et comme elle notre âme sera silencieuse et nue, pour qu’elle entende ce grand bruit et cette grande présence qui y étaient…
Et maintenant, prions aussi, tout petits et sincères devant sa Face :
O mon Dieu, je n’aurai plus peur de Votre lumière, maintenant que j’ai vu cette lumière, et je n’aurai plus peur de moi-même, puisque je sais que Vous êtes en moi-même. Je ne Vous connaissais pas, parce que je voulais Vous prouver et maintenant je Vous connais parce que je ne peux plus Vous prouver. Et pendant que je ne Vous connaissais pas, Vous étiez en moi pourtant, et pendant cette grande déréliction où j’ai été de tous Vos Sacrements, pendant cette longue nuit, Vous prépariez pourtant l’avènement de cette lumière surnaturelle.
Je Vous connais, ô mon Dieu, parce que, simplement, il Vous a plu de Vous faire connaître. Je Vous connais par ce qui est inconnaissable en Vous. Je Vous connais par Vos mystères inconnaissables qui sont la Sainte Trinité, l’Incarnation, la Rédemption. Voilà les preuves que Vous avez daigné m’envoyer.
O mon Dieu ! Pardonnez-moi ce grand mensonge où j’ai vécu, puisque je sentais bien en moi cette force intérieure qui me guidait dans la vie, et que je ne voulais pas Vous la reporter. Pardonnez-moi cette ingratitude où j’ai été de ne pas Vous restituer ce qui Vous appartenait en moi, et que cette voile que gonflait l’idéal n’ait point appareillé vers Vous. Pardonnez-moi cette lâcheté d’avoir cru à l’amour, sans avoir cru à Votre Amour, à la loi, sans avoir cru à Votre Loi, à la bonté, sans avoir cru à Votre Bonté. Pardonnez-moi cette félonie, d’avoir contemplé l’océan de la lumière et de ne m’y être pas aventuré, et d’avoir hésité au bord de l’éternité que Vous m’aviez donnée. Pardonnez-moi ce grand orgueil d’avoir voulu Vous étudier, avant que de Vous aimer, et d’avoir voulu Vous connaître, ce qui était, en quelque manière, cesser de Vous connaître.
Vespertina oratio ascendat ad te, Domine. Et descendat super nos misericordia tua (Office des vêpres du samedi, V. et R. de l’hymne : Jam sol recedit igneus).