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Lord Northcliffe

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Pendant la guerre: Pour la victoire et pour la France

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Une légende absurde et malfaisante, partie de Berlin, entretenue par nos pacifistes plus ou moins avoués, nos germanophiles honteux, prétend que lord Northcliffe n’a pas toujours été notre ami. Certes, pendant l’incident de Fachoda il prit, avec la vigueur ardente de sa jeunesse, le parti de son pays. Qui peut lui jeter la première pierre? Nous n’oserions guère exhumer nous-mêmes certaines diatribes injurieuses publiées dans nos feuilles, soit à cette époque, soit au cours de la guerre sud-africaine. Ces temps sont loin. Les nuages à peine dissipés, dès le 6 novembre 1902, on prononce dans le Daily Mail le mot d’«entente cordiale». Lord Northcliffe ne cesse d’y revenir, d’apporter à l’œuvre d’Edouard VII son aide puissante. «Un accord entre la France et l’Angleterre, prétend-il en 1904, peut préserver la paix de l’Europe.» En 1905, quand l’Allemagne se dresse menaçante contre la France: «Une France puissante est une nécessité vitale pour l’Angleterre et pour l’Europe, écrit-il, une agression contre la France serait un coup frappé contre l’Empire britannique et ressenti comme tel par tout le pays»; «la France peut demeurer certaine qu’à une attaque brutale et sans provocation répondraient l’alliance et l’appui du peuple britannique», dit-il encore. Il ne manque pas une occasion de louer les procédés loyaux et amicaux du gouvernement français envers l’Angleterre, d’assurer la France qu’elle peut compter sur l’aide militaire et navale de la Grande-Bretagne. Il résiste à toutes les intrigues destinées à semer la méfiance et la désunion entre les deux pays, il les dévoile et les stigmatise.

A l’heure d’Agadir, alors que la fourbe Allemagne, prétendant que l’Entente prépare une attaque en traîtrise, commence à mobiliser secrètement, lord Northcliffe la démasque et montre l’Angleterre et la France fraternellement debout, épaule contre épaule, prêtes à répondre ensemble à l’insulte commune.

Et tout à coup la guerre est là, en coup de foudre. Quand l’Allemagne envoie son ultimatum à la France, le gouvernement britannique hésite encore. Heures de suprême angoisse qu’aucun Français ne peut évoquer sans frémir...

Alors, tandis que certains grands journaux libéraux qui, par leurs principes tout au moins, auraient dû se rapprocher de nous, réclamaient le maintien de la neutralité; tandis que le 4 août, à l’heure où les masses barbares écrasaient déjà la Belgique, le Daily News osait alléguer qu’en restant spectatrice du drame l’Angleterre pourrait «continuer ses relations commerciales avec les belligérants, s’emparer de leur commerce en marché neutre, rester libre de toute dette, posséder des finances vigoureuses», et que le Daily Chronicle affirmait que «le conflit ne valait pas les os d’un seul soldat», la Northcliffe Press, de ses voix puissantes et indignées, faisait de l’intervention britannique un devoir strict, de la neutralité un crime,—le déshonneur éternel de l’Empire.

—Pour ma part, si nous n’étions pas intervenus—me disait en 1916 lord Northcliffe d’une voix encore frémissante—j’avais décidé d’abandonner ce pays, de porter ma fortune en France et de m’y faire naturaliser aussi rapidement que le gouvernement français me le permettrait!

Boutade? Qui sait? Le pur patriotisme comme le vrai amour ne veut pas de tache à son idéal.

La Grande-Bretagne, terre du lyrisme, fidèle à ses amitiés, soulevée par le monstrueux attentat commis contre la Belgique, s’élance d’un bond dans la lutte. Mais seule l’élite a compris que l’honneur comme l’intérêt vital du pays lui commandent d’intervenir. La foule reste encore indifférente. Son imagination est lente à s’échauffer. Elle n’est pas comme nous prise à la gorge par l’invasion brutale. Des pas du soudard tudesque foulant et souillant notre sol, elle n’entend que le lointain écho. Cette guerre lui apparaît, comme tant d’autres, une guerre continentale.

Les journaux de la Northcliffe Press lui en révèlent l’importance et le péril. Ils mènent le combat quotidien contre l’inertie populaire, l’imprévoyance des gouvernants, les erreurs et les lenteurs de l’organisation. Ils parlent au pays avec une franchise brutale et bienfaisante, ne lui celant aucune faute, aucune erreur, aucun danger. Ils ne cessent de lutter contre la censure qui ne fait pas confiance au pays et lui cache la vérité. Sage politique, autrement génératrice de courage et de foi qu’un optimisme auquel la réalité apporte son démenti constant. Ce pessimisme patriotique du Times et du Daily Mail a contribué au salut de l’Angleterre.

Ce ne fut pas sans peine. Lord Northcliffe risquait sa fortune et sa popularité. Il n’hésita pas. Pendant les six premiers mois de la guerre il s’abstenait de toute critique. Mais l’heure était grave. Tout à coup il se décide à révéler à l’Angleterre incrédule que si ses troupes décimées par des pertes excessives ne remportent pas les succès dus à leur valeur, c’est qu’il leur manque des canons, des obus, des explosifs et tout le personnel et le matériel nécessaires à leur fabrication. Il ose s’en prendre à la grande idole nationale, lord Kitchener. Explosion formidable d’indignation. On vient manifester contre le Daily Mail, on se désabonne en masse, on en brûle publiquement des numéros. La vérité pourtant finit par éclater. A la colère succède la stupeur, puis la gratitude.

Les campagnes continuent. Le Times et le Daily Mail réclament et obtiennent tour à tour la création d’un ministère des Munitions, la fabrication des casques, des mitrailleuses, de l’artillerie lourde. Malgré les attaques les plus violentes, ils exigent la loi de conscription, la mobilisation civile de tous les citoyens, hommes et femmes, les restrictions sévères au point de vue des vivres, l’accaparement par l’Etat de tous les services publics, l’obligation sous toutes ses formes.

Jugeant le ministère de coalition inférieur à sa tâche, lord Northcliffe le poursuit et le traque jusqu’à sa chute. En M. Lloyd George qu’il combattit naguère avec toute sa fougue, il voit «l’homme qui se révèle comme une véritable force dynamique dont chaque once d’énergie est employée à sa tâche immédiate», the man for the job. Et l’opinion publique, docile à sa voix, porte d’un seul élan M. Lloyd George au poste suprême. Mais si la Northcliffe Press apporte désormais son appui au gouvernement, c’est sans aveuglement. Elle conserve son droit de critique et en use. Elle est impitoyable pour la mollesse et l’incompétence. Elle a obtenu, parmi des tempêtes de protestations et d’injures, la démission ou le changement de poste des ministres, des amiraux, des généraux qu’elle n’estimait pas à la hauteur de leur tâche. Elle a plaidé en faveur de l’élévation de l’âge des soldats en Angleterre, de la rigueur effective de la loi militaire, du comb-out, de l’extension du front britannique, de l’unité du commandement interallié qui devait amener une si rapide victoire. Elle menait et continue à mener une campagne violente pour l’Alien’s bill, qui démasque et désarme les Allemands plus ou moins déguisés pullulant en Angleterre. Et si elle accorde son support au nouveau ministère de coalition, c’est à la condition unique qu’il exécutera son programme de reconstruction.

Si bien que lord Northcliffe a pu écrire du Daily Mail: «Ceux qui, chaque matin, se rallient à notre étendard, savent que ce journal est indépendant, même vis-à-vis de ses lecteurs, qu’il n’hésite pas à exprimer des opinions qui, pour un temps, peuvent être extrêmement impopulaires, que peu lui importe d’être boycotté, mis au ban, brûlé, qu’il n’a pas d’autre meule à tourner que celle du bien public, qu’il n’a d’intérêt en aucun politicien, en aucun parti politique, mais que son but unique, en cette tragique période de notre histoire, est: gagner la guerre!» Et maintenant il peut ajouter: «gagner une paix digne des sacrifices de la guerre.»

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